UTILITE ADDITIVE

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UTILITE ADDITIVE
M1 IAD UE Décision et Jeux
Notes de cours (3)
Jean-Yves Jaffray
Patrice Perny
7 juin 2006
UTILITE ADDITIVE
1
Introduction
Dans ce chapitre, on s’intéresse aux préférences d’un décideur dans un
ensemble de choix multidimensionnel X . Chaque objet x est donc constitué
d’une suite de valeurs de caractéristiques x = (x1 , · · · ,xi , · · · ,xn ).
Une caractéristique - un attribut- peut être numérique (prix, dimensions) ou
symbolique (couleur, confort).
Exemples : emploi x = (x1 ,x2 ), où x1 est le salaire mensuel et x2 le nombre
de jours de vacances par an ; menu x = (x1 ,x2 ,x3 ), où x1 est le plat, x2 la
boisson et x3 le dessert.
Un ordinateur portable peut être décrit par x = (DELL InspironTM 9200,
1 549 euros, Centrino, Windows XP, écran 17“,disque dur 80 Go, Combo
graveur CDRW, carte graphique ATI Mobility Radeon 9700) et une automobile d’occasion par x =(Peugeot 306, 3500 euros, cabriolet, 2 000 cm3, 2
portes, 175000 km, 1995, boı̂te manuelle).
On supposera toujours que les préférences dans X sont complètes, c-à-d
que % est un préordre total ; les hypothèses entraineront aussi l’existence
d’une fonctionQd’utilité.
Puisque X ⊆ ni=1 Xi , une fonction d’utilité est une fonction de n variables,
u(x) = u(x1 , · · · ,xi , · · · ,xn ) ; une telle fonction peut être très complexe, sa
détermination, même approximative, très longue et son stockage en mémoire
très coûteux.
Un cas particulier intéressant est celui où la fonction u est additivement
séparable, c-à-d de la forme
u(x) = u1 (x1 ) + · · · + ui (xi ) + · · · un (xn )
1
Cette décomposition permet en effet de coder les préférences de façon très
compacte : s’il y a 10 attributs et 5 valeurs possibles par attribut, il faudrait
dans le cas général évaluer puis stocker la valeur de u en 510 ∼
= 107 points, ce
qui est inconcevable ; en revanche, si u est additivement séparable, toutes ces
valeurs sont déterminées par la connaissance de celles des ui en 5 endroits
chacune, soit au total 50 nombres à évaluer et stocker. Mais en existe-t-il
toujours une?
Exemple 1. Soit l’ensemble X des menus x = (x1 ,x2 ,x3 ), avec plat x1 ∈
X1 = {viande, poisson}, boisson x2 ∈ X2 = {vin rouge, vin blanc} et dessert
x3 ∈ X3 = {tarte, glace}.
Premier cas.
S’il existe une fonction d’utilité u additivement séparable avec
u1 (viande) = 3 ; u1 (poisson) = 1; u2 (vin rouge) = 2 ; u2 (vin blanc) = 0;
u3 (tarte) = 1 ; u3 (glace) = 0
les utilités des 23 = 8 menus x(i) possibles s’obtiennent facilement
u(x(1) ) = u(viande, vin rouge, tarte) = 6 ;
u(x(3) ) = u(viande, vin blanc, tarte) = 4 ;
u(x(5) ) = u(poisson, vin rouge, tarte) = 4 ;
u(x(7) ) = u(poisson, vin blanc, tarte) = 2 ;
u(x(2) ) = u(viande, vin rouge, glace) = 5
u(x(4) ) = u(viande, vin blanc, glace) = 3
u(x(6) ) = u(poisson, vin rouge, glace) = 3
u(x(8) ) = u(poisson, vin blanc, glace) = 1
d’où le classement :
x(1) ≻ x(2) ≻ x(3) ∼ x(5) ≻ x(4) ∼ x(6) ≻ x(7) ≻ x(8)
Deuxième cas.
Le classement d’un autre agent est le suivant
x(1) ≻ x(2) ≻ x(7) ∼ x(8) ≻ x(3) ∼ x(4) ≻ x(5) ≻ x(6)
il peut s’expliquer par : i) la recherche en priorité d’un accord entre plat et
boisson, le vin rouge allant avec la viande et le vin blanc avec le poisson ; la
préférence, en cas d’accord - et aussi en cas de désaccord - de la viande au
poisson ; et iii) une préférence toutes choses égales d’ailleurs de la tarte à la
glace.
Ces préférences sont-elles représentables par une fonction d’utilité additivement séparable? Non, car x(1) ≻ x(5) ⇒ u1 (viande) > u1 (poisson) alors
que x(7) ≻ x(3) ⇒ u1 (poisson) > u1 (viande).
De plus, x(1) ≻ x(3) et x(7) ≻ x(5) , entrainent des exigences contradictoires
pour les valeurs relatives de u2 (vin rouge) et u2 (vin blanc)
En revanche une forme plus grossière (donc moins avantageuse) de décomposition
u(x) = u1,2 (x1 ,x2 ) + u3 (x3 )
reste possible ; il suffit de prendre :
u1,2 (viande, vin rouge) = 6 ; u1,2 (poisson, vin blanc) = 4;
u1,2 (viande, vin blanc) = 2 ; u1,2 (poisson, vin rouge) = 0;
u3 (tarte) = 1; u3 (glace) = 0
2
2
2.1
Indépendance par composants
Indépendance pour un composant
On suppose qu’il y a n attributs indicés par NQ= {1,2, · · · ,n}, que l’ensemble de choix est un ensemble produit X = ni=1 Xi et que la relation
de préférence % est un préordre total sur X .
Soit J ⊂ N, J 6= ∅ un ensemble d’attributs et J¯ = N \J.
xJ est un composant du choix x et xJ¯ le composant complémentaire.
Définition 1. On dit qu’il y a J-indépendance (ou ”indépendance pour le
composant J“) des préférences lorsque
∀xJ ,yJ ∈ XJ , ∀zJ¯,zJ′¯ ∈ XJ¯, (xJ ,zJ¯) % (yJ ,zJ¯) ⇔ (xJ ,zJ′¯) % (yJ ,zJ′¯)
Il existe alors des préférences marginales intrinsèques %J sur XJ , espace
du composant J, définies par :
Définition 2.
∀xJ ,yJ ∈ XJ , xJ %J yJ ⇔ ∃zJ¯ ∈ XJ¯, (xJ ,zJ¯) % (yJ ,zJ¯)
Exemple 2. Reprenons l’exemple précédent :
Premier cas. Il y a J-indépendance ∀J ⊂ N, J 6= ∅.
viande ≻1 poisson ; vin rouge ≻2 vin blanc ; tarte ≻3 glace ;
(viande, vin rouge) ≻{1,2} (viande, vin blanc) ∼{1,2} (poisson, vin rouge) ≻{1,2} (poisson, vin blanc) ;
(viande, tarte) ≻{1,3} (viande, glace) ≻{1,3} (poisson, tarte) ≻{1,3} (poisson, glace) ;
(vin rouge, tarte) ≻{2,3} (vin rouge, glace) ≻{2,3} (vin blanc, tarte) ≻{2,3} (vin blanc, glace).
Deuxième cas. Il n’y a J-indépendance que pour J = {3} et J = {1,2}.
tarte ≻3 glace ; (viande, vin rouge) ≻{1,2} (poisson, vin blanc) ≻{1,2} (viande, vin blanc) ≻{1,2}
(poisson, vin rouge).
2.2
Indépendance par composants
Définition 3. Des préférences (préordre total) sont indépendantes par composants lorsqu’elles sont J-indépendantes pour tout J ⊂ N, J 6= ∅.
Définition 4. Des préférences (préordre total) sont faiblement indépendantes
par composants lorsqu’elles sont {j}-indépendantes pour tout singleton {j}, j ∈
N.
N.B. L’indépendance faible n’est donc qu’une ”indépendance par coordonnées“.
On notera %j pour %{j}
Exemple 3. Toujours dans le même exemple, dans le premier cas, les préférences
sont indépendantes par composants( et a fortiori faiblement indépendantes), alors
que dans le second, elles ne sont même pas faiblement indépendantes, car elles ne
sont ni {1}-indépendantes puisque
3
(viande, vin rouge, tarte) ≻ (poisson, vin rouge, tarte) et
(viande, vin blanc, tarte) ≺ (viande, vin blanc, tarte)
ni {2}-indépendantes, puisque
(viande, vin rouge, tarte) ≻ (viande, vin blanc, tarte) et
(poisson, vin rouge, glace) ≺ (poisson, vin blanc, glace)
2.3
Utilités additivement séparables et indépendance
par composants
2.4
Fonctions d’utilité additivement séparables
Qn
Définition 5. Soit % un préordre total sur un ensemble X ⊆ i=1 Xi , Une fonction d’utilité u représentant % est additivement séparable, lorsqu’il existe des fonctions ui : Xi → R i = 1, · · · ,n) telles que
∀x ∈ X , u(x) = u1 (x1 ) + · · · + ui (xi ) + · · · un (xn )
N.B. on abrégera parfois ”fonction d’utilité additivement séparable“ en ”‘utilité
additive“ et écrira symboliquement u = u1 + u2 + · · · + un .
2.5
Propriétés
Proposition
1. Si la relation de préférence % est un préordre total sur X =
Qn
i=1 Xi représentable par une fonction d’utilité additivement séparable, alors les
préférences sont indépendantes par composants.
Démonstration : Supposons que (xJ ,zJ¯) % (yJ ,zJ¯).
Si
u
séparable,P
P
P
P est additivement
j ∈J
/ uj (zj )
j∈J uj (yj ) +
j ∈J
/ uj (zj ) ≥
j∈J uj (xj ) +
d’où
P
P
j∈J uj (yj )
j∈J uj (xj ) ≥
et
P
P
P
P
′
′
∀zJ′¯ ∈ XJ¯, j∈J uj (xj ) + j ∈J
/ uj (zj ) ≥
j∈J uj (yj ) +
j ∈J
/ uj (zj )
et donc
∀zJ′¯ ∈ XJ¯, (xJ ,zJ′¯) % (yJ ,zJ′¯)
Dans l’exemple ci-dessus, les préférences du deuxième cas, n’étant ni {1}indépendantes ni {2}-indépendantes, ne sont pas représentables par une utilité additive.
Proposition
2. Si la relation de préférence %, est un préordre total sur X =
Qn
i=1 Xi et que ces préférences sont faiblement indépendantes par composants, alors :
(i) ∀i ∈ N, %i est un préordre total ;
(ii) [xi %i yi , ∀i ∈ N ] ⇒ x % y ;
(iii) [xi %i yi , ∀i ∈ N ∃i0 , xi0 ≻i0 yi0 ] ⇒ x ≻ y ;
4
2.6
Conditions nécessaires d’existence d’une utilité additive
Nous nous restreignons ici au cas de deux attributs. L’ensemble de choix est un
sous-ensemble d’un ensemble produit : X ⊆ X1 × X2 . La relation de préférence %
est un préordre total sur X .
Proposition 3. Soit % , préordre total sur X ⊆ X1 × X2 ,représentable par une
fonction d’utilité additivement séparable. Supposons qu’il existe 3 choix de X , a =
(a1 ,a2 ), b = (b1 ,b2 ), c = (c1 ,c2 ) et 3 autres choix, tous aussi dans X , r = (r1 ,r2 ), s =
(s1 ,s2 ), t = (t1 ,t2 ), ayant globalement les mêmes premières et secondes composantes
que les précédents, c-à-d tels que :
(i) le triplet (r1 , s1 , t1 ) soit une permutation du triplet (a1 , b1 , c1 )
et
(ii) le triplet (r2 , s2 , t2 ) soit une permutation du triplet (a2 , b2 , c2 ). Alors
a % r et b % s ⇒ c - t
Démonstration : Soit u = u1 + u2 une utilité additive.
u(a) + u(b) + u(c) = [u1 (a1 ) + u1 (b1 ) + u1 (c1 )] + [u2 (a2 ) + u2 (b2 ) + u2 (c2 )] =
[u1 (r1 ) + u1 (s1 ) + u1 (t1 )] + [u2 (r2 ) + u2 (s2 ) + u2 (t2 )] = u(r) + u(s) + u(t)
[a % r et b % s] ⇒ u(a) + u(b) ≥ u(r) + u(s) ⇒ u(c) ≤ u(t) ⇒ c - t
La condition précédente est connue sous le nom de condition d’annulation
( ”cancellation condition“) d’ordre 3 (C3 ).
Il est clair qu’on pourrait montrer la nécessité de conditions analogues de tous
ordres, (Cm ), faisant intervenir 2m choix.
(C3 ) a plusieurs corollaires intéressants. En particulier
Proposition 4. Dans le cas où X = X1 × X2 ,
(C3 ) entraine que % est indépendante.
Démonstration :
Comme n = 2, les préférences sont indépendantes si et seulement si elles sont {j}indépendantes, j = 1,2.
Montrons qu’elles sont {1}-indépendantes, c-à-d que
(x1 ,z2 ) % (y1 ,z2 ) ⇔ (x1 ,z2′ ) % (y1 ,z2′ ). Il suffit de prendre a = (x1 ,z2 ), r =
(y1 ,z2 ), b = s quelconques, c = (y1 ,z2′ ), t = (x1 ,z2′ ) et d’appliquer (C3 ).
On montrerait de même que les préférences sont {2}-indépendantes.
Un autre corollaire évident (il suffit d’utiliser x ∼ y ⇔ x % y et y % x) est que,
sous les hypothèses de la proposition,
a ∼ r et b ∼ s ⇒ c ∼ t
En considérant des configurations particulières, on obtient la condition de Thomsen,
dite encore ”‘propriété de l’hexagone“.
Proposition 5. condition de Thomsen. Soit % , préordre total sur X ⊆ X∞ ×
X∈ , représentable par une fonction d’utilité additivement séparable. Soit x1 ,y1 ,z1 ∈
X1 , x2 ,y2 ,z2 ∈ X2 et tels que (x1 ,x2 ), (y1 ,y2 ), (y1 ,z2 ), (z1 ,x2 ), (z1 ,y2 ), (x1 ,z2 ), ∈ X .
Alors
[ (x1 ,x2 ) ∼ (y1 ,y2 ) et (y1 ,z2 ) ∼ (z1 ,x2 ) ] ⇒ (z1 ,y2 ) ∼ (x1 ,z2 )
Démonstration Il suffit d’appliquer (C3 ) à a = (x1 ,x2 ), r = (y1 ,y2 ), b = (y1 ,z2 ), s =
(z1 ,x2 ), c = (z1 ,y2 ) et t = (x1 ,z2 ).
5
X2
z2
B
T
S
x2
A
C
y2
R
x1
y1
z1
X1
Fig. 1 – Propriété de l’hexagone (Thomsen)
2.7
Recherche de conditions suffisantes d’existence d’une utilité additive
Nous allons essayer de trouver une méthode de construction effective d’une utilité additive, que l’on pourrait appliquer à des décideurs réels.
Nous nous plaçons dans le cas où X = X1 × X2 . Nous supposons qu’il y a un
préordre total de préférence et que les conditions nécessaires obtenues ci-dessus sont
satisfaites :
(i) {j}-indépendance pour j = 1,2 et donc existence de préférences marginales %1
sur X1 et %2 sur X2 , que l’on supposera non-triviales (c-à-d telles que tous les
éléments de Xj ne soient pas ∼j -indifférents les uns aux autres);
(ii) validité de la condition de Thomsen.
Pour que cette condition soit vraiment utile, il faut qu’il soit facile d’obtenir
des ∼ -indifférents. L’hypothèse de solvabilité va y pourvoir.
Définition 6. La relation % dans X ⊆ X1 × X2 satisfait la propriété de solvabilité
lorsque :
(i) ∀x = (x1 ,x2 ) ∈ X , ∀y1 ∈ X1 , ∃y2 ∈ X2 t.q. y = (y1 ,y2 ) ∈ X et y ∼ x
(solvabilité par rapport au deuxième attribut) ;
(ii) ∀x = (x1 ,x2 ) ∈ X , ∀z2 ∈ X2 , ∃z1 ∈ X1 t.q. z = (z1 ,z2 ) ∈ X et z ∼ x
(solvabilité par rapport au premier attribut).
Ce n’est pas une condition nécessaire ; elle a peu de chances d’être réalisée, même
si X = X1 × X2 lorsque X1 et X2 ne sont pas des ensembles connexes, en particulier
quand ils sont finis.
6
x2
X
Z
z2
Y
y2
x1
z1
y1
Fig. 2 – Solvabilité
2.7.1
Construction de séquences standard
Remarquons d’abord que si v = v1 + v2 est une utilité additive sur X = X1 × X2
représentant %, il existe une autre utilité additive u = u1 + u2 satisfaisant
- en (x01 ,x02 ) quelconques, u1 (x01 ) = u2 (x02 ) = 0
-et en x11 ≻1 x01 , u1 (x11 ) = 1.
Cela vient de ce que, pour des constantes a > 0, b1 et b2 quelconques, u donnée par
u(x1 ,x2 ) = a.v(x1 ,x2 ) + [b1 + b2 ] = [a.v1 (x1 ) + b1 ] + [a.v2 (x2 ) + b2 ], est une telle
utilité et qu’il suffit de prendre pour a, b1 et b2 l’unique solution de :
a.v1 (x01 ) + b1 = 0 ; a.v1 (x11 ) + b1 = 1 ; a.v2 (x02 ) + b2 = 0,
c-à-d : a = [v1 (x11 ) − v1 (x01 )]−1 > 0; b1 = −a.v1 (x01 ); b2 = −a.v2 (x02 ).
Essayons de construire une utilité additive u = u1 + u2 satisfaisant
u1 (x01 ) = u2 (x02 ) = 0 et u1 (x11 ) = 1.
Utilisant de manière répétée la solvabilité, nous pouvons construire une suite d’éléments
xk2 de X2 tels que :
(x01 ,x12 ) ∼ (x11 ,x02 ) ; (x01 ,x22 ) ∼ (x11 ,x12 ) ; (x01 ,xk+1
) ∼ (x11 ,xk2 ) ; etc.
2
Nécessairement, ∀k ∈ N, u2 (xk2 ) = k. Notons que u2 croı̂t avec ≻2 sur la
séquence. Remarquons aussi que l’on connaı̂t à une unité près l’utilité u2 (x2 ) de
tout x2 de X2 tel que x2 %2 x02 et que x2 -2 xk20 pour un k0
On peut évidemment opérer de manière semblable sur le premier attribut à
partir de x01 et du couple x02 ,x12 .
Soit K ∈ N∗ ∪ {+∞}. On dit qu’une suite (xki )0≤k≤K est une séquence standard
croissante pour l’attribut i lorsque ∀k < K, (x0î ,xk+1
) ∼ (x1î ,xki ) ,
i
avec î = 1 si i = 2 et inversement.
Elle est dite finie si K 6= +∞, infinie sinon.
7
La solvabilité par rapport à un attribut entraı̂ne donc l’existence d’une séquence
standard croissante infinie pour cet attribut.
On dit que % est archimédienne à droite lorsque pour tout y ∈ X , toute
séquence standard infinie , (xki )0≤k≤K , est telle que ∃k ∗ ∈ K tel que (xki ,x0î ) ≻ y.
Cette propriété est dite ”archimédienne“ parce qu’elle généralise celle du même
nom de N : ∀m,n ∈ N∗ ,∃k ∈ N∗ ,k.n > m
On définirait de façon analogue les séquences standard décroissantes et la propriété archimédienne à gauche. On dit que % est archimédienne lorsqu’elle est
archimédienne à la fois à droite et à gauche.
2.7.2
Construction d’un maillage
En utilisant la solvabilité par rapport au deuxième attribut, nous avons obtenu
une séquence standard infinie (xk2 ) k∈N telle que ∀k ∈ N, u2 (xk2 ) = k.
La solvabilité par rapport au premier attribut permet de construire de même
une séquence standard infinie, commençant par x01 et x11 , (xj1 ) k∈N telle que, si u
est additive, nécessairement ∀l ∈ N, u1 (xl1 ) = l ; de plus, u1 croı̂t avec ≻1 sur la
séquence.
Considérons alors la fonction u définie en tout point (xl1 ,xk2 ), j,k ∈ N par u(xl1 ,xk2 ) =
u=3
B
x22
u = 4?
u=2
A ∼ B?
A
x12
u = 4?
u=1
x02
x01
x21
x11
x31
u=0
Fig. 3 – maillage
u1 (xl1 ) + u2 (xk2 ) = l + k ; c’est évidemment une fonction additivement séparable ;
8
mais est-ce bien une fonction d’utilité représentant la restriction de % à ces points?
Prenons par exemple les points (x21 ,x12 ) et (x11 ,x22 ) pour lesquels u vaut 3 ;
a-t-on bien (x21 ,x12 ) ∼ (x11 ,x22 )? La condition de Thomsen, appliquée aux triplets
(x11 ,x02 ), (x01 ,x22 ), (x21 ,x12 ), d’une part, (x01 ,x12 ), (x21 ,x02 ), (x11 ,x22 ), d’autre part, permet
de répondre par l’affirmative.
Un raisonnement par récurrence permettrait de vérifier que tous les points du
maillage où u prend une même valeur sont ∼-indifférents entre eux.
Comme de plus u1 et u2 croissent avec ≻1 et ≻2 , u est bien une utilité sur le maillage.
L’hypothèse que % est archimédienne (à droite) entraı̂ne que %1 et %2 le sont
dans X1 et X2 respectivement,et donc que le maillage précédent couvre {(x1 ,x2 ) ∈
X : x1 %1 x01 et x1 %2 x02 }. On obtiendra un maillage recouvrant tout X en
construisant aussi des séquences standards décroissantes sur X1 et X2 si % est aussi
archimédienne à gauche.
2.7.3
Resserrement du maillage
Il faut pouvoir passer à une maille plus fine. C’est possible si la propriété suivante, qui est une propriété de ”double solvabilité“, plus complexe que la solvabilité
rencontrée ci-dessus :
Définition 7. La relation % dans X = X1 × X2 satisfait la propriété de double
solvabilité lorsque :
∀x1 ,y1 ∈ X1 , x2 ,y2 ∈ X2 , tels que y1 ≻1 x1 et y2 ≻2 x2 et (x1 ,y2 ) ∼ (x2 ,y1 ),
∃z1 ∈ X1 , z2 ∈ X2 tels que (x1 ,z2 ) ∼ (z1 ,x2 ) et (z1 ,z2 ) ∼ (x1 ,y2 ) [∼ (x2 ,y1 )].
Il résulte en particulier de cette propriété que ∃z1 ,z2 tels que (x01 ,z2 ) ∼ (z1 ,x02 )
et (z1 ,z2 ) ∼ (x01 ,x12 ) ∼ (x11 ,x12 ).
Une utilité additive u = u1 + u2 vérifiera nécessairement : u1 (z1 ) = u2 (z2 ) = 12 .
Inversement on pourra étendre la fonction u construite à un maillage deux fois
plus fin que le précédent, où u1 et u2 prendra toutes les valeurs n2 ,n ∈ N, puis
p
2 ,p ∈ Z, en intercalant par double solvabilité, des éléments entre tous les éléments
consécutifs des séquences standard, croissantes et décroissantes, de X1 et X2 .
Il est clair que l’on peut itérer l’opération précédente autant de fois qu’on le
souhaite et obtenir ainsi un encadrement à 21n près de tout u1 (x1 ) et tout u2 (x2 ).
Les observations précédentes peuvent servir de base à une démonstration constructive du théorème suivant, dont il existe plusieurs versions voisines (Krantz, Luce,
Tukey, Fishburn):
Proposition 6. Des conditions suffisantes pour qu’un préordre total % sur X =
X1 × X2 , soit représentable par une fonction d’utilité additivement séparable sont
que les préférences
(i) soient {j}-indépendantes, pour j = 1,2 ;
(ii) satisfassent la condition de Thomsen ;
(iii) satisfassent la solvabilité par rapport aux deux attributs ; et
(iii) soient archimédiennes.
9
2.7.4
Existence d’une utilité séparable sous solvabilité restreinte
Nous avons remarqué le caractère irréaliste pour beaucoup d’applications de la
solvabilité. Voyons une propriété plus faible.
Définition 8. La relation % dans X ⊆ X1 × X2 satisfait la propriété de solvabilité
restreinte lorsque :
(i) ∀x = (x1 ,x2 ) ∈ X , ∀y1 ∈ X1 t.q. ∃y2+ , y2− ∈ X2 t.q. (y1 ,y2+ ) % x % (y1 ,y2− ),
∃y2 ∈ X2 t.q. y ∼ x(solvabilité restreinte par rapport au deuxième attribut) ;
(ii) ∀x = (x1 ,x2 ) ∈ X , ∀z2 ∈ X2 t.q. ∃z1+ , z1− ∈ X1 t.q. (z1+ ,z2 ) % x % (z1− ,z2 ),
∃z1 ∈ X1 t.q. z ∼ x (solvabilité restreinte par rapport au premier attribut).
X
y2+
x2
y2
y2−
x1
y1
Fig. 4 – solvabilité restreinte
Le théorème précédent s’étend bien au cas de la solvabilité restreinte, car on
peut la substituer à la solvabilité à condition d’y rajouter l’hypothèse d’essentialité
des attributs, c-à-d de supposer qu’aucun des préordres %1 et %2 n’est trivial. Ce
résultat est dû à Krantz, Luce, Suppes et Tversky.
Proposition 7. Des conditions suffisantes pour qu’un préordre total % sur X =
X1 × X2 , soit représentable par une fonction d’utilité additivement séparable sont
que les préférences
(i) soient {j}-indépendantes, pour j = 1,2, avec %1 et %2 essentiels ;
(ii) satisfassent la condition de Thomsen ;
(iii) satisfassent la solvabilité restreinte par rapport aux deux attributs ; et
(iii) soient archimédiennes.
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