La joie du pardon (PDF de 106Ko)
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La joie du pardon Le pardon est à regarder sous deux facettes, sous deux angles : le pardon donné par Dieu et le pardon que nous mettons en œuvre vis-à-vis des autres. La joie du pardon qui vient de Dieu C'est la réalité première, toute gratuite et inconditionnelle. Il est donné par Dieu sans « contrepartie », c'est le don de Dieu et c'est plus difficile qu'on ne l'imagine de le recevoir sans « arrière-pensée » ! Il y a d'abord ce sentiment très profond que moi, malgré mes lacunes, mes manques, mon péché, mes difficultés, mes égoïsmes, je suis aimé de Dieu inconditionnellement. C'est beaucoup plus facile d'être généreux et de donner des choses que de se laisser aimer, parce que se laisser aimer cela suppose qu'on se rende disponible à l'autre. Il n'y a rien de plus difficile que de recevoir quelque chose d'une manière gratuite. On a toujours l'arrière-pensée qu'il y aura quelque chose à payer. Quand vous rentrez dans un régime de pardon, vous entrez dans un régime d'abondance, vous rentrez dans un régime de générosité, vous entrez dans un régime de démesure. Il n'y a pas de rationalité possible là-dedans. Il n'y a que les fous qui sont capables d'aimer comme Dieu a aimé, de pardonner comme Dieu pardonne. Nous restons souvent dans une image « païenne » de Dieu, où c'est « donnant-donnant » : si je fais ceci, Dieu me pardonnera ! C'est souvent ainsi qu'on interprète la demande du Notre Père : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » : le pardon de Dieu n'est pas conditionné par le pardon que nous offrons aux autres, c'est le contraire : c'est parce que nous éprouvons, que nous expérimentons le pardon de Dieu, ce don immense et gratuit, que ce pardon va traverser notre vie et nous pousser à être comme notre Père. Il faut nous remettre face à la parabole du débiteur impitoyable ou face à celle du fils prodigue (du Père miséricordieux), pour prendre conscience de cette gratuité incroyable, inouïe du Père des miséricordes. Le Père est remué jusqu'aux entrailles (ses entrailles féminines, selon l'étymologie hébraïque du mot) par notre misère, par la misère de l'homme. Toute la Bible, du Premier au Second Testament, est traversée par le cri d'amour du Père : « Adam, où es-tu ? », c'est le Dieu qui cherche l'homme pour le prendre dans ses bras et le « guérir de son infidélité », comme le dit le prophète Osée. Il faut peut-être avoir fait soi-même l'expérience d'un amour exceptionnel pour prendre – au moins un peu- la mesure de cet amour miséricordieux du Père envers chacun de nous. Si je peux me permettre un témoignage personnel. J'ai vécu quelque chose de semblable vis-àvis d'un ami très cher. J'avais été très indélicate en plusieurs circonstances (sans qu'il ne s'en aperçoive) et je n'osais pas m'en ouvrir à lui, pensant qu'il m'aimerait moins... Mais cela me taraudait de n'être pas franche avec lui. Un jour donc, je lui ai dit que je voulais parler de quelque chose qui m'était difficile à dire et dont j'avais honte... Et, parce que j'avais honte, je n'osais le regarder en face... Je le lui ai dit, avec la tête cachée dans mes bras, posés sur la table. Après avoir parlé, il y a eu un grand silence... puis, j'ai osé lever la tête et le regarder : je n'oublierai jamais son regard ; c'était un regard qui me disait son amitié profonde, encore plus profonde – si c'était possible – après cet aveu. Là, j'ai touché, au moins un peu, ce que pouvait être l'amour gratuit de Dieu, du Père.... Dieu est amour, et rien qu'amour. Le pardon de Dieu, c'est cet amour offert à notre péché, c'est ce manteau qui couvre notre misère et nous enveloppe de tendresse, c'est ce baiser brûlant posé sur nos lèvres menteuses, c'est cette course éperdue d'un Père transporté d'amour à la vue de son enfant chéri tout couvert de blessures.... Vous qui êtes pères, mères, vous savez tout ce que cela veut dire, n'est-ce pas ? Comment ne pas flamber de joie au découvert d'un tel amour ? Au reçu d'un tel don ? Le Père nous attend toujours. Il ne nous contraint jamais. Il est cette sentinelle postée sur nos chemins... Oh, une sentinelle très discrète, silencieuse le plus souvent, d'une patience infinie, qui attend le retour de son enfant. Il suffit d'un tout petit mouvement de notre cœur, d'une esquisse de pas sur le sentier du retour, pour qu'il se précipite, coupe votre aveu et crie aux serviteurs : « Vite,, apportez la plus belle robe, et habillez-le ; mettez-lui un anneau au doigt et des sandales aux pieds. Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé. » (Luc 15, 22-24). Il y a de la joie « dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion » (Luc 15, 7) ! Ce qui n'existe pas car tous, nous sommes pécheurs... La joie du pardon donné aux autres, donné à celui qui m'a offensé Claire parle assez longuement du pardon dans la Forme de Vie. : « Attention !L'abbesse et ses sœurs ne doivent pas se mettre en colère ni perdre la paix à cause du péché d'une sœur. En effet, la colère et le trouble arrêtent l'amour en soi-même et dans les autres. » (Forme de vie 9,5) Vivant 24h sur 24h ensemble, on peut voir des réalités, chez les autres, qui ne sont pas forcément en adéquation avec l'évangile, n'est-ce pas ? Tout le monde peut en faire l'expérience, en famille, dans les divers groupes auxquels on peut appartenir. Claire incite chacune de ses sœurs à faire attention à ne pas se laisser emporter par l'irritation, la colère ou le trouble face à ce qu'elles voient de l'autre. En cela, elle est digne continuatrice des Pères du désert, et de toute la tradition monastique. Garder la paix intérieure face au péché, ou, plus simplement encore, face aux limites et aux faiblesses de l'autre, est une condition essentielle à une vraie vie fraternelle ; cela exige de ne pas « ruminer » de ne pas « ressasser » ce qu'a fait l'autre ; tout un programme... ! A un autre endroit de la Forme de vie, Claire écrit : « En union avec le Seigneur JésusChrist, je donne aux sœurs ce conseil et cet encouragement : méfiez-vous de tout orgueil. Ne soyez pas fières de vous. Ne soyez pas jalouses ni avares. Ne cherchez pas les choses de ce monde, ne vous en préoccupez pas ! Pas de critiques ni de murmures ! Ni désaccord, ni division ! Mais restez toujours unies entre vous. Aimez-vous les unes les autres. Oui, l'amour est le lien qui vous unira parfaitement. » (Forme de Vie 10, 6-7). Si Claire aborde ces sujets, c'est qu'elle a dû être confrontée à ces problèmes de relations difficiles..., ces problèmes de critiques et de murmures que tout groupe connaît bien ! Et qui, si on leur laisse libre cours, empoisonnent toutes les relations. La critique qui, trop souvent, ne voit dans l'autre que ce qui est négatif ou contraire à soi, qui voit si vite la paille qui est dans l'œil du frère en oubliant si vite aussi la poutre qui est dans le sien... Le murmure, qui est souvent le ressassement (elle m'a fait ceci... elle m'a blessée...elle m'a humiliée en public...) L'autre est autre et il faut bien du temps pour l'apprendre et y consentir du fond du cœur... Enfin, dans un troisième passage, Claire écrit : « Voici ce qui peut arriver. Espérons que non ! Une sœur peut quelquefois dire une parole à une autre sœur, ou faire un geste qui la trouble ou la choque. Celle qui a causé ce trouble doit aussitôt se mettre à genoux, avec humilité, aux pieds de sa sœur et lui demander pardon. Elle fait cela avant de présenter l'offrande de sa prière au Seigneur. Mais elle doit aussi demander simplement à sa sœur de prier le Seigneur pour elle. L'autre sœur se souviendra de cette parole du Seigneur : Si vous ne pardonnez pas de tout votre cœur, votre père du ciel ne vous pardonnera pas non plus. Et elle pardonnera de très bon cœur à sa sœur tout le mal que celle-ci lui a fait. » (Forme de vie 9, 6-10) Cela demande à ce que chacune des sœurs soient « conscientes » de ses actes, se regarde elle-même, sache « relire » sa vie, ses actes, ses paroles, pour prendre conscience qu'elle a pu blesser... Claire sait que, vivant ensemble, les occasions de friction sont nombreuses. Plutôt que de rester, de ruminer, de ressasser ces frictions, ces heurts, ces antagonismes, etc..., elle encourage la lucidité sur soi-même, le courage de reconnaître ses torts et d'aller demander pardon ; elle encourage aussi, pour celle qui a été blessée, l'accueil du pardon de l'autre.... Ces démarches peuvent être « coûteuses » au premier abord, mais elles sont sources de paix, de joie, d'amour mutuel. Il n'est pas toujours possible d'aller trouver la personne, mais il est toujours possible de faire tout un chemin dans notre être profond, un chemin qui, d'un même élan, garde en soi le pardon inconditionnel reçu de l'amour de Dieu et peu à peu s'ouvre à la grâce de pardonner ( car c'est un don que le Père nous fait que de pardonner...Nous, nous pouvons faire un petit bout de chemin : (se pardonner à soi-même, accepter la colère, comprendre son offenseur, donner un sens à s notre blessure, etc...), mais le pardon nous vient de Dieu lui-même : quelle joie quand, grâce à Dieu, nous pouvons offrir notre pardon, être l'écho du pardon de Dieu auprès de celui ou celle qui nous a offensé ou quand nous recevons le pardon de qui nous avons offensé..... La joie du pardon. Une lecture du Psaume 31 (32) Jean Duhaime Nos relations avec les autres et avec Dieu nous conduisent parfois dans des situations qui nous paraissent sans issue. En proie au désespoir, nous cherchons quelqu’un ou quelque chose à qui nous raccrocher. Le Psaume 31 (32) nous fait entrer dans une expérience semblable. LE THÈME DU PSAUME ET SA STRUCTURE La personne mise en scène dans ce psaume manifeste publiquement sa joie d’être délivrée d’une grande souffrance. L’épreuve dont elle est sortie a été pour elle une occasion de s’interroger sur sa propre conduite et de faire une démarche de réconciliation avec Dieu. Dans la première partie du psaume (v. 1-5), le fidèle proclame d’abord le bonheur des personnes délivrées de leurs fautes. Puis il décrit son propre malheur et l’expérience qu’il a faite du pardon de Dieu. Dans la deuxième partie (v. 6-11), il affirme sa certitude que Dieu le conduit sur la bonne voie et il invite les cœurs droits à se réjouir avec lui. L’EXPÉRIENCE DE SOUFFRANCE Pour parler de sa souffrance, le psalmiste dit que ses os « se consumaient à rugir tout le jour » (traduction de la Bible de Jérusalem) et que son cœur était comme un champ brûlé par le soleil et la chaleur torride de l’été (v. 3-4). Ces expressions suggèrent un mal d’une forte intensité, une sorte de feu intérieur qui épuise les forces, ne laisse aucun répit et arrache des plaintes d’animal blessé. Rien ne permet de savoir s’il s’agit d’une douleur physique ou d’une souffrance psychologique. Le psaume résiste à tout diagnostic médical précis ; chacun de nous, dans ses moments de souffrance ou d’angoisse, peut s’y reconnaître. LE SENS DONNÉ À LA SOUFFRANCE Comme n’importe qui le ferait dans pareille situation, le psalmiste cherche la cause de son mal afin d’en sortir. Dans la mentalité et la culture de son temps, le bonheur comme le malheur viennent de Dieu. Pour employer les mots du psaume, la « main » de Dieu pèse sur lui « le jour et la nuit ». Pourquoi ? Le psalmiste évoque une faute, un tort, un péché qu’il aurait commis et qu’il aurait tenté de dissimuler, espérant peut-être que Dieu ne s’en apercevrait pas. Cette attitude fait penser à la réaction du premier couple humain après sa désobéissance (Genèse 3, 8-10). Le psaume ne donne pas d’autre détail qui permettrait d’identifier la nature des péchés ; il pourrait s’agir des miens ou des vôtres, aussi bien que de ceux du psalmiste. Pour Dieu, la maladie et la souffrance ne sont pas des façons de punir un coupable, même si le psaume dit plus loin : « Pour le méchant, douleurs sans nombre. » (v. 10) Pour qui sait la décoder, la souffrance peut être une invitation à la réconciliation, à faire le point sur sa relation avec Dieu et, en quelque sorte, à la purifier. RÉACTION DEVANT LA SOUFFRANCE Ayant ainsi compris son malheur, le psalmiste se décide à « jouer franc jeu » avec Dieu. Plutôt que de s’enfoncer indéfiniment dans la souffrance, il préfère courir le risque de reconnaître ses torts. Il fait alors une autre expérience, celle du pardon libérateur accordé par Dieu. Dieu peut acquitter et tourner la page définitivement. Il tient des comptes mais efface les dettes dans ses rapports avec les humains. Comme le fils perdu et retrouvé de la parabole de Jésus (Luc 15, 11-32), le psalmiste découvre la tendresse et l’affection de Dieu qui sera désormais son refuge au milieu de l’angoisse (v. 6). Dieu lui montre un chemin vers le bonheur (v. 8). POUR AUJOURD’HUI Encore aujourd’hui, beaucoup de gens interprètent la maladie ou la souffrance à la manière du psalmiste, comme un avertissement de Dieu ou une punition pour les péchés. Jésus, lui, refusait cette interprétation. Quand on lui demande : « Pourquoi cet homme est-il né aveugle ? Est-ce lui qui a péché, ou bien ses parents ? », il répond sans hésiter : « Ni lui, ni ses parents. » (Jean 9, 2-3) Le langage du Psaume 31 n’a cependant rien perdu de sa pertinence car il peut rejoindre des situations que nous vivons régulièrement dans nos relations avec Dieu ou avec les êtres qui nous entourent. Il nous arrive parfois de prononcer des paroles ou de poser des gestes qui peuvent faire très mal à l’autre, sans toujours le vouloir. La tentation est forte, alors, de nous enfermer dans le silence et de couper les ponts. Les situations ambiguës, qui n’ont pas été réglées, peuvent devenir des boulets à traîner jour et nuit, comme un cancer qui ronge les os. L’exemple du psalmiste nous invite, dans une telle situation, à oser faire le premier pas vers l’autre, à tenter une démarche de clarification et de réconciliation. Et s’il nous arrive d’être en position de victime – ce qui est ici paradoxalement la position de Dieu –, ce psaume nous propose, chaque fois que cela est possible, de mettre tout en œuvre pour que la vérité soit faite et que les torts soient réparés. Mais pas de vérité sans pardon : un pardon sincère, qui libère, qui ouvre des chemins d’humanité et qui rende la joie à nouveau possible. Dans le « Notre Père », nous demandons à Dieu de nous pardonner nos offenses « comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Ce psaume nous invite à apprendre de Dieu lui-même ce qu’est un pardon authentique : un pardon qui délivre vraiment du mal aussi bien la victime que l’offenseur.