L`histoire de la Belle et la Bête est un des mythes les plus féconds

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L`histoire de la Belle et la Bête est un des mythes les plus féconds
L’histoire de la Belle et la Bête est un des mythes les plus féconds de la littérature
jeunesse. Ce conte du dix-septième siècle n’a cessé, de Cocteau à Walt Disney, d’inspirer
les créateurs contemporains. C’est que l’histoire de cette jeune fille, riche de beauté mais
aussi de cœur, qui parvient à humaniser une Bête disgraciée et malgré tout aimable, a
incontestablement une portée universelle.
Nous avons ici une adaptation dramatique contemporaine de ce conte, et nous verrons
tout d’abord comment l’extrait se montre fidèle au texte source, pour nous intéresser
ensuite à la distance prise par rapport au modèle.
L’extrait se situe dans le droit fil du conte de Mme de Beaumont, par la fidélité au
récit d’origine, aux personnages et à leurs liens psychologiques .
On retrouve tout d’abord dans cet extrait les principaux éléments du récit d’origine. La
Belle est ici retenue au château de la Bête, très riche et puissant seigneur. Celui-ci la
traite fastueusement (La Bête : Comment trouvez-vous cet endroit ? La Belle :
Magnifique.). Il désire l’épouser, mais espère qu’elle se donnera sans qu’il la force. On
ne nous dit rien de plus,de l’histoire, mais la douceur de la belle indique qu’elle a assez
de cœur pour s’être offerte , comme dans le conte de Mme de Beaumont, en otage à la
place de son père.
Les personnages sont conformes au mythe. La Bête est un seigneur fortuné et
valeureux. Il est d’une laideur monstrueuse, mais il en souffre. Ce n’est pas Barbe
bleue : il désire être aimé plus que posséder (La Bête : Pourriez-vous épouser une Bête
comme moi ? (…) Pourriez-vous épouser un tel monstre? ) Il oscille entre la tendresse
maladroite, la plainte (La Bête : Vous avez raison, je ne suis qu'un malheureux... ) et
la colère (La Bête :Vous voyez. vous vous moquez ! Vous me prenez pour un idiot, un
imbécile, un faible d'esprit !)
La Belle est évidemment séduisante, mais pas seulement par sa beauté. Son réveil sous
nos yeux symbolise le passage de la jeune fille à l’état de femme. Ses qualités de cœur
la rendent digne d’un grand mariage ( La Belle : Vous doutez trop de vous... Vous
êtes poli... Et je distingue un grand cœur derrière votre masque de monstre...).
Enfin, les relations entre les personnages ont toute l’ambiguïté qui a assuré la pérennité
du mythe. La belle est pure et effarouchée, mais ne peut se défendre d’une attirance
pour la Bête, qui symbolise la part d’animalité qui est en elle. La Bête est dans la
pulsion et l’immédiateté, mais son amour lui apprend la patience et la délicatesse (La
Bête : Belle, je suis très honoré de dîner avec vous. Je craignais que ma laideur ne vous
repousse.).
Mais si l’essentiel de l’héritage littéraire est préservé, l’extrait vaut aussi par ses
apports originaux — l’écriture théâtrale, une influence du cinéma, et des emprunts à
d’autres contes.
L’extrait offre un intéressant exemple d’adaptation du genre narratif au dialogue
théâtral. On tire ici un bon parti de l’unité de lieu : le château, lieu clos,
impressionnant, inquiétant, est propice à la confrontation du duo. Les didascalies
indiquent un décor à la fois sobre et fastueux. Tous les renseignements sont donnés par
les dialogues, sans recours possible à un narrateur. Et le théâtre se prête au mélange
des genres; on oscille ici entre comédie (La Belle, contenant un fou rire : Bête ? Vous
n'êtes pas bête. Vous êtes la Bête.) et drame.
Les emprunts au cinéma sont plus discrets, mais le souvenir de Cocteau a
manifestement joué. Le masque de la Bête est celui de Jean Marais. Le jeu sur l’ombre
et la lumière, possible au théâtre, n’aurait toute sa portée que dans un film noir et
blanc…et la réaction de la Belle à la fin, avec son cri muet fait irrésistiblement penser à
un gros plan (Long silence de la Belle qui le voit enfin et pousse un cri muet).
L’intertextualité est également une dimension intéressante. On peut voir en filigrane
des allusions au mythe d’Amour et Psyché malgré la différence de situation : il y a
danger pour la femme à découvrir le visage de son prétendant…Et la reprise presque
mot pour mot du Petit Chaperon Rouge ( Comme vous avez… ) est particulièrement
bien venue, puisque Perrault concevait son conte comme une métaphore du désir sexuel
féminin et des dangers qui lui étaient liés.
Sous une forme très accessible à un jeune public, mais avec une grande exigence de
qualité, Charlotte Escamez fait une nouvelle fois la preuve de la fécondité d’un grand
mythe amoureux.

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