tumeurs de la levre et des joues au service de stomatologie de l

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tumeurs de la levre et des joues au service de stomatologie de l
TUMEURS DE LA LEVRE ET DES JOUES AU SERVICE
DE STOMATOLOGIE DE L’HOPITAL NATIONAL DE
KATI(REPUBLIQUE DU MALI) - A PROPOS DE 44 CAS
M.L. DIOMBANA*, AG. MOHAMED A**, H. KUSSNER***, B. SINE****, M. PENNEAU*****
RÉSUMÉ
Une étude d’évaluation sur les lésions tumorales des
lèvres et des joues fut entreprise au service de Stomatologie et de Chirurgie Maxillo-faciale de l’Hôpital
National de Kati entre Janvier 1981 et Décembre 1988.
L’échantillon se composait de 20 femmes (45,50%) et de
24 hommes (54,50%) avec une moyenne d’âge de 30,07
ans. Le choix des patients était accidentel ou basé sur
recommandations de tierces personnes. La tranche
d’âge la plus touchée fut celle comprise entre 19 et 45
ans 18/44 cas (40,10%). La prédominance était masculine à 54,50%. Les ethnies les plus fréquemment représentées dans nos consultations furent celle des Bamanans à égalité avec celle des Peuhls (25,00% chacune).
Le monde paysan était le plus touché avec 14/44 cas
(36,40%). La localisation au niveau de la lèvre et des
joues de 74,60%, celle des lèvres 27,20%. Les lésions
tumorales étaient dominées par les carcinomes 15/44 cas
(34,20%) dont 10/15 cas de carcinomes spinocellulaires
(66,66%). Les patients venant de la région de Kayes
représentaient 15/44 cas (34,10%) devant ceux de Koulikoro et du District de Bamako (31,80%).
INTRODUCTION
Les lèvres constituent deux replis musculo-membraneux
situés à la partie antérieure de la bouche, dont elles constituent la paroi antérieure dynamique. Les lèvres comprennent quatre couches : La peau, la muqueuse, la sub-muqueuse et les muscles. Elles sont limitées en dehors par le
sillon nasogénien, en bas par le sillon labio-mentonnier, en
haut par le seuil narinaire, en dedans par les vestibules
buccaux.
Le cancer des lèvres serait relativement fréquent en France
(1% de la morbidité des cancers observés). Il représenterait
10,50% des cancers de la peau, 17,80% des cancers des
voies aéro-digestives supérieures (Enquête permanente
* CCA d’Odonto-stomatologie et Chirurgie Maxillo-Faciale à l’ENMP du
Mali. Chef du Service de Stomatologie et de Chirurgie Maxillo-faciale de
l’Hôpital de Kati (BP 16).
** CCA d’ORL à l’ENMP de Bamako. chef du Service d’ORL et de
Chirurgie Cervico-faciale de l’Hôpital Gabriel Touré (B.P. 267 Bamako).
Médecine d'Afrique Noire : 1996, 43 (8/9)
cancer 1975-1982).
De 1800 à 2000 cas de cancers rien qu’au niveau de la
lèvre inférieure sont observés chaque année en France
selon J.M. DESCROZAILLES (1983).
Parmi les éléments susceptibles de favoriser les carcinomes
il en est deux qui d’ailleurs interfèrent. Ce sont les facteurs
héréditaires et le rôle des agents carcinogènes.
Les agents carcinogènes sont le tabac et l’alcool. L’alcool
semble être le principal agent incriminé dans les cancers du
larynx, de la cavité buccale, ainsi que de l’oesophage.
(C. BEAUVILAIN de M. 1986). Pour les sujets ayant fumé
pendant 10 ans le risque serait de 7,30% (pour une
consommation quotidienne de 11 à 20 cigarette) et de
10,50% (pour une consommation supérieure à 30 cigarettes
et davantage).
Dans les statistiques de CANN cité par C. BEAUVILLAIN
de M, l’alcool serait également incriminé dans les cancers
du larynx, et mieux des glandes salivaires et des sinus.
L’intérêt de notre étude :
- Il s’agit d’une première étude dans un service de stomatologie du Mali ;
- Qu’elles soient bénignes ou malignes les tumeurs des
lèvres et des joues constituent des lésions dont le diagnostic et la thérapie impliquent le concours de multiples spécialités.
- La sauvegarde des fonctions labiales joue un rôle
d’esthétique majeur du visage, et pose des problèmes
complexes liés au pronostic de l’affection (E. MAHE,
1984).
Notre objectif était de :
- Déterminer à l’aide d’une statistique descriptive, l’évolution des tumeurs de la lèvre et de la joue en fonction
de la classe d’âge, de l’éthnie de la profession et de la
résidence des patients ;
- D’évaluer sa distribution selon le sexe, le siège, les
lésions anatomo-pathologiques.
*** Médecin Stomatologue et Orthodontiste à Bochum (RFA).
**** Prof. d’Anatomo-pathologie à l’ENMP du Mali. Chef du Service
d’Anatomo-pathologie de l’INRSP à Bamako (BP. 1771).
***** Chef du Service de Stomatologie et de Chirurgie Maxillo-faciale au
CHRU d’Angers (France).
TUMEURS DE LA LEVRE…
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PATIENTS ET MÉTHODES
Nous avons reçu entre Janvier 1981 et Décembre 1988, 44
patients dont 20 de sexe féminin (45,50%) et 24 de sexe
masculin (54,50%). La moyenne d’âge était de 30,07 ans
avec des extrêmes entre 1 et 70 ans.
Le choix des patients était accidentel, basé sur recommandations de tierces personnes.
Les patients étaient originaires du Mali mais aussi du Ghana et de Mauritanie. Après la consultation chaque patient
effectuait le bilan biologique standard du service (Numération Formule Sanguine, le BW, la Glycémie, l’Urée sanguine, le test d’Emmel, uns Scopie ou radiographie pulmonaire).
La technique opératoire la plus utilisée fut celle de l’exérèse de la tumeur dans des marges de sécurité au niveau du
tissu sain, avec des sutures par plans. Il y a eu aussi la plastie d’ESLANDER-ABBE, ou celle de la rotation de la
joue. Les interventions avaient lieu sous anesthésie locale
ou loco-régionale avec de la xylocaïne 2% après prémédication ; (rarement sous anesthésie générale).
Les autres méthodes de traitements telles la curiethérapie
interstitielle à l’iridium 192, la radiothérapie transcutanée
qui semblent donner de bons résultats aujourd’hui (J.J.
MAZERO, G. MARINELLO, B. PIERQUIN, 1989)
n’étaient pas applicables chez nous. Quant à la chimiothérapie, elle était quasi inexistante (4/44 cas).
Les tissus de biopsie étaient prélevés sur la pièce opératoire puis expédiés à l’INRSP dans le service du Pr. S. BAYO,
pour examen anatomo-pathologique.
L’analyse des données, ainsi que les calculs statistiques
furent effectués selon le logiciel “EPIINFO” et leur
représentation tabulaire fut adoptée.
RÉSULTATS
Tableau I : Répartition de l’effectif et
de la fréquence des patients selon la classe d’âge
Classe d’âge
Effectif
Fréquence
1-18 ans
15
34,10%
19-45 ans
18
40,90%
48-70 ans
11
25,00%
Total
44
100,00%
Tableau II : Distribution de l’effectif et
de la fréquence des patients en fonction de l’ethnie
Ethnie
Effectif
Fréquence
Bamanan
Peuhl
Sarakole
Autres
11
11
10
12
25,00%
25,00%
22,70%
27,30%
Total
44
100,00%
Autres = Dogon : 1, Malinké : 4, Maure : 2, Senoufo : 2, Sonrhai : 1,
Ashanti : 1, Somono : 1, soit 12 cas.
Tableau III : Distribution de l’effectif et
de la fréquence des patients selon l’occupation
Occupation
Effectif
Fréquence
Cultivateur
Eleveur
Ménagère
Autres
16
9
9
10
36,40%
20,50%
20,50%
22,60%
Total
44
100,00%
Autres = Commerçant : 2, Etudiant : 1, Sans occupation : 7, soit
au total 10 cas.
Tableau IV : Distribution de l’effectif et de la fréquence
des patients en fonction du siège de la tumeur
Siège
Effectif
Fréquence
Joue
16
36,40%
Lèvres Inf+sup.
12
27,20%
Lèvres+joues
16
36,40%
Total
44
100,00%
Tableau V : Distribution de l’effectif et
de la fréquence des patients selon le sexe
Sexe
Effectif
Fréquence
Masculin
24
54,50%
Féminin
20
45,50%
Total
44
100,00%
Médecine d'Afrique Noire : 1996, 43 (8/9)
M.L. DIOMBANA, AG. MOHAMED A, H. KUSSNER, B. SINE, M. PENNEAU
485
Tableau VI : Distribution de l’effectif et
de la fréquence des patients en fonction
des lésions anatomo-pathologiques
Figure 2 : Répartition du siège de la tumeur
en fonction de la classe d’âge
Nb de cas
Anatomo-pathologie
Effectif
Fréquence
9
Carcinomes
Angiomes
Autres
15
13
16
34,20%
29,60%
36,20%
8
Total
44
100,00%
6
19-45 ans
Série2
A u t res = Cheilite granulomateuse : 2, Chéloïde : 3, Kyste
mucoïde : 1, Lymphosarcome lymphoblastique : 1, Naevus : 2,
Polype : 1, Tumeur mixte : 2, Lymphangiome : 3, Mélanome
malin : 1, soit au total 16 cas.
5
46-70 ans
Série3
Tableau VII : Répartition de l’effectif et
de la fréquence des patients selon leur résidence
2
Résidence
Effectif
Fréquence
Kayes
Koulikoro
Bamako
Sikasso
Autres
15
7
7
6
9
34,10%
15,90%
15,90%
13,60%
20,50%
Total
44
100,00%
A u t res = Gao : 1, Mopti : 1, Ségou : 3, Tombouctou : 2,
Accra : 1, Nouackchott : 1, soit au total 9 cas.
Figure 1 : Répartition de la classe d’âge
en fonction du sexe
10
1-18 ans
Série1
7
4
3
1
0
Lèvres
Joues
Lèvres + Joues
Il n’y a pas de liaison statistique entre l’âge et le siège (P = 0,42).
Figure 3 : Répartition des lésions
anatomo-pathologiques en fonction de la classe d’âge
10
Nb de cas
1-18 ans
Série1
9
Série2
19-45 ans
8
46-70 ans
Série3
Nb de cas
Féminin
Série1
9
8
Masculin
Série2
7
7
6
5
6
4
5
4
3
3
2
2
1
1
0
1-18 ans
19-45 ans
46-70 ans
CHI 2 = 1,63
Il n’y a pas de liaison statistique entre l’âge et le sexe (P = 0,44).
Médecine d'Afrique Noire : 1996, 43 (8/9)
0
Angiome
CHI 2 = non validé
Carcinome
Autres
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Figure 4 : Répartition des lésions
anatomo-pathologiques en fonction du sexe
Féminin
Série1
Nb de cas
9
Série2
Masculin
8
7
6
5
4
3
2
1
0
Angiome
Carcinome
Autres
CHI 2 = 3,020. Il n’y a pas de liaison statistique entre le sexe et
le siège (P = 0,65).
DISCUSSION
Entre Janvier 1981 et Décembre 1988 une étude rétrospective fut entreprise à l’Hôpital de Kati dans le service de
Stomatologie et Chirurgie Maxillo-faciale. Il y avait 44
patients au total dont 20 de sexe féminin (45,50%) et 24 de
sexe masculin (54,50%).
La moyenne d’âge est de 30,07 ans avec des extrêmes entre
1 et 70 ans. La tranche d’âge la plus touchée est celle comprise entre 19 et 45 ans (18/44 cas) soit 40,90%. L’atteinte
de la tranche d’âge de 1-18 ans est de 15/44 cas (30,10%).
Pour BERNIER et CLARK cités par E. MAHE, l’atteinte
des sujets jeunes n’est pas rare : environ 71,00% dans leur
observation pour les 20-44 ans.
L’ethnie la plus représentée dans notre observation est celle
des bamanans à égalité avec celle des peuhls 11/44 cas
chacune (25,00%), ensuite vient celle des sarakolés 10/44
cas (22,70%).
L’occupation la plus souvent rencontrée fut celle des
cultivateurs avec 16/44 cas (36,40%).
Le siège au niveau des lèvres représentent 12/44 cas
(27,20%), tandis que celui au niveau des joues et des lèvres
16/44 cas (36,40%) et celle uniquement au niveau de la
joue 16/44 cas soit 36,40%.
La prédominance à Kati est masculine avec 24/44 cas
(54,50%)/
Les lésions tumorales sont dominées par les carcinomes
15/44 cas (66,66%), dont 10/15 cas de spinocellulaires. Les
angiomes représentent 13/44 cas (29,60%) dont 10 hémangiomes (76,92%).
Les patients de la région de Kayes viennent en tête avec
15/44 cas (34,10%) devant ceux du district de Bamako à
égalité avec Koulikoro 7/44 cas (15,90%) pour chacun
d’eux.
P. BERTOIN, (1984) trouve dans son étude un âge moyen
de 58 ans, mais la pathologie existait aussi bien chez les
vieux éthylo-tabagiques de 85 ans. La prédominance est
masculine à 90% avec cependant une prédisposition des
lésions au niveau de la lèvre supérieure et de la face interne
des joues chez les femmes (carcinomes baso-cellulaire) ;
les lésions des glandes salivaires sont de 40,00%.
Dans la même étude le carcinome spinocellulaire représente 90% des tumeurs malignes buccales ; les adéno-carcinomes 5,00% du total.
Le progrès de l’éthylisme et du tabagisme féminin aux
U.S.A. réduit le sex ratio à 4/1.
L’âge moyen des patients de P. BARRELIER (1980) au centre Baclesse est de 64 ans avec une prédominance masculine
à 88%.
Les résultats de l’INSERM au cours de “l’enquête permanente cancer” sont identiques avec une fréquence des cancers de la lèvre entre 60 et 70 ans chez l’homme et
75-85 ans chez la femme.
Selon E. MAHE (1984), les cancers de la lèvre sont assez
fréquents en France avec une morbidité de 1% des cas
observés. L’âge moyen est la sixième décennie avec 67 ans
pour l’homme et un peu plus pour la femme.
La prédominance masculine est de 9/10 cas. L’épithélioma
spinocellulaire est plus fréquent avec 90% des carcinomes,
(les baso-cellulaires 3%), quant aux tumeurs des glandes
salivaires elles sont exceptionnelles.
Dans les statistiques de GUILBERT (1972), la localisation
au niveau des lèvres représente 80 à 95% des cancers buccaux dont 5% pour la lèvre supérieure, 10%, pour la face
interne des joues, des commissures et des vestibules labiaux (cette dernière est surtout l’apanage des femmes).
D. DEHESIN (1989) ont quant à ceux trouvé une locali-
Médecine d'Afrique Noire : 1996, 43 (8/9)
M.L. DIOMBANA, AG. MOHAMED A, H. KUSSNER, B. SINE, M. PENNEAU
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sation jugale de 10,50% pour les tumeurs de la cavité
buccale.
CONCLUSION
Le cancer de la lèvre paraît se rapprocher sur le plan étiologique du cancer de la peau. C’est du moins ce que montre
l’âge de survenue, le décalage d’âge entre les sexes et l’influence manifeste des facteurs professionnels. Son dépista-
ge ainsi que son diagnostic précoce devrait s’adresser aux
populations rurales et aux personnes exposées agriculteurs,
cantonniers, marins, pêcheurs, maçons, etc. (8% des sujets
en contact avec un agent cancérigène exemple : le brai
(15,73% des mineurs sur 356 malades selon J. ROUSSEL
(1976).
La sensibilisation, l’éducation et l’information est surtout
un travail du médecin traitant.
BIBLIOGRAPHIE
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Cancers de la cavité buccale.
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Traitements chirurgicaux des cancers de la cavité buccale.
E.M.C. Paris Stomatologie 22065 A10, 11-1984.
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Traitement des tumeurs malignes de la cavité buccale.
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Tumeurs bénignes et malignes des lèvres.
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