AMP : mener à terme son désir d`enfant

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AMP : mener à terme son désir d`enfant
par Sandra Serrepuy
AMP : mener à terme
son désir d’enfant
Depuis dix ans, des centres d’aide médicale à la procréation permettent aux couples
infectés par le VIH d’avoir des enfants sans risque de contamination. Avec en moyenne plus
de 130 enfants nés chaque année en France, c’est une petite révolution qui s’est opérée.
A
voir un enfant devrait être l’acte le plus naturel du
monde. Pierre Jouannet a longtemps été responsable du Centre d’études et de conservation des
œufs et du sperme (Cecos) de l’hôpital Cochin (Paris).
Pour lui, en matière de VIH, « on aura vraiment progressé quand les couples pourront faire un enfant seuls,
chez eux, sans avoir besoin d’un médecin pour procréer
sans risque ». En 2011, cet idéal n’est pas atteint. Pour
autant, depuis la fin des années 1990, « les couples
concernés par le VIH se voient proposer des solutions
efficaces », selon Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l’Agence de la biomédecine. En 2009,
les douze centres compétents en la matière sur le territoire
français (voir encadré p. 29) ont réalisé 1 044 tentatives d’assistance médicale à la procréation (AMP) – soit
moins de 1 % des tentatives d’AMP en France –, donnant
naissance à 131 enfants, « dont 92 dans la situation où
seul l’homme est infecté par le VIH », apprend-on par
le dernier rapport médical et scientifique de l’Agence de
la biomédecine.
Une autorisation récente. Cette activité, stable depuis
plusieurs années, permet à ces couples d’avoir un
enfant dans les meilleures conditions, en protégeant
le conjoint et l’enfant à naître de la contamination.
« Dans les années 1980, nous recevions des demandes
d’hommes séropositifs qui souhaitaient bénéficier d’une
procréation par don de sperme. Ils n’étaient pas stériles, mais voulaient éviter la contamination de la mère
et de l’enfant », se souvient Pierre Jouannet. C’est dans
ce contexte que l’hôpital Cochin, au début des années
1990, a commencé à travailler sur ce sujet. « Ce n’était
pas sans poser des questions éthiques », précise Pierre
Jouannet. Les professionnels de santé craignaient en
effet d’être les complices de situations dans lesquelles
des enfants qu’ils aideraient à concevoir et à naître
deviendraient des orphelins. Mais l’arrivée des trithérapies, en modifiant le pronostic vital des personnes vivant
avec le VIH, a permis à ces dernières d’envisager de
fonder une famille. Les spécialistes ont mis au point des
techniques de tri des spermatozoïdes et les premières
AMP où l’homme était infecté mais pas la femme ont
été réalisées. Si lointaines que semblent ces premières
tentatives, il faut garder à l’esprit que l’AMP en contexte
viral n’a été autorisée en France qu’en 2001, il y a tout
juste dix ans.
Un processus qui prend du temps. Il s’agit donc d’une
toute jeune technique, mais qui offre une sécurité certaine aux couples qui en bénéficient. Cette sécurité a un
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– Être un couple hétérosexuel marié ou ayant une vie commune depuis au moins de deux ans ;
– Être en âge de procréer (avoir moins de 43-45 ans pour la femme et moins de 55-60 ans pour l’homme) ;
– Avoir un suivi régulier de l’infection à VIH (trimestriel pour les femmes), sans pathologie grave évolutive ;
– Avoir un taux de CD4 supérieur à 200/mm3, sauf exception médicalement justifiée, sur deux prélèvements
espacés de trois mois et dans les six mois précédant l’AMP ;
– Pour l’homme infecté : avoir une charge virale du liquide séminal inférieur à 100 000 copies/ml et si la charge
virale est détectable dans le liquide séminal, il faut une absence de détection virale (ARNVIH ou ADN proviral)
dans la fraction finale de spermatozoïdes. La femme devra être séronégative pour le VIH dans les quinze jours
précédant l’AMP. Il n’y aura pas de suivi spécialisé de l’enfant si la mère est séronégative à l’accouchement ;
– Pour la femme infectée : suivi obstétrical et prise en charge de l’enfant à la naissance, adaptés à l’infection
par le VIH et organisés avant la mise en œuvre de l’AMP.
coût : le temps. Excepté les situations pour lesquelles un
don de gamètes (spermatozoïdes ou ovocytes) est nécessaire – soit environ 5 % des AMP en contexte viral –,
il n’existe pas de liste d’attente en France pour avoir
recours à l’assistance médicale à la procréation lorsque
l’on est séropositif. Pour autant, le délai de prise en
charge peut être long, de quatre à dix-huit mois, selon
l’état de santé des deux partenaires. En effet, le couple
doit de prime abord réaliser un bilan de fertilité pour
ensuite se voir proposer la technique d’AMP la plus
adaptée. Il est souvent nécessaire de réajuster le trai-
tement antirétroviral de la femme, lorsque celle-ci est
infectée, afin d’éviter tout effet délétère sur l’enfant et,
par conséquent, prendre le temps de stabiliser son état
de santé au regard de cette adaptation du traitement.
« Ce n’est pas un processus instantané », expose la
Pr Catherine Poirot, responsable du laboratoire de biologie de la reproduction de la Pitié-Salpêtrière (Paris),
dont 40 % de l’activité relève du VIH ou du VHC. Toutefois, précise-t-elle, au fil des années, « avec les connaissances que l’on acquiert, les procédures s’allègent ». Si
les patients n’ont même pas conscience de cette évolution, les professionnels de santé la ressentent. L’assouplissement des processus en matière de congélation du
sperme a ainsi contribué à soulager la charge de travail
des praticiens.
Vers la procréation « naturelle » ? C’est le statut sérologique de chaque partenaire qui dicte en partie
La tentation de l’étranger
Les délais de prise en charge et les conditions d’accès à l’AMP peuvent sembler trop lourds
aux couples manifestant un désir d’enfant. Dans ce contexte, certains d’entre eux tentent
leur chance auprès de pays limitrophes, à l’instar de la Belgique ou de l’Espagne.
Belgique. « Les couples français que nous voyons dans
les procédures AMP-VIH viennent essentiellement en
Belgique pour des raisons de non-accès à la AMP
en France, note le Dr Yannick Manigart, gynécologueobstétricien au CHU Saint-Pierre, à Bruxelles. Les
centres français refusent de manière générale
beaucoup plus facilement les demandes dès qu’un
élément pourrait faire baisser le taux de succès de
l’AMP. » Il ajoute que le CHU de Bruxelles refuse le
plus souvent également ces couples. « Les décisions
françaises sont souvent justifiées », explique-t-il.
L’établissement belge ne prend en charge, en
moyenne, pas plus de cinq couples français chaque
année. Un peu moins à cheval que la France sur les
critères d’âge, le CHU de Bruxelles, surtout, n’exige
pas de preuve de vie commune. Pour le reste, les
critères médicaux sont les mêmes. Mauvaise pioche,
donc, que de se tourner vers la Belgique en pensant
que les conditions d’accès y seront plus faciles. Ce
qui ne semble pas être le cas de la clinique Eugin de
Barcelone où il apparaît plus simple de passer outre
certaines restrictions françaises.
Espagne. L’aide à la procréation est ouverte aux couples
homosexuels, comme le rappelle la directrice médicale
de l’établissement barcelonais, Valérie Vernaeve. Les
critères d’âge sont aussi plus souples, permettant à
des femmes d’être prises en charge jusqu’à 50 ans,
avec, cependant, les risques spécifiques que cela
comporte (notamment l’éclampsie – convulsions
pouvant entraîner le décès de la mère et de l’enfant).
Les patientes françaises peuvent par ailleurs accéder à
certaines techniques, telles que le don d’ovocytes, très
difficile en France. « Le don d’ovocytes ne marche pas
en France », reconnaît Emmanuelle Prada-Bordenave.
Et de poursuivre : « Les choses sont compliquées pour
la donneuse, le financement est complexe. Mais on
avance. La volonté du législateur est de favoriser
le bon fonctionnement de ce don. » À l’inverse de ce
qui se passe en Espagne, où le choix a été fait de
rémunérer les donneuses. Ce que critique la directrice
de l’Agence de biomédecine française, pour qui cette
option a été retenue « sans se soucier de l’état de
santé des donneuses », alors que « le donneur doit
être l’objet de toutes les attentions avant, pendant et
après le don ».
Les AMP en contexte viral nécessitant un don de
gamètes représentent 5 % du millier d’AMP-VIH
réalisé chaque année en France.
Transversal n° 59 juillet-août repères
Transversal n° 59 juillet-août repères
Conditions d’accès à l’AMP dans un contexte viral
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par Sandra Serrepuy
la méthode utilisée. « Quand c’est la femme qui
est infectée, on préfère l’insémination artificielle pour
protéger son partenaire », indique Emmanuelle PradaBordenave. Les chances de succès sont de l’ordre de
15 % à 20 %. Selon les cas, on peut préférer recourir à
une fécondation in vitro (FIV).
Certains couples jugent cependant que le recours à une
AMP est un acte trop médicalisé, n’ayant plus trop à
voir avec l’idée que l’on se fait de la conception d’un
enfant. Dans l’édition 2010, les experts du rapport Yeni
sur la prise en charge médicale des personnes infectées
par le VIH accordent une place non négligeable à la
procréation naturelle, considérant que son importance
« est amenée à évoluer du fait des progrès des traitements antirétroviraux et des données sur les risques de
contamination » : la bonne observance du traitement
permet une diminution de 96 % du risque de transmission du virus. Reste que, pointe Pierre Jouannet,
« les hommes infectés par le VIH ont des altérations de
sperme par rapport aux autres. Il y a des progrès à faire
sur l’appréciation des conséquences des traitements
antirétroviraux sur la qualité du sperme ».
Cela étant, met en garde la directrice de l’Agence de la
biomédecine, il ne s’agit pas de procréation naturelle
au sens où tout le monde l’entend : « Cela ne se fait
pas hors du champ de la médecine. On ne s’exonère
pas du cadre médical. Il faut faire attention à ce que
l’on dira aux couples ». Ainsi, il ne conviendrait pas
qu’un couple ne remplissant pas tous les critères nécessaires pour bénéficier d’une AMP conçoive son enfant
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sans être accompagné médicalement, courant le risque
d’une contamination ou d’une surcontamination du partenaire et d’une contamination de l’enfant. Selon Michel
Ohayon, coordinateur médical de Sida Info Service, c’est
pourtant ce qui se passe bien souvent : « En pratique,
les gens font souvent leur enfant sans consulter les
soignants, de peur qu’ils ne désapprouvent. » Et de
poursuivre : « Ces couples séropositifs se demandent
encore s’ils ont le droit de faire un enfant. » De son point
de vue, le contexte actuel ne permet pas encore à tous
les futurs parents d’opérer un choix plein et entier sur
la méthode de conception.
Le choix de la méthode. La procréation dite « naturelle » attire les couples ayant un désir d’enfant en ceci
qu’elle présente un caractère moins invasif qu’une AMP.
Il n’empêche, elle répond à un cahier des charges strict.
Lorsque la femme est infectée par le VIH, la technique
consiste à récupérer le sperme dans le préservatif ou
dans un réceptacle et à le déposer au fond du vagin. On
parle alors d’auto-insémination. Lorsque l’homme est
infecté par le VIH, la procréation naturelle n'est envisagée que s’il y a une bonne observance du traitement, en
l’absence d’infection et d’inflammation ou plaie génitale
chez les deux partenaires. Sinon, c’est un lavage de
sperme qui est proposé. Une procréation naturelle donc,
mais très encadrée.
Le rapport Yeni souligne que l’AMP reste la méthode de
prévention la plus fiable et que « le principal risque de la
procréation naturelle est d’être mise en œuvre par des
couples mal informés, sans respect des conditions de
sécurité ». C’est dans ce contexte que la Pitié-Salpêtrière
a créé une « consultation conception ». Il s’agit de faire
le point sur les problématiques personnelles des couples
et de mesurer avec eux qu’elle est la solution la plus en
accord avec leurs désirs et leur santé. Favorable à une
analyse au cas par cas, l’infectiologue Roland Tubiana
explique : « Si on fait le choix d’une procréation naturelle, on accepte un risque, infime, mais pas inexistant. » Dans ce cas, il importe bien sûr de contrôler les
charges virales et de faire un bilan de fertilité. « L’idée
est de ne pas prendre de risque pour rien », ajoute-t-il.
Si l’un des deux partenaires a un problème de fertilité,
il est préférable de le savoir de prime abord afin d’être
en mesure de faire le bon choix. En tout état de cause,
« il faut se garder d’être dogmatique » et accompagner
les couples dans leur choix.
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Les départements français d’Amérique (DFA) sont un cas à part en matière d’accès à la procréation
médicalement assistée dans un contexte viral. À ce jour, les couples des Caraïbes qui souhaitent bénéficier
d’une AMP n’ont d’autre choix que de faire le déplacement en métropole. Paradoxe : « Parmi les femmes
françaises ayant découvert leur séropositivité en 2005, 11 % étaient domiciliées dans les DFA, relèvent
Estelle Carde et Dolorès Pourette dans un document du Centre population et développement (Ceped)1.
Entre le 1er janvier 2003 et le 31 décembre 2004, les DFA ont enregistré 24 nouveaux cas de sida pour
100 000 habitants, contre 4 pour 100 000 en France. » Une réalité qui impose une adaptation du système de santé afin d’apporter des réponses concrètes aux personnes séropositives. C’est dans ce contexte
et sous la pression de nombreuses associations que les pouvoirs publics se sont saisis de cette question
avec le lancement d’un projet d’unité d’assistance médicale à la procréation porté par le CHU de Pointeà-Pitre. Ce projet s’inscrivant dans le cadre de la coopération Interreg Caraïbes, l’unité pourrait à terme
accueillir, outre les patients des DFA, leurs voisins d’Haïti, de Dominique et Montserrat. Les Corevih de
Guadeloupe et de Martinique ont estimé que 60 à 80 couples pourraient, chaque année, être concernés
par une AMP. Le CHU de Pointe-à-Pitre prévoit le début de l’activité AMP en contexte viral en juillet 2012.
1
« La maternité chez les femmes vivant avec le VIH/sida dans les territoires français d’Amérique : Guadeloupe, Guyane,
Martinique, Saint-Martin », Working papers du Ceped, Ceped, n° 12, mars 2011.
Glossaire
IA (insémination artificielle) : méthode qui consiste
à déposer les spermatozoïdes dans la cavité utérine.
FIV (fécondation in vitro) : stimulation ovarienne,
aspiration des ovocytes dans l’ovaire et mise en
présence des spermatozoïdes. Technique utilisée
en cas de trompes obturées ou d’insuffisance de
spermatozoïdes.
ICSI (Intra Cytoplasmic Sperm Injection) : technique de FIV par micro-injection des spermatozoïdes, en cas de déficience du sperme.
IMSI (Intra Cytoplasmic Morphological Sperm Injection) : un seul spermatozoïde est injecté dans
chaque ovaire.
Besançon
CHU de Besançon – hôpital Saint-Jacques
Tél. : +33 (0)3 81 21 88 04
www.chu-besancon.fr
Bordeaux
CHU de Bordeaux – hôpital Pellegrin
Tél. : +33 (0)5 56 79 56 81
www.chu-bordeaux.fr
Lyon
Hospices civils de Lyon – hôpital Édouard-Herriot
Tél. : +33 (0)4 72 11 96 35
www.chu-lyon.fr
Marseille
Institut de médecine de la reproduction
Tél. : +33 (0)4 91 16 79 00
www.imr-marseille.com
Clinique Bouchard
Tél. : +33 (0)4 91 15 90 21
www.vitalia-bouchard6-marseille.com
Nancy
Maternité régionale de Nancy
Tél. : +33 (0)3 83 34 44 26
www.maternite.chu-nancy.fr
Paris
Hôpital Bichat-Claude-Bernard
Tél. : +33 (0)1 40 25 76 79
www.aphp.fr
Hôpital Cochin
Tél. : +33 (0)1 58 41 15 38
www.aphp.fr
Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière
Tél. : +33 (0)1 42 17 77 21/31/41
www.aphp.fr
Rennes
CHU de Rennes – hôpital Sud
Tél. : +33 (0)2 99 28 42 38
www.chu-rennes.fr
Strasbourg
SIHCUS – CMCO
Tél. : +33 (0)3 88 62 83 13
www.sihcus-cmco.fr
Toulouse
CHU de Toulouse – hôpital Paule-de-Viguier
Tél. : +33 (0)5 67 77 10 05
www.chu-toulouse.fr
Transversal n° 59 juillet-août repères
Transversal n° 59 juillet-août repères
Un centre d’AMP à Pointe-à-Pitre
Les 12 centres français proposant
une prise en charge
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