M. Lionel Jospin Premier Ministre de la France Son
Transcription
M. Lionel Jospin Premier Ministre de la France Son
M. Lionel Jospin Premier Ministre de la France Son Altesse royale, Messieurs les Présidents, Monsieur le Directeur général de l'UNESCO, Mesdames et Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, Mesdames et Messieurs les recteurs et présidents d'université, représentants des enseignants et des étudiants, Mesdames, Messieurs, C'est avec un très vif plaisir que j'ouvre aujourd'hui, avec vous, la Conférence mondiale sur l'enseignement supérieur organisée par l'UNESCO. Je tiens d'abord à féliciter l'UNESCO et son Directeur général, M. Federico Mayor, pour avoir pris l'initiative de cette importante manifestation. Je sais, pour en avoir parlé personnellement avec lui, que cette Conférence a fait l'objet d'une préparation intensive, deux années durant, à travers cinq consultations régionales : ainsi, tous les éléments du débat, venant des cinq continents, se trouvent réunis. L'UNESCO est un forum irremplaçable, et je veux lui rendre hommage aujourd'hui. Cette Conférence a une dimension intergouvernementale. Je tiens à saluer les différentes délégations qui ont fait le déplacement et, en particulier, les nombreux ministres présents. M. Claude Allègre, le ministre français de l'Education nationale, de la Recherche et de la Technologie dirigera notre délégation ; il le fera avec sa haute compétence, celle d'un scientifique reconnu au plan mondial, aujourd'hui responsable d'une grande administration qu'il connaît bien. A l'issue de cette Conférence, nous devrions dégager des lignes d'accord fortes puisque nous sommes tous convaincus que l'enseignement supérieur est un investissement intellectuel et social indispensable pour entrer dans la société du savoir. Je voudrais, ce matin, vous faire partager deux convictions. (I) La mutation de l'enseignement supérieur doit puiser aux valeurs qui ont inspiré les premières Universités européennes. (II) Le mouvement d'expansion de l'enseignement supérieur doit naturellement s'inscrire dans un surcroît de coopération internationale. I - La mutation de l'enseignement supérieur doit se nourrir d'une fidélité aux valeurs qui ont contribué à créer les universités. Les origines de l'enseignement supérieur constituent une référence précieuse dans nos débats. En Europe, au XVIè siècle, l'Université fut un grand foyer d'activité intellectuelle et un élément de progrès social, d'évolution technique et de développement économique. Lieu de concentration de cultures et des expériences, elle favorisa la mobilité des hommes, des idées, des découvertes et des innovations. L'Europe d'Erasme fut le symbole de ce réseau européen de l'intelligence et du savoir qui s'était formé à l'époque, de la Sorbonne à Heidelberg, d'Oxford à Bologne, de Montpellier à Salamanque. L'Université exerça sa fonction critique tout en promouvant des valeurs de tolérance et de pluralisme. Cette période demeure exemplaire. Mais notre Université a aussi traversé des crises. Elle fut parfois plus scolastique que novatrice ; son état d'esprit, trop corporatiste ; son enseignement, trop éloigné du mouvement scientifique et littéraire de l'époque ; son organisation, inadaptée ; son caractère religieux, trop affirmé. Chaque fois qu'elle s'est transformée en tour d'ivoire, l'Université a failli à sa mission. Cette leçon ne doit pas être oubliée. La liberté académique et l'autonomie des institutions sont inséparables de leur responsabilité devant la société. Aujourd'hui, l'enseignement supérieur doit s'adapter pour faire face à ses missions, devenues multiples : 2 - la formation initiale mais aussi la formation continue tout au long de la vie ; la recherche scientifique et technique mais aussi la valorisation économique de ses résultats ; la diffusion de la culture et de l'information scientifique et technique, mais dans la coopération internationale. Ces multiples tâches s'exercent dans un contexte nouveau et stimulant, caractérisé par la démocratisation et le renouvellement des savoirs, la révolution technologique, les mutations du monde du travail, la nécessaire ouverture de l'Université sur le monde économique et l'emploi. Si l'enseignement supérieur doit s'adapter au marché, je récuse la conception mercantile selon laquelle il pourrait être déterminé par le marché. Dans ce domaine comme dans d'autres, l'économie de marché est la réalité dans laquelle nous agissons. Mais elle ne saurait former l'horizon d'une société. Le marché est un instrument ; il n'est pas la raison de la démocratie. L'Université doit d'abord dispenser des savoirs et des qualifications, mais elle est aussi un lieu d'apprentissage de la démocratie, de formation des citoyens et d'épanouissement individuel. Cette adaptation de l'enseignement supérieur exige une innovation permanente. C'est à un large renouvellement de la pédagogie que nous sommes confrontés. Il nous faut d'abord réfléchir aux possibilités offertes par les nouvelles technologies de l'information et de la communication : quelle place gardera le cours magistral en amphithéâtre ? Comment va se développer l'enseignement à distance ? Que seront ces "Universités en ligne" ou en réseau. Par ailleurs, la diversité des publics qui sont maintenant accueillis et leur hétérogénéité sociale conduisent à personnaliser le soutien aux étudiants et à développer des programmes sous forme modulaire capitalisables. De même, l'explosion des savoirs et l'interdépendance des disciplines exigent plus de pluridisciplinarité. Dans le domaine de la recherche, il faut garder toute sa place à la recherche fondamentale. Il faut aussi multiplier les passerelles avec le monde économique, aider les chercheurs à valoriser leurs recherches et à créer des entreprises ; il faut également faire émerger des projets de recherche communs répondant aux besoins de nos économies. Enfin, la question du financement est essentielle et délicate. Une diversification des sources de financement peut sans doute être recherchée ; mais, comme tous les Européens, je suis attaché au service public d'éducation, donc au rôle essentiel de l'Etat - garant de l'égalité des chances - dans le financement. C'est dans ce contexte qu'il faut examiner les droits d'inscription. Ils doivent être établis dans un souci d'équité sociale et ne pas constituer la source essentielle de financement. C'est en tout cas notre vision. De leur côté, les établissements doivent veiller à améliorer leur gestion. Evaluation et contrôle sont indispensables. Il - L'expansion de l'enseignement supérieur exige un surcroît de coopération internationale. Ce mouvement d'expansion est irréversible. En France, le nombre d'étudiants a été multiplié par 70 au cours du siècle : 30.000 en 1900, plus de 2 millions aujourd'hui. A l'échelle mondiale, l'enseignement supérieur de masse est désormais une réalité : nous sommes passés de 13 millions d'étudiants en 1960 à 82 millions en 1995. Le monde comptera sans doute 100 millions d'étudiants en 2025 - et c'est là une perspective impressionnante, qui tire sa force de deux tendances lourdes. Nos démocraties doivent en effet organiser la mobilité sociale et offrir à tous ceux qui le méritent les études auxquelles ils aspirent. En outre, l'évolution technologique conduit à élever le niveau de qualification pour accéder à l'emploi, d'une part, et à développer la formation continue tout au long de la vie professionnelle, d'autre part. Dans cette perspective, la sélection à l'entrée de l'enseignement supérieur en plus du baccalauréat relève, pour nous, en France, d'une conception malthusienne. Tout étudiant doit 3 pouvoir faire des études s'il en est capable, quelle que soit son origine et sa condition sociale. La Déclaration universelle des Droits de l'Homme - dont nous allons célébrer le cinquantenaire affirme solennellement que "l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite". Ce principe est plus que jamais d'actualité. Mais il nous faut organiser, pour répondre à une demande d'accession aux savoirs supérieurs qui nécessite de s'accroître, une véritable orientation des différents publics d'étudiants et un meilleur suivi de leurs parcours. A l'égard des étudiants, il faut être tout à la fois exigeant - car le laxisme ne mène à rien - et accueillant - car le malthusianisme affaiblit les pays qui le pratiquent. La situation des pays en développement est naturellement particulière et rend la coopération internationale indispensable. Nous devons définir avec eux une politique de solidarité. Pour notre part, nous sommes prêts à les aider à mettre au point leur propre politique éducative. La France, qui a une forte et ancienne tradition d'accueil, a récemment pris des mesures pour faciliter le séjour d'étudiants et d'enseignants-chercheurs étrangers. Nous accueillons aujourd'hui plus de 120.000 étudiants étrangers. Nous voulons, à l'avenir, amplifier les échanges Nord-Sud comme les échanges Nord-Nord. L'aide financière et, d'une manière générale, les programmes d'aide à ces pays doivent être amplifiés et coordonnés. Mais, dans cette démarche, deux écueils doivent être évités. L'exode des compétence, tout d'abord. Oui à l'accueil des étudiants et des enseignantschercheurs des pays en développement, mais à condition que soient favorisés leur retour et leur participation à l'essor de leurs pays d'origine. Il nous faut tout faire pour maintenir dans ces pays une communauté scientifique et ne pas les priver d'une partie de leurs élites. L'uniformisation des systèmes ensuite. Il n'existe pas de modèle unique d'enseignement supérieur. Chaque pays a ses propres valeurs culturelles et sociales qui doivent être respectées, à côté des valeurs communes que nous avons reconnues et affirmées dans des instruments internationaux. Une inquiétude a pu ainsi se manifester à propos de la place déterminante prise par l'anglais. C'est pourquoi, sans chercher à nier l'importance de l'anglais, nous voulons valoriser la place des autres langues. La Francophonie, valeur partagée sur les cinq continents par des centaines de millions de personnes, doit, en particulier, s'épanouir. Pour finir, je voudrais évoquer, en quelques mots, la coopération européenne. Au MoyenAge déjà, un réseau de l'intelligence et du savoir traversait l'Europe. Aujourd'hui, nous voulons lui donner un nouvel élan. Au printemps dernier, à la Sorbonne, les ministres de l'Education d'Allemagne, du Royaume-Uni, d'Italie et de France ont travaillé sur le thème de l'Université européenne. Dans cette perspective, l'harmonisation des cursus et la reconnaissance des diplômes dans les différents systèmes constituent un objectif primordial. Une trame commune de cursus a été proposée. Elle permettra une meilleure lisibilité et une mobilité plus grande des étudiants. Les difficultés sont encore nombreuses, mais nous travaillons à les réduire. Un nouveau rendez-vous est fixé l'an prochain à Bologne. Monsieur le Directeur général, Mesdames et Messieurs, les objectifs et le programme de cette Conférence sont ambitieux. Je forme le vœu que se dégage de vos travaux une vision globale de l'enseignement supérieur pour le XXIè siècle, embrassant un cadre conceptuel - que nous pourrons progressivement enrichir -, appuyée sur des solutions pratiques et sur la définition des moyens nécessaires à leur mise en œuvre. Je sais que beaucoup d'espoirs sont placés, notamment par les pays en développement, dans cette Conférence. Les éléments de solution qu'elle dégagera doivent être à la hauteur de ces attentes. Puissiez-vous ainsi préparer l'avenir - un avenir adapté à la situation de chacun, un avenir de développement et de paix pour tous nos Etats.