Radio Okapi : 10 ans
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Radio Okapi : 10 ans
NOUVELLES DE LA FONDATION HIRONDELLE NUMéRO 36 avril 2012 Montrer l’exemple Plébiscitée par son auditoire, appréciée par la profession, reconnue par les responsables politiques, Radio Okapi est un succès. Il n’y a plus lieu aujourd’hui de se poser la question du bien fondé des choix faits il y a dix ans. Une page d’histoire, déjà, les valide. C’est ailleurs que s’impose un questionnement. Okapi est-elle un cas particulier ou une expérience reproductible ? La passion suscitée par cette radio chez ceux qui l’ont portée, quelle que soit leur nationalité, peut sembler unique. On mesure mal, sauf à les avoir vécus, l’intensité de l’implication, la force de la conviction, le courage et la foi qu’il a fallu pour construire ce média. L’on mesure mal ce qu’il faut de vertu et d’obstination pour continuer à le faire vivre. Mais un tel engagement peut exister ailleurs aussi. La fierté d’une nation congolaise dont l’espérance en une vie plus digne transcende les divisions est extraordinaire. Mais d’autres peuples peuvent être porteurs d’avenir. Le génie d’Okapi, c’est la rencontre réussie entre l’aspiration citoyenne d’un immense auditoire et l’offre éthique et professionnelle d’une agora d’exception. Cela, c’est reproductible. Radio Okapi n’a pas la prétention d’être un modèle. Elle n’a pas encore atteint la maturité qui en fera une institution totalement autonome. Et dans ce domaine, le copier coller est néfaste. Chaque environnement politique, national et médiatique est différent. Mais Radio Okapi montre l’exemple. Jean-Marie Etter, Directeur général de la Fondation Hirondelle © Auditeurs de Radio Okapi à Kinshasa (Photo : Gwenn Dubourthoumieu/Fondation Hirondelle) Radio Okapi : 10 ans En République Démocratique du Congo, Radio Okapi est devenue en 10 ans le média le plus écouté du pays. Un succès lié avant tout à la confiance que lui accordent ses auditeurs. Par Bernard Conchon, chef de projet de la Fondation Hirondelle à Radio Okapi, Kinshasa. Où en seraient les repères du Vrai et de la Vérité aujourd’hui en République Démocratique du Congo, où en seraient les valeurs qui fondent les droits humains, où en serait le processus de réconciliation nationale ? Plus directement, peut-on imaginer les dix dernières années en RDC sans Radio Okapi ? Ce qui n’était à l’origine qu’un incroyable pari, qui créait notamment un cadre de concorde nationale est devenu, au fil des années, un formidable marqueur de la vie de la RDC. L’article 19 de la Charte des droits de l’homme le proclame : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression ». En RDC, plus de 21 millions d’auditeurs écoutent aujourd’hui régulièrement Radio Okapi. Ce résultat place la radio en tête des principaux médias du continent africain. Radio Okapi favorise l’expression d’une parole citoyenne responsable, pour construire un espace public de dialogue, reposant sur l’écoute et le respect de l’autre. Parler aujourd’hui de Radio Okapi c’est bien sûr évoquer la question de son avenir. On le sait, le paysage médiatique en RDC évolue et commence à questionner le modèle de la radio de la paix. La contagion en l’occurrence a du bon. Depuis 10 ans, Radio Okapi a beaucoup appris et a construit des savoir faire exemplaires. Ils lui permettent aujourd’hui de présenter une offre utile au pays et au-delà de ses frontières grâce à internet. Comment la « voix de tous », sans renier ce qui fait son âme, doit faire entendre dans le futur sa « petite musique » au service de tous ? Le débat est ouvert et chacun à sa manière doit y contribuer. Les autorités de la RDC, les bailleurs, les Nations Unies, la Fondation Hirondelle, tous ceux qui y travaillent et bien sûr les auditeurs. Radio Okapi doit continuer à offrir la radio qu’attendent ses auditeurs quotidiennement. C’est ce rapport précieux entre ceux qui font la radio et ceux qui l’écoutent, construit sur la confiance et l’honnêteté professionnelle, qu’il faut protéger afin que Radio Okapi reste l’expression de « toutes les voix du Congo ». Radio Okapi, c’est… Radio Okapi est la radio des Nations Unies en République Démocratique du Congo, créée et gérée en partenariat avec la Fondation Hirondelle, depuis 2002. Début 2012, Radio Okapi c’est : • une station tête de réseau à Kinshasa et 8 stations régionales produisant un programme local d’une heure diffusé chaque jour en décrochage • 24 h/24 d’informations, de magazines, de musique diffusés sur 35 émetteurs FM à travers la RDC et par streaming via le site web à travers le monde • 2 heures par jour diffusées en ondes courtes, couvrant l’ensemble du territoire congolais • des programmes en français, swahili, lingala, kikongo et tshiluba • 219 employés permanents congolais • 2 cadres expatriés de la Fondation Hirondelle et deux cadres expatriés des Nations Unies • 51 stations de radio communautaires partenaires en RDC qui bénéficient de formation, d’assistance technique et dont 29 rediffusent des programmes de Radio Okapi en FM, dans des zones non couvertes par les émetteurs de la radio • 38 correspondants issus des radios partenaires formés par les équipes de Radio Okapi et qui contribuent à la couverture de l’actualité dans les régions les plus enclavées du pays • 14 millions d’auditeurs quotidiens, 21 millions d’auditeurs réguliers en RDC (Source : IMMAR 2011) • C’est aussi un site internet interactif, www.radiookapi.net, qui reçoit en moyenne 1 million de visites mensuelles, 4’000 commentaires d’internautes et qui diffuse les programmes de Radio Okapi par streaming 24h/24 à travers le monde. © Rédaction centrale à Kinshasa (Photo : Gwenn Dubourthoumieu/Fondation Hirondelle) Radio Okapi : radio de la paix, fruit d’un partenariat inédit entre les Nations Unies et la Fondation Hirondelle Comment la radio de la paix a pu jouer son rôle et grandir, gérée par deux institutions, l’une géante, l’autre lilliputienne. Entretien avec Amadou Ba, Chef d’antenne général de Radio Okapi, à Kinshasa. Par Dominique Jaccard. Dominique Jaccard : Dans le cadre de la mission de maintien de la paix de l’ONU en RDC, de quelle manière Radio Okapi a-t-elle été un instrument de la paix ces 10 dernières années ? Amadou Ba : Pour faire une analyse sur Radio Okapi, il faut connaître le rôle de la radio dans une mission de maintien de la paix des Nations Unies et le rôle important que joue la radio dans une civilisation de l’oralité. La radio, c’est le prolongement de la civilisation de l’oralité. Et dans l’immensité du territoire congolais, face aux défis que connaît ce pays en matière d’énergie électrique et d’infrastructure, la radio est le média le mieux adapté. Dès le départ, Radio Okapi a contribué à l’unité de ce pays, parce qu’elle s’adressait à l’ensemble des Congolais, dans leurs langues. Très vite, Radio Okapi est sortie du carcan d’une opération onusienne traditionnelle, puisqu’elle a contribué à l’intégration nationale au Congo. DJ : Dans le partenariat entre les Nations Unies et la Fondation Hirondelle, qu’est-ce que chacun des partenaires apporte à Radio Okapi que l’autre ne peut pas apporter ? AB : J’ai travaillé auparavant dans une radio purement onusienne en Côte d’Ivoire, où il n’y avait que les Nations Unies qui pilotaient la radio, et maintenant j’ai cette chance de travailler dans une radio où il y a un partenariat. La Fondation Hirondelle apporte une certaine flexibilité au projet. Une radio n’est pas une entreprise comme les autres ; une radio, c’est 24h /24. La Fondation Hirondelle facilite aussi le travail dans le recrutement du personnel, les procédures sur le plan financier sont beaucoup plus faciles, alors qu’au niveau des Nations Unies, cela demande beaucoup de temps, la machine administrative est très lourde. Ensuite, dans le domaine de l’expertise, et c’est surtout ça qui est important : il est beaucoup plus facile pour la Fondation Hirondelle d’apporter une expertise, en recrutant des journalistes des pays du nord ou même des spécialistes des pays africains, que les Nations Unies. Elle dispose aussi de tout un réseau de consultants capables de venir sur place pour assurer les formations. Chacun a son rôle, son domaine de compétence, et apporte une valeur ajoutée dans le fonctionnement des différents services, que ce soit sur le plan technique, des ressources humaines ou de l’expertise. Ce partenariat en tout cas en RDC est unique. Témoignages Le 25 février 2012 : 10ème anniversaire de Radio Okapi. De toutes les parties du Congo, les auditeurs ont témoigné sur les ondes et sur le site de la radio www.radiookapi.net Extraits : Plein de bonnes choses à son personnel pour le travail rendu à la nation et que cette église au milieu du village puisse aller de l’avant, car nous voulons la progression. Denis Masakote, province de l’Equateur © Reportage au camp de déplacés de Rutchuru (Photo : Gwenn Dubourthoumieu/Fondation Hirondelle) Créer les conditions du métier En 10 ans, le paysage médiatique congolais a été modifié par la présence de Radio Okapi. Entretien avec Jean-Chrétien Ekambo, professeur en communication, ancien recteur de l’Ecole de journalisme IFASIC à Kinshasa. Par Dominique Jaccard. Dominique Jaccard : Qu’est-ce que Radio Okapi a changé dans le paysage médiatique de la RDC ? Jean-Chrétien Ekambo : Radio Okapi a donné à la jeunesse congolaise qui s’est formée pour ce métier, le journalisme, une opportunité de s’épanouir. Nous rencontrons des difficultés pour nos anciens étudiants au niveau de l’encadrement par l’entreprise, si elle ne maîtrise pas aussi le métier sur le plan théorique. Et si l’entreprise n’a pas de ressources matérielles et financières pour exploiter les connaissances et les compétences des professionnels, on n’arrive à rien. Radio Okapi a réuni tout cela et je crois que c’est assez exceptionnel. C’est une chance. Les journalistes ont l’encadrement et les technologies qu’il faut, ils ont les salaires qu’il faut, et cela c’est important, je le souligne toujours. Une fois formés, il faut aussi regarder s’ils sont dans un milieu qui leur permet de s’épanouir, et quand je pense à ça, je pense toujours à Radio Okapi. Vous savez, quand vous les mettez dans de bonnes conditions, ils peuvent s’épanouir. DJ : Avez-vous pu observer un autre impact ? JCE : Oui, la discipline. Je sais par exemple que les journalistes de Radio Okapi ne peuvent pas oser se laisser aller à ce que nous appelons dans le pays les « coupages », c’est-à-dire la corruption de journalistes. Ici, c’est une pratique très répandue. Il y a même des médias dont les patrons affirment haut et fort que les « coupages », c’est la façon pour les journalistes de se rétribuer eux-mêmes. Ils n’ont donc pas à payer de salaires. Mais à Radio Okapi, les « coupages » sont interdits. Si vous tentez, vous partez. Et cette discipline là, elle est non seulement constatée par l’ensemble des autres collègues de la profession, mais elle sert aussi de référence. Donc, oui, ce n’est pas admis ; oui, eux, ils ont leur comportement, et ça c’est bon, parce que c’est un phare. Cela signifie que si les conditions sont réunies, c’est possible. Ce n’est pas parce que c’est la RDC, que les journalistes ne peuvent pas abandonner cette pratique là. Elle n’est pas organique, elle n’est pas liée à leur personnage. Elle est liée à des circonstances professionnelles de précarité. DJ : Vis-à-vis de l’ensemble de la société congolaise, Radio Okapi a-t-elle apporté un changement visible ? JCE : Oui. Dans ce sens que maintenant, on est habitué à se rendre compte que le droit à la parole pour les journalistes existe. Les médias étatiques se comportent de deux manières pour faire passer les desiderata du pouvoir : soit par les louanges, soit par la censure ou l’auto censure, c’est-à-dire le silence. Radio Okapi ne fait pas de louange, ça s’est connu, et Radio Okapi ne fait pas passer sous silence des faits qui devraient être portés à la connaissance du public. Depuis que la Radio Okapi émet chez nous, nous avons l’impression qu’il n’y a aucune autre radio qui puisse donner des informations fiables et impartiales. Elle reste la seule qui a gagné la confiance des habitants d’Uvira en informations. Aimedo Ntanama, Uvira C’est réellement une radio de la paix avec son impartialité, si vous pouvez créer la télé ça nous fera du plaisir. Christophe Matata, Lubumbashi Je suis très fier de la Radio Okapi. Nous vous félicitons pour la couverture des élections du 28 novembre dernier. Mais nous ne sentons pas toute la vérité dans le traitement de l’actualité de l’Est du pays. Laetitia Minga, Kinshasa La radio okapi reste la seule radio qui puisse donner des informations fiables et c’est la seule radio qui fonctionne comme une radio chez nous. Je voudrais savoir l’avenir de la radio après le retrait de la MONUSCO ? Héritier Chelo, Bunia Okapi t’es la meilleure. Je me rappelle des premières chansons que Okapi balançait juste les premières heures du début. Tout petit, j’avais 10 ans, je me rappelle que ma grande sœur et mon père disaient que le pays allait vraiment mal, et que la radio qui désormais dira la vérité tout haut vient de naître. Jérémie Bashige Lwende, Goma radiookapi.net s’envole Le site de Radio Okapi atteint 1 million de visites mensuelles en moyenne. Une croissance en phase avec l’extension de l’information sur l’internet. Entretien avec Axel Gontcho, responsable du site internet de Radio Okapi. Par Dominique Jaccard. Dominique Jaccard : Quelle place l’information sur le web a-t-elle prise en RDC ? Axel Gontcho : Le web prend de l’ampleur dans ce pays. Les gens sont de plus en plus intéressés par les nouvelles. Mais il n’y pas que radiookapi.net. Nous avons des concurrents. Il y a mediacongo.net ou digitalcongo.net par exemple. Il y a aussi les sites web des journaux, qui reprennent intégralement les articles publiés. Pour l’instant il n’y a pas de service de monitoring officiel de tous les sites internet du Congo, mais nous avons quand même des estimations et elles nous donnent largement en tête. Les internautes font confiance aux informations que nous diffusons. DJ : Où sont les internautes ? AG : Depuis 7 mois, nous sommes le plus lu au Congo, avec plus de 100’000 visiteurs. Avant, c’était la Belgique, la France, les Etats-Unis, avec la diaspora congolaise. DJ : L’information sur le site de Radio Okapi est-elle la même que sur la radio ? AG : Jusque là, le site n’a pas de production propre. Mais les infos qui sont publiées sur le site sont enrichies, en les complétant, en les mettant en perspectives, en allant vers d’autres sources, en utilisant tous les outils multi médias en notre possession. DJ : L’explosion du nombre de visites sur le site www.radiookapi.net, comment l’expliquez-vous ? AG : Début 2011, nous avions autour de 400’000 visites. En novembre, on a franchi le cap d’1million de visites. Et en décembre, on a frôlé les 2 millions de visites. Cette explosion, on la doit aux élections présidentielle et législatives. Après, on est retourné à 1 million de visites, ce qui n’est pas mal. Les internautes conservent l’intérêt pour ce que nous faisons, et c’est à nous de cultiver cet intérêt. Passage délicat La Fondation Hirondelle n’a pas été épargnée par la crise économique générale de 2011. Elle a dû suspendre, faute de financement, un projet qui lui tient particulièrement à cœur : la 3ème phase du développement de Cotton Tree News en Sierra Leone, qui visait une formation universitaire aux métiers de la radio. Mais elle a aussi dû absorber les effets pervers de la hausse du franc suisse alors que la grande majorité de ses financements sont en euro ou en dollars. Les collaborateurs ont compensé, par leur engagement et quelques sacrifices financiers personnels, ces handicaps. L’année 2012, grâce au soutien des donateurs traditionnels aux différents projets, s’annonce stable. La générosité des donateurs de Hirondelle USA et celle des donateurs privés qui ont largement répondu à l’appel de fin d’année aident à garder la dynamique et la flexibilité indispensables aux actions de la Fondation Hirondelle. DJ Retrouvez l’intégrale des interviews de ce numéro de « Quoi de Neuf » sur le site www.hirondelle.org © Rédaction centrale à Kinshasa (Photo : Gwenn Dubourthoumieu/Fondation Hirondelle) Formation : l’« Académie Okapi » Impressum La composante « formation » constituera un axe majeur du projet Radio Okapi dans les prochaines années. Par Nicolas Boissez, chargé de projet de Radio Okapi. Quoi de Neuf ? Publication trimestrielle de la Fondation Hirondelle Une étape importante du développement de Radio Okapi a été franchie en 2011, avec la formation de formateurs internes, sélectionnés parmi les collaborateurs les plus expérimentés de la radio. Encadrés par la direction de la radio, et particulièrement le Chef de projet de la Fondation Hirondelle, ils ont animé tout au long de l’année une série d’ateliers en provinces, destinés aux journalistes de Radio Okapi travaillant dans les stations régionales et aux journalistes issus du réseau des radios partenaires. Ces formations ont permis la constitution du réseau des correspondants de Radio Okapi. Il a fortement contribué fin 2011 à la couverture des échéances électorales en suivant le déroulement du vote dans une centaine de localités à travers le pays. La possibilité pour des stagiaires issus des structures universitaires de formation en journalisme ainsi que d’autres médias congolais, de suivre une formation en « immersion » pendant quelques jours ou quelques semaines au sein du premier média du pays, sera au coeur de l’offre de formation renforcée qui sera proposée dès 2013. Une « Académie Okapi » devrait ainsi voir le jour et contribuer à la diversification du projet Okapi, l’une des conditions de sa durabilité. Rédactrice responsable: Dominique Jaccard Avenue du Temple 19 C 1012 Lausanne, Suisse www.hirondelle.org [email protected] Téléphone: +41 21 654 20 20 Télécopie: +41 21 654 20 21 CCP 10-16329-8 Lausanne