HISTOIRE et MEMOIRE au HWK Les commémorations de la Grande

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HISTOIRE et MEMOIRE au HWK Les commémorations de la Grande
HISTOIRE et MEMOIRE au HWK
Les commémorations de la Grande Guerre 1914-1918 ravivent le vieux débat de savoir si elles
relèvent de la mémoire ou de l’histoire.
L’histoire traite d’événements avérés dans un cadre espace-temps donné, enrichis et parfois contredits par
de nouvelles connaissances (archéologie, archives, découvertes…) qui en renforcent la véracité et lui
confèrent son objectivité. L’historien reconstitue ainsi la réalité humaine et évènementielle d’un passé qu’il
met en perspective.
L'histoire n'est toutefois pas une science exacte et laisse sa part à l'interprétation à cause de la place prise
par la psychologie de ses acteurs et les ressorts de l'action humaine sans l’étude desquels elle ne serait
qu'une compilation de faits et de dates dénuée de sens.
Mais l’histoire reste en tout cas pédagogique parce qu’elle propose en permanence la
meilleure intelligence des faits possible à mesure que le savoir s’enrichit et s’apure. La vérité historique est
ainsi « démocratique » parce qu’elle s’impose et est ouverte à tout le monde.
La mémoire quant à elle est une interprétation, sinon une réécriture de l’histoire, qui obéit aux règles
principales suivantes: à son activation dans un présent immédiat, dans un a priori d’autant moins
critique qu’elle a lieu pendant une période de grandes commémorations ; à l’éducation reçue, la culture,
l’affectivité et la psychologie; à une mauvaise compréhension des faits par manque de connaissances
suffisantes ; à la malhonnêteté intellectuelle en cas d’instrumentalisation de la mémoire au service et sous
la férule de la pensée dominante.
La mémoire déforme intentionnellement ou non le fait historique, et a pour paroxysmes la légende, et pour
déviance, le dogme. Sa fugacité fait qu’elle ne s’exerce que dans un temps généralement restreint et un
cadre donné, pour une catégorie plus ou moins importante de personnes. Elle fait une lecture subjective,
protéiforme, déformante, parfois aveuglante de l’histoire. En tant que produit de l’histoire, elle est teinte
d’histoire, mais n’est pas l’histoire. Elle n’est pas universelle, mais le fait d’une seule personne, d’une seule
collectivité ou d’un seul peuple.
Paul Ricoeur (Philosophe. 1913-2005) écrit ainsi : « Je reste troublé par l’inquiétant spectacle que donne
trop de mémoire ici, le trop d’oubli ailleurs, pour ne rien dire de l’influence des commémorations et des
abus de mémoire et d’oubli ».
Se pose ainsi la question du « devoir de mémoire » expression malheureuse tant employée de nos
jours. C’est une sorte de slogan dogmatique, de caractère pavlovien dans ses mises en œuvre cérémonielles
et ses « discours officiels », qui est polémique pour plusieurs raisons : soit parce que le devoir de
mémoire implique une obligation qui force la mémoire là où elle devrait pouvoir s’exercer librement ; soit
parce que le poids de ce devoir heurte des sensibilités, des cultures et des mémoires différentes; soit parce
que la mémoire joue à un moment donné un rôle politique et diplomatique plus confortable que l’histoire
des faits et devient alors sélective, partisane voire négationniste ; soit enfin parce qu’elle s’oppose à
l’éducation personnelle reçue depuis l’enfance, racine profonde très difficile à extirper de l’esprit humain
qui répugne à se remettre fondamentalement en cause, même devant l’évidence des faits.
L’histoire est-elle bonne ? La réponse est évidemment oui, surtout dans sa vérité la plus crue, seule
porteuse d’enseignement. Mais on dit de plus en plus rarement le fait, par omission ou suppression, à cause
du poids extrême et faussement moral qu’ont pris aujourd’hui certains mots de caractère « mémoriel ».
La mémoire est-elle mauvaise ? La réponse est évidemment non puisqu’elle nous constitue autant sinon
davantage que l’histoire parce qu’elle en est le produit et qu’on ne peut pas non plus faire table rase de sa
propre subjectivité ni de son éducation. Mais encore faut-il discerner entre la « bonne mémoire » qui a pour
honnêteté de ne pas s’ériger en dogme et qui est de caractère filial, et la « mauvaise mémoire » qui évolue
en permanence et se fossilise en couches successives et différentes au fil du temps et des modes de pensée,
et s’éloigne de sa matrice historique pour n’en plus devenir qu’une caricature.
On se situe ainsi personnellement et collectivement dans la permanence de l’opposition histoire / mémoire,
l’une disant « la » vérité, l’autre « sa » vérité. Et il se trouve que la vérité mémorielle l’emporte le plus
souvent sur la vérité historique par son poids affectif, mais aussi par une faiblesse, facile à influencer, de la
pensée et de la culture générale historique. La mémoire s’instrumentalise alors et remplace l’histoire par
une bien-pensance imposée en un « devoir de mémoire » devenu miroir déformant de l’histoire.
Triple peine pour la vérité historique, l’honnête homme et l’historien. Et pente facile, parfois scandaleuse,
quand ceux qui, disposant des moyens lourds de l’information ne remplissent pas leur mission culturelle, et
omettent, biaisent, désinforment ou manipulent pour forcer l’histoire à coller à l’esprit du temps. C’est la
« dictature de la mémoire » qui écrit une pseudo-histoire et l’impose comme vérité.
Peut-on réconcilier histoire et mémoire ?
L’une explique et éclaire, l’autre ressent. L’histoire et la mémoire franco-allemandes depuis 1870 sont
exemplaires de cette différence. L’histoire franco-allemande a tout dit et sa connaissance ne peut plus guère
progresser, sauf éventuels nouveaux apports. La mémoire en revanche parle différemment selon qu’on se
situe ici ou là des deux côtés du Rhin, en particulier en Alsace (et une partie de la Lorraine) dont l’histoire
partagée remonte à l’époque romaine et la mémoire sensible au dernier siècle et demi particulièrement
difficile.
On peut toutefois avancer que la mémoire « humanise » l’histoire, lui donne son caractère vivant et la
« colorie », et tant qu’elle ne la « farde » pas, on peut admettre qu’un peu de mémoire ne nuit pas à
l’histoire, en fera de toute façon partie et la rend plus accessible et humaine. Mais son excès non bordé par
l’histoire est toujours cause de polémiques et d’effets destructeurs à plus ou moins long terme.
La remise en valeur du haut lieu du HWK aboutit à une réconciliation de l’histoire et de la mémoire
parce qu’elle réintègre et remet en valeur l’histoire de la Grande Guerre locale en montrant de façon
pédagogique des faits avérés, connus, exactement répertoriés, encore visibles sur le champ de bataille, non
sujets à des réécritures mémorielles.
Et on y peut par ailleurs « faire mémoire » sans risquer de se tromper parce qu’elle se fonde là sur des
valeurs subjectives transcendantes et communément reconnues qui se sont exprimées dans les deux camps
jusqu’à leur paroxysme, mais de façon « chevaleresque ». Courage contre courage, abnégation contre
abnégation, sens du devoir contre sens du devoir, patriotisme contre patriotisme, force contre force,
humanité envers les prisonniers, honneurs aux vaincus, respect des morts. L’histoire et la mémoire des
soldats s’y confondent et s’y enrichissent sans s’opposer l’une à l’autre, dans un juste équilibre qu’il
convient de respecter. C’est un cas suffisamment rare pour le souligner.
On se bat en effet au HWK pour la possession d’un sommet d’importance bien peu stratégique, mais dont
l’ascendance morale est telle sur les combattants et leurs chefs qu’elle conduit à l’hécatombe. « Qui tient le
sommet gagne la guerre !». On est là bien éloigné du « Je les grignote » français ou du « Saigner à blanc
l’armée française » allemand à Verdun. Au HWK, on se bat presque pour l’honneur, bien que sans
aveuglement sur le coût humain de cet honneur qui aboutira à figer les combattants dans leurs tranchées de
pierres début 1916, à quelques mètres les uns des autres sur le sommet, dans un statu quo de maintien des
positions, régulièrement meurtrier jusque 1918, mais sans plus de grands combats qui ont pu causer par
exemple l’anéantissement des quelque deux mille cinq cents Diables Rouges du 152° Régiment
d’Infanterie en une journée et une nuit de décembre 1915.
La mémoire et l’histoire sont « propres » au HWK et c’est pourquoi on y a toujours commémoré et dit
l’histoire de façon apaisée. C’est encore pourquoi, sans anachronisme ni distorsion, on y peut aujourd’hui
introduire officiellement la dimension franco-allemande, geste extrêmement fort et sensible en Alsace, et
encore plus symbolique dans l’un des quatre hauts lieux nationaux de la Grande Guerre.
La construction du premier historial franco-allemand de la Grande Guerre et la dédicace du site du HWK à
l’amitié franco-allemande sont la conséquence directe et logique de cette introduction, voulue par les deux
pays, et prouvent que la réconciliation de l’histoire et de la mémoire est possible.
C’est pourquoi les deux Présidents de la République Française et de la République Fédérale d’Allemagne
viendront le 3 août 2014 y commémorer ensemble le début de la Grande Guerre, cent ans jour pour jour
après sa déclaration.
« De la mémoire à l’histoire » : c’est ainsi que le Comité du HWK accueille le visiteur et lui indique qu’il
peut croire en toute confiance ce qui lui est montré, et qu’il pénètre dans un espace où sa mémoire ne
trouvera pas à redire parce qu’elle respecte l’histoire.
La liturgie de la beauté naturelle du site et de la solennité pudique et grave de l’architecture et des
sculptures du Monument National forceront en outre son admiration et son respect et l’emporteront
infailliblement dans une dimension sacrée.
Général (2S) Bernard Cochin,
Président du Comité du Monument National du HWK. 2014

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