Lhomme, un faible sprinter par rapport aux animaux.

Transcription

Lhomme, un faible sprinter par rapport aux animaux.
Vitesse
L’HOMME, UN FAIBLE « SPRINTER »
PAR RAPPORT AUX ANIMAUX
par JUAN-JOSÉ FERNÁNDEZ
Un tableau à réactualiser constamment. La vitesse atteinte par Ben Johnson est maintenant de 36,62 kmh. Les animaux sont toujours
loin devant...
Les plus grands champions de course à pied sont trois fois moins rapides
que le guépard et deux fois plus lents que les autres quadrupèdes.
(Cet article qui a été publié dans le quotidien
espagnol « El Pais » du 16 mars dernier, et que
nous reproduisons avec son aimable autorisation,
a donc été écrit avant le dernier record établi par
le Canadien Ben Johnson à Rome cet été. Néanmoins, malgré cette immense progression
humaine, l’essentiel demeure inchangé...)
U
n anthropologue et explorateur français,
Jean-Claude Armen, affirme avoir suivi, en
1963, à l’occasion d’un séjour dans le Sahara
espagnol, un supposé enfant-gazelle alors
qu’il se trouvait au volant de sa jeep lancée à
54 km/h. Ce record de vitesse, extraordinaire du
reste pour un être humain, n’a jamais pu être
confirmé et a été considéré comme un des phénomènes curieux constatés chez cette cinquantaine d’enfants sauvages recensés tout au long de
l’histoire. La vie de l’un d’entre eux, celle du
français Victor de l’Aveyron, qui vécut au début
du siècle, a été portée à l’écran par le cinéaste
François Truffaut dans un film intitulé «L’enfant
sauvage ». L’homme civilisé, bipède par défini522
tion, parvient difficilement à dépasser les 40
km/h sans aides mécaniques. Au-delà d’une distance de 400m, il est deux à trois fois moins
rapide que la plupart des mammifères quadrupèdes. Sur un parcours de 200m, il peut encore
rivaliser avec les animaux qui sont, en principe,
plus lents au moment du départ. Mais au-delà de
cette distance, il lui est impossible d’atteindre
leur vitesse.
Jesse Owens, une des figures légendaires de
l’athlétisme mondial, qui doit sa célébrité à une
quadruple victoire aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936, l’emporta peu de temps après sur
l’hippodrome de La Havane (Cuba) contre un
trotteur, c’est-à-dire un cheval tirant un attelage
avec un driver, qu’il battit de 15 mètres. Il s’agissait d’un parcours d’une longueur de 220 yards,
soit 201,17 m. Les trotteurs peuvent atteindre une
vitesse de 50 km/h sur des parcours de 1000m,
parcours sur lesquels ils ont été toutefois battus
par certains cyclistes, tels que: Girardengo,
Binda, Basso ou Moser. Seul Maertens s’est laissé
doubler par un trotteur, Fakir du Vivier.
C’est sur un parcours de 200 m, avec départ
arrêté, que l’homme est parvenu à atteindre la
plus grande vitesse qui ait jamais été chronométrée officiellement. L’Italien Pietro Mennea, grâce
à son record mondial de 19”72 au 200m, a en
effet réussi à courir à une vitesse de 36,51 km/h.
Il a eu toutefois l’avantage d’effectuer ce parcours à Mexico, c’est-à-dire à plus de 2000
mètres d’altitude. Le temps gagné par rapport à
un parcours identique effectué au niveau de la
mer est de 10 centièmes de seconde, le corps du
coureur « pénétrant » plus facilement dans l’air,
qui est plus léger en altitude, car moins riche en
oxygène, autrement dit, idéal pour les efforts de
courte durée, de type anaérobique.
Chronométrés en pleine course, mais à titre
non officiel, les non moins légendaires Bob
Hayes et Carl Lewis ont, dans les derniers tours
du 4 X 100 m des Jeux Olympiques de Tokyo en
1964 et de Los Angeles en 1984, atteint la vitesse
de 41,66 km/h et 40,27 km/h, respectivement.
Hayes, qui est le meilleur sprinter de toute l’histoire du sport, a réussi cet exploit sur la piste
cendrée japonaise alors que, s’il avait effectué ce
même parcours sur une piste synthétique
moderne, il aurait certainement gagné encore 10
centièmes de seconde et donc couru à
42,12 km/h.
UN JAMAÏCAIN À TORONTO
Le Canadien d’origine jamaïcaine Ben Johnson,
âgé de 25 ans, et établi à Toronto depuis dix ans,
est l’homme le plus rapide du monde; après sa
dernière grande saison de compétitions à l’air
libre, il s’est encore fait remarquer par de nouvelles « explosions » sur de petits parcours en piste
couverte. A Indianapolis, il a, avec un temps de
6”41, battu le record mondial du 60 m pour la troisième fois cette année. En 1968, il a non seulement réussi à réaliser à dix reprises un temps inférieur à 10”10 au 100 m, rééditant un exploit que
seul Carl Lewis avait réussi à accomplir autrefois en
une seule saison, mais lors d’une compétition à
Moscou il a effectué le meilleur temps jamais réalisé à basse altitude. Son record, qui correspond
en fait à 9"85, soit 36,55 km/h, est de loin supérieur à celui du champion du monde Calvin Smith
(9,93 secondes) et à celui du rapide Mennea.
Lewis, qui court le 200 m en 19”75, au niveau de la
mer, l’emporterait ainsi sur Mennea avec un temps
de 19”65 (36,64 km/h), soit le meilleur temps réalisé en départ arrêté.
Ben Johnson, le dernier en date des héros de la course à pied.
La performance théorique de Johnson peut
être démontrée de façon très précise par sa progression, car s’il a réussi à faire 5”55 au 50 m (ce
qui constitue également un record mondial),
pour qu’il puisse descendre à 6”41 au 60m, il
devrait gagner 86 centièmes tous les 10 mètres.
Selon ce mode de calcul, il lui faudrait pour passer des 60m aux 100 m (soit 40m de plus),
compter 3”44 de plus, c’est-à-dire, faire exactement 9”85 au 100m. Seule une performance de
cette envergure lui permettrait de vaincre Mennea. Or, en dépit de ses records au 50m et au
60m, il reste encore bien loin derrière l’Italien,
car sur des parcours aussi courts il n’a pas le
temps d’atteindre sa vitesse maximale.
Son temps de 6”41, soit 33,70 km/h, ne
représente guère que 10”68 au 100 m ou 21”36
au 200 m, en d’autres termes, des résultats
médiocres qui sont aujourd’hui à la portée de
nombreux athlètes dans le monde. Trois
hommes, dont Calvin Smith, recordman mondial
du 100m, ont réussi un temps meilleur que le
sien au 200m et un quatrième, le Jamaïcain
Quarrie, est parvenu à égaliser son record.
Or, le double 100 m est précisément la discipline où le coureur peut effectuer la foulée la
plus longue — principal atout du sprinter — et
où certains, comme le Nord-Américain Tommie
Smith, roi du « Black power » et champion olympique à Mexico en 1968, ont pu réaliser une foulée de 2,70m. Précisons que Smith mesurait
1,91 mètre.
Johnson, dont l’envergure des jambes n’est
que de 1,80m, a dû effectuer 30 foulées pour
parcourir les 60 m de sa dernière course victorieuse à Indianapolis. Il a tout d’abord avancé le
523
Vitesse
pied droit, c’est-à-dire, celui qui se trouve placé
à l’arrière dans les cales de départ, et démarré,
contrairement à la plupart des autres athlètes,
non pas en gardant la tête baissée, mais en la
redressant et en regardant bien droit devant lui.
Ajoutons également qu’il réunit toutes les qualités d’un grand sprinter, la première de ces qualiANIMAUX
Vitesse
(km/h)
Distance
(mètres)
Guépard
Antilope américaine
115
97
400
900
Gazelle de Mongolie
Gazelle Springbok
88
84
Gazelle Thompsom
80
800
800
Gazelle Grant’s
75
800
Cheval
Chevreuil
Lévrier
69,6
68
67
400
800
400
Cerf
66
800
Zèbre
64
800
Lièvre de Californie
Kangourou
64
64
Gnou
60
Guanaco
58
Loup de Mongolie
58
800
500
600
800
800
900
Coyote
56
Chacal
Lapin
56
900
900
56
500
Buffle
Girafe
56
51
900
Renard
Renne
50
50
900
900
900
Vison
50
50
500
900
Taureau
48
45
800
900
Singe
32
Lézard
29
500
100
Blaireau
25
24
Ane sauvage
Gorille
Mamba noire
524
500
100
tés étant sa faculté de réagir très rapidement
entre le moment où le coup de revolver, marquant le départ, est donné et celui où le coureur
doit commencer à étirer ses muscles, une phase
délicate qui requiert l’intervention d’un sixième
sens, à savoir cette faculté d’anticipation que
possédait à merveille l’Allemand Armin Hary. Le
temps de Johnson à Indianapolis était, à ce
moment précis, de 1”27, alors que la moyenne
se situe normalement à 1”50. Puis, une fois
lancé, il termine sa course en utilisant toute sa
force élastique pendant la phase d’accélération
et en coordonnant ses mouvements, les bras
étant placés en opposition par rapport aux
jambes afin de pouvoir allonger la foulée au
maximum sans craindre de se déséquilibrer.
PUISSANCE
L’athlète canadien qui était d’une stature un peu
plus basse que les autres grands sprinters, a pu
surmonter ce handicap, surtout sur les petites
distances, en faisant montre d’une énorme puissance. Il atteint sa vitesse maximale à 35 m ou à
40 m et parvient à la maintenir même au-delà de
60 m. A Indianapolis, il a même, en fin de parcours, dépassé les 43 km/h. Le record mondial
du 100 m serait donc à sa portée. En revanche,
sur 200 m Johnson n’a pas fait plus de 20”41 en
1986, soit 35,23 km/h. Mais ce parcours est déjà
trop long pour lui. Tout comme McRae, son
grand rival sur les petites distances, il n’a pu courir le 100 m qu’en 10”11 seulement (en 1986),
bien que ce temps corresponde à une vitesse
supérieure (35,61 km/h) à celle de son record du
monde sur 55 m. Quant à Calvin Smith, en dépit
d’un temps record de 19”9 au 200m, soit 36,02
km/h, il n’a pas encore réussi à le battre au
100 m. Quels que soient les exploits accomplis
par tel ou tel athlète, il n’en demeure pas moins
que la vitesse de l’homme est, de toute évidence, bien inférieure à celle de la plupart des
mammifères.
Johnson, avec ses départs fulgurants, et
Owens aussi, sont là pour nous prouver que ce
n’est que sur de petites distances — et pendant
un temps très court, car en vitesse absolue, sa
performance est deux à trois fois inférieure à
celle de l’animal — que l’homme peut tenir la
dragée haute à certains mammifères qui ont
besoin de plus d’espace pour s’élancer. Ensuite,
lorsque tout se joue sur la résistance, l’écart entre
la bête et l’homme se creuse davantage encore.
La performance de 1’41”73, réalisée par Sebastian Coe, champion du monde au 800 m, c’est-àdire sur une distance comparable à celle dont
ont besoin la plupart des animaux pour atteindre
leur vitesse maximale, ne représente en fait que
28,31 km/h, soit la moitié de la vitesse observée
chez bon nombre d’animaux.
L’athlète, une fois lancé, peut même battre
le record atteint cette année par le champion du
monde de patin à roulettes, Camilo Plata
(Colombie), qui a patiné à 41,23 km/h, mais non
celui du meilleur patineur sur glace, Igor Pegov
(URS) qui a atteint la vitesse de 49,22 km/h en
1983. Précisons que dans les deux cas, il s’agis-
sait d’un parcours effectué sur une distance de
500 mètres avec départ arrêté. Grâce au record
de vitesse de 71,16 km/h, enregistré en 1986 par
le cycliste Michael Huebner (GDR) au 200m
lancé sur piste, l’homme n’a rien à envier avec
sa « bécane » aux prouesses des animaux. Toutefois, pour être plus rapide que certains mammifères, y compris le guépard d’Afrique ou d’Asie,
une bête qui ne peut maintenir sa vitesse maximale au-delà d’une distance de 500 mètres, il
faut que l’homme se munisse par exemple d’une
paire de skis : citons notamment le cas du champion du monde au kilomètre lancé, Franz Weber
(AUT), qui a, lors d’une Coupe du monde, atteint
la vitesse de 120 km/h, soit 208”936.
HOMMES
Athlète
Pays
Taille
Année
Vitesse
(km/h)
Distance
(mètres)
Temps
(secondes)
Robert Hayes
USA
1,83
1964
41,66
100
(4 x 100)
8,64
Carl Lewis
USA
1,88
1984
40,27
100
(4 x 100)
8,94
(A) (RM)
Pietro Mennea
ITA
1,78
1979
36,51
200
Carl Lewis
USA
1 ,88
1983
36,45
200
Tommie Smith
USA
1,91
1968
36,31
200
(A)
19,83
Calvin Smith
USA
1,78
1983
36,25
100
(RM)
9,93
Don Quarrie
JAM
1,75
1971
36,25
200
(A)
19,86
Jim Hines
USA
1,83
1968
36,18
100
(A)
9,95
Ben Johnson
CAN
1 ,8O
1987
36,62
100
(RM)
9,83
Mel Lattanie
USA
1,81
1984
36,14
100
John Carlos
USA
1,93
1966
36,14
200
19,72
19.75
9,96
(A)
19,92
Carl Lewis
USA
1,88
1983
36,11
100
Ben Johnson
CAN
1,80
1987
33,70
60
(RM)
6,41
Lee McRae
USA
1,76
1985
33,05
55
(RM)
5,99
Lee Evans
USA
1,8O
1968
32,83
400
(A) (RM)
43,86
Larry James
USA
1,83
1968
32,75
400
(A)
USA
1.83
1972
32.54
400
44.24
Alberto Juantorena CUB
1,91
1976
32,53
400
44,26
CAN
1,80
1987
32,43
50
Wayne Collet
Ben Johnson
9,97
(RM)
43,97
5,55
RM: record mondial. A: temps obtenu en altitude (à plus de 2000 m au-dessus du niveau de la mer).
525