Les réactions d`hypersensibilité aux médicaments courants de l`enfant

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Les réactions d`hypersensibilité aux médicaments courants de l`enfant
Immuno-analyse et biologie spécialisée (2013) 28, 109—114
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
REVUES GÉNÉRALES ET ANALYSES PROSPECTIVES
Les réactions d’hypersensibilité aux médicaments
courants de l’enfant : conduite diagnostique
Hypersensitivity reactions to commonly used drugs and biological
substances in children: Diagnostic algorythm
C. Ponvert
Service de pneumologie et allergologie, hôpital Necker—Enfants-Malades, département de pédiatrie, université Paris-Descartes,
149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France
Reçu le 17 octobre 2012 ; accepté le 30 décembre 2012
KEYWORDS
Child;
Drug allergy;
In vitro tests;
Provocation tests;
Skin tests
MOTS CLÉS
Allergie
médicamenteuse ;
Enfant ;
Tests cutanés ;
Tests de provocation/
Summary Suspected allergic reactions to drugs and biological substances (anti-infectious
drugs and antipyretics, non-opioid analgesics and nonsteroidal anti-inflammatory drugs
especially) are reported in 5 to 12% of children. Most frequent reactions are morbilliform/maculopapular rashes, urticaria and angioedema. Other cutaneous and respiratory
reactions, and severe allergic and non-allergic anaphylactic reactions are rare. The results of
studies based on allergological tests and/or microbiological/serological tests strongly suggest
that, except for a few types of reactions (anaphylactic and/or immediate reactions, potentially
harmful toxidermias) and for very specific drugs (i.e. latex and myorelaxants), most reactions
do not result from drug hypersensitivity, but are rather a consequence of the infectious and/or
inflammatory diseases for which the drugs have been prescribed. Non-immediate reactions may
also result from complex interactions between drugs, immune system and ‘‘danger signals’’ provided or induced by infectious and/or inflammatory diseases. Diagnosis is based above all on a
detailed analysis of clinical history, skin tests (if validated), and challenge tests (if indicated).
At present, except in a few cases, the diagnostic and predictive values of in vitro tests exploring
immediate and non-immediate-type of drug hypersensitivity are not validated.
© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Résumé Des réactions présumées allergiques à un ou plusieurs médicaments ou substances
biologiques (antibiotiques et antipyrétiques, antalgiques et anti-inflammatoires non stéroïdiens, notamment) sont rapportées chez 5 à 12 % des enfants. Les réactions les plus fréquentes
sont les éruptions maculopapuleuses et mal étiquetées, et les urticaires et angio-œdèmes. Les
autres réactions, cutanées et respiratoires, et les réactions anaphylactiques graves sont rares,
sinon exceptionnelles. Les résultats des études ayant comporté des bilans allergologiques et des
examens microbiologiques et/ou sérologiques suggèrent fortement que, sauf pour certains types
Adresse e-mail : [email protected]
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http://dx.doi.org/10.1016/j.immbio.2012.12.007
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réintroduction ;
Tests in vitro
C. Ponvert
de réactions (réactions anaphylactiques et immédiates, toxidermies potentiellement sévères)
et pour certains médicaments et substances biologiques (latex et curares en particulier), la
majorité des réactions rapportées ne résulte pas d’une hypersensibilité médicamenteuse, mais
est plutôt la conséquence des maladies infectieuses et/ou inflammatoires ayant motivé la prescription des médicaments accusés. Certaines réactions non immédiates pourraient aussi résulter
d’interactions complexes entre les médicaments, le système immunitaire et des « signaux de
danger » produits ou induits par les maladies infectieuses et/ou inflammatoires. Le diagnostic
est avant tout basé sur une analyse détaillée de l’histoire clinique, sur les tests cutanés,
lorsqu’ils sont validés, et sur les tests de provocation/réintroduction, lorsqu’ils sont justifiés.
En effet, sauf exception, la valeur diagnostique et/ou prédictive des tests in vitro explorant les
réactions d’hypersensibilité immédiate ou non immédiate est faible ou non validée.
© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Introduction (données épidémiologiques)
Grands principes diagnostiques
Des réactions présumées liées à une hypersensibilité
(HS) médicamenteuse sont rapportées chez 5 à 12 % des
enfants, les médicaments et substances biologiques les
plus fréquemment accusés étant les anti-infectieux, bêtalactamines notamment, les antalgiques, antipyrétiques et
anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), et, dans une plus
faible mesure, les vaccins [1—7]. Les réactions cutanées
sont les plus fréquentes, avec, notamment, les exanthèmes
maculopapuleux et les éruptions mal étiquetées (60—80 %),
et les urticaires et/ou angio-œdèmes (20—30 %), le plus
souvent bénins [1,3,7]. Les érythèmes polymorphes, le syndrome de Stevens-Johnson, les érythèmes pigmentés fixes et
toxidermies (potentiellement) sévères, comme la pustulose
exanthématique aiguë généralisée, la nécro-épidermolyse
toxique et le Drug-induced Reaction with Eosinophilia and
Systemic Symptoms (DRESS) sont rares, sinon exceptionnels. La pseudomaladie sérique n’est pas exceptionnelle,
notamment chez les enfants traités par des céphalosporines
de première génération. Les réactions respiratoires sont
moins fréquentes que les réactions cutanées, bien qu’elles
soient rapportées chez 17 à 24 % des enfants explorés pour
suspicion d’HS aux AINS [8—10]. Enfin, les réactions anaphylactiques graves sont tout à fait exceptionnelles, même si
elles représentent environ 10 % des motifs de consultation
dans les services spécialisés.
Les études ayant comporté un bilan allergologique et
des examens microbiologiques et/ou sérologiques suggèrent
fortement que, sauf pour certains types de réactions (réactions anaphylactiques et immédiates, érythème pigmenté
fixe et toxidermies potentiellement sévères) et pour certains médicaments et substances biologiques (latex et
curares, notamment), la majorité des réactions présumées allergiques aux médicaments courants de l’enfant
ne résulte pas d’une HS médicamenteuse, mais est plutôt
la conséquence des maladies infectieuses et/ou inflammatoires pour lesquelles ont été prescrits les médicaments
et substances biologiques [11—14]. Certaines réactions non
immédiates pourraient aussi résulter d’interactions complexes entre les médicaments ou substances biologiques, le
système immunitaire et des « signaux de danger » produits
ou induits par les maladies infectieuses et inflammatoires
[15].
Anamnèse
La nature et la chronologie des réactions doivent être soigneusement analysées car, quels que soient les médicaments
accusés, le risque que l’enfant soit authentiquement atteint
d’HS allergique ou non allergique (intolérance) augmente
avec la gravité et/ou la précocité de la réaction par rapport
au début du traitement ou la dernière prise [8,12,14,16,17].
Le risque est particulièrement élevé chez les enfants rapportant des réactions anaphylactiques graves et des toxidermies
(potentiellement) sévères. Il est plus faible chez les enfants
rapportant des urticaires et/ou angio-œdèmes de chronologie accélérée ou retardée, sans signes de gravité, ou
un syndrome de Stevens-Johnson qui, bien souvent, sont
d’origine infectieuse. Enfin, le risque est très faible chez les
enfants rapportant des réactions bénignes mal étiquetées ou
des exanthèmes maculopapuleux de chronologie retardée.
Le risque de réactivité croisée entre les médicaments de
la même famille ou doués de propriétés pharmacologiques
ou physicochimiques identiques augmente également avec
la précocité et le caractère anaphylactique des réactions
[8,12,14,16,18,19].
Il faut également rechercher la notion de traitements
antérieurs bien tolérés par le médicament accusé ou des
médicaments de la même famille, à la recherche d’une
sensibilisation antérieure. Cette notion peut toutefois faire
défaut dans des cas rares de sensibilisations occultes, lors
de traitements au long cours (où la sensibilisation se produit pendant les premières semaines de traitement), ou lors
de réactions à des médicaments responsables de réactions
d’HS non allergique (antalgiques, antipyrétiques et AINS, par
exemple) [20]. Il est également important de rechercher la
notion de traitements bien tolérés, depuis la réaction (présumée) allergique, par d’autres médicaments de la même
famille, ce qui permet d’éliminer le risque de réactivité
croisée et, parfois, d’infirmer le diagnostic d’allergie (présumée) aux médicaments et substances biologiques.
Seront également recherchés, de façon systématique,
mais pas toujours justifiée, les antécédents personnels et
familiaux d’atopie et/ou d’allergie médicamenteuse présumée ou prouvée.
L’ensemble de ces notions est indiqué dans l’Encadré 1.
Diagnostic des réactions d’HS aux médicaments courants de l’enfant
Encadré 1: Données de l’anamnèse chez les enfants
rapportant des réactions présumées allergiques aux
médicaments et substances biologiques.
1. Nature et localisation (initiale et, éventuellement, secondaire) des symptômes :
• signes cutanés :
◦ prurit isolé,
◦ urticaire et/ou angio-œdème,
◦ érythème polymorphe (bulleux ou non), érythrodermie, décollements cutanés spontanés ou au
frottement,
◦ rash : maculopapuleux, morbilliforme, etc. ;
• autres symptômes :
◦ malaise, hypotension/choc,
◦ gêne respiratoire (laryngée ou bronchique), dysphonie, dysphagie,
◦ poussée fébrile,
◦ arthralgies inflammatoires, etc.
2. Chronologie après le début du traitement :
• immédiate (≤ 1—2 heures) ;
• accélérée (≤ 48 heures) ;
• retardée (> 48 heures : combien de jours ?).
3. Chronologie après la dernière prise (minutes ou
heures ?).
4. Durée de la réaction après l’arrêt du médicament.
5. Notion éventuelle de majoration des symptômes :
• d’un traitement à un autre ;
• lors des prises suivantes, au cours d’un même traitement.
6. Autres antécédents personnels médicamenteux :
• traitements antérieurs bien tolérés par le même ou
d’autres médicaments de la même famille ;
• traitements postérieurs bien tolérés par d’autres
médicaments de la même famille (lesquels ?) ;
• réactions à d’autres médicaments ou substances biologiques, en précisant leur type, leur chronologie et
les substances en cause.
7. Divers :
• antécédents personnels : atopie, divers ;
• antécédents familiaux : réactions aux médicaments
ou substances biologiques, divers (atopie, etc.).
Tests cutanés
Les tests cutanés (TC) à lecture immédiate (prick-tests
et intradermoréactions) sont indiqués chez les patients
rapportant des réactions évoquant une HS immédiate
(HSI, IgE-médiée). Leur valeur diagnostique et/ou prédictive n’est bien établie que pour certains médicaments et
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substances biologiques (bêtalactamines, curares et vaccins,
notamment) [21].
Le diagnostic des réactions d’HS semi-retardée repose
principalement sur l’anamnèse, éventuellement associée à
des examens biologiques, tels les dosages des IgM/IgG antimédicament (phénomène d’Arthus, maladie sérique), et des
complexes immuns circulants et du complément pendant
la période des symptômes (maladie sérique), la recherche
d’une éosinophilie sanguine et une étude histologique et
immunologique des lésions (vascularites « allergiques »). En
effet, les TC à lecture semi-retardée (lus à 6—8 h) ne sont
ni standardisés ni validés, même s’ils ont été positifs chez
quelques rares enfants rapportant des phénomènes d’Arthus
ou des urticaires accélérées après des injections de rappel
de vaccins contenant des anatoxines.
À l’exception des patch-tests et des photopatch-tests,
dont la valeur diagnostique et prédictive est bien reconnue dans les eczémas, les réactions photo-allergiques et les
érythèmes pigmentés fixes, les intradermoréactions (IDR) à
lecture retardée et les patch-tests ont donné des résultats
incertains et controversés dans les autres réactions d’HS
médicamenteuse non immédiate [12,22—26]. La variabilité
des réponses aux TC à lecture retardée résulterait du fait
que ces affections sont la conséquence d’une réponse immunitaire complexe et évolutive, dont certains stades (IVb et
IVc) ne peuvent pas être explorés par les TC à lecture retardée dont nous disposons. Selon la nouvelle classification des
réactions d’HS retardée (HSR) aux médicaments [27], il existerait des réactions :
• d’HSR(a) où les cellules effectrices, recrutées et activées
par les lymphocytes T du type Th1 (LyTh1) sont des macrophages et des cellules apparentées, comme les cellules
dendritiques/de Langerhans (exemple type des eczémas
et, peut-être, des érythèmes pigmentés fixes) ;
• d’HSR(b) où les lymphocytes sont des LyTh1 et Th2. En produisant de l’interleukine (IL) 5, ces derniers induisent un
important afflux d’éosinophiles dans les lésions (exemple
type des exanthèmes maculopapuleux) ;
• d’HSR(c) où, grâce à leur production d’interféron gamma
(IFN-␥), les LyTh1 recrutent et activent des lymphocytes
T CD8 (cytotoxiques) qui, en produisant de la perforine/tumor necrosis factor-alpha (TNF-␣), détruisent les
cellules cibles (exemples types de la nécroépidermolyse
toxique et du DRESS) ;
• d’HSR(d), enfin, où les lymphocytes T libèrent de l’IL-8 et
du granulocyte-macrophage colony-stimulating factor
(GM-SCF), chimiotactiques et activateurs des polynucléaires neutrophiles (exemple type de la pustulose
exanthématique aiguë généralisée).
Les IDR à lecture retardée et les patch-tests ne peuvent
pas révéler les sensibilisations retardées du type cytotoxique, ce qui explique probablement leur fréquente
négativité dans les érythèmes polymorphes bulleux, les
syndromes de Stevens-Johnson, les nécroépidermolyses
toxiques et les DRESS. En revanche, ils sont tout à
fait capables de révéler les sensibilisations du type classique/tuberculinique (sous-type a) et, à un moindre degré,
les sensibilisations retardées des sous-types b et d (cf. classification ci-dessus).
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C. Ponvert
Enfin, on recommande d’effectuer les TC dans un délai
de quatre à six semaines à un ou deux ans après la réaction
(présumée) allergique, ne serait-ce que pour conserver une
anamnèse fiable [28]. Toutefois, les sensibilisations retardées aux médicaments et substances biologiques sont plus
durables que les sensibilisations immédiates et peuvent
être détectées de nombreuses années après la réaction.
médicaments et substances biologiques ont des indications
limitées (patients chez lesquels les TC ne sont pas réalisables, médicaments et substances biologiques pour lesquels
les TC ne sont pas validés et patients chez lesquels les TC
sont négatifs malgré une histoire clinique hautement évocatrice) [38,39].
Tests in vitro
Lorsque les TC et les tests in vitro ne sont pas fiables, ne
peuvent pas être effectués, sont ininterprétables (hyporéactivité cutanée ou dermographisme), ou sont négatifs
malgré une histoire clinique plus ou moins évocatrice, les
TP représentent le seul moyen qui permet avec une (quasi)
certitude de confirmer ou d’infirmer le diagnostic d’HS
médicamenteuse [40]. Ces tests doivent être effectués en
milieu (de type) hospitalier disposant de moyens de réanimation lorsqu’ils sont effectués chez des patients ayant
présenté des réactions (potentiellement) graves de chronologie immédiate ou accélérée. Diverses équipes font aussi
effectuer les TP à domicile, sur plusieurs jours consécutifs,
chez les patients ayant présenté des réactions peu graves
de chronologie retardée [14,24,41].
Quelles qu’en soient les modalités, les TP sont contreindiqués chez les patients ayant présenté des réactions
graves (toxidermies potentiellement sévères notamment)
et/ou à des médicaments jugés inutiles ou peu utiles, et pour
lesquels il existe des traitements alternatifs efficaces. Chez
ces patients, les tests de réintroduction doivent être effectués avec des médicaments de la même famille, censés ne
présenter aucune réactivité croisée avec les médicaments
accusés.
Les tests in vitro explorant les réactions d’HSI sont les
dosages des IgE sériques spécifiques, les tests de la libération de l’histamine (TLH) ou des leucotriènes (CAST : cellular
antigen stimulation test) à partir des cellules sanguines,
et les tests d’activation des basophiles sanguins (TAB) en
cytométrie de flux.
Les dosages des IgE sériques spécifiques ne sont disponibles et/ou fiables que pour certains antibiotiques
(pénicilline G, pénicilline V, ampicilline, amoxicilline et
céfaclor), le latex et certains curares, certains constituants des vaccins (anatoxine tétanique, protéines aviaires,
gélatine, formaldéhyde) et quelques autres substances
(insulines, ACTH, etc.). Leur sensibilité est plus faible que
celle des TC à lecture immédiate, probablement parce
que la vitesse de disparition des IgE sériques spécifiques
est plus rapide que la vitesse de négativation des TC.
De plus, ces tests donnent de fréquents faux-positifs chez
des sujets tolérant parfaitement certains médicaments
et substances biologiques comme, notamment, les insulines.
Les TLH, CAST et TAB peuvent être effectués avec tous
les médicaments et substances biologiques, sous réserve
qu’ils existent sous forme soluble, et peuvent explorer les
réactions d’HSI ou d’HS non allergique (antalgiques, antipyrétiques et AINS par exemple). Cependant, ces tests ne
peuvent être effectués que par des laboratoires bien équipés et bien entraînés, nécessitent d’importantes quantités
de sang et ne sont pas remboursés par la Sécurité Sociale.
Enfin, malgré des progrès récents [29], leur valeur diagnostique varie considérablement d’une substance à une
autre et d’un test à un autre pour une même substance
[30].
Les tests in vitro explorant les réactions d’HS
non immédiate sont les tests de transformation/activation/prolifération lymphocytaire et les tests
dosant les cytokines (IFN-␥ notamment) produites par les
lymphocytes T activés. Ces tests peuvent être effectués
avec tous les médicaments et substances biologiques, à
condition qu’ils existent sous forme soluble et stérile.
Cependant, comme les TLH, CAST et TAB, ces tests sont
réservés à des laboratoires parfaitement équipés et entraînés, sont « gourmands » en sang et ne sont pas remboursés
par la Sécurité Sociale. Enfin, et malgré d’importants
progrès récents [31—34], leur sensibilité et leur spécificité
restent faibles pour la grande majorité des médicaments
et des faux-positifs sont fréquemment observés chez des
patients atteints d’une authentique HSI médicamenteuse
[35—37].
Pour toutes ces raisons, les tests in vitro explorant
les réactions d’HS immédiate et non immédiate aux
Tests de provocation/réintroduction (TP)
Conclusion : attitude pratique
Les enfants rapportant des réactions plus ou moins évocatrices d’HS médicamenteuse doivent faire l’objet d’un
bilan allergologique. Ce bilan est essentiellement basé sur
un interrogatoire détaillé, des TC, lorsqu’ils sont réalisables
et validés, et, éventuellement, un TP, lorsqu’il est justifié.
La place des examens biologiques est limitée.
En pratique :
• chez les enfants rapportant des réactions anaphylactiques
et/ou de chronologie immédiate, tous les médicaments
ou substances biologiques appartenant à la même famille
doivent, au moins temporairement, être contre-indiqués,
car il existe un risque élevé de réactivité croisée. Un
bilan, comportant des TC à lecture immédiate à la substance suspecte et avec d’autres substances de la même
classe et de classes différentes (si réalisables et validés)
et des TP (si justifiés, lorsque les TC sont négatifs), doit
être effectué pour confirmer ou infirmer le diagnostic
d’allergie médicamenteuse et pour déterminer si l’enfant
est sensibilisé à une ou plusieurs (classes de) médicaments
de la même famille chimique ou pharmacologique. Idéalement, ce bilan devrait être effectué dans les quatre
à six semaines suivant la réaction [28] et, dans tous les
cas le plus rapidement possible, car, comme cela a bien
été démontré pour les bêtalactamines, les TC et les tests
in vitro explorant l’HSI aux médicaments et substances
Diagnostic des réactions d’HS aux médicaments courants de l’enfant
•
•
•
•
•
biologiques tendent à se négativer rapidement, alors
même que les patients conservent leur allergie [42,43] ;
chez les enfants rapportant des urticaires et/ou angioœdèmes non immédiats et sans signes de gravité, il est
aussi recommandé d’effectuer un bilan allergologique
qui, pour certains auteurs, peut se limiter à un TP prolongé, au domicile de l’enfant, au moins dans un premier
temps. Pour l’enfant, le risque d’être réellement atteint
d’HS médicamenteuse et, si tel est le cas, le risque de
réactivité croisée étant relativement faibles, il est en
principe possible, dans l’attente, de prescrire des médicaments de la même famille mais d’une autre classe que
celle qui est suspectée ;
chez les enfants rapportant une pseudomaladie sérique,
la valeur diagnostique des TC à lecture non immédiate
est discutée. Le consensus international recommande de
contre-indiquer définitivement la substance suspecte tout
en autorisant les autres substances de la même classe et
d’autres classes. Cependant, des études plus ou moins
récentes ont montré que la majorité des enfants chez
lesquels les TC étaient négatifs toléraient parfaitement
les TP effectués à dose thérapeutique pendant plusieurs
jours consécutifs, ce qui suggère fortement que, chez de
nombreux enfants, la pseudomaladie sérique ne résulte
pas d’une réaction d’HS médicamenteuse ;
chez les enfants rapportant un érythème polymorphe ou
un syndrome de Stevens-Johnson, il est possible, lorsque
le diagnostic d’infection (HSV, mycoplasmes, coxsackies,
etc.) a été réfuté ou n’a pas été effectué, d’effectuer
des TC à lecture non immédiate. Compte tenu de la
faible valeur diagnostique de ces tests, évoquée plus
haut, leur négativité n’exclut pas le diagnostic d’HS non
immédiate, et le consensus international recommande
une contre-indication définitive des médicaments suspects. Cependant, dans notre expérience, la majorité des
enfants rapportant un érythème polymorphe ou un syndrome de Stevens-Johnson et ayant des TC négatifs ont
toléré les TP, sur plusieurs jours et à dose thérapeutique
usuelle, suggérant, là encore, que chez de nombreux
enfants, ces affections ne résultent pas d’une HS médicamenteuse ;
chez les rares enfants rapportant des réactions à
type de pustulose exanthématique aiguë généralisée,
nécroépidermolyse toxique et DRESS, les TC à lecture
non immédiate peuvent aussi être effectués. Toutefois,
comme dans le cas des érythèmes polymorphes et syndrome de Stevens-Johnson, la négativité de ces tests
n’exclut pas le diagnostic d’HS médicamenteuse, et les TP
sont formellement contre-indiqués compte tenu du risque
élevé de récidive grave, voire aggravée, et, même dans
le doute, il convient de contre-indiquer définitivement les
médicaments suspects et de structure proche ;
dans les autres cas, comme les éruptions bénignes non
identifiées et les exanthèmes maculopapuleux de chronologie non immédiate, les TC sont probablement inutiles
et le diagnostic d’HS médicamenteuse est généralement
infirmé sur la tolérance des TP, effectués au domicile
pendant plusieurs jours consécutifs et en dehors de tout
épisode infectieux, quitte à effectuer secondairement des
TC chez les rares enfants récidivant lors du TP.
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Déclaration d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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