Simon Leys ou l`art de la citation
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Simon Leys ou l`art de la citation
Le Soir Mercredi 13 août 2014 Le Soir Mercredi 13 août 2014 22 FORUM FORUM 23 Entretiens, débats en ligne : l’actualité vit sur le site du « Soir ». En voici des moments forts. Et si vous avez le temps, allez sur lesoir.be/debats. « On ne pourra jamais se passer d’investissements dans l’industrie » Chaque année, on nous promet la reprise, mais elle se fait désirer. Les derniers chiffres laissent craindre un ralentissement économique. On en parle avec Dominique Berns et Morgane Kubicki. Quel est le mal mystérieux qui ronge la zone euro ? M.K. Un euro trop fort ne favorise pas les exportations mais ce n’est qu’une partie du problème. C’est une conséquence de la politique menée par la BCE. La faute à un libéralisme dévastateur ? D.B. C’est un problème de longue durée. Un vrai problème qu’on a largement sous-estimé, croyant qu’on passerait à une économie postindustrielle. Or on se rend compte qu’on ne pourra jamais se passer de l’industrie et qu’il faudrait parvenir à la redévelopper chez nous. Le capitalisme n’est-il pas dépassé ? D.B. Cela dépasse la question de la reprise conjoncturelle dont nous avons besoin aujourd’hui. La question revient à savoir ce qui a fait la prospérité de notre pays : l’efficacité de l’économie de marché ou la disponibilité des ressources et de l’énergie ? Il faudrait d’abord se demander comment résoudre le chômage qui reste massif malgré des débuts de reprise. Quelles sont les perspectives pour 2015 ? M.K. On a tendance à se dire que l’année prochaine sera toujours meilleure quand l’année en cours est mauvaise. On hésite donc à investir pour l’instant, et c’est mauvais pour l’économie. Or on fonctionne comme ça chaque année en zone euro. D.B. Les dynamiques en cours ne sont pas positives en zone euro. Les entreprises sont attentistes et les ménages continuent à se serrer la ceinture. Dans ces conditions, qui et comment peut-on encore soutenir la croissance ? aujourd'hui Michaël Youn Acteur, humoriste Le fair-play financier dans le monde du football, une utopie ? « Je sais bien que dans les pays occidentaux c’est la période des vacances, mais quand il y a des gens qui meurent, j’allais dire qui crèvent, il faut revenir de vacances. » On en parle avec Jean-François Lauwens. Robin Williams… j’étais allé le voir live en 2002 sur Broadway… J’ai l’impression de perdre Louis de Funès pour la 2e fois. c'est vous qui le dites © REUTERS. sur lesoir.be LE MINISTRE FRANÇAIS DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES LAURENT FABIUS, PRESSANT LA DIPLOMATIE EUROPÉENNE D’AGIR DANS LE DOSSIER IRAKIEN (AFP). Plantage européen L’Europe avait le choix entre l’austérité avec ses restrictions supportées pour l’essentiel par les classes moyenne et faible, et une approche plus keynésienne, certes contre-intuitive pour d’aucuns, mais probablement nécessaire le temps de réamorcer la machine. Il se trouve que l’Europe a cédé aux phobies allemandes et au dogmatisme des partisans d’une « économie de l’offre » (pourtant, ce sont bien les opportunités commerciales, et donc les besoins solvables qui décident les entrepreneurs à travailler sur un marché !). Et face à ce choix limpide, l’Europe s’est magistralement plantée. EU SUR LESOIR.BE D’autres opinions sur www.lesoir.be/polemiques le dossier la carte blanche Pourquoi le foot ne fait pas ceinture Comme chaque année, les grands clubs font tourner la planche à billets. Comme chaque année, on s’en étonne. Comme chaque année, on dit que c’est la crise. Comme chaque année, on invoque le fair-play financier. Un système plus pervers que vertueux ? Aujourd’hui, le football à deux vitesses est une réalité et seuls les clubs les plus riches d’Europe alimentent tout le marché des transferts. Comment fixe-t-on un prix de transfert ? L’Observatoire du football de Neuchâtel estime chaque année le montant des transferts (il existe même un formulaire pour ce faire sur son site). Assez précisément si l’on prend l’exemple de Lukaku, transféré à Everton exactement pour le montant évalué (35 millions). Comment évaluer alors le prix d’un transfert ? « Il y a plusieurs paramètres qui entrent en ligne de compte, dit Poli : la durée restante de contrat – importantissime puisqu’elle seule justifie l’indemnité de transfert, l’âge du joueur (le montant diminue avec l’âge), le poste (les joueurs offensifs sont les plus chers), le niveau de son club d’origine, le fait qu’il soit titulaire, le nombre de buts, son appartenance à une équipe nationale et si oui laquelle. Tout ça ensemble explique 80 % des différences de prix entre joueurs. » Mais il y a les 20 % restants : « Ceux-là échappent à la logique : c’est le cas de Mangala, dont le prix défie toute rationalité. Il y a un an, Bale a coûté deux fois plus cher que son prix et, cette année, David Luiz a été vendu 50 millions alors qu’on l’évaluait à 30 millions. Même chose pour Vermaelen, transféré à Barcelone pour 18 millions : on l’estimait à 6-7 millions puisqu’il n’avait pas joué de la saison. Barcelone a surpayé tous ses transferts. » J.-F. LWS Simon Leys ou l’art de la citation Les transferts les plus chers... En millions d’euros Luiz Suarez de l’année l (de Liverpoo à Barcelone) C. Ronaldo nited 009, de M. U de tous les temps (2 ) à Real Madrid guez James Rodri Real Madrid) ane Zinedine Zid ntus au Real Madrid) 1, de la Juve llaini Marouane Fen à Man. United) (200 de l’obligation d’équilibre financier (break-even requirement). On est dans une période transitoire où il est encore permis d’aller en négatif pour investir dans les joueurs du futur mais, où chaque année, il faudra dépenser moins. L’année prochaine, ce sera encore plus difficile. » 2 Comment de tels montants peuvent-ils subsister à l’ère du fair-play financier ? Tout simplement parce que, derrière son appellation si vertueuse, le FPF ne l’est pas tant que cela. « Sémantiquement, le fair-play financier, cela sonne bien, poursuit Dupont. Mais la réalité est autre. C’est un système de licences comme en Belgique, ce qui est très bien, mais la règle d’exigence d’équilibre financier équivaut à dire qu’on ne peut dépenser plus qu’on ne gagne. Dans la gestion d’un ménage, c’est prudent, mais, dans le monde de l’entreprise, cela s’assimile à une interdiction d’investissements, ce qui est totalement illégal. Une entreprise peut investir et perdre de l’argent quelques années avant d’arriver à l’équilibre. » Nicolas Petit, professeur de droit européen à l’ULg, a très bien expliqué le nœud du problème dans un texte d’analyse juridique : « Le Real Madrid a des revenus annuels estimés à 500 millions d’euros et le Standard de Liège à 25 millions d’euros. Dans ce système, le Real Madrid jouit donc du droit d’acheter plusieurs Cristiano Ronaldo à 96 millions d’euros alors que le Standard n’a juridiquement pas le droit de payer ne serait-ce que le tiers de ce transfert. Le système favorise l’émergence d’un oligopole de clubs rentiers de recettes historiques, une “oligopoleague”, dominant les compétitions de sa puissance financière. » Pour Raffaele Poli aussi, le fair-play financier, « c’est le grand malentendu. L’UEFA a entretenu, et les médias l’ont crue, l’idée qu’il amènerait plus d’égalité entre les clubs. Il n’en est rien : l’idée était de limiter la spirale inflationniste mais les clubs sont devenus des marques globales dont les recettes augmentent. Ce qui ne touche pas toute la pyramide du foot mais juste sa pointe. Le FPF est fait pour empêcher des mécènes d’investir de grosses sommes puis de faire faillite. Mais on ne va évidemment pas exclure Manchester United ou le PSG parce qu’ils ne respectent pas les règles alors qu’il y a déjà si peu de clubs dans cet oligopole. On les punit mais, pendant ce temps, Barcelone ou Chelsea ne sont pas en reste. » 3 Rivaliser avec le top, c’est fini pour Anderlecht ou le Standard ? « Il n’y a plus que 7-8 clubs dans ce système, les 5 grands espagnols et anglais, le Bayern, le PSG, quelques clubs de deuxième rang comme Naples ou Dortmund, qui vendent des joueurs à 50 millions. Et ce sont ceux que l’on retrouve en quarts de finale de la Ligue des Champions, résume le fondateur du Football Observatory. Si l’objectif était d’avoir plus d’équité dans le football, il aurait fallu intervenir sur la redistribution des recettes, créer des systèmes de transferts avec redistribution aux clubs formateurs ou avec une autre distribution des droits de télévision. Mais l’UEFA ne peut enlever de recettes à ces grands clubs qui pourraient mener une fronde. En fait, pour les clubs, belges, ce n’est pas fini depuis le fair-play financier mais depuis l’arrêt Bosman puis l’avènement des télévisions à péage. Ces grands pays vendent leurs droits à l’étranger, ce qui les renforce encore. » Jean-Louis Dupont a beau être à l’origine de l’arrêt de la Cour européenne de justice de 1995, il sait que, dans les faits, il a rendu les clubs riches encore plus riches et les moins riches encore moins riches : « Du jour au lendemain, on est entré dans un marché unique totalement ouvert sur le plan du travail mais toujours compartimenté sur le plan du produit puisque le football reste confiné dans son espace national. Il est probable que Luxembourg ou Dublin présentent un espace économique plus favorable à la présence d’un bon club de foot qu’Eindhoven et, pourtant, ce n’est pas possible. Cette organisation territoriale prive d’un grand club de grandes villes de petits Etats, comme Bruxelles, et favorise les grands marchés. » Finalement, le système va-t-il dans le mur comme on l’a souvent dit ou at-il trouvé son modèle économique comme cela semble être le cas ? Réponse de Raffaele Poli : « Les deux ! Pour le haut du panier le système est pérenne, mais, en dessous, la situation des clubs est catastrophique, on est déjà dans le mur. En Italie, en Espagne, des clubs comme Valence tombent en faillite ou sont maintenus en vie artificiellement. » 4 Finalement, avec 8 clubs qui attirent toutes les stars, ne va-ton pas vers une ligue fermée à l’américaine façon NBA ? « De toute façon, c’est déjà le cas ! », répondent en chœur nos interlocuteurs. Poli : « C’est pire même ! Car si l’on était dans un championnat de type NBA, on aurait une redistribution des ressources. Alors qu’aujourd’hui, on est dans un monde fermé qui se dit ouvert et, à la fin, il y a des écarts énormes. Je pense qu’au bout d’un moment, les grands clubs et les télévisions qui ne constituent plus que quelques grands groupes parviendront à obte22 to (2013, d’Ever llaini Marouane Fedard à Everton) LE SOIR - 13.08.14 008, du Stan (2 nir de l’UEFA le retrait des champions des petits pays qui prennent 3 points au mieux en phase de poules de la Ligue des champions. On ne gardera qu’eux ou ils diront au revoir à l’UEFA. Pour le moment, leur business est tellement florissant qu’ils n’en ont ni le besoin ni le courage. » Jean-Louis Dupont : « Sans le dire, on a créé cette ligue fermée. On aurait pu faire des divisions européennes, deux, trois, avec des montants et des descendants. Du coup, les droits télés n’auraient pas dépendu de la taille du marché national. C’est comme si on avait mis en place des franchises avec les autres en dessous. On a retiré l’échelle sociale. Personne n’achètera plus Anderlecht, le PSV, le Celtic avec l’idée d’en faire autre chose que ce qu’ils sont aujourd’hui. Les clubs les plus durement frappés sont les grands clubs des petits marchés » Les riches toujours plus riches, les pauvres toujours plus pauvres… ■ JEAN-FRANÇOIS LAUWENS Simon Leys est décédé lundi. L’écrivain Jean-Baptiste Baronian lui rend hommage en nous rappelant combien ce brillant écrivain et sinologue, auteur de plusieurs ouvrages de référence, maîtrisait également l’art de la citation à la perfection, dévoilant sa propre personnalité en convoquant d’illustres auteurs dans « Les idées des autres ». e 5 novembre 2005, Simon Leys a été reçu docteur hoL noris causa de l’Université catho- else (2014, de Ch ac (2014, de Mon M (de l’Atlético Pourquoi de tels transferts continuent-ils à exister ? Il y a bien sûr le fait que l’on est dans une année de Coupe du monde, ce qui a mis en évidence des joueurs jusque-là peu en vue. Dans le cas de Barcelone (qui avait été interdit de transfert par l’UEFA mais a fait appel), on peut ajouter que la Coupe du monde a confirmé la nécessité de renouveler les cadres. De là à adjoindre Suarez à Neymar et Messi ? Ou Rodriguez et Kroos à Ronaldo, Benzema et Bale à Madrid ? L’explication est plus financière que sportive. « Barcelone n’a jamais réalisé de chiffre d’affaires aussi important qu’en 2013-2014, ils ont du cash, analyse Raffaele Poli, responsable de l’Observatoire du football du Centre international d’étude du sport de Neuchâtel (Suisse). Même chose pour le Real Madrid. Manchester City a de l’argent aussi. Tout le marché des transferts est tiré par quelques clubs qui voient leurs recettes grandir sans cesse. Les clubs anglais bénéficient de la manne des droits télés, le Real récupère en quelques jours le tiers du transfert de James Rodriguez rien qu’en vendant des maillots à son nom. C’est presque comme si les clubs devaient réaliser un mégatransfert par an pour vendre des maillots ! On peut donc surpayer ce joueur par rapport aux critères sportifs. » Cette institution a créé un mode de calcul des sommes de transfert (lire ci-contre). Mais un transfert comme celui de Mangala échappe aux prévisions. Pour certains, l’offre et la demande jouent un rôle quand peu de stars évoluent dans un registre (David Luiz était le plus cher à ce poste et il a raté son Mondial). Jean-Louis Dupont fait le lien entre ces transferts et l’entrée en vigueur du fair-play financier. Cet avocat a bouleversé le foot européen en 1995 en obtenant l’arrêt Bosman. Aujourd’hui, avec l’agent de joueurs Daniel Striani, rejoint par des groupes de supporters, il demande à la justice belge d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne à propos du FPF. Selon lui, « certains mouvements de transferts s’expliquent par la règle ku Romelu Luka a à Everton) guez James Rodri o au Real Madrid) (d C nfi (2012, de Be urg) Saint-Petersbo (2 David Luiz Paris Saint-Germain) e Chelsea au ’est reparti pour un tour. Comme chaque année, avec dans la tête cette appellation un brin hypocrite mais tellement séduisante qu’est le fairplay financier (FPF), on avait pronostiqué une accalmie dans la spirale inflationniste. Mais, comme chaque année, les cinq géants financiers du football européen (Barcelone, Real Madrid, Manchester United, Manchester City, Chelsea ; le Bayern Munich restant en retrait vu le succès mondial de son casting de rêve) recommencent à faire des folies. Les Belges ne sont désormais plus exclus du manège avec des sommes démentielles à la clé pour des transferts surprise : près de 20 millions pour voir Vermaelen porter le maillot de Barcelone (!). Quant à l’ex-Standardman Mangala, les 53 millions claqués par City pour le prendre à Porto en font le défenseur le plus cher de tous les temps et le joueur le plus cher issu du championnat de Belgique. Axel Witsel ca au Zenit Luiz Suarez ool à Barcelone) 014, de Liverp an Diego Costa adrid à Chelsea) (2012, de Lille à Chelsea) (2 rid) au Real Mad gala Eliaquim Man. City) (de Porto à M Eden Hazard de joueurs belges Gareth Bale ham 013, de Totten au (de Monaco 1 EN PRATIQUE Jean-Baptiste Baronian Ecrivain belge Mangala est devenu le défenseur le plus cher de l’histoire. © D.R. lique de Louvain. J’ai eu la grande chance d’assister à la cérémonie d’intronisation ; elle a été simple, très peu solennelle, alors même que les autorités académiques portaient la toge universitaire, ainsi que le veut la bonne vieille coutume de l’Alma Mater. C’est la première fois de ma vie que je voyais en chair et en os l’homme que j’avais découvert comme tout le monde, je suppose, à la parution de son pamphlet Les habits neufs du président Mao, en 1971. Et comme tout le monde, j’ignorais à cette époque qu’il s’appelait en réalité Pierre Ryckmans, qu’il était natif de Bruxelles (en 1935) et que Simon Leys était un nom de plume qu’il avait choisi en référence directe à René Leys, le chefd’œuvre posthume de Victor Segalen publié en 1922. Dans Le Figaro littéraire en date du 3 février 2005, il allait écrire : « Si j’osai alors emprunter mon patronyme fictif au chef-d’œuvre de Segalen, c’est tout simplement parce que, à ce moment-là, René Leys, complètement épuisé et introuvable depuis plus de vingt ans, n’éveillait plus d’échos que dans la mémoire d’une poignée d’admirateurs fidèles, amoureux de littérature, un peu frottés de Chine, et c’était à ces happy few, mes semblables, mes frères, que j’adressais ainsi un innocent clin d’œil. » Dans son (bref ) discours de Louvain intitulé « Une idée de l’université » et prononcé sur un ton ferme et vigoureux, Simon Leys n’a pas parlé de Victor Segalen et n’a évoqué la Chine qu’à travers un axiome de Zhuang Zi, un penseur taoïste du IIIe siècle av. J.-C. : « Tous les gens comprennent l’utilité de ce qui est utile, mais ils ne peuvent pas comprendre l’utilité de l’inutile. » Je me suis empressé de noter la phrase. À regarder ce discours de près, on s’aperçoit qu’il est émaillé de citations et qu’il débute d’ailleurs par un précepte de Jacques Chardonne parfaitement approprié à la circonstance : « Quand vous entendez le bruit des applaudissements, vous savez qu’il est temps de s’en aller. » Les autres citations sont du cardinal Newman, de Gustave Flaubert (l’extrait d’une lettre à Ivan Tourgueniev), de Clive S. Lewis, d’un « brillant et fringant jeune ministre de l’Éducation » en Angleterre dont Simon Leys n’a pas communiqué l’identité, de ce Zhuang Zi donc et, pour finir, d’Érasme avec un adage qui figure dans toutes les chrestomathies : « On ne naît pas homme, on le devient. » Il existe un art de la citation, un art plus subtil qu’il ne semble de prime abord, que Simon Leys a maîtrisé parfaitement et qu’il a poussé à l’extrême en faisant paraître en 2005 (est-ce un hasard ?) un florilège sous le titre Les idées des autres. Une sorte de compilation de bons mots qu’il a, dit-il, « idiosyncratiquement » composée et dans la présentation de laquelle il cite, pour justifier le bien-fondé de sa démarche, ces deux orfèvres que sont Oscar Wilde et Alexandre Vialatte. Oscar Wilde : « La plupart des gens sont d’autres gens. Leurs pensées sont les opinions de quelqu’un d’autre ; leur vie est une imitation ; leurs passions, une citation. Il n’y a qu’une façon de réaliser sa propre âme, et c’est de se débarrasser de la culture. » Alexandre Vialatte : « Le plus grand service que nous rendent les grands artistes, ce n’est pas de nous donner leur vérité, mais la nôtre. » Et une compilation qu’il a destinée à « l’amusement des lecteurs oisifs », précaution littéraire en forme de boutade qu’il ne faut surtout pas prendre au pied de la lettre. On l’aura compris, les « idées des autres », ce sont les idées de Simon Leys lui-même sur les sujets les plus divers tels que l’ambition, le désespoir, la musique, la politique, le sexe, la richesse, le temps, le tabac, le rire, le goût, la foi, le vin, la retraite, la solitude, la littérature, etc. Il s’en tire tantôt avec une seule citation, tantôt avec plusieurs. Il y en a ainsi quinze à la rubrique « Mer », sa grande passion, et douze à la rubrique « Écrivain ». Dont ces quatre-ci : « La plupart des écrivains ne comprennent pas plus la littérature qu’un oiseau ne comprend l’ornithologie » (Marcel Reich-Ranicki). « Je hais un écrivain qui est tout entier écrivain » (Lord Byron). « N’invitez pas plusieurs hommes de lettres à la fois : un bossu préférera toujours la compagnie d’un aveugle à celle d’un autre bossu » (Paul Claudel). « Un écrivain est un homme qui, plus que quiconque, trouve qu’il est difficile d’écrire » (Thomas Mann). Je me suis amusé à faire l’inventaire des auteurs que Simon Leys a convoqués dans son merveilleux florilège : près de deux cents au total. Les plus cités sont Léon Bloy, Gilbert Keith Chesterton, Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau et Simone Weil (elle a droit à dix-neuf citations, le record du livre). Au sein de ce gros peloton, j’ai dénombré treize auteurs chinois (dont un anonyme) et cinq auteurs belges : le prince de Ligne, Henri Pirenne, Louis Scutenaire, Marcel Thiry et Raoul Vaneigem avec cet aphorisme si renversant et sans doute très leysien : « Le travail est encore ce que les gens ont inventé de mieux pour ne rien faire de leur vie. » Est-ce que je me trompe si je dis que Les idées des autres est, suprême paradoxe, le livre le plus personnel de Simon Leys ? ■ Entre autres ouvrages de référence, Simon Leys est l’auteur des « Idées des autres », qui dévoile son art de manier la citation. © BELGA. 23