TALES FROM TOPOGRAPHIC OCEANS

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TALES FROM TOPOGRAPHIC OCEANS
1974.01 - Rock & Folk : Critique «Tales From Topographic Oceans»
YES
TALES FROM
TOPOGRAPHIC OCEANS
Allantic 80001 (dist. WEA)
Après «Close To The Edge»,
«Yessongs» avait rassemblé sur six
faces, à la manière d’un «Best of/
Live», les meilleurs morceaux de
Yes ; «Yessongs» avait aussi montré
que la richesse musicale du groupe
pouvait difficilement se satisfaire
des limites des deux faces d’un
33 t. C’est sur quatre faces que se
déroulent ces «Histoires des Océans
Topographiques», annoncées par
Jon Anderson dans l’interview avec
Jacques Chabiron (cf. Rock & Folk
n° 78, Juil. 1973) et commentées
sur la pochette du disque. Cette
pochette, somptueuse, réalisée avec
les formes, les couleurs et l’esprit
«baroque» qui caractérisent les
pochettes de Yes depuis «Fragile»,
plonge directement le futur auditeur
au centre de cet univers de matière
vivant à son paroxysme, avec ces
photos de ciels, de pierres, de
cours d’eau. Et c’est bien d’un rock
des éléments qu’il s’agit dans ces
quatre faces. Écrites sur la base de
textes hindous anciens célébrant
un mariage de la nature et des
forces spirituelles, elles correspondent à quatre parties d’un tout ;
«La première est la Révélation,
l’excitation née de la connaissance
de Dieu, la seconde le souvenir de
Dieu, la troisième est consacrée
aux anciennes civilisations... La
quatrième partie, c’est une sorte
de danse du rituel, avec une ferme
croyance en Dieu, mais sans qu’il y ait
domination de sa part.» (interv. cit.) À
l’image des paroles, la musique est
ambitieuse, mais contrairement aux
paroles, elle est claire. Et il faut en
finir (et ce disque ne peut qu’y aider),
avec ces reproches de froideur
faits à Yes. Musique intellectuelle ?
Si l’on veut, et les musiciens du
groupe l’admettent sans honte, avec
la conscience de faire avancer la
musique en intégrant une multitude
d’éléments musicaux.
Une inspiration classique, en
particulier, mais sans que ce
soit sous la forme d’un emprunt
de thèmes. Il s’agit plutôt d’une
communauté
d’esprit,
d’une
similitude avec l’ampleur qu’ont
ces «musiques des éléments» que
Wagner, Saint-Saens, Charles lves
ou Holst ont pu écrire (cf. en part. la
phrase de synthétiseur qui introduit
«Don the Cap...», 2éme mouv.).
Il s’agit aussi d’une manière de
construction du disque - à la manière
d’une symphonie - et de la liaison de
certaines formules mélodiques ou
rythmiques à l’intérieur du même
mouvement ou d’un mouvement à
l’autre (p. ex., la cellule mélodique
de «Talk to the Sun...» au premier
mouvement
fournit
la
base,
développée différemment, de la
mélodie de «Nous Sommes Du
Soleil» - quatrième mouv., ou
encore, la phrase de synthétiseur
qui introduit «They Tell Me...» sert
de base au solo de synthétiseur
qui, sur un tempo beaucoup plus
rapide, introduit, dans le même
premier mouvement, la reprise de
ce couplet).
Mais surtout, dans la lignée des
Beatles dont ils reconnaissent
volontiers l’influence, les musiciens
de Yes bâtissent une musique
ouverte, dont l’aspect principal
est que tout y est possible : la
cohabitation d’un son d’orgue
classique et des envolées de
synthétiseur (dans le passage «And
through the rhythm... old fighters’
past»), la guitare «classique» qui
introduit «And l heard...» (troisième
mouv.), et le chaos arythmique
qui précède ce passage ; un côté
West Coast (montée en tierces à
la guitare introduisant «Called out
a tune...»), et tout de suite après,
une rythmique supersaturée, hard
(«Starlight movement...»). C’est
aussi la possibilité d’associations
«folles» de rythmes, la superposition
de rythmes différents, des audaces
harmoniques (l’introduction presque
«atonale» de la troisième partie), et
surtout l’élément de surprise très
fréquent créé par le développement
harmonique inattendu de nombre de
cellules mélodiques (p. ex. tout le
passage «Ours the story... Alternate
tune» deuxième mouv).
Ce disque sera aussi une source
de régal infini pour les amateurs
de climats sonores «planants»,
à la source desquels se trouvent
souvent l’orgue et les chœurs
vocaux (la voix seule est d’ailleurs
relativement
peu
employée),
superbement harmonisés. Mais ce
qui est peut-être le plus frappant est
la richesse des parties de guitare,
de basse et de batterie ; chacun
de ces instruments est employé
au maximum de ses possibilités comme source de son, de rythme,
de bruit, d’harmonies. La basse par
exemple se voit adjointes aussi bien
la wha-wha que la distorsion ou la
réverbération. En ce qui concerne
la guitare, il y aurait trop à dire sur
la variété de son utilisation pour
qu’on ne se contente de souligner ici
que Steve Howe est un des rares
guitaristes à ne pas s’enfermer dans
un «son» particulier.
Enfin, et ce n’est pas un des moindres
intérêts de cet admirable disque,
le quatrième mouvement contient
en filigrane un «coup de chapeau»
aux Beatles, dans la progression
de lignes mélodiques vocales, dans
le son et les lignes de la basse, et
aussi dans le son de la guitare et
dans certaines montées en accords
diminués, qui rappellent le jeu de
George Harrison. En conclusion,
«Tales From Topographic Oceans»
représente d’ores et déjà un des
disques fondamentaux de ces
années 1970 et nous fait regretter
une fois de plus que Yes ne vienne
pas nous rendre visite.
Claude ALVAREZ-PEREYRE

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