Le choix - Scribay

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Le choix - Scribay
Raphael Emile
Le choix
Publié sur Scribay le 24/05/2016
Le choix
À propos du texte
Deux hommes face à un dilemme qui changera irréversiblement leurs futurs. Serontils en mesure de faire le bon choix ?
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Le choix
Le choix, Chapitre 2
La porte se ferme et le silence lourd s’installe entre nous deux, gêné, ne sachant pas
quoi dire. Une minute qui semble une éternité passe avant que je décide de prendre
parole.
— Bon… C’est un peu délicat comme choix. Mais… tout d’abord, j’aimerais présenter
mes excuses, nous savons pertinemment que c’est moi qui t’ai convaincu de me
rejoindre. Tu ne mérites pas ça, c’est entièrement de ma faute, je n’aurais jamais dû
t’impliquer dans cette affaire, je suis navré.
Il demeure là, perdu dans ses pensées à regarder fixement le pupitre pendant de
longues secondes. Pendant un moment, j’ai cru qu’il ne m’avait pas entendu quand
soudain, pour la première fois, il prend la parole.
— Tu te souviens de ce beau jour d’été ? Nous étions partis avec nos femmes à la
pêche le temps d’un week-end au bord d’un lac. C’était une superbe journée ! On se
détendait là, tous deux, une bonne bière à la main, tranquillement assis sur nos
chaises avec nos cannes et filets. On buvait, plaisantait, prenait du bon temps, bref,
le paradis. Ce paradis se transforma en cauchemars lorsque ma femme fut prise d’un
malaise au beau milieu de la rivière. Ta femme avait essayé tant bien que mal de la
maintenir hors de l’eau avec difficulté, elle aurait pu se noyer elle aussi si tu n’étais
pas intervenu.
Je fixe son pupitre, les images remontent à la surface, comme si c’était hier.
— J’étais pétrifié… pétrifié devant cette vision d’horreur, je ne savais pas comment
réagir… Toi, tu n’as pas hésité une seule seconde. Tu as plongé, tu as ramené le
corps de ma femme inerte à la berge, puis tu as prodigué les premiers soins. Ce fut…
le pire moment de ma vie. J’ai vraiment cru que j’allais la perdre. Par miracle, elle est
revenue à la vie, je n’oublierai jamais ce moment lorsqu’elle a rouvert les yeux et
repris conscience. Un vrai miracle.
Il marque une pause tant le souvenir douloureux revivait dans nos esprits. Je
respecte ce silence. Il continue son récit.
— Je ne te remercierai jamais trop pour ce sauvetage. Cette épreuve nous a tous
soudé, spécialement toi et moi. Depuis je me suis toujours dit que, quoiqu’il arrive,
on se serra les coudes.
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Le choix
Un soupçon de culpabilité se manifeste en moins, je n’ai aucune envie de le regarder
droit dans les yeux. Les remords me rongent.
— Tu n’as rien à te reprocher, vraiment !
— Bien sûr que si ! Si je n’avais pas eu cette brillante idée, on n’en serait pas là
aujourd’hui. Au diable même si j’ai sauvé ta femme, c’est tout à fait naturel.
— arrête cela tout de suite ! J’avais parfaitement le choix de te suivre ou de refuser,
je ne t’en veux pas. Moi aussi, ma situation me pèse, moi aussi je veux changer de vie
et tu as trouvé la solution parfaite ! Comment ne pas refuser ? C’était le plan parfait !
Enfin… Presque. Jusqu’à aujourd’hui. Nous avons joué avec le feu, et nous nous
sommes brûlés. Comme je l’ai dit plus tôt, quoiqu’il arrive, on reste ensemble, soudé,
pas vrai ?
Il tente un sourire pour détendre l’atmosphère avant de poursuivre.
— Nous sommes tous deux coupables, je me sens prêt à prendre mes responsabilités.
Partageons nos torts et prenons comme choix le A. Je ne tiens pas à perdre mon
travail. Pas maintenant. Pas à cet âge. Retrouver un emploi ? C’est insensé, mission
impossible, tu le sais aussi bien que moi ! On serait foutu.
Je vois sa main s’agiter derrière le pupitre. Mes yeux s’écarquillent.
— Voilà, c’est validé. J’ai appuyé sur A. C’est la seule solution viable !
Je ne pouvais pas le croire, moi qui croyais qu’il allait me blâmer de l’avoir mis dans
cette situation, il décide de partager la faute. Nicolas… t’es vraiment un chic type !
Le meilleur ami qui soit !
— Je suis tout de même vraiment désolé, j’espérais que les choses se passent
autrement, on a manqué de chance, je ne sais pas comment ils ont fait pour deviner.
Le plan était infaillible ! Je suppose que tu as raison, au moins, on garde notre boulot
avec une retenue sur le salaire, c’est mieux que rien.
Au moment où je m’apprête à appuyer sur le bouton, un grésillement se fait entendre
dans le haut-parleur, et une voix se fait entendre.
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Le choix
— Messieurs, cinq minutes se sont écoulées. Je constate qu’aucun de vous n’a encore
fait de choix. Je suppose que vous avez besoin de plus de temps ?
Comment cela, aucun de nous ?
— Qu’est-ce que vous racontez ? Nicolas a voté ! Je m’apprête à faire le mien !
Dans le doute, j’enlève mes doigts du bouton. Cela me paraît bizarre . La voix
reprend.
— Je peux vous garantir qu’aucun choix n’a été validé par qui que ce soit. Je vous
laisse donc les cinq minutes restantes pour trouver un accord.
La voix et les grésillements se tuent, je regarde mon ami, le visage gêné.
— Désolé, on dirait que j’ai mal appuyé.
Pour la première fois, je le regarde sous un œil différent. La compassion, l’éloge des
cinq premières minutes semblent s’être envolés dans un passé lointain. Le doute
s’installe.
— Ah ! Peut-être l’électronique qui fonctionne mal, replié-je.
Pourtant, au fond de moi, je sens comme une alarme retentir. Dit-il la vérité ? Peutêtre, je pense de trop. Mais lorsque le doute s’installe, il ne te lâche pas. Et si… Et
s’il essayait de m’amadouer pour presser le bouton A pour que lui appuie sur le B ?
Après tout, il a tout à y gagner ! Il me dénonce, je me fais virer, et lui reste avec un
meilleur salaire et tout ce qui va avec. Bonté divine ! Est-ce possible ? Oserait-il faire
ça, au-delà de notre amitié ? Qu’ai-je fait pour mériter un tel affront ? Le sentiment
de culpabilité revient, plus fort que jamais. Il m’en veut ! C’est sûr ! Dans ce cas,
pourquoi n’a-t-il pas appuyé sur le bouton B et prétendre son choix A ? Je serai tombé
dans le panneau ! Non, je divague… Il a sûrement raison ! C’est sûrement cette
saloperie de bouton qui a déconné !
— Oui, vraiment ! Je ne sais pas ce qu’il s’est passé ! Bon. Où étions-nous ? On
appuie tous les deux sur A ! N’est-ce pas ?
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Le choix
Je le dévisage un court instant. N’est-ce pas ? On dirait qu’il doute de ma parole ! Il a
l’air soucieux, pas vraiment à l’aise. La gêne se dessine dans son regard fuyant. Mais
alors… J’ai raison ? Il a feinté ? La déception est énorme. Nicolas… Mon ami… Je dois
savoir.
— Nicolas, pourquoi… Dis-moi pourquoi n’as-tu pas appuyé ? J’ai bien compris que tu
ne l’as pas fait, inutile de me mentir.
Je le regarde intensément, de longues secondes s’écoulent avant qu’il prenne la
parole.
— Désolé, je voulais être sûr en forçant la main, que tu appuies toi aussi sur le A. J’ai
feinté pour voir si tu allais le faire ou non ! Voilà ! Vu les enjeux, je me montre
prudent ! Et si au dernier moment, tu avais appuyé sur le bouton B ? À toi la belle vie
?
Il tremble de tout son corps, les poings serrés, les lèvres pincées. Quel choc ! Mon
meilleur ami qui doute de moi, de ma sincérité. Mais qu’ai-je fait pour mériter une
telle méfiance ? Je n’arrive plus à cacher ma colère.
— Mais enfin ! Je ne t’ai jamais fait faux bond ! Pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi
maintenant ?
— Tu voulais tellement de cet argent ! J’ai pensé que tu prendrais le B ! Cela t’aurait
bien soulagé non ? J’ai participé et élaboré à ce plan que tu aurais pu me dénoncer !
C’est moi qui t’ai poussé à continuer la combine après avoir réussi notre premier
coup ! On aurait pu s’arrêter là ! Mais j’en ai décidé autrement. Tu as donc une
excellente raison de m’en vouloir. J’espérai par ce biais, connaître tes intentions, être
sûr de t’avoir convaincu de faire le bon choix et de connaître ta franchise avant de
faire mon vote.
Fou, il est complètement fou. Penser que je mettrai de côté notre vieille amitié pour
de l’argent. Quelle déception. Que dire ? Que faire ? De toute évidence, il a raison.
J’ai de bonnes raisons de lui en vouloir, si on s’était limité à une ou deux rafles on
n’aurait pas eu ces soucis. Mais je le pardonne ! Il a tellement insisté que je l’ai suivi
! Aveuglé par l’appât du gain si facile et déconcertant ! Je ne peux pas lui en vouloir,
même s’il le pense. C’est à ce moment-là que je réalise du paradoxe qui s’offre à
nous, du choix qui réside non seulement dans l’honnêteté de nos paroles, mais sur la
confiance réciproque afin de s’en sortir avec le moins de dégâts possible. J’ai compris
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Le choix
qu’on était foutu. Mal parti. Tout cela, à cause d’un bête bouton non appuyé et d’un
manque de confiance. Le doute s’est emparé de nos esprit, tel un poison insidieux.
On a tous deux quelque part, un reproche à se faire.
— Écoute, je ne t’en veux absolument pas, crois-moi ! Je comprends ton point de vue,
mais notre amitié ira au-delà de cette épreuve, pas vrai ? Aie confiance en moi ! Nous
appuyons tous deux sur A, OK ? Tu as parfaitement raison en premier lieu, c’est A le
plus adapté à nos besoins ! Je t’ai entraîné dans cette affaire, tu as voulu remettre le
couvert et fait ton grand gourmand, soit ! On a un reproche à se faire l’un et l’autre !
OK ! On a compris, mais de là à trouver un coupable… ne soyons pas stupide, et
optons pour A. Tort partagé, on garde notre boulot.
Je m’arrête un court instant et le fixe intensément. Il semble hésiter. Je me rappelle
soudain d’un détail important.
— En plus… Le plus beau dans ce choix, tu sais ce que c’est ? demandé-je.
— … Non ?
La curiosité le pique.
— Il ne sait pas qui de nous deux à réaliser ce coup, donc l’argent qu’on a
accumulé…
— … Reste dans nos poches ! Mais bon sang ! Tu as raison ! s’écrit-il.
On laisse échapper un fou rire, la tension est redescendue d’une traite.
— Pardon, je suis vraiment désolé, ce n’est vraiment pas facile comme situation.
Pardon d’avoir douté de toi. Je ne mérite pas après ce que je t’ai dit et fait.
Nicolas semble terriblement affecté, je le sens dans le timbre de sa voix.
— C’est pardonné, vraiment ! Mettons cela sur le compte du stress ! Allez, appuyons
sur A !
Alors que je pose ma main sur le bouton, un nouveau doute s’installe. Le butin…
Quatre-vingt mille euros enfin… quarante milles chacun ! Est-ce suffisant pour
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Le choix
couvrir le manque à gagner occasionné par la retenue du salaire jusqu’à la retraite ?
Bien sûr que non ! Lui aussi a dû calculer cela !
Je ne peux m’empêcher de penser : et s’il me mentait encore ? Et si tout n’était que
mascarade depuis le début ? Il attend sûrement que j’appuie sur le bouton A pour
prendre B ? il me balade avec ses jolis mots pour me convaincre et décide de me
faire payer de l’avoir entraîné en premier lieu dans ce plan, en choisissant B. Mais
alors, c’est à lui que profite la belle vie !
Je relève la tête pour dévisager Nicolas. Il me regarde tout aussi intéressé de savoir
si j’ai appuyé sur le bouton. Apparemment, le même raisonnement a dû lui traverser
l’esprit.
— Tu hésites, lance-t-il.
— Toi aussi, répliqué-je.
On ne va jamais y arriver ! Une spirale infernale s’est installée entre nous. Cela
tourne au ridicule. Pour ne pas arranger les choses, à tergiverser ainsi, on s’expose à
un grave problème. Le temps file à vive allure.
— Tu as pensé que l’argent qu’on a ne suffit pas, pas vrai ? Me demande-t-il.
Je m’en doutais ! Abattons les cartes sur la table.
— Effectivement, mais cela reste de toute manière le meilleur choix qui se présente.
On ne doit pas hésiter !
Je marque une légère pause avant de continuer.
— Pourtant, je vois qu’un manque de confiance persiste dans nos esprits, inutile de le
nier. Peut-être y a-t-il un moyen de résoudre ce problème qui donnerait satisfaction ?
Nous réfléchissons un court instant.
— J’ai trouvé une solution ! s’exclame-t-il.
Il se met à rire bruyamment, son visage reprend des couleurs. De toute évidence, il a
trouvé un moyen.
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Le choix
— Ah ? Qu’est cette solution si ingénieuse qui nous sauvera ?
La curiosité me pique. Il se ressaisit et entame son explication.
— C’est fort simple: on est chacun derrière un pupitre, mais on ne peut pas le quitter
tant qu’un vote n’a pas été soumis, pas vrai ?
— C’est vrai.
— Alors voilà, les pupitres sont rigoureusement identiques, je suppose que la
disposition des boutons aussi.
— Sûrement, oui.
— Je mets mes mains derrière la tête, bien visible. Toi, tu les places sur chacun des
boutons, je saurai en fonction de l’écart de tes bras que tu ne mens pas. Puis tu
lèveras en l’air ta main qui touche le bouton B et tu appuies sur le bouton A. Nous
saurons alors que tu as bel et bien fait ce choix. Pas vrai ?
— Oui, continue.
— Ton choix validé, tu pourras sortir de ton pupitre et venir au mien. Et j’appuierai à
ce moment-là, sur le bouton A.
Je réfléchis à sa proposition. Cela tient tout à fait debout ! Son raisonnement est
parfait ! Je me mets à rire aussi. Finalement une solution ! Je n’aurais jamais su
trouver ce genre d’astuce. Je repense à toute son explication, il n’y a rien à redire !
Juste génial ! Je le regarde penché sur son pupitre, confiant et heureux de sa
proposition. Ses mains… Où sont-elles ? Mon visage s’assombrit. C’est simple… Bien
trop simple comme solution ! Il se moque de moi, encore une fois !
— Quelle preuve as-tu pour me confirmer que tu n’as déjà pas appuyé sur le bouton
B ? Tu gardes tes mains sur le pupitre depuis tout à l’heure ! Tu as très bien pu…
— Mais tu es complètement fou, ma parole ! Je n’ai rien fait de tel !
— Sors de ton pupitre, que l’on voit tout de suite si tu dis vrai !
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Le choix
— Quoi ? Sortir au risque de me voir infliger une pénalité ou je ne sais trop quoi de la
part du directeur ? Tu rêves !
Et il a raison le bougre ! Impossible de vérifier cela !
— Quoique… si. Il y a une solution.
— Laquelle ? On attend la dernière minute.
— Comment ça ? C’est toi, le fou !
— Non ! Réfléchi ! Le directeur a dit qu’il reprendrait contact avec nous à la dernière
minute, pas vraie ? Je présume qu’il annoncera si un vote a été fait ou non ! Au pire,
tu peux lui demander !
Il n’a pas tort. Il nous a surpris tous les deux en annonçant le statut des votes. Il y a
de grandes chances qu’il en fasse de même ? Dans ce cas-là, tout est permis !
— Tu as raison encore une fois. On attend alors jusqu’à la dernière minute.
Plus les secondes défilent, plus je me sens anxieux. Il y a quelque chose qui cloche
dans ce plan… Mais je n’arrive pas à savoir quoi. Qu’est-ce qui me gêne autant ?
Réfléchi, réfléchi, réfléchi… La vérité me frappe en pleine figure. Évidemment ! Je le
regarde alors qu’il attend sagement les mains sur la tête.
— Dis… qu’est-ce qui me dit qu’après mon vote, tu ne baisses pas les bras pour te
précipiter pour voter ?
Silence.
— Tu trouveras toujours quelque chose à redire, hein ? fustige Nicolas.
Il abaisse ses bras en signe d’impuissance. Il continue dans sa lancée.
— Je t’aurai bien proposé que l’on inverse les rôles, mais tu trouveras à redire.
Inutile d’insister. De toute manière, c’est difficile comme choix… très difficile ! Avec
toute cette histoire, j’ai perdu toute confiance en toi. Tu me déçois. Tu m’as déçu. Je
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Le choix
commence à penser que toi aussi tu joues un rôle à tout vouloir me mettre sur le dos.
As-tu quelque chose à te reprocher ? Ou alors, tu as toutes tes raisons de m’en
vouloir ! Et à présent, moi aussi j’ai mes propres raisons de te douter ! Alors ? Que
fait-on ?
Je me sens si coupable ! Pardon… Pardon… Pardon… Le grésillement du haut-parleur
se fait à nouveau, la torpeur s’installe, nous savons qu’il nous reste une minute pour
nous décider.
— Avez-vous fait votre choix ? me demande la voix dure et autoritaire.
Je réfléchis.
— Pas tout à fait, bafoué-je.
Je redouble d’efforts.
— Que fait-on ? me demande Nicolas, anxieux.
— Il vous reste moins d’une minute pour faire un vote, prévient le directeur.
Et voilà où nous en sommes dans cette histoire, à ne pas savoir quoi répondre. Et ce
n’est pas faute de possibilités ! Mais c’est la première fois que je suis confronté à un
choix où la confiance est primordiale pour s’en sortir, or, cette confiance vient de
s’éclater en mille morceaux. Dois-je choisir A en me disant que s’il presse B, je garde
ma dignité ? Serai-je prêt à céder mon poste par fierté ? Quelle torture !
— Il est hors de question que je perde mon travail ! Appuyons sur A ! Il y va de notre
futur !
Je le vois presser quelque part sur le pupitre, incapable de savoir sur quel bouton,
mais cette fois-ci, c’est sûr, il a fait son choix.
— Mais… Je…
A-t-il réellement appuyé sur A ? Ou est-ce un coup de bluff ? S’il a pressé sur B, je me
retrouve sans emploi ! Ma dignité sauvée, certes. Et si c’est moi, qui opte pour B ?
Après tout, il a raison ! Je ne peux que lui en vouloir de m’avoir forcé de continuer,
une bonne partie du plan était de lui ! En plus, il se permet de douter de moi et m’a
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Le choix
menti en feignant d’avoir fait son choix ! Je dois appuyer sur B ! Tant pis s’il a
appuyé sur A ! Cela lui apprendra.
« Si tous deux choisissez B, cela prouverait que vous êtes tous les deux coupables,
vous serez donc viré sur-le-champ ».
Bon sang ! J’ai totalement oublié cette condition ! Je sens la colère monter en moi. At-il délibérément opéré son choix en premier pour me laisser seul face à ma
conscience ? Il a bien réussi son coup ! Suis-je prêt à appuyer B et risquer de
précipiter notre chute ? Je ne sais pas ! Je ne sais plus ! Je n’arrive plus à réfléchir,
tout cela est devenu absurde !
— Il vous reste 5 secondes, rappelle la voix.
Ne pense plus à rien, laisse l’impulsion de ton esprit décider.
— 4…
Je sens les réactions chimiques qui bouillonnent, le tourbillon des pulsations
électriques qui se forment dans mon cerveau, prêt à choisir.
— 3…
Je regarde mon ami de toujours Nicolas, implorant que faire un choix et le bon. Mais
j’en avais assez… Assez de tous ces mensonges et de ce jeu de dupe.
— 2…
Ma main tressaille, je ferme les yeux, tout est blanc dans mon esprit, toute cette
conversation m’a fatigué, je m’en remets dorénavant à mon subconscient, à l’instinct
primaire.
— 1…
Soudain, ma main touche l’un des boutons et l’appuie fermement. C’est la délivrance.
Je me sens léger, la pression est retombée d’un seul coup. Une chose est sûre, plus
rien ne sera comme avant.
— 0. je vous annonce que vous avez tous deux votés dans le temps imparti. Je vais
vous demander de regarder l’écran.
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Le choix
La seule télévision de la salle se met soudainement à s’allumer. il affiche en gros nos
prénoms respectifs pendant quelques secondes dans un suspense insoutenable. Puis
le verdict tombe, deux lettres en rouge s’affichent en grand sur l’écran en dessous de
nos noms respectifs, un A et un B.
Le choc. Nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord sur un choix commun. C’est
avec surprise déconcertante que le choix A appartient à Nicolas. Après tout, il a été
jusqu’au bout de ses convictions. Je contemple le B associé à mon nom et un
sentiment peu flatteur me parcourt. Je l’ai trahi. Il va être viré, je vais conserver ma
place au sein de la société, salaire à la hausse. C’est impardonnable, je me sens
minable, au point de lui donner l’entièreté du butin gagné en guise de consolation.
Notre amitié n’est plus.
Il ne semble guère surpris des résultats. On reste de longues secondes sans se
parler. Et soudain, il prend la parole.
— Je n’ai rien à me reprocher, je n’ai rien fait ! C’est toi ! C’est toi le coupable ! C’est
toi qui es venu me voir ! Tu n’as aucune preuve !
Il se laisse abattre sur le pupitre, plein de déception.
— Comment cela aucune preuve ? Tu ne manques pas de culot ! Oui, je suis à
l’origine de ce plan ! Oui, je voulais m’enrichir ! Oui, j’aspirais un meilleur quotidien
! Je t’ai invité à me rejoindre dans cette combine, et tu n’as pas hésité une seule
seconde ! Ne dis pas le contraire !
C’est alors que j’entends le grésillement du micro présent dans les haut-parleurs.
Comment ça ? Il est encore actif ?
— Conversation forte intéressante, je dois dire ! Dois-je prendre ses paroles pour des
aveux, Mr Duret ?
La poisse !
— Comment se fait-il que le micro fonctionne ? m’écrié-je. Je croyais qu’on était en
toute intimité !
— Ah ? s’amuse la voix. Pourtant j’avais bien stipulé que le micro serait éteint
pendant toute la durée du vote. Pas après, non ?
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Le choix
Un frisson me parcourt tout le corps. Et merde !
— Vous reconnaissez donc votre culpabilité dans cette affaire, cet enregistrement
pourrait être utilisé dans d’éventuelles poursuites contre vous, si vous n’acceptez pas
de démissionner sur-le-champ.
— Ah oui ? Et que faites-vous de mon cher collègue, Nicolas ? Il était dans la combine
lui aussi !
Pour toute réponse à ma furie, il laisse échapper un fou rire.
— Si tu savais, mon pauvre ami ! Tu es tombé en plein dedans !
Il imite avec ses mains un avion qui s’écrase au sol.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
À ses mots, je le regarde, horrifié.
— Tu l’as dit plusieurs fois toi-même ! Le plan parfait, une vraie horlogerie suisse !
Implacable et sans faille ! Et pourtant… Un petit grain de sable à tout fait basculer !
Devine… C’est moi, le grain de sable ! J’ai dénoncé au directeur nos agissements. Je
t’ai vendu en échange de contrepartie.
Je suis horrifié parce que j’entends, je n’arrive pas y croire ! Mon collègue et ami ! Je
sens la culpabilité refaire surface. Oh non…
— Je t’ai piégé. Je ne pouvais plus supporter ton hypocrisie plus longtemps. Oh, mon
ami ! Oh ! Comment peux-tu me faire ça ?
Il imite avec un certain mépris et dégoût mes gestuelles et mots. Oh non… Ne me dis
pas que… Mon estomac se noue, incapable de dire quoi que ce soit, tellement que la
peur me pétrifie.
— Pourquoi ne t’offusques-tu pas ? À moins que tu commences à deviner pourquoi je
peux t’en vouloir autant à présent, n’est-ce pas ?
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Le choix
— Désolé… Je suis tellement désolé… Depuis combien de temps le sais-tu ?
— Depuis combien de temps, je sais que tu t’es tapé ma femme ? Tu n’oses même pas
me dire la vérité en face ? Je le sais depuis ce jour-là ! La noyade !
Quel choc, je vacille légèrement, je me rattrape sur le pupitre.
— Au moment où tu as réanimé ma femme et qu’elle a ouvert ses yeux, ses premiers
mots étaient « oh ! Chérie » à ta vue. J’avais mis sur le compte du traumatisme vécu,
elle devait être bouleversée de ne plus savoir qui. Mais lorsque j’ai vu la manière
dont vous vous êtes échangé le regard, la fine caresse que tu as osée sur sa joue, j’ai
compris que quelque chose clochait. J’étais dans le doute, j’ai attendu quelques jours
que ma femme se remette pour la confronter. Et elle m’a tout avoué. J’étais dévasté,
elle a promis que c’était arrivé deux fois et que la liaison n’existait plus. Sur le coup,
je l’ai pardonné, je t’ai pardonné, car mine de rien, si tu ne t’étais pas jeté dans la
rivière, je suis sûr qu’elle serait morte aujourd’hui. J’ai donc gardé le silence.
— Je suis vraiment désolé… Vraiment, désolé.
— Malheureusement, au fil du temps, ce qu’il me paraissait naturel de t’avoir
pardonné changeait peu à peu… À chaque fois que tu fixais ma femme, que vous
plaisantiez et vous lanciez des regards, c’était suffisant pour me faire souffrir comme
une plaie qui ne se referme jamais. Je ne pouvais plus supporter cette hypocrisie,
cette mascarade plus longtemps. Alors, t’imagines, lorsque tu m’as parlé de ton plan,
j’y ai vu comme un parfum de revanche… Une vengeance qui pouvait apaiser ma
douleur.
Soudain, une phrase pensée plus tôt me revient. Et si le choix n’était qu’un simulacre
de liberté ? Comment savoir si notre choix n’a pas été influencé d’une quelconque
manière et te dirige vers une réponse désignée ?
— Tu as tout manigancé depuis le début ?
— Oui.
Quel choc !
— Tu m’as poussé à effectuer ce choix jusqu’à ce que je confesse sur un excès de
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colère ?
— C’est tout à fait cela.
Je peine à y croire. C’est si invraisemblable ! Je vais bientôt me réveiller.
— C’est complètement tordu ! Pourquoi ne nous avoir pas fait prendre la main dans
le sac ? Cela t’aurait paré toute cette mise en scène !
Il esquisse un sourire pendant quelques secondes.
— Le directeur l’a dit lui-même, il désire éviter une mauvaise pub ou de la pagaille.
Mais je dois avouer, il y a une tout autre raison.
— Laquelle ?
— Je voulais te faire souffrir psychologiquement que tu comprennes pendant ses
vingt minutes la torture que tu m’infliges depuis plusieurs mois. L’hypocrisie… le
mensonge… le manque de confiance. Tu ne m’as jamais fait faux bond comme tu l’as
si bien proclamé il y a quelques minutes ? En es-tu toujours persuadé ? J’espère que
cela te serve bien de leçon.
Des haut-parleurs, la voix du directeur se fait entendre une nouvelle fois.
— Bien Messieurs, je crois que l’affaire est close à présent. Mr Duret, j’exige votre
démission d’ici ce soir. Vous m’avez terriblement déçu, je n’aurai jamais pensé cela
de vous. La pauvreté de vos choix vous a fatalement conduit à votre chute, et ne
reflète aucunement les valeurs véhiculées par notre compagnie. Je ne vous
regretterai pas.
Le grésillement se tait et le silence tombe entre Nicolas et moi. Il sort de la salle sans
un mot, sans un regard, tout a été dit. Je reste planté devant le pupitre à contempler
les deux boutons. Je mérite amplement cette punition. Le choix, qu’en est-il
finalement ? Je m’obstinais à penser qu’il demeurait impulsif, spontané, influencé,
mais aujourd’hui, pour la première fois, je conçois qu’il reflète notre désir
égocentrique tapi au fond de nous qui va envers contre tout.
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