Vie chrétienne des fidèles divorcés-remariés
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Vie chrétienne des fidèles divorcés-remariés
Jean Charles Thomas, Ancien évêque de Corse et de Versailles Novembre 2013 pout la revue Célébrer n°400. Vie chrétienne des fidèles divorcés-‐remariés En 1981, dans l’exhortation post synodale « familiaris consortio » Jean-Paul II adoptait une position que nul n’ignore : les divorcés remariés n’étant pas séparés de l’Église, « peuvent et doivent participer à sa vie » mais « se sont rendus eux-mêmes incapables d’être admis à la communion eucharistique car leur état et leur condition de vie sont en contradiction objective avec la communion d’amour entre le Christ et l’Église…La réconciliation par le sacrement de pénitence…ne peut être accordée qu’à ceux qui se sont repentis d’avoir violé le signe de l’Alliance et de la fidélité au Christ ». (n°84) « Le fait de contracter une nouvelle union…ajoute à la gravité de la rupture : le conjoint remarié se trouve alors en situation d’adultère public et permanent » (Catéchisme n° 2384). « Le respect dû au sacrement de mariage…interdit à tous les pasteurs, pour quelque motif que ce soit ou sous quelque prétexte que ce soit, même d’ordre pastoral, de célébrer, en faveur des divorcés qui se remarient, des cérémonies d’aucune sorte. Elles donneraient en effet l’impression d’une célébration sacramentelle de nouvelles noces valides, et induiraient donc en erreur à propos de l’indissolubilité du mariage contracté validement » (Catéchisme n°84). Certains pasteurs aggravent aujourd’hui la position de Jean Paul II, en interdisant le baptême et la confirmation aux fidèles qui se trouvent dans cette situation. Deux raisonnements fondent ces prescriptions : la sévérité pour contrer la multiplication des remariages après divorce : l’invitation à vivre toutes les dimensions de la vie ecclésiale pour atténuer l’impression que le remariage serait un péché irrémissible excluant le pécheur de la communauté chrétienne. Après trente deux années d’application, ces mesures ont-elles atteint leur but ? De plus en plus nombreux sont ceux qui en doutent. Puisons à la Source jaillissante de la Révélation chrétienne, la Bible Nous y trouvons la description d’un Dieu qui pardonne toujours à celui qui revient vers Lui. Sans se lasser. Qui conseille de pardonner jusqu’à soixante-dix fois sept fois. Son Fils intercède pour que soient pardonnés ceux qui l’ont condamné à mort. Il devient l’avocat permanent des pécheurs. Il demande que soit célébré jusqu’à son retour son repas de communion et de nouvelle Alliance pour la rémission des péchés ; il y convie ses disciples, quelles que soient leurs fautes, comme il en fut pour Pierre, Judas, les Corinthiens et tant d’autres depuis1. Jésus confie à ses envoyés la mission d’annoncer la paix, de guérir, d’inviter chacun à la réconciliation avec Dieu et ses frères et sœurs, de libérer du mal et du péché. Comme il fit lui-même avec la Samaritaine, la femme prise en flagrant délit d’adultère, la pécheresse publique, le paralysé auquel il pardonne avant même qu’il ait sollicité ce pardon2. Jésus a clairement restauré le sens du mariage selon le Créateur. Il a critiqué la 1 législation mosaïque concernant la répudiation. Il a montré que la répudiation entraînait une situation d’adultère, sauf lorsque le mariage n’avait pas créé de lien indissoluble faute d’avoir été conforme à la pensée de Dieu3. Comment les premières communautés chrétiennes ont-elles mis en œuvre ces affirmations de Jésus ? A tous, sans faire mention particulière de ceux qui se trouvaient en situation de remariage après répudiation, quatre fidélités sont demandées, composantes de l’appartenance à la communauté. Connaître et vivre l’enseignement des apôtres Cet enseignement est centré sur la foi en Jésus, fils de Dieu, Premier-né d’une humanité en renouvellement, sauveur proposé aux humains par sa vie, son enseignement, sa passion, sa mort, sa résurrection et sa communion avec le Père et l’Esprit4. « Si tes lèvres confessent que Jésus est Seigneur et si ton cœur que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé ». Le croyant vit en laissant l’Esprit conformer ses actes à sa foi. En faisant mourir ce qui contredit la foi qu’il professe, entre autres -mais non exclusivement- dans le domaine conjugal5. Vivre en communion fraternelle Jésus a résumé le commandement qui doit régir les relations entre croyants : « Aimezvous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Il l’a même érigé en condition absolue de crédibilité pour les humains ne partageant pas la foi chrétienne6. Tous les écrits du NT citent et commentent abondamment. Etre fidèle à la fraction du pain « Prenez et mangez-en tous….Prenez et buvez-en tous…Vous ferez cela en mémoire de moi ». « Ils le reconnurent à la fraction du pain ». Participer à la table du Seigneur, c’est à la fois écouter et assimiler sa Parole, se nourrir du Pain qui donne la Vie et boire à la coupe de l’Alliance, et cela non pas en individus isolés mais en communion fraternelle avec les membres de la communauté7. Prier régulièrement, assidûment En prenant comme référence la pratique de Jésus, son « Notre Père », et ce qu’il a dit sur la façon de bien prier8. La demande de pardon des péchés y est mentionnée. Évolution historique L’organisation concrète de la vie chrétienne va connaître de grandes évolutions d’abord au sein de l’Église indivise puis dans l’Église romaine à partir de la rupture avec l’Orthodoxie en 1054. 2 « Confessez vos péchés les uns aux autres » Et St Jacques continue : « Priez en faveur les uns des autres afin d’être guéris. La requête d’un juste agit avec beaucoup de force… Mes frères, si l’un de vous s’est égaré loin de la vérité et qu’un autre l’y ramène, sachez que celui qui ramène un pécheur du chemin où il s’égarait le sauvera de la mort et obtiendra le pardon d’un grand nombre de péchés9 ». Des années 150 à la fin du VIe siècle, l’Église organise la réconciliation pour ceux qui ont gravement péché. Trois temps chronologiques : le pécheur entre dans la catégorie des pénitents (aveu, exclusion de la communion eucharistique) – pendant un long temps, il participe à la première partie de l’eucharistie, écoute l’enseignement sur la foi, se soumet à des prières, jeûnes ou pratiques de conversion intérieure, tandis que la communauté prie pour lui- il est enfin réconcilié publiquement par l’évêque lorsque son comportement est jugé digne d’un chrétien. (Le pécheur et la pénitence dans l’Église ancienne, Cyrille Vogel, p. 51-53 notamment) A partir du VIIe siècle, les fautes graves sont considérées comme pardonnées lorsque le pécheur a accompli un ensemble de pratiques pénibles qui lui sont notifiées, en privé pour les fautes privées. Progressivement s’installe une nouvelle pratique : la confession privée comportant aveu, absolution immédiate et notification de pratiques pénitentielles à accomplir par la suite. (Le pécheur et la pénitence au Moyen Age, Cyrille Vogel, p. 24 à 36 notamment). Le prêtre, à lui seul, récapitule et remplace la communauté. La conversion intérieure est présumée suffisante dès que le pécheur se décide à l’aveu. Le facteur temps de maturation conduisant à la conversion intérieure du cœur et des actes n’entre plus en ligne de compte : le soutien de la communauté disparaît10. Pour les chrétiens divorcés-remariés, il serait sage et pédagogique d’instaurer de nouvelles formes d’accès à la réconciliation. Le but de toute « peine » est médicinal : elle est censée permettre la réforme des personnes. Cette réforme est rendue quasi impossible par la perspective de perpétuité de la « situation ». L’Orthodoxie l’a bien compris : elle gère la situation des divorcés remariés selon ce qu’elle appelle le principe d’économie, qui prend en compte la réforme intérieure des personnes11. Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église (Eph 5, 25) Pendant des siècles, l'Église indivise bénit les chrétiens qui se marient selon les lois de la société dans laquelle ils vivent. Elle n'impose pas de cérémonie particulière. On débat sur l'obligation ou non de réserver la relation sexuelle à la procréation, sur la supériorité ou non de la virginité et du célibat. Hormis St Augustin, peu écrivent sur le mariage des chrétiens. Yves de Chartres, évêque de 1091 à 1116, s'appuyant sur la Tradition qu'il connaît parfaitement, présente le mariage comme une communauté de vie, fondé sur le consentement personnel et non pas d'abord sur les actes destinés à la procréation. L'égalité entre les conjoints et leur amour réciproque prennent toute leur importance. Hugues de St Victor abonde dans le même sens. A partir de 1139 on commence à présenter cet état de vie comme un sacrement12. A partir de 1215, ceux qui s'engagent dans cette communauté de vie doivent le faire connaître à la communauté chrétienne. A partir du 11 novembre 1563, pour éradiquer la clandestinité dans laquelle demeuraient certains couples, l'Église romaine cesse de reconnaître comme validement mariés ceux qui ne viennent pas dans l'église pour échanger leur consentement devant un prêtre et deux témoins. C'est donc au milieu du XVIe siècle que 3 commence la situation actuelle où tout semble parfaitement clair et précisé, canoniquement, liturgiquement, théologiquement, sacramentellement13. Les tribunaux ecclésiastiques de l'Église romaine sont seuls habilités à décider si un mariage fut ou non valide. Si des chrétiens divorcent civilement et contractent un second mariage ils sont considérés comme bigames tant que le tribunal n'a pas considéré comme invalide le mariage célébré selon le décret Tametsi14. Excommuniés, infâmes et privés de sépulture ecclésiastique. Le Concile Vatican II n'aborde pas cette question alors qu’il développe sa pensée sur ce que doit être le mariage des chrétiens (Gaudium et spes, n° 47 à 52). En 1981, Familiaris consortio prend ses distances par rapport au Code de 1917 en s'efforçant de définir une nouvelle attitude pastorale. Faites ceci en mémoire de moi Les fidèles sont invités à se joindre à l’eucharistie dominicale, partout où ils le peuvent. L’âge de la première communion variera au long des siècles, ainsi que la sanction pour ceux qui ne vont pas à la messe. Communient ceux qui ne sont pas exclus comme « pénitents » : nous ne connaissons pas l’évolution du nombre des fidèles qui communient. Le Concile de Latran IV, en 1215, décrète que les fidèles doivent communier au moins à Pâques et confesser leurs péchés à leur curé au moins une fois par an (c.21). Les règles concernant le « jeûne eucharistique » évolueront, exerçant une influence notable sur la pratique de la communion dans le cadre de la célébration eucharistique. Vatican II (1963-1965) a conduit la majorité des fidèles à communier à chaque messe, au titre de la participation « pleine et active de tout le peuple ». Dans ce cadre, Familiaris consortio en 1981 a créé une situation particulière qui n’aurait pas eu la même visibilité vingt ans plus tôt lorsque beaucoup de chrétiens ne communiaient pas pendant la messe. Les questions qui demeurent La position de Jean Paul II innove sur plusieurs points. Elle apparaît dans le cadre d’une exhortation postsynodale et non pas d’un décret canonique. Elle ne semble pas avoir été directement suggérée par les évêques du synode. Elle s’appuie sur un raisonnement théologique qualifiant une situation objective de faute subjectivement grave interdisant la communion eucharistique et la réconciliation tant que demeure cette situation. Elle invite les divorcés à mener une vie chrétienne et ecclesiale exemplaire sans leur laisser entrevoir une hypothèse de réconciliation. Les divorcés qui créent un nouveau couple sont-ils des bigames ? Evidemment non dans la mesure où ils ont rompu leur premier lien et cessé de mener vie commune avec leur premier conjoint. Mais l’application automatique du principe de validité reconnue à tout mariage célébré à l’église crée cette apparence de bigamie. Nous avons observé que les réflexions pastorales et doctrinales au long des siècles ont considérablement évolué, créant périodiquement des pratiques nouvelles de réconciliation et de célébration du mariage des chrétiens. Toujours pour mieux tenir compte des réalités et des possibilités de vie des fidèles. Ce qui a déjà évolué peut évidemment évoluer encore. Il est donc sage et désirable de fonder dès à présent les pensées et les comportements des chrétiens divorcés remariés sur ce que vivaient les premières communautés : de remonter à la source et de partir du jaillissement initial suscité par la vie, la passion, la mort et la résurrection du Seigneur Jésus, au lieu de partir de l’état actuel des doctrines et des pratiques. Ce qui a évolué peut encore évoluer. L’espérance naît des innovations évangéliques. 4 1 Seulement quelques citations à l’appui de ce résumé. Ex 34, 6-9 ; Nb 14,20 ; Ps 103,3 ; Isaïe 55,7 ; Michée 7,18 ; Siracide 28,2 ; Osée 2, 21-22Col 1,20 ; I Jn 2,1. La parabole du débiteur insolvable à qui le maître remet son immense dette parce qu’il se laisse toucher de pitié Mat 18, 23 ; I Cor 11, 17-33 ; Luc 22, 17-34 ; Mat 5,24 ; Mc 11,25 2 Mat 9,2 ; Mc 2,5 ; Mt 18, 15 à 18 et 21-22; Luc 17,3 ; 2 Cor 5,20 ; Jn 20, 23 ; Jn 4 ; Jn 8 ; Lc 7, 36-50 3 Mat 5, 32 ; Mat 19, 1 à 12 référence capitale; Mc 10,1-12 ; Lc 16,18 ; Ex 20,14 ; I Cor 7, 1-11 4 Rom 10,9. Toutes les prédications de Pierre et de Paul dans les Actes des Apôtres sont centrées sur le Christ, ainsi que l’évangile de Jean, les lettres de Paul, spécialement Col 1,1-23 et Eph 1, 1-22, la lettre de Pierre 3,1822, 5 Act 1, 37-40 ; Rom 1, 18-32 ; Gal 5, 13-26 ; Jac 2, 8-26 ; Heb 13, 1-6 ; 6 Jn 15, 12-17 ; 17, 18-23 ; Mt 18 en entier ; Luc 6, 27-37 ; 17, 3-4 7 Luc 22, 19-20 ; 24, 28-35 ; Jn 6 ; 8 Mat 6, 5-14 ; Lc 3,21 ; 6,12 ; 9, 28-30 ; 11,1-13 ; 18, 1-14 ;22, 39-45 ; Jn 17 9 Jac 5, 16-20. Dès les années 80-120 la Didachè résume la pratique des chrétiens : « Dans (devant) l’assemblée tu confesseras tes transgressions et tu ne viendras pas à la prière avec une mauvaise conscience. Tel est le chemin de la vie. Mais voici le chemin de la mort …meurtres, adultères, convoitises, impudicité, vols, idolâtries, bénéfices, rapines, faux témoignages, hypocrisies, mauvaise foi, jalousie, présomption, dédain…persécuteurs des bons, gens haïssant la vérité…ne s’attachant pas au bien ni au jugement juste… » «Chaque dimanche, vous étant assemblés, rompez le pain et rendez grâces, après vous être mutuellement confessé vos transgressions, afin que votre sacrifice soit pur » (Didachè, IV,10 et V,1 & 2, et XIV, 1) 10 Consulter l’article péché/pardon du Dictionnaire encyclopédique d’éthique chrétienne, Cerf, p.1464 à 1487, 46 colonnes rédigées par B. Marliangeas. 11 Également, de Paul de Clerck, la réconciliation pour les fidèles divorcés remariés dans la Revue théologique de Louvain, 32, 2001, p.321-352. Et aussi, de Jean Charles Thomas, la Miséricorde de Dieu pour les baptisés divorcés-remariés, dans « Laissez-vous réconcilier », septembre 1991, p.182-185. « Accueillir les divorcés : l’Évangile nous presse », Guy de Lachaux, 2007. 12 « Le mariage des chrétiens », Tome I, Gérard Mathon, pages 174 à 210 . Le Concile de Latran,II, en 1139 , interdit le mariage des clercs (c.7), l’ordination de leurs fils (c.21) et parle du mariage comme d’un sacrement (c.23). Latran III, 1179, exclut du ministère les clercs gardant leurs concubines (femmes vivant avec eux hors mariage légitime, c. 11) - Latran IV (1215) Les clercs doivent vivre dans la continence sauf s’ils sont mariés légitimement conformément à l’usage de leurs pays (c.14) 13 Concile de Latran IV, 1215, c.51. Concile de Latran IV, Concile de Trente, décret Tametsi, 11 novembre 1563. 14 Code Droit Canonique de 1917, c.2356 ; c.1240 §2 5