Brève Vigie, 27 mai 2009 La « carte bleue » européenne, une

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Brève Vigie, 27 mai 2009 La « carte bleue » européenne, une
Brève Vigie, 27 mai 2009
La « carte bleue » européenne, une réponse adaptée à l’immigration qualifiée ?
Le Canada compte 10 % de travailleurs qualifiés issus de pays tiers dans sa population
active, les États-Unis 6 %, la Suisse 5,5 %, mais l’Union européenne (UE) seulement 1,7 %.
Forte de ce constat, l’UE a lancé en 2007 l’idée d’une « carte bleue » européenne, basée sur
l’exemple de la green card américaine, et reprise dans le cadre du Pacte européen sur
l’immigration et l’asile adopté par le Conseil européen des 15 et 16 octobre 2008. C’est la
première initiative spécifique de l’UE portant sur l’immigration économique de ressortissants
de pays tiers à des fins d’emploi hautement qualifié. La carte bleue européenne reste encore à
l’état de projet, quoique bien avancé, la directive relative n’ayant pas été validée par le
Conseil de l’UE.
La carte bleue serait une autorisation permettant à son titulaire de travailler et résider dans un
pays de l’UE et de circuler librement dans l’espace de Schengen. Elle est valable trois ans
sauf si le contrat de travail est d’une durée inférieure, auquel cas, sa validité correspond à la
durée du contrat plus trois mois. Le détenteur d’une carte bleue peut la faire renouveler une
fois pour deux ans. Il bénéficie de la protection sociale du pays d’accueil ainsi que du
regroupement familial. Les trois premières années, il ne peut résider et travailler que dans le
pays qui a délivré la carte bleue. Passé ce délai, il peut occuper un emploi dans un autre pays
de l’UE.
Plusieurs critères doivent être remplis pour l’obtenir. Tout d’abord, le candidat doit avoir
obtenu un emploi qualifié dans un pays de l’UE pour lequel aucun citoyen de l’UE n’a été
trouvé, en raison de la préférence communautaire. L’Espagne a également demandé à ce que
la carte bleue ne soit accordée que si le pays d’origine du candidat ne manque pas de
travailleurs dans le secteur concerné. Il doit ensuite justifier d’un diplôme universitaire de
niveau bac + 5 reconnu par le pays d’accueil, ou de cinq ans d’expérience professionnelle
dont deux ans à un poste de haut niveau, dans le secteur choisi. Son salaire doit, a minima,
être 1,7 fois supérieur au salaire brut moyen du pays d’accueil (soit 4 700 euros mensuels en
France mais 370 euros en Bulgarie). En cas de chômage, le titulaire dispose de six mois pour
retrouver un emploi qualifié. Au-delà, il perd la carte bleue et les droits qui lui sont attachés,
et devient expulsable.
Ce projet fait face à de nombreuses critiques. La comparaison avec la green card semble
abusive aux yeux de beaucoup, le démographe Hervé Le Bras évoque même une
« escroquerie absolue ». Cette dernière est en effet valable 10 ans contre 5 ans au plus pour la
carte bleue européenne. Elle permet de travailler sur l’ensemble du territoire quand la carte
bleue ne garantit l’accès qu’à un voire deux pays. Enfin, le titulaire de la green card peut
demander la citoyenneté américaine au bout de cinq ans de résidence permanente (plus de six
mois par an) tandis que le détenteur de la carte bleue peut prétendre, après cinq ans, au statut
de résident de longue durée (valable 10 ans et renouvelable).
Le deuxième reproche fait à la carte bleue est sa faible dimension européenne finale. Si
l’instrument est commun à toute l’UE, les décisions appartiennent aux États. Ainsi, chaque
État membre fixera chaque année en fonction de son marché du travail le nombre de cartes
bleues qu’il délivrera. Même si un candidat réunit toutes les conditions d’accès à la carte
bleue, le pays d’accueil peut la lui refuser : la carte bleue n’est pas un droit. Dans plusieurs
pays de l’UE, il existe déjà des dispositifs pour attirer les travailleurs qualifiés, ils ne
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disparaîtront pas avec la carte bleue. Celle-ci se présente comme un système parallèle, plus
simple car commun à tous les pays.
Enfin, la critique la plus forte adressée à la carte bleue est qu’elle ne suffira pas à combler le
manque de travailleurs qualifiés issus de pays tiers en UE. Dans un contexte de concurrence
accrue pour attirer les travailleurs qualifiés, les pays avec lesquels l’UE voudrait être en
compétition (États-Unis, Canada, Australie, Suisse) proposent souvent des procédures plus
simples, des droits plus larges et de meilleurs salaires. Les candidats potentiels à la carte bleue
s’en détournent aussi en raison du multilinguisme européen. Même si l’anglais est l’une des
cinq langues officielles de l’UE, elle est souvent insuffisante et le candidat doit connaître ou
apprendre une autre langue.
En somme, la carte bleue européenne apparaît comme un titre de séjour trop restrictif pour se
révéler attractif. Des efforts supplémentaires devront être faits pour répondre aux prévisions
de la Commission européenne : selon le vice-président italien de la Commission (responsable
« Justice, liberté et sécurité »), Franco Frattini, d’ici 20 ans, l’UE pourrait avoir besoin de 20
millions de travailleurs qualifiés étrangers.
Claire Lescoffit, Futuribles International
Sources : ZWICK Hélène. « La carte bleue européenne, tentative européenne d’immigration
choisie ». Metis, 16 avril 2009, site Internet www.metiseurope.eu/la-carte-bleue--tentativeeurop-eacute-enne-d-immigration-choisie_fr_70_art_28273.html ; COROLLER Catherine.
« La carte bleue européenne, une “escroquerie” selon le démographe Hervé Le Bras ».
Hexagone, 30 novembre 2008, site Internet
http://immigration.blogs.liberation.fr/coroller/2008/11/a-en-croire-t-1.html ; WITHOL DE
WENDEN Catherine. « Démographie, immigration , intégration ». Questions d’Europe, 13
octobre 2008, Fondation Schuman, site Internet www.robertschuman.eu/doc/questions_europe/qe-111-112-113-fr.pdf ; RIOT Daniel. « Immigrés “haut de
gamme”… Carton rouge pour la “carte bleue” ». Relatio-Europe, 21 novembre 2008, site
Internet www.relatio-europe.eu/les-opinions/editos/4927-carton-rouge-pour-la-l-carte-bleuer ; SANTORO Muriel. « Les ombres du Pacte européen de l’immigration et de l’asile ».
Paris : Centre d’études transatlantiques, 18 octobre 2008, site Internet
www.centretransatlantique.fr/pdf/ArticleMSantoro14.pdf.
Sur le sujet, voir également : DÉSAUNAY Cécile. « La “guerre des talents” a-t-elle
commencé ? » Vigie Info, 30 avril 2008, site Internet
http://vigieinfo.blogspirit.com/archive/2008/04/index.html ; MARTIN Philip. « Les
migrations de main d’œuvre ». In La Main d’œuvre mondiale à l’horizon 2030. Rapport
annuel Vigie 2008. Paris : Futuribles International, 2008, pp. 31-51, site Internet
www.futuribles.com/svmintranet/pdf/VIGIE2008/31Migrations.pdf.
Catégories : 02. Géoéconomie et finances / 07. Emploi, travail, qualifications
Mots-clefs : Union européenne / Législation sur l’immigration /
qualifié
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Citoyenneté / Emploi

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