Pourquoi il est si compliqué de s`habiller en 42, 44 ou plus

Transcription

Pourquoi il est si compliqué de s`habiller en 42, 44 ou plus
Date : 11/01/2017
Heure : 06:43:19
www.huffingtonpost.fr
Pays : France
Dynamisme : 0
Page 1/4
Visualiser l'article
Pourquoi il est si compliqué de s'habiller en 42, 44 ou plus dans les
marques françaises
"Un pantalon en 42? Désolé madame, nous ne faisons pas de grandes tailles".
Getty Images
Pas facile de trouver des vêtements qui vont au-delà du 40 dans les marques françaises
SOLDES - Coralie est une parisienne coquette et "plutôt pas mal dans son corps". Comme plus d'une
Française sur deux, la trentenaire achète des vêtements en taille 42 ou plus. Mais, question shopping, Coralie
ne peut pas aller partout. Au fil des années, la jeune femme a appris à éviter certaines boutiques où le regard
des vendeuses était devenu trop pesant ou les marques qui avaient décidé qu'elle ne pouvait pas s'habiller
chez elles, faute de vêtement à sa taille.
En ce premier jour des soldes d'hiver, elle ne sera certainement pas la seule à éviter de la sorte certaines
marques aux rabais pourtant intéressants. C'est un problème que soulevait le blog féministe des Martiennes
en 2013 , rapportant l'expérience d'une autre jeune femme qui malgré sa silhouette allongée et athlétique
ne trouvait plus à s'habiller chez certaines marques comme Claudie Pierlot, Maje, Sandro qui ont fait le choix
de ne pas aller au delà du 40.
En tant que simple cliente, c'est aussi un constat que j'ai fait très facilement dans deux boutiques de Claudie
Pierlot à Paris. "Un pantalon en 42? Désolé madame, nous ne faisons de grandes tailles", ont répondu
à l'unisson deux vendeuses différentes à six mois d'intervalle. Un 42 serait donc une grande taille? Un
positionnement étonnant puisque comme l'expliquent au HuffPost Pauline et Julie, cofondatrices d'une
Tous droits réservés à l'éditeur
ESMOD 287170323
Date : 11/01/2017
Heure : 06:43:19
www.huffingtonpost.fr
Pays : France
Dynamisme : 0
Page 2/4
Visualiser l'article
marque éponyme et d'un concept store qui proposent des vêtements allant du 34 au 46, sont considérées
comme grandes tailles dans le milieu de la mode, les tailles au-dessus du 44.
Mais alors pourquoi ces marques comme celles qui s'arrêtent au 42 se privent-elles volontairement de clientes
potentielles? Pour des raisons marketing et financières. Mais, attention, ce choix n'est pas du seul fait des
marques. Les clientes grandes tailles ou non ont aussi leur part de responsabilité.
"Ca dégrade l'image de la marque, le standing"
Françoise travaille pour des nombreuses marques françaises de prêt-à-porter dans un atelier de production
parisien. Pendant deux ans, de 2010 à 2012, elle a participé à la création des vêtements entre autres pour les
marques Maje, Sandro et Claudie Pierlot. "Un jour, j'ai demandé au représentant de ces marques pourquoi
s'arrêter au 40. 'Au delà de cette taille, ça dégrade l'image de la marque, le standing' m'a-t-il répondu" .
Leur positionnement, proposer des vêtements allant du 34 au 40, n'a évidemment jamais été revendiqué de
la sorte par ces marques. On les comprend, en s'arrêtant à la taille 38 pour les femmes et en l'assumant, la
marque américaine Abercrombie & Fitch s'était attirée les foudres du public en 2013, un bad buzz dont elle
avait eu du mal à se relever. Pas plus tard que début janvier, c'est la marque américaine Urban Outfitters qui
s'est fait remarquer en faisant poser une mannequin grande taille pour sa dernière campagne sans proposer
des tailles correspondants à ces mensurations à la vente.
Plus encore que les autres marques de prêt-à-porter, celles qui nous intéressent relèvent du "luxe abordable"
et évoluent dans un milieu très concurrentiel. "Le secteur de la mode peut se schématiser sous la forme d'un
sablier, résume Frédéric Godart, sociologue de la mode , au sommet, on retrouve les marques de luxe, elles
font beaucoup de marges et vendent peu. À la base, les marques de fast fashion, elles ne font pas de grosses
marges mais vendent en grande quantité. Au centre, là où le sablier est le plus fin, se trouve le luxe abordable.
Les marges ne sont pas très importantes, tout comme les volumes produits et vendus."
On le comprend, si la concurrence est forte, mieux vaut se distinguer et donc travailler au mieux son image
pour qu'elle reste en mémoire. Ces marques capitalisent beaucoup sur l'image de la Parisienne et plus
généralement de la Française, un point pour s'établir à l'étranger ou réussir dans l'Hexagone. "Or, rappelle
Delphine Dion, professeur de marketing à l'ESSEC spécialisée dans le luxe , en France, une femme à la
mode, c'est une femme mince". Et pour promouvoir ce modèle, les vendeuses sont au premier poste "Dans
ces marques-là, comme dans le luxe, les vendeurs et vendeuses sont les gardiens de la marque, ils se doivent
d'être jeunes, minces et beaux. Ils sont presque comme des mannequins officiels de la marque."
Et ils peuvent aussi servir de repoussoirs. Depuis trois ans, Béatrice Tachet prépare une thèse sur les
difficultés des marques à proposer des grandes tailles en France. Elle se souvient d'un entretien avec
une femme qui dans un magasin Maje s'était entendue dire par une vendeuse: "Ah, vous venez pour les
accessoires?" De toute évidence, elle n'avait pas la silhouette attendue pour entrer dans les créations de la
marque.
S'arrêter au 40 ou au 42 comme Zadig et Voltaire ou Bérénice, cela voudrait aussi dire flatter la cliente, lui dire
qu'elle ressemble à Inès de la Fressange ou Charlotte Gainsbourg. "Ces marques se disent: si vous voulez
faire revenir une cliente chez vous, faites-la rentrer dans du 38. Dans un 40, elle ne reviendra pas", résume
Emmanuelle Bresson , responsable pédagogique Fashion Business à Esmod Paris.
Tous droits réservés à l'éditeur
ESMOD 287170323
Date : 11/01/2017
Heure : 06:43:19
www.huffingtonpost.fr
Pays : France
Dynamisme : 0
Page 3/4
Visualiser l'article
Et pour cause, dans un sondage réalisé par l'institut YouGov pour Le HuffPost , la taille 38 est vue comme la
taille idéale devant le 40 et le 42 ou même le 36. Dans le même temps, seuls 15% des personnes interrogées
pensent que le 38 est la taille moyenne que font les Françaises. En faisant de celle-ci, la taille médiane de
leur gamme, ces marques incarnent donc un certain idéal qui peut varier en fonction de la marque.
On peut ainsi trouver un 38 qui se rapproche clairement d'un 40, c'est ce que les Anglo-saxons ont appelé la
Vanity Size ou taille flatteuse. L'idée est de proposer une taille plus grande que celle indiquée sur l'étiquette.
Un subterfuge très utilisé dans le prêt-à-porter comme l'a montré 60 millions de consommateurs .
Un surcoût non négligeable
Mais il ne s'agit pas seulement d'une question d'image. Avant se lancer dans sa thèse, Béatrice Tachet a
travaillé pendant 20 ans en tant qu'acheteuse pour des marques comme Etam. "Les tailles les plus vendues
en magasin sont le 36-38-40", assure-t-elle en se basant sur sa propre expérience. Et cela s'explique par une
"clientèle jeune, dépensière et qui aime renouveler sa garde-robe." Des best-sellers qui pourraient cependant
évoluer si le regard sur les tailles et la symbolique qui s'y raccroche évoluait aussi ce qui n'est pour l'instant
pas du tout le cas.
Dans la logique actuelle, si les marques élargissent leur gamme de tailles, elles ne seront pas certaines de
pouvoir vendre autant dans de plus grandes tailles. Concrètement, produire un éventail plus large de tailles
demande plus de place en magasin mais aussi d'avoir la trésorerie pour l'assumer. Lorsqu'un créateur dessine
un vêtement, il va le faire aux dimensions d'une taille qu'il aura choisie. Ensuite, les croquis passent entre
les mains d'un atelier de patronage qui va les décliner en autant de patrons que de tailles proposées par la
marque, cette opération a un coût.
Proposer la même création en 36 ou en 46 demande aussi évidemment plus de tissu. Pauline et Julie, les
deux soeurs qui ont créée leur marque du 34 au 46 précisent: "Pour une petite jupe, il faudra prévoir 56cm de
tissu qui sera entièrement ou presque utilisé pour une taille 36. Pour une taille 52 par exemple, il faut compter
le double et il y aura des pertes de tissu car ce ne sont pas les mêmes contraintes." Un budget conséquent
pour des marques qui ne produisent pas autant que des Zara ou Primark.
Constance Caylar qui a cofondé une marque de lingerie grande taille, Viksen , rappelle aussi qu'il ne "s'agit
pas seulement d'agrandir des vêtement déjà existants en 36. Une personne grosse a plus de volume sur son
corps. En faisant du 48/50, on peut avoir pas mal de ventre et de poitrine ou un petit buste et des hanches
larges avec de bonnes fesses. Ces mêmes différences existent entre deux filles qui font un 38, mais les
volumes sont beaucoup plus petits, forcément - les ventres ou les fesses n'ont pas la même taille!"
Sans aller jusqu'au 50, les marques qui s'arrêtent au 40 ou au 42 auraient-elles vraiment intérêt à investir
dans un éventail de tailles plus large? Pas forcément, les clientes ne sont pas toujours au rendez-vous.
Des contraintes marketing, économiques mais aussi une psychologie de la cliente
Quand ce ne sont les clientes de ces tailles-là qui s'autocensurent, ce sont les autres qui ne veulent pas
les cotoyer. Selon Emmanuelle Bresson, il existe une certaine frilosité de la part des clientes des marques
"standards" à voir les modèles qu'elles pourraient acheter disponibles dans de "grandes tailles", "la cliente
qui fait un 36 ne veut pas forcément voir le même modèle en 44."
Tous droits réservés à l'éditeur
ESMOD 287170323
Date : 11/01/2017
Heure : 06:43:19
www.huffingtonpost.fr
Pays : France
Dynamisme : 0
Page 4/4
Visualiser l'article
Cela touche évidemment à l'image du corps que nous avons, en particulier d'un corps que nous jugeons gros.
Cela explique aussi bien l'autocensure des unes que la frilosité des autres. Comme l'expliquait dans Les
Echos Catherine Lemoine , "dans l'inconscient collectif, un gros est en transition dans un corps de gros. Il
cherche forcément à maigrir et sa priorité n'est pas de s'habiller. Donc la mode pour les gros, c'est un nonsujet". Donc, cette petite robe noire mieux vaut la laisser à cette femme 38 et se rabattre sur les collections
spéciales "grandes tailles"...
Mais difficile de tout mettre sur le dos des clientes. Les marques ne jouent pas non plus toujours le jeu. Si
la marque élargit sa gamme de tailles, il faut que les potentielles clientes concernées soient au courant et là
aussi, le bât blesse. "Les marques ne font pas ou presque de publicité quand elles proposent de plus grandes
tailles", a remarqué au cours de ses recherches Béatrice Tachet. "Les mannequins en vitrine ne sont pas faits
pour porter ces tailles de vêtements", résume-t-elle encore. "Ainsi, lorsqu'on les interroge, certaines marques
(dont elle préfère taire le nom NDLR) peuvent dire: 'j'ai essayé de vendre de plus grandes tailles mais ça n'a
pas marché en magasin'", déplore-t-elle.
Chez nos voisins anglo-saxons pourtant, l'affaire n'a pas l'air si compliquée. Le nombre de marques à la fois
grand public et à l'image travaillée (Asos ou Forever 21) à proposer des tailles plus étendues s'est élargi,
grâce aussi au lobbying de la population. Désormais, des Kim Kardashian s'affichent avec des créations de
la prestigieuse maison parisienne Balmain preuve que même le luxe peut adapter ses créations qui défilent
normalement sur des modèles très minces à de vraies et franches courbes.
Si Internet a donné des nouvelles raisons d'espérer aux femmes qui font du 44 ou plus par l'émergence de
petits créateurs et de belles marques, l'image de la Française forcément mince a la vie dure . "Les choses
n'évoluent pas aussi rapidement qu'aux Etats-Unis, ils sont bien plus décomplexés. Nous, on a un patrimoine
à défendre, un mode de vie, une image", assure Emmanuelle Bresson.
Contactées par Le HuffPost en juin 2016 et en janvier 2017, les marques Maje, Sandro et Claudie Pierlot
n'ont pas souhaité s'exprimer sur ce sujet.
Tous droits réservés à l'éditeur
ESMOD 287170323