Lettre d`un citoyen à Monsieur le Président de la République 55

Transcription

Lettre d`un citoyen à Monsieur le Président de la République 55
Lettre d'un citoyen
à
Monsieur le Président de la République
55 Faubourg St Honoré
75008 PARIS
Monsieur le Président ;
Moi, Citoyen, je vous écris cette lettre aujourd’hui car, en conscience je ne peux plus me taire. En tant que Citoyen, je me sens en droit de vous exprimer ma révolte. Je ne peux rester sans réagir face aux réformes que met en place le Ministère de l'Education Nationale ; réformes qui n'auront pour effet que de démanteler l’école publique et laïque de notre pays. Certes, il est nécessaire d'améliorer le fonctionnement de l'Ecole ; certes il est nécessaire d'améliorer les capacités d'apprentissage de tous les élèves. Les enseignants en sont conscients, ils s'y emploient dans les classes, lors des concertations, lors de leurs rencontres avec les parents, lors des indispensables réunions des équipes éducatives, lors des animations pédagogiques. Au delà de leur tâche d'enseignement, ils sont conscients de leur rôle indéniable dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal.
Moi, Citoyen, je me dois de vous faire part de ma stupeur lorsque ces enseignants sont assimilés à des « forces rétrogrades », lorsqu'on tente de les culpabiliser quand ils exercent leur droit de grève (droit acquis dans le sang), lorsqu'en dépit d'excuses tardives leur rôle à l'Ecole Maternelle est minimisé, lorsque certains subissent des pressions de leur hiérarchie quand ils veulent s'exprimer lors des conseils d'école, lorsque leurs opinions sont surveillées sur internet...
De nombreuses études scientifiques ont montré la nécessité de prendre en compte les rythmicités biologiques et psychologiques de l'enfant pour favoriser ses apprentissages. Pourtant, le nouvel aménagement du temps scolaire mis en place en septembre 2008 est loin d'aller dans ce sens. Ce choix est celui qui fragilise le plus les capacités d'attention, de concentration et d'apprentissage des élèves. En outre, le choix de la « semaine des 4 jours » permet peut­être à certaines familles de faciliter l'organisation du week­end, mais de nombreuses familles n'ont pas la possibilité matérielle de partir en week­end. De plus, cet aménagement du temps scolaire aboutit à une baisse significative du temps hebdomadaire d'enseignement.
Pour certains élèves, la mise en place de l'aide personnalisée peut éventuellement permettre de répondre à des difficultés d'apprentissage ponctuelles et ciblées. Pourtant, ce dispositif montre d'ores et déjà ses limites : ­ Malgré l'implication réelle des parents et des enseignants, les élèves qui sont sensés en bénéficier sont encore plus stigmatisés.
­ Ces élèves voient leur temps de présence à l'école encore plus alourdi, et ce, au détriment du respect de leurs rythmes d'apprentissage. ­ Est­il logique d'un élève de CP passe autant d'heures à l'école qu'un lycéen ?
­ D'un point de vue méthodologique, il paraît extrêmement difficile d'évaluer sérieusement les effets du dispositif aide personnalisée.
­Force est de constater que l'aide personnalisée ne permet pas de répondre aux difficultés graves et persistantes des élèves, et ce en dépit des actions mises en place quotidiennement par les enseignants au sein de la classe.
Moi, Citoyen, je vous fait part de mon indignation en apprenant que la mise en place de l'aide personnalisée s'inscrit dans une logique comptable dont le but réel est la suppression des RASED (Réseau d'Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté). Je déplore l'entretien de la confusion entre « aide personnalisée » et « aide spécialisée ». Je déplore l'entretien de la confusion, entre « Réseau d'Aides Spécialisées » et « Réseau d'Aides et de Soutien » (à ma connaissance, le second n'existe pas). Je déplore la volonté de remplacer les aides spécialisées par les aides personnalisées ; ces deux dispositifs sont complèmentaires et ne peuvent en aucun cas se substituer l'un à l'autre.
Il est reproché aux RASED d'avoir des actions trop ponctuelles ou trop dispersées. Comment peut­il en être autrement alors qu'au fil des années leur personnel est de moins en moins nombreux ? Déclarer qu'un dispositif ne remplit pas ses missions alors qu'il est incomplet ne me paraît pas relever de l'honnêteté intellectuelle.
Parler « d'augmentation continue des emplois de maîtres spécialisés » ne me paraît pas plus relever de l'honnêteté intellectuelle alors qu'un nombre croissant de ces postes n'est pas pourvu.
Le fonctionnement des RASED est certes, lui aussi, à améliorer. Pourtant, déclarer que ce dispositif « montre ses limites » sans évaluation sérieuse, méthodologiquement construite, ne me paraît pas plus relever de l'honnêteté intellectuelle.
Il est reproché aux RASED le fait que « les élèves quittent la classe pour la durée de la prise en charge et n'assistent pas à certains enseignements fondamentaux ». Si ces élèves ont besoin d'une prise en charge par le RASED, c'est justement parce qu'ils ne sont pas en mesure de tirer parti de ces enseignements dits fondamentaux.
Vous n'ignorez pas, Monsieur le Président, qu'un nombre significatif d'élèves bénéficie aussi de prises en charges hors de l'école (orthophonie, psychomotricité, CMP, SESSAD...). Une partie de ces prises en charges s'effectue aussi pendant le temps scolaire. Matériellement, il ne saurait en être autrement ; sinon, le travail des professionnels concernés ne débuterait qu'à 17h00. Il est bien sûr inimaginable qu'un enfant de 8 ans se rende chez l'othophoniste à 18h00 ou à 21h00...
Je ne vois pas en quoi la prise en charge effectuée par le RASED durant les enseignements est un obstacle à leur efficacité (et ce d'autant plus que le temps d'enseignement a été réduit de 7,7 %).
Monsieur le Président, lors de la campagne présidentielle, vous avez placé l'éducation au coeur des enjeux de notre société, en tant que Citoyen je ne peux que louer cette volonté déclarée, de même que celle de réduire l'échec scolaire. Cependant, vous n'ignorez pas que les conditions dans lesquelles un élève entre à l'école sont un facteur crucial pour son investissement scolaire et donc pour son efficience. Or, de plus en plus, les RASED prennent en charge des élèves qui n'éprouvent pas uniquement des difficultés scolaires. Situations familiales complexes, parcours personnels chaotiques, difficultés psychologiques, difficultés financières, difficultés sociales sont de plus en plus la réalité de familles et d'élèves de l'école publique et laïque. Vous et moi, savons pertinemment que ce sont là des obstacles majeurs à la réduction de l'échec scolaire. Néanmoins, les personnels des RASED s'attachent à travailler avec ces élèves, ces familles et les équipes enseignantes. En plus des prises en charge, des missions de prévention, des bilans et accompagnements psychologiques, les RASED ont en aussi un rôle fondamental de médiation entre les enseignants, les familles et les différents partenaires de l'école (assistants sociaux, CMP, médecins scolaires, MDPH, CDO, établissement spécialisés, enseignants référents, orthophonistes, municipalités, CCAS...). Supprimer les RASED reviendrait purement et simplement à supprimer aussi ce travail de médiation et laisser les familles sans les aides ou accompagnements dont elles ont besoin.
Supprimer les RASED reviendrait à laisser les familles seules lorsqu'elles doivent suivre le parcours d'un dossier à la MDPH (déjà suffisamment long et complexe à l'heure actuelle) et donc laisser les élèves qui en ont besoin sans l'orientation, le SESSAD ou l'AVS dont ils ont besoin.
Pour des raisons que nous n'avons pas à juger, certaines familles font le choix d'une prise en charge à l'école (vs une prise en charge hors de l'école comme par exemple au CMP). C'est n'est qu' aprés des dialogues répétés et un travail basé sur la confiance que ces familles effectuent alors la démarche d'une demande de prise en charge extérieure. Supprimer les RASED reviendrait à priver les familles (le plus souvent démunies) de ce nécessaire accompagnement.
Supprimer les RASED reviendrait à encombrer encore plus les services extérieurs auxquels les élèves et les familles ont recours (en particulier les orthophonistes et les CMP).
Vous n'ignorez pas Monsieur le Président qu'un trouble du langage ne relève pas toujours d'une prise en charge instrumentale chez un orthophoniste ; le travail rééducatif ou psychologique effectué par le RASED peut s'avèrer essentiel.
Vous n'ignorez pas, Monsieur le Président, que de nombreuses familles ne peuvent financièrement pas faire appel à un psychologue du secteur libéral (une séance coûte au minimum 45 euro. Non remboursables.)
Vous n'ignorez pas, Monsieur le Président, que les CMP sont de plus en plus surchargés et qu'ils ne peuvent faire face en temps voulu aux situations de plus en plus douloureuses qui leurs sont soumises. Dans certaines régions de France, le délai d'attente est de 18 mois ! Là encore, le rôle des RASED s'avère essentiel pour remobiliser les familles, pour les accompagner, pour effectuer cet indispensable travail de relai entre CMP et familles. Supprimer les RASED reviendrait à laisser encore plus de familles et d'élèves seuls face à leurs difficultés.
Il est faux et malhonnête de laisser dire que « ...le rôle des 8000 RASED qui vont rester va évoluer... » (d'une part, 8000 ne correspond pas à un quelconque nombre de RASED, mais au nombre de personnels menacés de disparition ; d'autre part si certains « restent », cela signifie bien que d'autres seront supprimés.) Monsieur le Président, nous savons pertinemment il ne s'agit nullement de sédentarisation des RASED mais bel et bien de suppression. La désinformation consiste à laisser dire le contraire.
Les enseignants qui ont choisi de se spécialiser et travailler dans un RASED l’ont fait pour combattre au plus près et de manière différente la difficulté scolaire en s’engageant auprès des élèves qui la vivent quotidiennement, et ce au sein de l'école publique et laïque.
Vous avez déclaré qu'en tant que Président de la République vous aviez le droit de dire ce que vous vouliez. En tant que citoyen, j'ai ce même droit, et je l'exerce.
Les réformes que veut mettre en place le Ministère de l'Education Nationale ne peuvent que mener au démantèlement de l'école publique et laïque pour tous, elle ne peuvent que renforcer les inégalités sociales de plus en plus criantes et douloureuses. Monsieur le Président, en tant que citoyen, je vous demande de renoncer à ces réformes.
L'éducation pour tous est une réelle richesse, elle est loin d'être virtuelle, elle ne s'effondrera pas tant que chacun y aura accès.
Veuillez croire, Monsieur le Président de la République, en l'expression de mon plus profond respect et aux valeurs de l'école publique et laïque..

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