Approche sémantique de la comparaison figée à base adjectivale

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Approche sémantique de la comparaison figée à base adjectivale
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Approche sémantique de la comparaison figée à base adjectivale
Asist.drd. Gabriela Grecu
Universitatea « Dunǎrea de Jos » din Galaţi
Facultatea de Litere, Istorie şi Teologie
Les comparaisons figées portent sur les humains et mettent en évidence plutôt leurs défauts
que leurs qualités. Les adjectifs employés dans de telles structures comportent généralement le
trait contextuel [+ humain]. Il y en a d’autres qui, dans un emploi quelconque se réfèrent à des
objets, mais qui dans une structure comparative figée ne visent que les humains.
L’analyse sémantique précise les traits inhérents qui caractérisent, en dehors de tout
contexte, les adjectifs qui apparaissent dans les comparaisons automatisées. Ces adjectifs ont un
champ sémantique extrêmement large, ce qui peut s’expliquer par l’importance des notions qu’ils
expriment.
Parfois bizarres ou amusantes, rigides ou édifiantes, les comparaisons figées forment un
univers qu’on devrait analyser pour apprendre le fonctionnement réel du français.
Après le trésor lexical proprement-dit, celui phraséologique nous aide à classifier une
langue parmi les idiomes pauvres, riches ou très riches. Une langue avec de nombreuses unités
phraséologiques est en même temps une langue avec de grandes ressources d’expressivité. Parmi
les unités phraséologiques il y a les expressions idiomatiques, les idiotismes ou les idiomatismes.
C’est à l’intérieur de la classe des expressions idiomatiques qu’on peut placer les comparaisons
idiomatiques du type être méchant comme le diable ou courir comme un dératé. Elles revêtent des
formes tantôt rigides, tantôt amusantes qui mettent en évidence le côté expressif de notre être.
Si la comparaison explicite tend à déserter le langage poétique (Mallarmé se flattait même
d’avoir banni le mot comme de son vocabulaire), il n’en va pas de même dans l’ensemble du
discours littéraire (« […] avec de la terre sèche et du soleil, tu sais, de l’herbe jaune comme de la
paille[…] » B. Vian : 1996, 59) et encore moins dans la langue parlée. Cell-ci rejette l’abstraction ;
donc, les usagers préfèrent enraciner leurs énoncés dans le monde sensible, en créant des
comparaisons pittoresques et amusantes (Il est bronzé comme un cachet d’aspirine) ou assez
banales, mais éloquentes (Il est fort comme un lion).
Les structures idiomatiques figées que nous prenons en considération sont les comparaisons
à base adjectivale du type être méchant comme une teigne ou bien être bête comme ses pieds.
Le monde qui nous entoure agit sur nos sens ; il nous frappe le plus souvent visuellement et
nous pousse à faire des commentaires sur une réalité ou une autre. On observe parfois que
quelqu’un est maigre ou gros, bon ou méchant, sobre ou gai. L’adjectif qualificatif sert à
caractériser1 l’univers environnant. Dans ce travail pourtant, l’adjectif n’est pas analysé comme un
simple qualificatif du nom, mais comme le noyau de la comparaison figée, celui qui assure et
justifie le rapprochement entre le terme comparé et le terme comparant.
1
« Caractériser, c’est noter les caractères essentiels ou accessoires, naturels ou acquis, durables ou éphémères d’un être,
d’une chose, d’un acte, d’une notion quelconque. » (F. Brunot, apud. V. Agrigoroaiei, 1994 : 139)
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Ex. « …mes pauvres os sont creux, légers comme des plumes, au-dedans et au-dehors il n’y a que
le vide, oui ! » (Bernanos, 1968 :12)
Dans l’exemple ci-dessus, l’adjectif léger caractérise en même temps le nom os et le nom
plume. Il représente le sème commun qui a été choisi comme motif de la comparaison.
Les comparaisons idiomatiques portent sur les humains et mettent en évidence plutôt leurs
défauts que leurs qualités. En analysant les adjectifs employés dans ces structures figées, nous
pouvons dire que leurs sèmes contextuels exigent généralement des noms [+ humain] : gourmand
comme un chat, sérieux comme un pape, méchant comme la gale, bavard comme une pie, muet
comme une carpe, etc.
Il y en a d’autres qui, dans un emploi quelconque se réfèrent à des objets, mais qui dans la
structure comparative figée ne visent que les humains :
Ces phares sont jaunes. vs Il est jaune comme un coing, il devrait consulter le docteur.
Cette construction semble solide. vs Il est solide comme un roc, ce garçon.
Les traces dans la neiges sont fraîches. vs La princesse est fraîche comme une rose.
Ses muscles sont tendus. vs Elle est tendue comme un arc, tant elle est préoccupée.
Le rapprochement opéré dans la comparaison se fait sur la base d’un noyau sémique commun
à tous les deux termes. Soit l’exemple Jean est rouge comme une cerise. Les traits sémantiques ou
les sèmes du comparé sont [être humain], [mâle], tandis que les sèmes du comparant sont [fruit du
cerisier], [petite drupe ronde et lisse]. Y a-t-il quelque chose en commun ? Apparemment non. Mais
lorsqu’on introduit l’adjectif rouge entre les deux termes, on observe que le sème qui caractérise la
cerise d’une manière évidente est acquis par l’être humain. Non seulement la qualité passe d’un nom
[-animé] à un nom [+ humain], mais elle passe sous la forme la plus intensive.
C’est vrai que lorsqu’on pense à une rougeur extrême, l’image d’une cerise peut nous venir à
l’esprit. Mais pour l’absolu de l’avarice, est-ce bien l’image d’un rat qui nous passe par la tête ? Et
pourtant, l’expression est avare comme un rat. Est-ce que la langue ne trouve rien de plus ennuyeux
que la pluie ? (être ennuyeux comme la pluie) C’est peut-être une affaire de convention. Chaque
époque crée de nouvelles expressions qui semblent plus chargées du point de vue affectif, plus
capables d’obéir aux besoins des locuteurs.
Ces comparaisons idiomatiques sont le résultat d’une manière de penser assez pragmatique,
la pensée de l’homme moyen qui ne connaît pas toujours tous les sens d’un signe. Cela explique
pourquoi de la richesse séamantique d’un signe, seulement le premier, le plus connu est employé
dans les comparaisons idiomatiques. Prenons par exemple le signe linguistique léger ; les signifiés
en sont divers : « qui a peu de poids, qui se soulève facilement – un léger bagage ; qui est ou donne
l’impression d’être peu chargé – l’estomac léger ; qui se meut avec aisance et rapidité – danseuse
légère ; qui est peu appuyé – touches légères ; qui a peu de matière, de substance – une légère
couche de neige ; qui a de la délicatesse, de la grâce dans la forme – taille légère ; peu sensible, peu
perceptible – un léger mouvement ; qui a peu de profondeur, de sérieux – une fille légère ». (Le Petit
Robert, 1996 :1268) De cette multitude de signifiés, seul le premier est employé dans les structures
comparatives : être léger comme une plume, comme une bulle de savon.
1. Traits inhérents des adjectifs employés dans les comparaisons figées
Une analyse sémantique des adjectifs nous conduit à préciser les traits inhérents qui
caractérisent, en dehors de tout contexte les adjectifs susceptibles d’apparaître dans les comparaisons
idiomatiques.
1.
[+ qualificatif] – tous ces adjectifs expriment une qualité: méchant comme le diable, maigre
comme un hareng, muet comme une carpe.
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2.
[ ± statif] – la plupart des adjectifs sont des unités non-dynamiques, donc [+ statif], qui ne
peuvent être soumises ni au test de l’impérativisation (*Ne sois pas haut comme trois pommes!), ni
au test de faire quelque chose (* ce que je fais consiste à être haut comme trois pommes.)
Ex. des adjectifs [+ statif]: fier comme Artaban, riche comme Crésus, frais comme une rose,
myope comme une taupe, laid comme un pou, facile comme bonjour.
des adjectifs [- statif]: bavard comme une pie, gourmand comme un chat.
3.
[±concret] – la plupart des adjectifs indiquent une propriété physique, donc ils sont [+
concret]. Ils se divisent à leur tour dans plusieurs sous-catégories, selon qu’ils désignent: la couleur
(blond comme les blés, rouge comme une tomate, jaune comme un coing,), la dimension (gros
comme une baleine, haut comme trois pommes), le goût (amer comme chicotin, doux comme le
miel).
Les adjectifs [- concret] expriment une qualité physique et morale et se combinent, pour la
plupart, avec le trait [+favorable] et avec le trait [- favorable]. Comme les comparaisons
idiomatiques renvoient aux humains, en envisageant plutôt leur défauts que leur qualités, la liste des
structures figées à base adjectivale [- favorable] est plus longue que celle avec les adjectifs [+
favorable]. Il y a donc d’un côté: sourd comme un pot, myope comme une taupe, vaniteux comme un
paon, poilu comme un singe, bête comme une oie; d’ un autre côté, il existe: solide comme le PontNeuf, franc comme l’or, fort comme un Turc.
On peut déceler des structures adjectivales opposées: méchant comme la gale / bon comme le
pain; laid comme un pou / beau comme un ange; malheureux comme les pierres / gai comme un
pinson.
4.
[± duratif] – il y a des structures où l’adjectif exprime une qualité permanente [+ duratif]
telles: joli comme un cœur, fort comme un boeuf, bête comme ses pieds, vieux comme Mathusalem,
blond comme les blés. D’autres adjectifs traduisent un état accidentel: soûl comme une grive, chargé
comme une mule, serrés comme des harengs en coque.
5.
[± expérience subjective] – quelques adjectifs expriment des états psychiques de l’être
humain: malheureux comme les briques, sobre comme un chameau, gai comme un pinson, tendu
comme un arc.
2. Champs sémantiques des adjectifs employés dans les comparaisons idiomatiques
Ces adjectifs ont un champ sémantique extrêmement large. "Grâce à l’importance des notions
qu’ils expriment et à la fréquence de leur emploi, ils constituent, pour ainsi dire, le fond usuel du
vocabulaire adjectival".(V. Agrigoroaiei, 1994: 14)
Nous découvrons ainsi plusieurs notions sémantiques exprimées par les adjectifs des
comparaisons idiomatiques:
1. une qualité physique: souple comme un roseau, fort comme un roc, belle comme une fleur
2. un défaut physique: maigre comme un clou, laid comme les sept péchés capitaux, myope
comme une taupe
3. une qualité morale: bon comme le pain, franc comme l’or
4. un défaut du caractère: fier comme Artaban, têtu comme une mule, ennuyeux comme la pluie
5. une caractéristique passagère d’un individu: riche comme Crésus, gai comme un pinson,
malade comme une bête, sale comme un pourceau, raide comme un passe-lacet
6. une couleur:- les adjectifs qui se limitent à indiquer seulement la couleur dans son plus haut
degré de manifestation: blond comme les blés, noir comme l’ébène
- les adjectifs qui, outre la couleur suggérée, traduisent des circonstances
particulières liées à l’individu auquel se réfère la comparaison en question: jaune comme un
coing- traduit un mauvais état de santé; rouge comme un homard- traduit la cause de la
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rougeur (le soleil); rouge comme une cerise - exprime également la cause (une émotion
soudaine)
7. les adjectifs qui décrivent des situations dans lesquelles l’être humain se trouve assez
souvent: chargé comme un mulet, serrés comme des harengs en coque.
3. La comparaison idiomatique et les paradigmes du comparant
Le français est une langue avec de multiples ressources d’expressivité. La même idée
d’intensité forte peut être rendue de diverses manières par le truchement des procédés grammaticaux,
lexicaux et expressifs. Parmi les derniers, on peut mentionner les comparaisons idiomatiques
automatisées, dont "l’échantil est l’archétype de la qualité envisagée".(M. Gheorghiu, 1994: 120)
Pour certaines qualités, nous pouvons même parler d’un paradigme des échantils qui sont
capables de se remplacer l’un l’autre. Pour les qualités essentielles de l’être humain, ainsi que pour
les situations les plus fréquentes auxqulles l’être humain se confronte, il y a tout un paradigme de
termes comparants dont chacun met en évidence d’une manière exemplaire la qualité envisagée.
Voilà quelques exemples de tels paradigmes:
l’absolu de la beauté est perçu au niveau de plusieurs termes comparants tels:
le jour, un dieu, une fleur, un astre, un ange. Ces comparants sont divisés en fonction du genre de la
personne à laquelle ils s’appliquent: Il est beau comme un dieu /vs/ Elle est belle comme une fleur.
Les autres s’emploient soit avec un référent de sexe masculin, soit avec un référent de sexe féminin.
L’absolu de la laideur a été trouvé dans les trois comparants suivants: un pou, un singe, les sept
péchés capitaux.
l’absolu de la bonté est suggéré par le pain en variation avec le bon pain, la
romaine; la méchanceté, comme tous les autres défauts, attire l’attention des locuteurs plus que la
bonté. Il y a, en conséquence: méchant comme la gale, comme un âne rouge, comme le diable,
comme une teigne.
le haut degré d’intensité en ce qui concerne la maigreur est marqué à l’aide
des comparants suivants: maigre comme un hareng (saur), comme un clou, comme un coucou.
D’autre part, la dimension exagérée du corps humain est associée à des animaux de grande taille
comme la vache, la baleine.
D’autres adjectifs qualificatifs qui présentent un paradigme riche des comparants sont ceux
qui désignent soit un défaut du caractère, soit une caractéristique passagère, mais fréquemment
rencontrée chez de nombreux individus:
fier comme Artaban, comme un paon, comme un coq; têtu(e) comme un mulet, comme une mule,
comme une bourrique; bête comme une carpe, comme un chou, comme une cruche, comme une oie,
comme ses pieds. (un défaut du caractère)
sale comme un cochon, comme un porc, comme un peigne; soûl comme un cochon, comme une
grive, comme un âna, comme un Polonais, comme une bourrique; malade comme une bête, comme
un chien. (caractéristique passagère)
Le reste des structures comparatives ne présentent qu’un seul terme comparant: sage comme
une image, blond comme les blés, myope comme une taupe, gourmand comme un chat, sobre comme
un chameau, riche comme Crésus, frais comme une rose, poilu comme un singe, joli comme un
cœur, libre comme l’air, ennuyeux comme la pluie, bavard comme une pie, aimable comme une
porte de prison, avare comme un rat, pauvre comme Job etc.
On dit que ces comparaisons automatisées perdent assez vite leur contenu expressif et c’est
pourquoi elles sont remplacées par d’autres plus suggestives. Il s’en suit qu’il y a eu des termes
comparants qui, à une certaine époque dans l’évolution de la langue et de la société, ont représenté
les archétypes de la qualité en question. Il est impossible que nous donnions un inventaire des
comparants qui ont été employés dans le passé, puisque nous ne disposons pas d’une bibliographie
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systématique dans ce sens. Nous pouvons quand même essayer de préciser les raisons pour
lesquelles un certain comparant a été oublié à la faveur d’un autre:
- un changement dans la mentalité de l’homme: si aux époques passées, la blancheur du visage était
considérée comme un critère de beauté et on disait elle est blanche comme un lys, de nos jours la
blancheur nous frappe, mais pas nécessairement comme quelque chose de beau. On dit alors blanc
comme le lait, blanc comme la neige.
- un changement dans les préoccupations de l’homme: l’homme d’autrefois, tourné soit vers la
mythologie, soit vers la religion, disait d’une part beau comme un Apollon, beau comme un Adonis,
belle comme une nymphe et d’autre part, beau comme un Jésus de cire, beau comme un Saint
Georges. L’homme d’aujourd’hui est plus pratique; il voit l’absolu de la beauté dans une fleur, dans
un astre, dans le jour qu’il vit. Seul beau comme un dieu traduit la perception de la divinité comme
quelque chose de très beau.
- le remplacement de l’objet comparant par un autre qui semble plus capable de porter la charge
affective: le panier percé a été remplacé par une oie (bête comme une oie); la soupe a été remplacée
par une bourrique (soûl comme une bourrique).
Du point de vue diachronique, on assiste à la disparition et à l’apparition des structures
nouvelles qui traduisent le besoin de l’être humain d’enraciner ses énoncés dans la réalité immédiate
et de les construire en fonction de ses préoccupations et ses expériences.
Nous avons énuméré et exemplifié les traits inhérents qui caractérisent les adjectifs – noyau
de la comparaison idiomatique. Nous avons également vu que la même idée peut être rendue à l’aide
de toute une série de termes comparants. Chaque étape dans l’évolution de la langue et de la société
se caractérise par le choix d’un certain terme comparant qui traduit les préoccupations et les besoins
des usagers.
Employée par les Français ou par les apprenants du français, par les profanes ou par les
érudits, la comparaison figée à base adjectivale fait la joie de tous ceux qui veulent bien manier la
langue française.
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Bibliographie
Agrigoroaiei, Valentina (1994), La sphère du nom, Editura Fundaţiei « Chemarea », Iaşi
Cazelles, Nicolas (1996), Les comparaisons du français, Éditions Belin, Paris
Chareaudeau, Patrick (1992), Grammaire du sens et de l’expression, Hachette, Paris
Cristea, Teodora (1979), Grammaire Structurale du Français Contemporain, Editura Didacticǎ şi
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Gheorghiu, Marioara (1994), Procédés d’expression de l’intensité en français contemporain, Editura
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Hristea, Theodor (1994), Sinteze de limba românǎ, Editura Albatros, Bucureşti
Negreanu, Aristiţa (1979), Exercices sur les expressions idiomatiques françaises, Editura Didacticǎ
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Dictionnaire :
Robert, Paul (1996), Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaire Le Robert, Paris.
Textes de référence :
Bernanos (1968), Dialogues d’ombre, Le livre de Poche, Paris
Vian, Boris (1997), J’irai cracher sur vos tombes, Christian Bourgeois , Éditeur, Paris.