Quelle vérité pour quelle prise en charge
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Quelle vérité pour quelle prise en charge ? Extrait du site de la Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon http://www.croix-saint-simon.org Quelle vérité pour quelle prise en charge ? - Formation et Recherche - Centre De Ressources National soins palliatifs François-Xavier Bagnoud - Information et Documentation - Produits documentaires - Synthèses documentaires - Copyright © Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon Tous droits réservés Copyright © Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon 1/7 Quelle vérité pour quelle prise en charge ? "Personne ne peut regarder sa mort ni le soleil en face très longtemps" La Rochefoucauld "Vous connaà®trez la vérité et la vérité vous affranchira" Jean 8 : 32 "Dire la vérité au malade". Qu'en est-il de cette affirmation qui se transforme d'emblée en questionnement du fait même des notions qu'elle induit : "dire" : l'annonce, "la vérité", quelle vérité ? Celle qu'instaure la déontologie, les textes, celle qu'espère le patient alors qu'il s'agit ici souvent de vérité-mauvaises nouvelles (d'ailleurs les anglo-saxons disent plutôt " annoncer de mauvaises nouvelles"). Strobel (1) et Schaerer (2) rappellent que " le contenu de la vérité est riche de multiples informations qui constituent chacune une partie d'un tout : la vérité quant au diagnostic en est l'un des éléments, celle qui concerne le pronostic en est un autre, l'annonce de la mort à venir en est un troisième La vérité, c'est ce que va vivre la personne malade , comment se représente-t-elle sa maladie . ? Que vit-elle comme pertes ? Quelles sont les difficultés rencontrées ?mais aussi parfois - pourquoi l'exclure ? les découvertes, la maturation. Il ne faut pas oublier que la formulation d'une vérité n'est pas seulement un savoir sur une réalité mais elle contribue à créer cette réalité aujourd'hui et demain ".Cadart (3) Il en découle aussi des positions, qui s peuvent sembler parfois, sinon en contradiction, tout au moins obéissant néanmoins à des logiques différentes. Celle des textes déontologiques, le positionnement éthique, celle des soignants, celle du patient et de ses proches peuvent s'harmoniser, se compléter en vue d'établir un " climat de vérité, une ambiance de vérité " comme le préconise Mihoubi-Culand (4) Cette synthèse abordera la littérature sur ce sujet de quatre points de vue : • • • • l'aspect déontologique les dimensions psychologiques concernant le patient et ses proches le rôle des soignants la dimension éthique 1. Du côté de la déontologie : que disent les textes ? Dans le Code de déontologie médicale (5) , l'énoncé de la règle d'information au malade s'appuie sur l'article 35 aux termes duquel " le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne, qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les i nvestigations et les soins qu'il lui propose. " Le deuxième paragraphe de l'article temporise l'injonction en autorisant , " pour des raisons légitimes et dans son intérêt ", à tenir un malade dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic grave notamment d'un pronostic fatal Copyright © Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon 2/7 Quelle vérité pour quelle prise en charge ? Cet article 35 appuie une certaine transformation de la mentalité médicale qui évolue d'un paternalisme bienveillant à une plus grande autonomie du patient qui devient ainsi interlocuteur et acteur de soin. Huerre '(6) rappelle la tradition ancrée de protection du patient à qui l'on cache les mauvaises nouvelles depuis Hippocrate ("Primum non nocere") jusqu'aux propos plus récent ;, du président de l'Ordre des médecins L. Portes en 1950, " Tout patient est et doit être pour le médecin comme un enfant à apprivoiser, non certes à tromper - un enfant à consoler - non à abuser - un enfant à sauver ou simplement guérir " Si l'article 35 est un cadre qui contribue à faire avancer les pratiques, il reste pour les praticiens parfois trop vague, trop large. Aussi l'ANAES (7) , Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé a été saisie par son Comité scientifique en vue d'élaborer des recommandations sur le thème de l'information qu'il convient aux médecins de donner à leur patient. Outre l'élaboration de recommandations, le rapport rédigé par une juriste, le Professeur Dominique Thouvenin précise certaines notions de l'article 35 :"une information loyale est une information honnête, une information claire est une information intelligible, facile à comprendre " une information appropriée est une information adaptée à la situation propre à la personne soignée." Le rapporteur rappelle aussi les différents arrêts de jurisprudence rendus par les Cours de cassation et notamment l'arrêt Hédreul qui fixent une " limitation thérapeutique de l'information " Cet arrêt est par ailleurs analysé par Sargos (9) et Labrousse-Briou (8), en ces termes," la jurisprudence affine et perfectionne le cadre de l'obligation d'information ". Sept décisions de la Cour de cassation sont citées en bibliographie dont deux décisions précisent que le médecin n'est pas dispensé de son obligation d'information sur des risques graves de caractère exceptionnel ... ainsi" l'obligation d'informer sur les risques exceptionnels obligera le médecin à s'informer sur le dernier état des connaissances scientifiques des risques. " Fabre-Magnan, elle aussi juriste (9, p.10) observe que les médecins devraient se rassurer face à l'obligation d'informer considérant que c'est une façon d'alléger la responsabilité juridique du médecin. Il n'est alors que responsable de ses propres fautes. Les six recommandations émises par le groupe de travail de l'ANAES précisant l'article sont les suivantes (7, p. 54-57) • • • • • • Fixer un contenu à l'information à donner au patient Garantir aux patients des informations validées Réfléchir à la manière de préserver les risques et à leur prise en charge (risque qui fait partie intégrante des soins Veiller à la compréhension de l'information par les patients Veiller à ce que les documents d'information aient une fonction strictement informative Veiller à ce que l'information soit intégré comme un élément du système de soins 2. Du côté du patient et de ses proches : aspects psychologiques Dans le n° spécial de Laà«nnec (9, p.14), Anne Jourdan, ancienne malade témoigne. Quand on lui apprend qu'elle présente une "gammapathie au niveau du manubrium sternal", elle s'indigne : "Fichtre ! Bien sûr, l'information était donnée mais elle ne l'était pas vraiment puisqu'on craignait d'appeler les choses par leur nom." Par ailleurs, dans un roman-témoignage, Claude Roy (10) interroge " On doit la vérité à autrui ? Dire la vérité est un devoir ? Il faut Copyright © Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon 3/7 Quelle vérité pour quelle prise en charge ? d'abord être certain de la connaà®tre, cette vérité...Si la révélation à un malade de la gravité de son état aggrave encore celui-ci ; impose au patient une souffrance morale qui l'affaiblit davantage, n'aide en rien à le soigner et à le guérir, mais au contraire l'enfonce, il est évidemment criminel de lui asséner la vérité " Dans une revue de la littérature, Girgis et Sanson-Fisher (11) rapportent les résultats d'études australiennes ; ils montrent que les médecins sous-estiment la volonté des patients d'être informés. Pour la plupart, ils souhaitent l'être et le plus tôt possible dans le déroulement de leur maladie. Le fait de ne pas être informé serait un facteur aggravant de la maladie. Ainsi la loi oblige l'information aux malades, ceux-ci souhaitent savoir, mais se posent quand même la question de l'effet de l'annonce. Ainsi dans le contexte de la pathologie du sida, Thomé-Renault (12) souligne le "traumatisme de la mort annoncée". Elle précise que l'annonce de la maladie grave (diagnostic) et/ou de la mort prochaine (pronostic) renvoie à des "traumas anciens" Ces réserves de dire la vérité " au regard de l'histoire du patient, sont soulignées par les psychologues ou psychanalystes intervenant auprès de patients atteints de maladies graves ou en fin de vie Ruszniewski (13) recommande une " vérité au pas à pas, respectueuse des mécanismes d'adaptation de chacun et d'un temps d'intégration indispensable mais toujours modulable au regard de l'histoire et de la personnalité de tous les protagonistes". La relation soignant-soigné autour de la vérité sera ainsi " susceptible d'engendrer un échange authentique et équitable au plus proche de la réalité psychique du patient. Ce qui peut entraà®ner que, dans certains cas, reprenant une formule de Prévert : "des simulacres [.... seront] plus indispensables que le pain " Ruszniewski (13, p. 65) établit un distinguo entre la " vérité intégrée " et la " vérité énoncée ". La " vérité énoncée " étant de l'ordre du dire, du dire la vérité. La " vérité intégrée " se situe au-delà du dire ou du non-dire Plutôt qu'une vérité médicalisée, il s'agit là de respecter la demande du malade qui attend une " relation de vérité " La mise en perspective de la notion d'accompagnement par La Genardière (14) temporise le débat opposant les partisans de la vérité et ceux du mensonge. Dans cet accompagnement, les partenaires soignant et soigné sont en mouvement, au rythme du mourant. Ils ont cette" mobilité psychique " qui suppose que " les dires se modulent aussi bien par rapport au cheminement du patient que les uns par rapport aux autres. " Copyright © Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon 4/7 Quelle vérité pour quelle prise en charge ? 3. Le rôle du soignant Pour communiquer les "mauvaises nouvelles ", le soignant se positionne plutôt face au désir d'information du patient que du côté de son obligation d'informer. Ruszniewski (15) insiste sur le nécessaire" décodage " entre " le dit et le non-dit " afin de " respecter les défenses de chacun" : ces mécanismes " qui, s'instaurent à notre insu...et qui ont pour but de réduire les tensions et l'angoisse, et s'exacerbent dans des situations de crise et d'appréhension extrêmes" dont bien sûr la maladie grave et l'approche de la mort. Issu du champ théorique psychanalytique, Lhote (16) rappelle que la notion de "mécanisme de défense" devient " essentielle pour la compréhension du psychisme (entre 1991 et 1995, plus de mille publications sont parues aux Etats-Unis sur ce thème). Vaillant (17) précise :qu' "Il est temps que le moi et ses défenses soient vus comme des facettes de la réalité psychobiologique et non pas comme des objets du culte psychanalytique." Pour Lhote,(18), il s'agit de " prendre en compte ces constructions d'adaptation des malades graves " afin " de ne pas les laisser dans une ignorance régressive " un parler vrai est nécessaire ; d'autant qu'en face ou à côté, les soignants eux-mêmes ont la nécessité de construire leurs propres modes d'adaptation. " L'idéal serait un ajustement des mécanismes de défense de chacun " qui permettrait une réelle relation de vérité " Dans une conférence prononcée en 1991 dont l' objectif est de démontrer que la demande d'euthanasie provient d'un défaut de communication Goldenberg (18) se positionne sur la "soi-disant vérité". "La communication des informations en apparence les plus objectives, voire les plus scientifiques se heurte aux différents filtres que la situation - la maladie, la présence menaçante de la mort, l'angoisse, etc. - interpose entre les protagonistes." Le patient se trouve "aux prises avec le paradoxe suivant : il aimerait ne pas savoir ce qui lui arrive pour préserver l'espoir d'un avenir possible et pour prolonger le passé, mais en même temps, il aspire à apprendre la vérité pour échapper au doute angoissant et pouvoir organiser sa lutte contre la maladie." Parmi les mauvaises nouvelles, Schaerer (19) considère que l'annonce de la mort à un patient est " une violence insupportable " Face à cet insupportable, des soignants proposent des recommandations pour annoncer de mauvaises nouvelles. C'est notamment la démarche de Buckman (21). Après avoir défini la " mauvaise nouvelle " comme toute nouvelle qui modifie radicalement et négativement l'idée que se fait le patient de son avenir" il constate que néanmoins 50 à 70 % des patients souhaitent savoir ce qui concerne leur maladie. Il met en garde sur la " pharmacologie propre de la vérité qui à dose trop faible peut ne pas avoir d'effet et à doses excessives, peut provoquer des symptômes inquiétants " aussi propose-t-il un protocole d'annonce en six étapes : Copyright © Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon 5/7 Quelle vérité pour quelle prise en charge ? • • • • • • Les préliminaires : choix du lieu, de l'attitude corporelle ; Que sait déjà le patient ? Que veut savoir le patient ? Communication d'information : diagnostic, traitement, pronostic, soutien Réponse aux sentiments du patient Propositions et suivi Hoerni (22) propose lui aussi des recommandations aux soignants pour annoncer de mauvaises nouvelles : • • • • • • • • • Rester simple sans trop apporter de détails, notamment techniques Tenir compte de ce que le malade sait et perçoit déjà Ménager un contexte aussi calme que possible Fragmenter les nouvelles Attendre les questions complémentaires que peut poser le malade Ne pas discuter ce que le malade refuse de reconnaà®tre Demander au malade s'il a bien compris, s'il souhaite des précisions supplémentaires Ne pas supprimer tout espoir Ne rien dire qui ne soit vrai 4. Sur le plan de l'éthique Le titre du colloque organisé au Centre Sèvres : " Le droit du patient à l'information, est-ce une révolution juridique ? qu'induit-il comme nouvelles pratiques ? " énonce clairement le débat éthique autour de l'information au malade. Dans le cadre du colloque, Verspieren (9) précise que " la réflexion médicale s'est focalisée sur le problème de la vérité au malade " et " plaide pour que le corps médical valorise et personnalise la relation médecin-malade" Pourtant Rameix, (22) rappelle que l'information aux patients est restée longtemps un " parent pauvre " de la relation médecin-malade plutôt fondée sur le paternalisme. La transformation de la médecine du fait de sa "précision grandissante et de sa scientificité croissante", la démocratisation de l'enseignement, ont bouleversé ce schéma paternaliste. L'information au malade s'est posée en d'autres termes. Le patient doit pouvoir consentir aux soins avec une information préalable. Il acquiert ainsi une autonomie. Le consentement fonctionnerait comme un "contre pouvoir" à la fois du pouvoir médical paternaliste mais aussi du "tabou .... de la mort" . Le patient et le médecin "nomment" ensemble la mort pour l'apprivoiser. Hirsch (23) s'interroge sur le bien-fondé du " tout-savoir " : " une information réduite à la transmission routinière de données souvent sensibles ou délicates incertaines ou évolutives, toujours dépendantes d'un contexte spécifique, constitue-t-elle la promotion la plus évidente des droits du patient ? " Il est nécessaire de ne pas confondre information et communication. La communication se réalise dans l'espace de la relation de soin. La vérité se trouve être plus facile à porter si elle est partagée. Copyright © Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon 6/7 Quelle vérité pour quelle prise en charge ? Dominique Serrà¿n, Documentaliste, Centre François-Xavier Bagnoud Références bibliographiques 1. STROBEL, Rémy. - Le vieil homme et la mort : réflexion à propos de la vérité. Mémoire présenté dans le cadre du Diplôme universitaire de soins palliatifs et d'accompagnement des mourants. Université Claude Bernard. Lyon 1, 1998 2. SCHAERER, René. - Contenu objectif de la vérité. JALMALV, 1986, 7, 20-25 3. CADART, Bruno. - En fin de vie. - Centurion, 1988 4. MIHOUBI-CULAND, Sylvette - La " vérité " : un point ce n'est pas tout ! Mémoire de fin d'études en vue de l'obtention du diplôme d'Assistante sociale. Lausanne, 1993 5. Ordre national des médecins- Conseil national de l'Ordre. - Code de déontologie médicale , 1995 6. HUERRE, Brigitte. - L'information du malade concernant sa maladie, dans le contexte d'une unité de soins palliatifs : réflexions à partir d'une expérience. Mémoire pour le Diplôme d'université de soins palliatifs Université catholique de Lille, 1999 7. ANAES, Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en Santé. - Information des patients : recommandations destinées aux médecins. Mars 2000 8. L'information du patient : du consentement éclairé à ,la décision partagée/ sous la dir. d'Isabelle Durand-Zaleski. Médecine-Sciences Flammarion, 1999. Les dossiers de l'Institut d'études des politiques de santé 9. Le droit des malades à l'information : une révolution juridique ? Vers de nouvelles pratiques ? Laà«nnec, 2000, 3-4 n° spécial 10. ROY, Claude. - La fleur du temps. Gallimard, 1988 11. GIRGIS, Afaf, SANSON Rob. - Breaking bad news : consensus guidelines for medical practitioners. Journal of clinical oncology, 1995, 13, 9, 2449-2456 12. THOME-RENAULT, Annette. - Le traumatisme de la mort annoncée : psychosomatique et sida. Dunod, 1995 13. RUSZNIEWSKI, Martine. - Face à la maladie grave : patients, famille, soignants .- Dunod, 1999 14. LA GENARDIERE, Claude. - Pour une modulation du dire, au lieu du tout ou rien. Laà«nnec, octobre 1989 15. RUSZNIEWSKI, Martine.- Le dit et le non dit en hématologie. Gazette médicale, 1984 , 91 16. LHOTE, Claude. - Les mécanismes de défense au cours de la maladie grave. Laà«nnec, 1999, 10 17. VAILLANT. The wisdow of the ego. Harvard university press, 1994 18. GOLDENBERG, Emmanuel. - Mort, angoisse et communication. JALMALV, 1991, 24 19. SCHAERER, René.- La mort peut-elle être annoncée. JALMALV, 1994, 37 20. BUCKMANN, Robert.- S'asseoir pour parler : l'art de communiquer de mauvaises nouvelles. -Interéditions, 1992 21. HOERNI Le médecin généraliste face au cancer 22. RAMEIX, Suzanne. - Fondements philosophiques de l'éthique médicale. Ellipses, 1996 23. Espace éthique. - La relation médecin-malade face aux exigences de l'information / sous la dir. d'Emmanuel Hirsch. Doin, 1999. Les Dossiers de l'AP-HP Copyright © Fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon 7/7