Chirurgie de renforcement scléral contre la myopie
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Chirurgie de renforcement scléral contre la myopie
Notes sur les technologies de la santé en émergence numéro 39 septembre 2002 Chirurgie de renforcement scléral contre la myopie pathologique Sommaire 9 La myopie pathologique est la septième cause de cécité en importance aux ÉtatsUnis, où 2 % de la population souffre de la maladie. Il n’y a pas de statistiques canadiennes à ce sujet. 9 La myopie pathologique comprend l’élongation du globe oculaire, phénomène que la chirurgie de renforcement scléral vise à juguler. La technique la plus courante consiste à greffer une bande de tissu scléral prélevée de l’œil d’un donneur autour du globe oculaire pour éviter qu’il ne se distende davantage. 9 Compte tenu de la variabilité des plans d’essai clinique et des caractéristiques des patients, il ressort du présent examen que les données probantes disponibles ne suffisent pas à établir l’efficacité clinique de l’intervention. 9 Il faudra réunir des données probantes plus solides, en se fondant sur des techniques et des mesures de résultats normalisées, pour effectuer une évaluation significative de la chirurgie de renforcement scléral. La technologie La myopie pathologique comprend l’élongation du globe oculaire. La chirurgie de renforcement scléral vise à renforcer progressivement la sclérotique (membrane blanche qui entoure le globe oculaire), qui s’amincit, et à éviter que le globe oculaire ne se distende davantage. En 1958, Borley et Snyder ont signalé la première utilisation de cette intervention, qui faisait appel à du tissu scléral prélevé chez des donneurs, et a été effectuée auprès de neuf patients aux États-Unis1. Un rapport de suivi présenté par Miller et Borley en 1964 résumait 63 cas2. L’intervention sur laquelle portaient ces rapports était complexe et a entraîné une augmentation des complications dans plusieurs yeux opérés. Au cours des années 70, Snyder et Thompson ont décrit la mise en application d’une technique simplifiée de renforcement scléral (la technique Snyder-Thompson) dans 62 cas au total3,4. Les modifications apportées au protocole chirurgical comprenaient l’élimination de la résection sclérale et le recours à la cryochirurgie (froid intense) plutôt qu’à la diathermie (chaleur) pour traiter la dégénérescence rétinienne périphérique. La technique Snyder-Thompson comprend la greffe de tissu scléral prélevé chez des donneurs. Le greffon est implanté sous les quatre muscles qui entourent l’œil, sur la courbure postérieure du globe oculaire du patient3,4. Stade de la réglementation Les techniques chirurgicales ne sont pas assujetties à des règlements uniformes. On ne connaît pas de chirurgien qui pratique la chirurgie de renforcement scléral au Canada. Les écrits indiquent qu’il y a au monde au moins sept centres dans lesquels cette intervention est pratiquée. Groupe cible La myopie pathologique peut toucher un œil ou les deux yeux et son apparition est liée à une prédisposition héréditaire5. Elle apparaît habituellement avant l’adolescence et se caractérise par une élongation du globe oculaire, qui continue à se distendre avec l’âge, ce qui entraîne une myopie progressive, c.-à-d. de la difficulté à voir de loin. Dans bon nombre de cas, cette modification anatomique conduit à de graves complications et à une perte de vision centrale. Généralement, les nouveaux vaisseaux sanguins (néovascularisation) qui se développent anormalement sous la rétine et causent l’hémorragie, l’œdème, la cicatrisation ou le décollement rétiniens abîment la macula (petite partie de la rétine dont dépend la vision centrale)5. La technique SnyderThompson a été mise en application chez des patients présentant (1) une myopie dont la mesure s’établit à plus de 7 à 8 dioptries (D); (2) une baisse de vision; (3) une augmentation de la longueur axiale; (4) une dégénérescence maculaire accrue4. L’Office canadien de coordination de l’évaluation des technologies de la santé (OCCETS) est un organisme sans but lucratif financé par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. (www.ccohta.ca) La prévalence de la myopie pathologique varie beaucoup d’un pays à l’autre5. La myopie pathologique est la septième cause de cécité en importance aux États-Unis, où 2 % de la population souffre de la maladie5. Il n’y a pas de statistiques canadiennes à ce sujet. Pratique courante On ne connaît pas de traitement efficace qui permette d’interrompre la progression de la myopie pathologique. Les modalités thérapeutiques actuellement adoptées, qui s’attaquent seulement aux complications de la maladie, comprennent la correction de la vue6, la pharmacothérapie contre la néovascularisation7 et le traitement au laser ou la chirurgie contre le décollement de la rétine5,8. Données probantes Dans le cadre de cette évaluation de la chirurgie de renforcement scléral, on a recensé huit études : deux études effectuées en Russie9-14, dont rendaient compte six publications; deux études provenant de deux centres aux ÉtatsUnis15,16; et quatre études effectuées respectivement en Australie17, en Chine18, en Hongrie19 et en Slovaquie20. Six études portaient sur la technique Snyder-Thompson9,15,17-20, tandis que deux études12,16 portaient sur le protocole chirurgical élaboré par Curtin aux États-Unis, dans lequel le fascia lata de la jambe est utilisé comme greffon. Les huit études ont décrit au total 2 537 interventions. Dans cinq études9,12,17,18,20, la chirurgie a été pratiquée dans les deux yeux de 17 % à 87 % des participants. L’âge des patients variait de 2 à 62 ans dans les six études. Quatre études étaient des séries de cas15,17,19,20. Par ailleurs, dans trois études, les constatations relatives aux yeux dans lesquels l’intervention avait été pratiquée ont été comparées avec celles ayant trait aux yeux non opérés, qui faisaient fonction de témoins9,12,16. Dans l’étude effectuée en Chine par Wang (1996)18, trois groupes faisaient l’objet de la comparaison : les cas, les témoins et des participants ayant subi une kératotomie radiaire (intervention chirurgicale qui suppose une incision de la cornée). Au total, plus de 40 % des interventions ont été pratiquées chez des enfants ou des adolescents. Cinq études9,15-17,20 utilisaient, seuls ou en combinaison avec d’autres greffons, des tissus scléraux prélevés chez des donneurs, et quatre études12,16,19,20 faisaient appel à du fascia lata. La peau de porc constituait le principal type de tissu greffé dans une étude20. Dans sept études, la myopie mesurée au départ variait de 6 D à 39 D et progressait annuellement à une cadence d’au moins 0,5 D. Sept études ont fait état d’un suivi, dont la durée variait de trois mois à 16 ans. À la consultation de suivi, le nombre de cas s’établissait à 1 932 (76 %). Dans quatre études, on a observé une stabilisation ou une amélioration de l’acuité visuelle dans au moins 85 % des cas après un recul d’au plus 14 ans12,15,17,20. Quatre études ont fait état de modifications au chapitre de la réfraction qui ont été constatées à la consultation de suivi9,12,16,20. Une étude effectuée par Avetisov (1997)9 auprès de patients de 8 à 15 ans a signalé une stabilisation (progression de 2 D ou moins au cours du suivi) dans 867 des 906 cas (96 %) après un an et dans 651 des cas (72 %) après sept ans. Les résultats correspondants s’établissaient à 219 (69 %) et à 106 (33 %) parmi les 318 cas témoins. L’avantage relatif de la chirurgie de renforcement scléral s’établissait à 1,4 (1,3 à 1,5) après un an, et à 2 (1,8 à 2,5) après sept ans. Il a fallu pratiquer une deuxième intervention dans 18 cas (2 %), dont la progression annuelle était supérieure à 1 D après la première chirurgie. Dans 31 autres cas (3 %) dont la progression annuelle était inférieure à 1 D, on a recouru à une méthode non chirurgicale (voir ci-dessous, sous la rubrique « activités dans le domaine ») suite à la première chirurgie9. Une analyse antérieure portant sur 256 cas parmi 219 patients (de 7 à 48 ans), qui a été réalisée dans le même centre en Russie, a permis de cerner un certain nombre de caractéristiques de base qui ont eu une incidence négative sur les résultats de la chirurgie10,11. Ces caractéristiques comprenaient l’apparition précoce de la myopie, l’enfance, un taux de progression important (1,5 à 2 D/année), la récessivité et la présence d’une affection concomitante11. Curtin (1987)16 a signalé une modification moyenne de la réfraction à la fin du suivi de huit ans qui s’est établie à 0,77 D dans 23 cas (comparativement à 0,71 D dans 20 cas témoins) par rapport aux données de base. Dans cette étude, 74 % des patients avaient de 8 à 18 ans (âge moyen de 11 ans). Une étude effectuée par Gerinec (2001)20, dans laquelle l’âge des patients variait de 8 à 18 ans, a signalé une modification de 1,28 D suite à un suivi moyen de quatre ans (-10,96 D avant la chirurgie c. -12,24 D après la chirurgie). Quatre études, dont deux comprenaient un groupe témoin16,18, ont fait état de changements de la longueur axiale. Suite à un suivi d’au plus huit ans après la chirurgie, on n’a pas constaté de différence globale importante entre les cas et les témoin. s. Effets indésirables Six études ont signalé des complications postopératoires, lesquelles se sont présentées dans 111 des 1 565 cas (7 %)9,12,15-17,20. Dans près de la moitié des cas, il s’agissait d’une inflammation aiguë des muscles oculaires. Dans L’Office canadien de coordination de l’évaluation des technologies de la santé (OCCETS) est un organisme sans but lucratif financé par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. (www.ccohta.ca) les études, les complications importantes comprenaient l’hémorragie ou le décollement rétiniens (9 cas)12,16 et des troubles de mobilité oculaire (strabisme) (4 cas)9,16. Administration et coût L’ophtalmoscopie indirecte, les mesures échographiques, l’angiogramme à la fluorescéine et les mesures de la réfraction et de l’acuité sont au nombre des examens qui précèdent et suivent la chirurgie de renforcement scléral3-5. L’intervention, qui recourt à des greffons de tissu scléral, est pratiquée sous anesthésie générale. Il faut tenir le patient sous observation, à l’hôpital, la nuit suivant l’intervention. À l’heure actuelle, on ne dispose pas d’estimation des coûts de la chirurgie de renforcement scléral. Taux d’utilisation Il y a peu de chirurgiens et de centres qui pratiquent cette intervention dans le monde. Les critères de sélection des patients sont variables, de même que les indications de la chirurgie. Le type et la taille du greffon, la technique chirurgicale et l’expérience du chirurgien pourraient avoir une incidence sur les résultats de l’intervention3. Activités dans le domaine On a utilisé toutes sortes de greffons scléraux, y compris de la sclérotique prélevée chez des donneurs, du fascia lata, du collagène21, du mersilène22, du polytétrafluoréthylène (Gore-TexMC)23,24 et de la silicone25. Des méthodes non chirurgicales ont également fait l’objet d’examens. L’une de ces méthodes consiste à injecter du polymère liquide derrière la surface de la sclérotique. Suite à la polymérisation, une couche de gel mousse élastique se forme sur la sclérotique9. On a signalé que l’effet thérapeutique de cette technique est limité dans les cas de myopie plus grave (réfraction supérieure à 10 D)9. Questions d’implantation On a fait état d’un ralentissement de l’évolution de la myopie progressive dans deux tiers des cas, suite à une chirurgie de renforcement scléral, au cours d’un suivi de 14 ans. Les constatations actuelles ne sont toutefois pas convaincantes, en raison de la faiblesse des essais cliniques sur le plan de la conception et de la perte au suivi d’à peu près le quart des sujets qui ont subi l’intervention. De plus, les caractéristiques de base des patients varient beaucoup d’un essai clinique à l’autre. Globalement, les données probantes disponibles ne suffisent pas à établir l’efficacité clinique de l’intervention. Ces études mettent au jour un certain nombre de facteurs qui pourraient jouer sur les résultats de l’intervention, y compris l’importance de la dégénérescence myopique, l’âge du patient et le taux de progression de la myopie. Il faudra toutefois réunir des données plus solides, en se fondant sur des techniques et des mesures de résultats normalisées, pour effectuer une évaluation significative de la chirurgie de renforcement scléral. Références 1. Borley WE, Snyder AA. 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Professeur de médecine familiale (retraité) Université Western Ontario London (Ontario) ISSN 1488-6332 (en ligne) ISSN 1486-2972 (imprimé) Numéro de la convention de poste-publications : 40026386 L’Office canadien de coordination de l’évaluation des technologies de la santé (OCCETS) est un organisme sans but lucratif financé par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. (www.ccohta.ca)