Coup de froid sur les grands magasins parisiens

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Coup de froid sur les grands magasins parisiens
Coup de froid sur les grands magasins parisiens
Source : Le Monde_30.10.2014
L’hiver sera rude pour les grands magasins parisiens. Après des années de croissance à deux
chiffres, les immenses temples de la consommation que sont le Printemps et les Galeries
Lafayette sur le boulevard Haussmann, dans le 9e arrondissement de la capitale, sont à la
peine. En cause, les ratés qui touchent leurs deux principaux moteurs : la clientèle française,
minée par la crise, et les touristes étrangers.
Le Printemps a même connu en 2013 « une rupture » avec un« ralentissement des
performances sur le magasin haussmannien ». C’est ce qui ressort d’un rapport du cabinet
3E, mandaté par les instances représentatives du personnel du Printemps, qui l’a présenté
en comité d’entreprise au début du mois, et dont Le Monde a eu connaissance.
Le cabinet passe au crible la nouvelle stratégie du groupe, racheté en avril 2013 par un fonds
qatari. Il a eu accès aux comptes détaillés du magasin Haussmann, le plus petit des deux
rivaux (le site a réalisé 876 millions d’euros de chiffre d’affaires sur l’exercice clos le 31 mars
2014, contre 1,7 milliard pour celui des Galeries). Les ventes ont crû de 6,1 % dans le
magasin, contre près de 12 % de hausse en 2012 et 22 % en 2013. La clientèle française a
reculé de 6 % et celle de plusieurs pays étrangers – Russie, Japon, Singapour, Hongkong – de
2,3 %. Une première.
« Troisième tiers des impôts et météo estivale »
Une tendance également à l’œuvre quelques mètres plus loin, aux Galeries Lafayette
Haussmann. « Nous sommes de plus en plus attaqués par la fast fashion [mode à bas prix :
Zara, H&M…] et la concurrence d’Internet », indique Nicolas Houzé, directeur général des
Galeries Lafayette et du BHV Marais. « Le mois de septembre a été très dur, avec une chute
de 10 % des ventes de la chaîne en province, et une légère baisse du chiffre d’affaires
d’Haussmann », poursuit le dirigeant. Et d’évoquer, pêle-mêle « la crise de la consommation,
le paiement du troisième tiers des impôts et la météo estivale qui a détourné les clients des
collections d’hiver ».
Si « le mois d’octobre est meilleur, notamment soutenu par les opérations commerciales »,
M. Houzé souligne, lui aussi, la désaffection des touristes, qui représentent la moitié des
ventes du navire amiral. « Depuis le début de l’année, nous avons perdu des visiteurs en
provenance de Russie, d’Indonésie, de Thaïlande, du Brésil, en raison des dévaluations
intervenues dans ces pays. Les Japonais sont aussi en recul, mais les revenus générés par les
clients de Chine et des autres pays du Sud-Est continuent à croître », explique le dirigeant.
Dans ce contexte, le rapport 3E pointe le poids exacerbé des touristes chinois. Ils sont à
l’origine de 33,7 % des ventes du Printemps Haussmann, contre moins de 10 % trois ans plus
tôt.
Dépendance croissante à la Chine
Problème, cette dépendance croissante à la Chine a un coût. Et ce, en raison d’un système
bien rodé mais à propos duquel les enseignes restent volontairement très discrètes : le
versement de commissions aux tour-opérateurs. En échange, ces derniers inscrivent dans
leur programme la halte aux grands magasins, au même titre que les musées et autres
monuments parisiens – les Galeries Lafayette, précurseurs du système, ont même consacré
une entrée spécifique aux touristes venus de l’empire du Milieu.
Au Printemps, ces « rémunérations d’intermédiaires » ont représenté 32,8 millions d’euros
en 2013, pour un chiffre d’affaires de 295 millions réalisé avec les acheteurs chinois. Autre
bémol, ces visiteurs jettent en priorité leur dévolu sur les rayons des accessoires (bijoux,
montres, maroquinerie de luxe), les produits les moins rentables dans un grand magasin.
Enfin, cette manne pourrait un jour se tarir. Les lois anticorruption mises en place depuis un
an portent un coup violent à la consommation de produits de luxe, tandis que Pékin tente de
mieux encadrer l’organisation de voyages, et notamment les fameuses commissions, pour
éviter les dérives. En hausse de 57 % il y a trois ans, les dépenses de la clientèle chinoise au
Printemps n’ont crû « que » de 37 % en 2013-2014. « Elles ont continué à ralentir au premier
semestre », croit savoir Bernard Demarcq, porte-parole de l’intersyndicale. La direction du
Printemps évoque une « croissance à deux chiffres depuis le début de l’année ».
Hausse de 30 % des loyers
S’y ajoute, pour le groupe passé sous pavillon qatari, une hausse de 30 % des loyers lors de
l’exercice 2013-2014. C’est d’ailleurs l’un des principaux reproches faits par les syndicats aux
nouveaux propriétaires, qu’ils accusent de ne s’intéresser qu’aux murs du Printemps.
Conséquence, la marge d’exploitation du Printemps Haussmann est tombée à 10,5 % pour
l’exercice 2013-2014, contre 12,9 % un an plus tôt. Dès lors, le plan stratégique à trois ans
élaboré en 2012 par le management de l’enseigne, qui visait à faire passer la marge à 13,5 %
pour l’ensemble du groupe à l’horizon 2017, semble difficile à tenir.
Un comité central d’entreprise doit avoir lieu le 21 novembre, afin de« présenter les
orientations stratégiques du groupe, comme tous les ans »,indique la direction. Les syndicats
craignent pour l’avenir des magasins de province les plus mal en point, notamment celui
du Havre.
Audrey Tonnelier