Motorcycle heart. Niki de Saint Phalle - E

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Motorcycle heart. Niki de Saint Phalle - E
heART
Motorcycle heart.
Niki de Saint Phalle
Pascal Gueret, CHU Henri Mondor, Créteil - [email protected]
otorcycle Heart est une étude
préparatoire pour King Kong,
créé par Niki de Saint Phalle en
1963, au moment de la crise
politique de la baie des cochons,
pour alerter sur les menaces d’un
nouveau conflit armé entre les grandes puissances.
Dans cette œuvre de grandes dimensions, le singe King
Kong est ici remplacé par Godzila, monstre créé par
un artiste japonais dans les années 50, en référence
aux bombardements nucléaires. Il est attaqué par
l’aviation au sommet des gratte-ciels new-yorkais, sous
l’œil des dirigeants politiques de l’époque (Kennedy,
Khrouchtchev, de Gaulle). Dans la partie gauche de
l’œuvre, l’artiste a représenté les joies menacées de
la vie quotidienne : des enfants jouant au ballon, un
couple de jeunes mariés, une femme accouchant et ce
motocycliste surmonté d’un cœur sanguinolent.
L’étude est plus colorée que le modèle retenu pour King
Kong. Dans un format vertical, le cœur est composé,
selon l’habitude de l’artiste, de plâtre et d’objets divers
incrustés parmi lesquels on reconnaît des fleurs, des
bustes d’homme et une multitude de petits cœurs.
Il surmonte un motocycliste sur lequel tombent les
coulures rouges et vertes de peinture échappées du
cœur soumis à des tirs de carabine.
Alors qu’ils n’ont été effectués que pendant une courte
période, entre 1961 et 1963, ces tableaux-tirs Niki de
Saint Phalle sont au moins aussi connus que l’ensemble
de ses autres œuvres dont les nanas.
La première séance « où l’on fait de la peinture à
la carabine » se déroule le 12 février 1961 derrière
l’impasse Ronsin à Paris, où vivait Niki. L’artiste tire sur
des cibles composées de modèles en plâtre préparés et
contenant des sachets de peinture de plusieurs teintes
qui, sous l’impact des balles, laissent s’écouler leur
contenu. De très nombreuses séances de tirs seront
organisées les mois suivants, dans un cercle restreint
d’amis invités à participer aux tirs, puis rapidement lors
de mises en scène véritablement hollywoodiennes à Los
Angeles ou à Malibu, en passant aussi par la Suède et
même par les locaux de l’Ambassade des USA à Paris.
Ayant compris la portée symbolique de ce geste
créateur, le critique d’art Pierre Restany accueille cette
jeune artiste dans le cercle restreint et très masculin des
Nouveaux Réalistes.
Bien que techniquement différent, ce procédé évoque
les « drippings » de Jackson Pollock, mais cette
nouvelle modalité d’expression artistique revêt chez
King Kong - 1963 Peinture, plâtre et objets divers sur panneau (276 x 611 cm)
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Niki de Saint Phalle de nombreuses significations.
Le recours à la balle de carabine lui permet d’exprimer
et de dénoncer la violence sociale et politique, parfois
féministe voir autobiographique. A une époque où la
société française est secouée de convulsions violentes,
en particulier la guerre d’Algérie, Niki traduit son désir
de « tirer » sur la société mais aussi sur elle-même afin
d’exorciser ses souffrances.
« En tirant sur moi, je tirais sur la société et ses injustices.
En tirant sur ma propre violence, je tirais sur la violence du
temps… Quelle thérapie cela fut pour moi ! » déclarait-elle
en 1992.
Pour cette anglo-américaine, le mot français « tir » se
prononce de la même façon que « tears », les larmes
en anglais, mais aussi avec une phonétique légèrement
différente, il peut signifier « déchirures ».
Ainsi, le « tir » à la carabine crée une « déchirure » dans
le tableau préparé d’où s’écoulent des « larmes » de
peinture. « Pureté blanche. Victime. Prêt ! A vos marques ! Feu !
Rouge, jaune, bleu, la peinture pleure, la peinture est morte. J’ai
tué la peinture. Elle est ressuscitée. Guerre sans victime » (1987).
Motorcycle heart (study for King Kong) - 1962
Peinture, plâtre, plastique et objets divers sur panneau
(196 x 122cm)
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