festival des jardins

Transcription

festival des jardins
Domaine de Chaumont-sur-Loire
Festival
international
des jardins
Extraordinaires
jardins
de collection
Mercredi 20 mai 2015 - Loir-et-Cher
loir-et-cher
l’événement
Une collection de trente
jardins extraordinaires
D’un côté, trente “ jardins extraordinaires ” ; de l’autre, quinze propositions
artistiques. Entre les deux, un fil vert qui guide le visiteur à travers le Domaine.
M
on premier est un
Centre d’arts et
de nature qui, à
travers la quinzaine de propositions de sa
programmation saisonnière,
affirme sa vocation à devenir
un lieu incontournable de la
création contemporaine. Mon
second est un Festival des jardins internationalement reconnu, dont la 24e édition se
déploie en une trentaine de
nouvelles compositions. Mon
tout a multiplié sa fréquentation par plus de deux en sept
ans, grâce au développement
de mon premier, et surtout à la
renommée florissante de mon
second.
Le Domaine de Chaumont-surLoire forme bien un tout.
« Même si nous avons plusieurs
entités, il y a un lien subliminal
qui crée une unité entre toutes
les activités du domaine, explique Chantal Colleu-Dumond, directrice de l’ense mbl e . U n l ie n v er t e n
l’occurrence, puisque toutes les
œuvres ont partie liée avec la
nature. »
300 candidatures
pour 22 sélectionnées
Des “ Fleurs fantômes ” de Gabriel Orozco à l’arbre fossilisé
de Tunga, en passant par le
drapé en capsules d’El Anatsui
ou les paysages dévastés de
Naoya Hatakeyama, les créations 2015 du Centre d’arts ex-
billet
Tapis vert
Cela se sait malheureusement
trop peu, mais des prix sont
attribués dans le cadre du
festival. Cette année encore,
quatre récompenses seront
remises par le Domaine aux
plus aboutis des vingt-deux
jardins sélectionnés par le
jury : le prix de la création, le
prix de la palette végétale, le
prix du design et le prix du
jardin transposable… Mais pas
de prix spécial des festivaliers.
Or, il n’est pas rare d’entendre
les visiteurs s’en étonner. Eux
qui ne peuvent s’empêcher
d’annoncer leur trio gagnant à
l’issue de la promenade
seraient trop heureux de
glisser ce palmarès dans une
urne. Voilà qui permettrait
d’attirer l’attention sur les
autres prix attribués, en
organisant – pourquoi pas ? –
une grande soirée de clôture
du festival avec distribution
des récompenses… À
l’occasion de laquelle on ne
manquerait pas de dérouler le
tapis vert, évidemment.
présidence
De très nombreux visiteurs ont découvert la nouvelle édition du Festival des jardins.
plorent indéniablement la relat io n d e l ’ h o m m e à s o n
environnement. Quant au fabuleux jardin imaginé par
Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger, il fait directement écho au
festival… d’autant que les deux
artistes ont utilisé, pour le concevoir, des végétaux récupérés
de l’édition 2014, alors consacrée aux péchés capitaux.
Cette fois, le thème des « Jar-
dins extraordinaires, jardins de
collection » n’a pas manqué
d’inspirer : le jury a reçu près
de 300 candidatures. Au fil des
22 jardins sélectionnés (et des
cinq Cartes vertes), le visiteur
découvre des galeries de
graines ou de plantes carnivores, se transporte en Afrique
ou dans un musée, pénètre
dans l’univers du teinturier ou
d’un collectionneur pas si fou…
et affronte le déluge avec un
Noé qui aurait décidé de sauver le monde végétal.
Du constat des paysages dévastés à la projection du déluge, il n’y a qu’un pas… ou plutôt, à Chaumont-sur-Loire,
quelques dizaines de mètres
qu’il ne faut pas hésiter à parcourir.
Patrick Blanc, un homme au vert
B
forme et la scénographie des
jardins. »
Etait-ce une évidence pour
vous d’accepter la
présidence du festival 2015,
avec un planning comme le
vôtre ?
« Bien sûr, car c’est à Chaumont-sur-Loire que, pour le
public, sont nés mes murs végétaux, en 1994. J’avais été invité par Jean-Paul Pigeat pour
le thème quelque peu semblable à celui de cette année,
relatif aux nouvelles introduc-
Que représente pour vous le
Domaine de Chaumont ?
« Le Domaine de Chaumont
est, depuis la création du Festival, un laboratoire et pendant
plusieurs années, j’ai pu expérimenter de nouvelles facettes
de mes murs ainsi qu’observer
le comportement de nombreuses nouvelles espèces.
Maintenant, le Domaine s’est
ouvert officiellement à l’art et
chaque année, les nouvelles
créations montrent à quel
point la nature inspire encore
continuellement l’art. Le merveilleux avec les plantes, c’est
que le temps n’a pas du tout la
même signification que pour
nous et les autres animaux :
certaines plantes sont potentiellement immortelles alors
que d’autres ne vivront que
quelques jours ; voilà pourquoi
les jardins éphémères ont
toute leur raison d’être. »
iologiste, botaniste, chercheur au CNRS, inventeur
des murs végétalisés qui permettent d’introduire la biodiversité sur les murs bétonnés
des villes, Patrick Blanc préside cette édition 2015 du Festival des jardins du Domaine de
Chaumont sur Loire. Entre une
inauguration à Bangkok, un
voyage à Pékin, avec son look
très végétal, le nouveau président a répondu à quelques
questions.
Patrick Blanc, le président du Festival des jardins 2015,
a inauguré son Rain Forest Chandelier à Bangkok,
il y a quelques semaines.
tions botaniques et aux nouvelles technologies et inventions pour les jardins. »
Des 300 candidatures a-t-il
été difficile de ne retenir
qu’une vingtaine de jardins ?
« Ce fut, bien sûr, difficile de
sélectionner 20 projets parmi
300 et nous avons probablement laissé passer des projets
intéressants, comme toujours.
En tant que scientifique, j’ai
parfois repêché des projets qui
n’étaient pas parfaitement présentés, mais dont l’intérêt botanique me semblait évident.
J’ai laissé les autres membres
du jury juger davantage la
Bernard Faivre
d’Arcier
En début d’année, Bernard
Faivre d’Arcier a été nommé à
la présidence du conseil
d’administration du Domaine
de Chaumont-sur-Loire. Il
succède à François Barré.
Ancien directeur du Festival
d’Avignon durant une
quinzaine d’années, président
des Biennales de Lyon et de
l’EPCC Metz-en-Scènes,
fondateur du réseau théâtral
européen Theroem, directeur
du théâtre et des spectacles au
ministère de la Culture, et
avec bien d’autres fonctions
sur un prestigieux parcours
professionnel, Bernard Faivre
d’Arcier compte bien se servir
de son impressionnant réseau
pour poursuivre le travail de
rayonnement du Domaine de
Chaumont-sur-Loire, de
manière « universelle ». Pour
sa toute première année, il
s’est dit impressionné de la
qualité exceptionnelle des
événementiels émaillant la
saison 2015, articulée sur deux
temps forts : les expositions
du Centre d’arts et de nature
et le Festival des jardins.
Bernard Faivre d’Arcier
succède à François Barré.
**
festival des jardins
h
Un musée à ciel ouvert
tout en “ Nuances ”
gourmand
“ A Table ! ”
Il y a les natures mortes… et il y a le tableau vivant de Pierre Labat et Delphine
Gueret, Une œuvre végétale unique dans un musée à ciel ouvert.
C
’e st p eu t- êt re l a
pièce maîtresse de
ces jardins de collection. Conçu
comme un musée à ciel ouvert
dont l’œuvre unique explose le
cadre épuré, « Nuances » fait
l’unanimité auprès des visiteurs. « C’est la plus belle chose
que j’ai vue aujourd’hui », résume l’un eux, en parlant de
« profondeur » et de « conception très photographique ».
Une belle reconnaissance pour
les artistes qui ont signé ce jardin extraordinaire, en l’occurrence Delphine Gueret, archite cte , e t P ierre La ba t,
concepteur paysagiste, tous
deux professeurs à l’Ifat, école
supérieure en architecture intérieure située près de Vannes,
dans le Morbihan.
La jeune femme étant passionnée de muséographie, l’idée de
ce jardin-tableau leur est venue assez vite. « Nous avons
voulu sortir les codes du musée
pour les mettre à l’extérieur,
A dévorer du regard.
Un tableau évolutif avec une nouvelle composition chaque jour.
mais aussi faire sortir les
plantes du cadre », explique
Pierre Labat.
Un tableau végétal évolutif
La palette végétale utilisée par
le paysagiste pour composer
ce tableau bleu évoquant l’im-
Histoire d’un herboriste voyageur
N
e pas s’y tromper, le jardin de Philéas n’est pas
aussi ancien qu’il y paraît.
Avec dans la serre, l’impressionnante collection de vieux
pots de terre de toutes les
tailles (1.000 pièces, prêt d’un
collectionneur de Saint-Paulde-Léon en Bretagne), c’est
vrai que c’est à s’y méprendre.
Avec la profusion de boutures
et de plantes, rares comme une
éclatante pivoine arbustive
jaune mêlée à des plantes plus
ordinaires comme des arbres à
papillons, on pourrait imaginer
que le jardin conceptualisé par
cinq étudiants en 4e année
d’architecture d’intérieur, originaires de Vannes, a été abandonné un peu à lui-même. Ce
pêle-mêle savamment organisé
qui rappelle les jardins d’autrefois le doit-on à un herboriste
un peu fantasque, collection-
neur de boutures ou à Armel
Ropert, P-DG de l’entreprise
éponyme qui a soutenu largement le projet de ces étudiants ?
En fournissant et installant les
centaines et centaines de végétaux qui constituent le jardin
de Philéas, où dominent les
couleurs pastel, le responsable
de cette entreprise a permis de
réaliser le rêve éveillé de ces
jeunes étudiants. Pour la petite
histoire, ils avaient participé à
« blanc » et pour leur école à
ce concours du Festival international des jardins. Leur projet n’avait pas été retenu.
C’était sans compter sur Patrick Blanc et son jury qui ont
trouvé un véritable intérêt à
présenter au festival ce jardin
particulier qui fait l’unanimité
des visiteurs.
Créateurs de Philéas et étudiants en architecture d’intérieur.
pressionnisme et le pointillisme répond à des contraintes
non seulement de couleur,
mais aussi de saisonnalité, de
taille et de croissance : agaves,
artichauts, pensées, ancolies,
pélargoniums, delphiniums,
sauges, clématites, glycines et
autres agapanthes (pour la
touche bretonne) sont amenés
à se développer au fil de l’édition. « C’est un tableau évolutif,
note Pierre Labat. Chaque jour,
le visiteur va découvrir une
nouvelle composition ». De
quoi donner envie de revenir…
“ Collection noire ” : un bijou
Tel l’orgue d’un parfumeur, les plantes sont disposées en cercle.
P
ragmatiques, Mathilde Gachet et Julien Leroy !
« Nous voulions voir Chaumont-sur-Loire parce que c’est
un festival unique, raconte le
jeune homme. Puis, nous nous
sommes dit : “ Quitte à, autant
participer ” »
Pour l’architecte et la paysagiste, le délire d’un soir est devenu l’aventure d’un an. A la
première réunion, les deux
amis sont vite tombés d’accord : « Pour nous, le thème des
Jardins de collection ne devait
pas forcément renvoyer à des
plantes rares, explique Julien
Leroy. Nous avions envie de
créer un univers, de parler
d’élégance et de mystère ». D’où
l’idée de la collection de bijoux.
Lors de la seconde réunion, il
s’est agi de « raconter l’histoire », en l’occurrence celle
d’un joaillier qui tirerait ses
idées de l’observation de son
jardin. Tel l’orgue d’un parfumeur, les plantes sont disposées en cercle. Au centre trône
le pr és en toi r de s bi jou x
qu’elles ont inspiré. On trouve
parmi eux une bague en forme
de rudbeckia occidentalis
Green Wizard, une plante à petits pétales que l’on peut voir
dans le jardin, entourée de
dahlias, de violettes et de bambous, tous noirs, ou encore de
phormium black : élégance et
mystère obligent, l’orgue végétal est uniquement composé de
plantes noires. Bientôt, le duo
y ajoutera de la canne à sucre…
noire. Pour entretenir et enrichir leur jardin, les Lyonnais
ont prévu de revenir au moins
trois fois. Eux qui voulaient
voir Chaumont…
Contrairement à ce que l’on
pourrait penser, ce ne sont
pas des Français mais un
couple
d’architectes-paysagistes
hollandais qui a eu la
délicieuse idée de créer le
jardin « A Table ! ».
Fatigués d’avoir crapahuté à
travers le festival, les visiteurs
sont trop heureux de s’inviter
à leur « garden party » et de
mettre les pieds sous la vaste
table centrale garnie de
plantes comestibles rares :
tomates noires, poivrons
pourpres, choux-fleurs violets,
aubergines blanches… il y a là
de quoi faire de belles
découvertes culinaires. Même
les plantes carnivores, qui
font ici figure de lampions, se
régalent…
à voir aussi…
Jardin des graines.
Collection de graines et d’une
large palette de plantes avec le
concours des jardins
botaniques. Sculptures
réalisées par l’artiste botaniste
Didier Rousseau-Navarre.
Jardin des bougainvilliers.
Les collections végétales
nationales proposent une
étonnante palette de
bougainvilliers.
Porte-bonheur. Une
collection de trèfles à quatre
feuilles qui enchantera les
superstitieux.
La Phytothèque. A l’occasion
de l’anniversaire de l’Ecole
nationale supérieure de la
nature et du paysage de Blois,
le Domaine de Chaumont a
invité pour cette édition 2015,
l’école et les étudiants.
La serre des victorias.
Collection de “ victorias
d’Amazonie ”, des nénuphars
géants dont certains
spécimens peuvent atteindre
3 m de diamètre.
Le potager lumineux. Il
faudra attendre la nuit pour
découvrir les centaines de
lucioles, des lumières délicates
dispersées dans un potager de
légumes oubliés créé par
Jean-Philippe Weimar.
Collection de graines.
festival des jardins
h
Contraste d’herbes folles
dans un jardin musée
Présenté comme une mise en scène dans un théâtre, “ Réflexion d’un collectionneur ” de Solène Ortoli, se décrypte tableau par tableau. Voyage.
J
’ai réagi à ce thème avec
l’œil d’une scénographe,
c’est mon métier. J’ai imaginé une partie déambulatoire et le reste comme une
scène avec de fausses ouvertures, en fait des miroirs inclinés au fond pour donner une
profondeur et susciter l’envie
d’aller au-delà de ces frontières.
Dès que le saule vivant aura
poussé, cela créera une sorte de
vestibule, un sas d’entrée avant
de découvrir le jardin, Solène
Ortoli est corse et vit à Paris.
Graminées et agaves
C’est peut-être dans ses origines qu’elle a puisé ce goût
d’herbes folles, de jardin qui
n’en est pas vraiment un, mais
qui réveille aux premiers instants de la découverte, une envie de liberté.
Son œuvre “ Réflexion d’un
C’est en scénographe que Solène Ortoli a appréhendé son jardin.
collectionneur ” propose au
mées çà et là, de petites
premier plan, une foultitude
pointes rose foncé : des char-
diverse de graminées parse-
dons, ceux-là même qui pous-
sent dans la garrigue. « Dans le
fond du jardin, j’ai voulu créer
un tableau comme un musée en
fait » détaille la jeune artiste.
Reflétés par les miroirs du
fond de scène, d’énormes
agaves dressés et des sedums
pas encore fleuris contrastent
avec le côté sauvage et abandonné du premier plan. Pour
parfaire ce tableau, au fil des
mois, ce jardin musée devrait
se parer d’une éclatante bordure au fond du tableau, une
ligne rouge composée de kniphofia.
S’aventurer, juste avec les
yeux dans le jardin de Solène
Ortoli, c’est comme entrer
dans un musée et découvrir les
œuvres l’une après l’autre.
C’est se sentir, l’espace d’un
moment, comme Alice au pays
des Merveilles.
végétal
Précieuse cargaison
Sauver des espèces rares de
végétaux. Le concept de ce
jardin « L’arche de Linné » est
largement inspiré par le
botaniste suédois, Carl Von
Linné. Ce naturaliste suédois
considérant que la
connaissance des choses périt
par l’ignorance du nom, a
répertorié de manière
systématique l’essentiel des
espèces vivantes connues à
son époque. Face à un
hypothétique nouveau déluge,
trois étudiants angevins de
l’Agrocampus Ouest Centre
d’Angers, Oriane Bodin,
Laurène Pillot et Clément
Villette et Laurent Beaubreuil,
enseignant au CFA Ossature
Bois d’Angers, ont imaginé cet
immense navire comme une
arche de Noé dans laquelle
ont été entassées des pépites
végétales des cinq continents.
Découvrez la précieuse
cargaison, puis regagnez la
terre ferme et apercevez les
radeaux végétalisés qui
emportent les rares végétaux
vers d’autres terres.
Cartes vertes : la quinte flush
C
ette année, cinq Cartes
vertes ont été distribuées
à des organismes et personnalités invités à présenter des jardins en marge du concours.
L’édition étant consacrée aux
« Jardins de collection », le
Conservatoire des collections
végétales spécialisées a naturellement été sollicité. Il a désigné pour participer les propriétaires des collections de
bougainvilliers, dont le jardin
coloré est « un éloge à la diversité », commente Chantal Colleu-Dumond, directrice du Domaine et du festival.
Egalement invités, les Jardins
botaniques de France et des
pays francophones se sont associés pour créer un espace
dédié à la graine, qu’ils ont
l’habitude de collecter, stocker
et inventorier. A travers un
élégant assemblage de tamis
Le jardin aux masques du Sud-Africain, Léon Kluge.
architecturaux, leur jardin permet d’apprécier toute la variété de cet élément d’ordinaire peu exposé où « toute
l’énergie de la plante est ras-
semblée ». Premier Sud-Africain invité au festival, le paysagiste renommé Léon Kluge
s’est, quant à lui, inspiré de ses
racines pour composer un jar-
din des plu s dépay sants.
Transportant le visiteur dans
l e Bu s h v e l d de l ’ e s t d e
l’Afrique, il évoque la tradition
selon laquelle les villageois aiment à se rassembler sous un
baobab pour y partager un repas composé des fruits de la
nature environnante.
Les deux dernières Cartes
vertes ont été employées à développer les jardins permanents du domaine. Ainsi, le
Parc du Goualoup s’enrichit
d’un troisième jardin japonais
et d’un tout nouveau jardin coréen appelant à la méditation.
Avec ce cinquième élément,
les promeneurs ont toutes les
Cartes vertes en main pour
transformer leur visite chaumontaise en un grand voyage à
la découverte des jardins du
monde. Déracinant.
Tels les jardins de Babylone
I
l y avait dans le projet de
Swan Cazaux, plasticien et
Claire Dematos, architecte, la
volonté de faire passer un message fort sur le changement
cli mati qu e. « Nous nous
sommes inspirés des jardins de
Babylone », confie Swan Cazaux.
« Suspensions climatiques » –
c’est le nom de baptême de ce
jardin de collections – s’articule autour d’une structure labyrinthique d’étagères en bois
recouvertes de bocaux, de
jarres, et de dame-jeanne. Autant de réceptacles pour accueillir fleurs et plantes qui
mènent à une réflexion sur le
changement climatique et sur
la survie des espèces. « L’idée
est de montrer comment les
plantes s’adaptent », précise
Claire Dematos.
Capucines, pois de senteur envahissent le premier niveau.
Les jasmins, les clématites sur
la première terrasse ont commencé à enlacer les différents
cabinets de curiosités dans lesquels s’étiolent déjà des ipomées et des solanum. Des cactu s, de s pl ant e s g ra ss es
succ ul ente s appor te nt l a
touche méditerranéenne au
dernier niveau et une ambiance totalement différente.
« Suspensions climatiques »
devant s’adapter à une météo
très changeante sera tout au
long de la saison, le reflet parfait des conséquences de l’évolution climatique.
« L’arche de Linné ».
pratique
24e Festival international
des jardins et le Parc du
Goualoup sur le thème
« Jardins extraordinaires,
jardins de collection » est
ouvert tous les jours du
23 avril au 1er novembre de
10 h à 20 heures.
Le château et le parc
historique sont ouverts toute
l’année, les expositions du
4 avril au 1er novembre.
Horaires de 10 h à 18 h.
Visites libres ou guidées
Tarifs Festival des jardins,
plein tarif 12,50 €, tarif réduit
7,50 € et enfants de 6 à 11 ans,
5 euros.
Billet ensemble du Domaine,
plein tarif 17 €; tarif réduit
11 € enfant 6-11 ans 5,50 euros.
Billet Domaine deux jours
consécutifs, 17 €, tarif réduit
15 € et 8 € pour les enfants
6-11 ans. Entrée gratuite
jusqu’à 6 ans.
Site Internet :
www.domaine-chaumont.fr
Textes
Patricia Lange
Anne-Sophie Perraudin
Photos
Cor. NR : Claude Defresne
Cor. NR : Patrice Juin
Swan et Claire ont travaillé sur le changement climatique.
festival des jardins
h
Gare au “ Carnivore Parc ” !
couleur
“ Attention, plantes carnivores ” Le message est à double sens : entre
les vertes prédatrices et les visiteurs curieux, qui doit se méfier de l’autre ?
Qui ne connaît pas le pouvoir
colorant des plantes le
découvrira dans ce “ Jardin du
teinturier ”. Écheveaux de laine
rougis par la garance, bleuis par
l’indigo, brunis ou jaunis par le
genêt sont installés dans ce
tendre jardin imaginé par
Carine Balayn, Eric Sartre, deux
architectes et par Dorian
Dietschy, Chloé Martin. « Dans
cette conception, nous avons eu
une démarche éthique et
écologique en renouant avec le
grand pouvoir des plantes
tinctoriales présentes dans notre
environnement » souligne Chloé
Martin. Au fond du jardin, la
curiosité poussera le visiteur à
découvrir le laboratoire clos
par des bocaux aux couleurs
arc-en-ciel. Sur les étagères,
d’anciens carnets de notes
dévoilent les recettes
permettant d’obtenir de
subtiles nuances.
S
i le festival devait attribuer un prix de la mise
en scène, Mathieu Allain et Stéphane Le
Gourrierec auraient toutes
leurs chances. Dès l’entrée,
l’enseigne de leur « Carnivore
Parc » suscite l’appréhension.
A l’intérieur, les divers avertissements n’ont rien de rassurant. Heureusement, les prédatrices sont en cage : tout est
fait pour que les grillages semblent assurer la sécurité du public… alors que c’est de lui que
vient la menace. « Nous
sommes partis sur le “ carnivorisme ” pour mettre en scène les
plantes dans l’esprit “ attention,
danger ”, mais aussi parce
qu’elles sont fragiles et qu’il
faut les protéger des visiteurs »,
explique Mathieu Allain.
Mais pas téméraire
En tout, le parc réunit dix-huit
variétés sélectionnées pour
leur résistance, leurs couleurs
et leurs textures. Derrière le
Des plantes somme toute inoffensives.
patio central où elles sont présentées dans leur milieu naturel se trouve un jardin des curiosités. On peut y constater la
délicatesse de ces petites
plantes somme toute inoffensives en observant de près certaines espèces, dont la dionée,
la plus connue. Malgré l’interdiction, nombreux sont les vi-
Tinctoriales
siteurs qui ne peuvent s’empêcher de titiller ses grandes
mâchoires en glissant une
brindille à travers le grillage…
mais pas le doigt.
“ Silence ! Ça mousse… ”
L
La mousse, un règne végétal ignoré et massacré
mais au potentiel esthétique indéniable.
orsque les paysagistes
Chloé Ricou et Agathe Le
Mire retrouvent le jardinierbotaniste Florian Dubos autour d’une mousse, ce n’est pas
pour boire un verre à la terrasse d’un café, mais pour s’extasier sur un végétal au cœur
de la forêt de Brocéliande. Les
trois amis, en effet, ont récolté
eux-mêmes la majorité de la
cinquantaine de mousses différentes de leur jardin de collection, le reste leur ayant été
fourni par le jardin botanique
de Lyon.
« Nous avons choisi de travailler sur la mousse parce que c’est
un règne végétal ignoré et massacré, rarement mis en valeur,
explique Agathe Le Mire. Nous
avons voulu montrer sa diversité et son potentiel esthé-
tique. » Tirant le parti du dénivelé de la parcelle qui leur a
été attribuée, ils ont reconstitué un petit coin de montagne
composé de micro-espaces tels
qu’une grotte, une cascade et
un cirque. Tout en flânant à
travers ce paysage envoûtant,
baigné par une fraîcheur qui
parfait l’ambiance tout en respectant les contraintes hydrométriques inhérentes à la conservation des mousses, le
visiteur découvre de près la
belle variété de couleurs et de
textures des « bryophytes »
présentées. « Notre objectif est
de cultiver l’art de regarder,
commente Agathe Le Mire. Au
pied de chez soi, il y a des
choses merveilleuses pour qui
prend la peine de se pencher. »
Emoustillant.
“ 101 pélargoniums ” : tous au balcon
S
ans doute le terme de pélargonium n’évoque-t-il
pas grand-chose aux non-initiés. Tout au plus celui de géranium, couramment utilisé pour
désigner la même plante, renvoie-t-il quelques images de
vieilles dames arrosant sur
leurs balcons d’étroites jardinières d’où dépassent quelques
boules de fleurs. Pas de quoi,
se dit-on, remplir un jardin de
Chaumont.
C’était sans compter Katarina
Brandt, une architecte-paysagiste venue des Pays-Bas pour
« casser les a priori ». « Je suis
fascinée par les pélargoniums
depuis mon enfance grâce à ma
grand-mère qui les collectionnait, explique la jeune femme.
Quand j’ai vu le thème du festival, je me suis dit que c’était une
belle opportunité de montrer
leur extraordinaire variété : ils
sont tellement riches en formes,
en couleurs, en textures, en
odeurs… ! »
Voulant faire des fleurs les
uniques protagonistes de son
jardin, Katarina Brandt a opté
pour un aménagement simple,
constitué de 101 gros pots présentant chacun une variété représentative : « Spot on Bonanza », « Noël »,
« l’Elégante » ou encore
« Barbe bleue », la diversité de
leurs noms reflète celle de
leurs déclinaisons. Le terme,
désormais, prend une autre dimension.
Les géraniums peuvent aussi être modernes !
Dorian Dietschy et Chloé
Martin jouent la couleur.
à l’agenda
Les rendez-vous
du festival
« Jardins de Lumière ». Au
cœur de l’été, il est possible
de visiter les jardins sublimés
par la présence de diodes
électroluminescentes. Les
visites nocturnes sont
programmées de 22 h à
minuit, tous les soirs sauf le
vendredi du 1er juillet au
31 août.
« Splendeurs d’automne ».
Le week-end de la Toussaint
reste un rendez-vous très
prisé des visiteurs durant
lequel ils peuvent admirer une
impressionnante collection de
cucurbitacées et autres
collections de légumes rares.
Cette manifestation
programmée sur quatre jours
est aussi l’occasion d’échanges
de graines, de boutures voire
de secrets de jardiniers.
« Jardins d’hiver ». Fort de
son expérience en 2014, le
Domaine de Chaumont
récidive en 2015 en présentant
de mi-novembre à mi-février,
plusieurs jardins d’hiver. Les
serres, le potager, les écuries
et la cour de ferme se
transforment malgré la
froidure en petits lieux
magiques.
« Evénements
particuliers ». A ne pas
manquer, Rendez-vous des
jardins du 5 au 7 juin et
Journées du patrimoine le
19 et 20 septembre.
arts et nature
h
Gabriel Orozco, un retour
à Chaumont-sur-Loire en XXL
Pour sa deuxième année d’exposition au cœur du château, l’artiste donne à ses “ Fleurs fantômes ”
une nouvelle dimension avec de très grands formats.
Le jour de l’inauguration, Gabriel Orozco a savouré une fois de plus le château qu’il décrit comme
« magique ».
« Fleurs fanées », deuxième édition : de très grands formats
côtoient les œuvres de 2014.
(Photo E. Sander)
J
uste une question de technique, la machine spéciale
d’impression par jet de peinture à l’huile est totalement obsolète. Son utilisation qui permettait l’impression d’affiches avant
les années quatre-vingt, a du
reste été abandonnée. L’an passé,
j’ignorais si je pouvais travailler
de grands formats. La première
édition a servi de test, consent en
souriant l’artiste mexicain, invité pour la deuxième année par
la Région Centre-Val de Loire
au Domaine du château de
Chaumont-sur-Loire. Pari réussi
donc pour le maître. Dans les
« chambres des invités » du
prince et de la princesse de Broglie (derniers propriétaires privés du château), les petits formats des « Fleurs fanées » de la
saison dernière côtoient les
grands formats de cette édition
2015. Certains atteignent près de
deux mètres de haut pour une
largeur quasi similaire.
L’aventure et la démarche artistique de Gabriel Orozco a débuté l’an passé. D’aucuns n’auraient pas remarqué d’anciens
petits morceaux de tapisserie,
parfois en couches successives
dans les anciens appartements,
lui s’en était ému. La fascination
serait le terme le plus proche de
l’émotion ressentie par l’artiste
« comme les pages d’un livre qui
s’effeuille sur les murs dont il
subsiste un souvenir fantasmagorique, comme des fleurs flottant dans les espaces inhabités
du château », confie-t-il.
Inspiré lors de sa première visite, par le lieu qu’il décrit
comme « magique », Gabriel
Orozco avait alors photographié
sans relâche, ces lambeaux de
tapisseries, « empreintes du passage des différentes générations
qui ont séjourné ici ».
Un émouvant palimpseste
Les clichés travaillés sur ordinateur ont été reproduits ensuite
sur toile par l’ancienne machine
à impression. Le résultat « aléatoire » donne toute la dimension
des œuvres de Gabriel Orozco
qui y voit « un lien entre l’artisanat des temps jadis et le high-tech
de la machine à impression. En
Les colosses de bois de Christian Lapie
L
a constellation du fleuve
2015 , l’œuvre monumentale de Christian Lapie s’impose comme une évidence
dans le parc historique du Domaine de Chaumont-sur-Loire.
A quelques pas, d’installations
pérennes comme celle de
François Méchain ou celle de
Patrick Blanc, les géants de
bois anthropomorphes aux
tons chauds de brun et d’ébène
forment, selon l’artiste, « un
groupe d’individus debout. Un
groupe qui fonctionne ensemble ».
Extraites d’imposants troncs
de chênes de plusieurs mètres
de haut, et de 150 à 400 ans
d’âge, issus de la forêt de la région natale de Lapie, en Champagne-Ardennes, les gigantesques sculptures résultent
d’un travail à la tronçonneuse.
Le talent du sculpteur qui dit
« aimer la verticalité de l’arbre
plus que le bois en lui-même »
révèlent d’étranges personnages qui s’élancent dans le
ciel. « L’arbre a sa propre vie et
là où il se fend, se révèle toute
son existence. L’arbre m’inspire
pour définir chaque figure.
Toutes ont leurs personnalités.
On revient à l’humain », détaillait-il lors de précédentes installations. Né à Val-de-Vesle,
Christian Lapie sculpte dans le
bo i s pr i n ci pal e m e n t d e s
formes qui symbolisent l’être
humain. C’est un séjour de
création dans la forêt amazonienne qui a déterminé à tout
jamais cette envie de travailler
le gigantesque. Christian Lapie
s’inscrit dans la lignée des artistes nomades, presque par
obligation. Son art est sollicité
aux quatre coins de la planète.
Sa carrière s’est essentiellement faite à l’étranger, notamment au Japon, en Australie, au
Brésil, en Belgique et surtout
en Allemagne et en Suisse.
tout cas, quelque chose de romantique ». « Fleurs Fantômes
2 » est un nouveau voyage à travers le temps dans lequel nous
entraîne pour la seconde année
l’artiste qui vit entre le Mexique,
la France et les États-Unis. C’est
à New York, en novembre 2014,
qu’il a été décoré de la très haute
distinction l’ « American Society Cultural Achievement
Award ». Un titre qui l’impose
comme l’un des dix artistes contemporains incontournables aujourd’hui dans le monde.
la phrase
“ Deux nouveaux espaces. ”
Les géants de bois de Christian Lapie s’imposent comme
de placides sentinelles du temps qui passe.
« Avec ces nouveaux espaces, le
Domaine dévoile un peu plus ses
trésors architecturaux. »
Chantal Colleu-Dumond,
directrice de
Chaumont-sur-Loire, se
félicite de l’ouverture de deux
nouveaux lieux d’exposition qui
permettent de développer la
proposition photographique du
Centre d’art et de nature. « Le
premier espace, a priori banal,
servait autrefois de débarras.
Remis en état, il constitue une
articulation évidente de la
Galerie de la Cour des
jardiniers. Le second espace est
très particulier, puisqu’il s’agit
du couloir qui, derrière les box,
longe les somptueuses écuries du
château. Cette nouvelle Galerie
longue est inaugurée par Naoya
Hatakeyama, dont la série “ A
bird ”, qui évoque la progression
d’un oiseau, répond à la
singulière configuration des
lieux ».
arts et nature
h
Tunga, rencontres au creux
d’un arbre fossilisé
Au cœur de l’œuvre déboussolante installée par Tunga dans le manège
des écuries, un tronc pétrifié canalise les regards éparpillés.
E
lle a de quoi faire
tourner la tête, l’installation présentée
par Tunga dans le manège des écuries du château.
En pénétrant dans la petite
tour, on ne peut qu’être saisi
par la grandeur de l’œuvre, au
cœur de laquelle trône un mystérieux tronc de pierre polie. Il
s’agit d’un arbre fossilisé vieux
de plusieurs millions d’années
que l’artiste a fait ramener
d’Indonésie pour le placer, depuis son atelier brésilien, au
centre d’une œuvre renversante qui n’avait jusque-là jamais été montrée au public.
Pourtant réalisée de longue
date et à des milliers de kilomètres, l’installation prend
place comme une évidence
dans l’enceinte du manège.
Même si Tunga, qui parle d’
« une fortuite rencontre entre le
lieu et cette œuvre », a dû faire
quelques ajustements pour
permettre à sa création de
s’approprier l’espace et l’éclairage si particuliers de cette
lourde tour circulaire.
Dans l’écrin du manège
une œuvre précieuse
Ainsi, Chaumont offre à Tunga
un parfait écrin pour ce que
l’on peut considérer comme un
bijou artistique serti, en guise
de pierre précieuse, d’un tronc
que l’on croirait fait de marbre
noir orné de veines bleues et
blanches. Mais ce serait mal
connaître Tunga que de penser
qu’il s’est contenté de mettre
en valeur la beauté de l’arbre.
L’œuvre de Tunga s’articule autour d’un arbre fossilisé vieux de plusieurs millions d’années
rapporté d’Indonésie. Il est le centre d’une œuvre renversante.
Né en 1952 au Brésil, cet artiste
plu rid isci pli naire majeu r,
bercé de références littéraires,
philosophiques et scientifiques, aime troubler les consciences. Ses œuvres, qui ont
fait le tour du monde (du Hara
Museum of Contemporary Art
de Tokyo au Musée du Louvre
à Paris, en passant par le Museum of Modern Art de New
York), ne laissent jamais indifférent. En l’occurrence, il a entrepris de faire parler l’arbre
fossile… et ceux venus l’observer.
Lévitant couché dans un environnement fragile, le massif
tronc évoque un talisman venu
du fond des âges. « Cet arbre
qui relie le ciel et la terre est aujourd’hui une pierre creuse à
l’intérieur de laquelle deux regards peuvent se rencontrer »,
explique l’artiste. Enveloppé
pa r l’a n tiq ue pa rf um d e
l’ambre que diffusent des
vasques en suspension, le visiteur dirige son regard, suivant
les directions pointées par des
doigts de géants, tantôt vers le
toit de la tour, tantôt vers la
terre battue rouge qui recouvre le sol… jusqu’à ce que, à
travers l’énigmatique tronc
creux, il en croise un autre.
« C’est le regard comme instrument de l’énergie des conjonctions entre deux êtres », commente Tunga, qui conclut en
évoquant l’amour. De quoi
faire tourner les têtes, décidément.
Gerda et Jörg, un jardin extraordinaire
I
l y a cinq ans, Gerda Steiner
et Jörg Lenzlinger avaient
déjà fait parler d’eux à Chaumont en servant une surprenante « Soupe verte » à la table
de la salle à manger du château. Réinvités cette année, les
deux artistes suisses, qui travaillent en binôme depuis près
de vingt ans, ont choisi d’investir la chapelle. « C’est un
lieu encore sacré, qui a une
force, explique Gerda Steiner.
Nous aimons travailler avec les
énergies déjà présentes. » En
l’occurrence, le duo a entrepris
d’y célébrer le printemps.
« C’était un peu vide, commente Jörg Lenzlinger. Nous
avons essayé de recharger l’espace en le renaturalisant. »
Aussi, la chapelle se retrouve
envahie de fleurs et de branchages entremêlés dans une
splendide anarchie d’où surgissent quantité de détails.
Intitulé « Le printemps et les
pierres », ce jardin fabuleux
fait écho à ceux du festival… À
tel point que les deux compères ont utilisé, pour fabriquer leur œuvre, des végétaux
Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger ont conçu leur jardin féerique
à partir de végétaux issus de l’édition 2014 du Festival
international des jardins.
récupérés de l’édition passée,
auxquels ils ont ajouté des
fleurs artificielles et autres petits objets, souvent anodins et
toujours sublimés, de leur collection personnelle. « Ces artistes nous apprennent à voir le
merveilleux dans le quotidien »,
commente Chantal Colleu-Dumond, directrice du Domaine.
Aidés de leur assistant Arthur,
Gerda et Jörg ont mis dix jours
à composer leur œuvre. Il a
fallu faire preuve d’imagination et s’adonner à quelques
acrobaties pour agencer tous
les éléments sans altérer le bâti
protégé. Il s’est aussi agi, à
chaque stade, de vérifier que le
rendu était aussi convainquant
vu d’en bas que du balcon accessible à l’étage depuis la
chambre de Catherine de Médicis. « Nous avons voulu que
cette œuvre soit une fête pour
les yeux, pleine de diversité et
de détails à découvrir », résu me Jörg. Comme cette
étrange pierre qui, nichée au
fond de la chapelle, ne cesse de
« pousser »… grâce un procédé
à base d’engrais que le duo
aime exploiter pour créer des
œuvres vivantes.
D’ailleurs, tandis que le visiteur oublie le temps dans la
chapelle abandonnée, une
autre œuvre éblouissante
s’épanouit dans le sous-sol de
la tour du châtelet d’entrée…
le chiffre
15
C’est en 2015, le nombre
d’artistes contemporains
venus célébrer par leurs
œuvres, le Centre d’arts et
de nature. Quinze, dont trois
de renommée mondiale :
Gabriel Orozco, Tunga et El
Anatsui.
Propriété de la Région
Centre-Val de Loire depuis
2008, le Domaine de
Chaumont représente
12.000 m2 de surface de
bâtiments, 32 hectares de parc,
plus une extension de
10 hectares aménagés par
Louis Benech en 2012.
75 artistes contemporains et
photographes ont été invités
entre 2008 et 2014, près de
2.000 m2 sont consacrées à
12 galeries d’exposition.
6 restaurants sont repartis
entre le château, la cour de la
ferme et le Festival
international des jardins.
On note 100 % d’augmentation
de fréquentation depuis 2007.
Et ce sont 415.000 visites en
2014, dont 2.000 enfants
accueillis pour des activités
pédagogiques.
Le Domaine est ouvert durant
363 jours et fonctionne à 75 %
en autofinancement.
Le Domaine est répertorié
5 étoiles pour le Guide
Michelin, 2 étoiles pour le
château, et 3 étoiles pour
l’événement du Festival
international des jardins.
land art
En passant
par le bois
A classer plutôt dans la
catégorie Land Art, le
« Passage » et l’ « Intérieur en
passant » de Cornelia Konrads,
dans un coin caché du parc
historique et dans le cimetière
aux chiens, étonnent et
questionnent. Vivant et
travaillant en Allemagne,
l’artiste explique : « J’utilise les
matériaux que je trouve sur les
sites sur lesquels je crée mes
installations. Ça peut être des
pierres, du bois, des briques ».
Pour le Domaine de Chaumont,
c’est le bois qu’a privilégié
Cornelia Konrads. Ces
installations très aériennes
invitent à franchir le passage,
peut-être à se retourner, pour
voir au cœur de cet assemblage
la beauté du paysage ou
simplement imaginer que l’on
passe d’un univers à l’autre. Ou
mieux : attendre que la
végétation donne une nouvelle
écriture à ce tableau vivant.
L’installation éphémère,
sa signature.
arts et nature
h
El Anatsui, et deux millions
de bouteilles à la mer
Déterminé à être porteur de messages à vocation environnementale,
le Domaine a passé commande au grand artiste El Anatsui.
P
our sensibiliser les
gens à la nécessité de
préserver la planète, il
y a les bouteilles à la
mer… et il y a, plus efficace, les
deux millions de capsules de
bouteilles utilisées par l’artiste
El Anatsui pour façonner
l’œuvre qu’il a installée à
Chaumont-sur-Loire. Résultat
d’un travail d’assemblage des
plus minutieux, le monumental
drapé métallique du sculpteur
ghanéen recouvre les murs de
la Galerie du Fenil, figé dans
un mouvement dont les reflets
de lumière conservent l’illusion. « Il a transformé des matériaux banals du quotidien,
que l’on jette en général, en une
sorte de tenture d’or et d’argent », commente Chantal Colleu-Dumond, que cette œuvre
« magique » ne manque pas
d’émouvoir.
De Berlin à New York
en passant par Chaumont
Si cette création originale
s’inscrit dans la démarche entamée cette année par la directrice du Domaine autour de
l’environnement, elle est surtout emblématique de l’œuvre
d’El Anatsui, pour qui le détournement artistique d’objets
de r écu pé rat io n es t u n e
marque de fabrique. Depuis la
fin des années 1990, notamment, ses fameux tissus composés de capsules, canettes et
autres déchets métalliques
’environnement, L’arbre et
La poésie : telles sont les
trois dimensions qui dominent
la programmation 2015 du
Centre d’art et de nature, et
que les travaux des sept photographes invités illustrent bien.
A travers leurs paysages à la
beauté dérangeante, Edward
Burtynsky et Alex Maclean dénoncent, chacun à sa manière,
L’arbre chevalier
Voilà une œuvre qui porte bien
son nom… Et s’intègre comme
une évidence à cette
programmation 2015 mettant à
l’honneur d’une part la
protection de l’environnement,
et d’autre part l’arbre. Planté
dans le parc historique du
Domaine, le majestueux platane
d’Antii Laitinen fait figure de
héros recouvert d’une rutilante
cuirasse de métal, il brave
vaillamment les assauts de
l’homme. L’artiste finlandais,
qui fête ses quarante ans, s’est
fait une réputation grâce
notamment à de déroutantes
performances dans lesquelles
ne manque jamais de poindre la
question de la relation entre
l’homme et son environnement.
Le drapé de déchets métalliques, installé dans la galerie du Fenil, impressionne
autant qu’il interpelle.
brodés de fils de cuivre émaillent le monde, de Berlin à New
York, en passant par Venise,
Paris et Londres. Pour réaliser
la pièce exposée à Chaumontsur-Loire, El Anatsui s’est adjoint l’aide d’une cinquantaine
d’assistants au Nigeria, où il
réside et travaille, et de dix en
France, dont des étudiants de
l’école d’art de Bourges qui
n’ont pas dû bouder leur plaisir.
Un message universel
Né au Ghana en 1944, El Anat-
sui a déjà derrière lui une longue carrière, d ébu tée en
Afrique, puis relayée partout
sur la planète. Son travail a notamment été exposé au Centre
Pompidou de Paris, à la Royal
Academy of Arts de Londres,
au Centro de Cultura Contemporania de Barcelone, au Museum Kunst Palast de Düsseldorf, au Moderna Museet de
Stockholm, au Metropolitan
Museum of Art de New York
ou encore au Mori Art Museum de Tokyo. « C’est une
grande chance d’avoir ici, dans
le Loir-et-Cher, une œuvre d’un
artiste d’une telle envergure »,
se félicite Chantal Colleu-Dumond. Le 23 avril dernier, le
jury international de la 56e
Biennale de Venise a décidé de
décerner à El Anatsui le Lion
d’Or pour l’ensemble de son
œuvre… qui n’a de cesse d’interroger le monde sur son avenir face à la mondialisation, la
surconsommation, l’utilisation
et la destruction des ressources. Un message que
Chaumont-sur-Loire contribue
à faire passer.
Sept points de vue sur la nature
L
insolite
l’action destructrice de l’activité humaine sur la nature. Parallèles, ces deux poignantes
séries sont exposées dans la
Galerie des photographes aux
côtés d’une autre réalisée par
Naoya Hatakeyama sur le
même thème [voir par ailleurs]. « Ces trois grands artistes photographient les blessures de la terre. Des coulées
Dans les galeries, le travail de plusieurs photographes.
pétrolifères, des carrières qui
explosent, des mines… Tout ce
que nous ne voyons pas parce
que nous sommes au ras du sol
et inconscients, explique Chantal Colleu-Dumond, directrice
du Domaine. Mon idée est de
présenter des artistes qui, avec
des images sublimes, déclenchent une réflexion. »
Plus loin, dans la Galerie de la
cour des jardiniers, on préfère
célébrer ce qui n’est pas (encore) détruit. Pour preuve, les
poétiques « Paysages ordinaires » de Xavier Zimmermann, ou encore sa « Canopée », réalisée pour et sur le
Domaine de Chaumont-surLoire. Non loin de là, JeanChristophe Ballot met, lui
aussi, les arbres à l’honneur à
travers ses compositions photographiques semblables à des
tableaux. Une expérience contemplative à mille lieues de
celle immersive proposée par
Melik Ohanian dans la Galerie
du château. Mettant en scène
les clichés pris par le photographe dans les jardins botaniques de Palerme, l’œuvre dégage une énergie palpable. Fort
contraste, aussi, avec les natures mortes de Gérard Rancinan. Exposée à l’Asinerie, son
étonnante galerie de portraits
de bouquets de fleurs fanées
pourrait paraître éloignée,
dans son esprit, des autres séries présentées… Si ce n’est
qu’elle évoque, elle aussi à sa
man i è r e , l a d ér a n g ea nt e
beauté d’une nature que la
main de l’homme a détruite.
Avec « l’Arbre chevalier »,
Antii Laitinen signe une œuvre
à l’originalité amusante…
clichés
L’oiseau de Naoya
Hatakeyama
C’est un long travail de
patience qu’offre une série de
dix-sept clichés séquencés du
photographe japonais, Naoya
Hatakeyama. « Je suis venu
deux fois par jour
photographier les explosions
dans cette carrière de
calcaire », explique-t-il.
Travaillant toujours en
argentique, lors du
développement, la découverte
sur les planches, d’une
minuscule silhouette, celle
d’un oiseau, ressortant des
nuages de particules, a étonné
le photographe. C’était comme
un signe, venant concrétiser la
quête de Naoya Hatakeyama
qui s’emploie à immortaliser
la destruction de notre terre.
Les clichés de l’artiste
viennent appuyer l’idée « que
la nature finit toujours par
reprendre ses droits ». Pour
preuve, le vol de l’oiseau qui
traverse de part en part cette
fascinante explosion.
« A bird » a trouvé sa place
dans la galerie longue
des écuries.

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