Expliquer un mot pour argumenter : « parole

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Expliquer un mot pour argumenter : « parole
© Edouard, collège Aumeunier-Michot
Expliquer un mot pour argumenter : « parole »
I. Etymologie
Le mot « parole » vient du latin populaire « paraula », lui-même issu du latin
ecclésiastique « parabola » (comparaison). Le terme est attesté au XIème siècle (1080). A
partir du radical – parl / - parol, on trouve des mots dérivés comme le nom parolier ou le
verbe parler.
II. Champ sémantique
1. Le premier sens du mot est étymologique. « Parole » signifie « élément simple du
langage articulé ». Le trait sémantique dominant est celui de la communication. Celle-ci peut
prendre deux formes : écrite ou orale, mais le mot « parole » insiste plutôt sur la capacité à
produire des sons, dans le cadre ordonné du langage, c’est-à-dire qui a un sens pour autrui.
Ainsi, « paroles », dans un sens restrictif, peut se dire au pluriel d’un « texte d’un morceau
de musique vocale » (les paroles d’une chanson). L’idée est que la parole doit être concise,
exprimer une pensée en peu de mots, pour frapper la sensibilité ou l’esprit de l’interlocuteur
comme une devise ou une sentence.
Le terme « parole » met donc l’accent sur l’idée que la parole doit exprimer une pensée
compréhensible, cohérente. Une communication véritable ne peut être fondée que sur un
soin particulier accordé aux sens des mots, pour éviter les malentendus. C’est pourquoi le
terme « parole » peut prendre le sens d’ « engagement », de « promesse sur l’honneur" :
on « donne sa parole » et on doit la respecter.
2. Ainsi, un deuxième sens du mot « parole » insiste sur l’adéquation entre le langage et
la pensée : les mots sont le véhicule de la pensée, l’ « expression verbale de la pensée ». Il
ne s’agit pas simplement de la capacité à utiliser à utiliser « les organes de la phonation »,
car un être humain qui serait privé de cette capacité (en cas d’aphasie par exemple) pourrait
tout de même exprimer une pensée en recourant par exemple à l’écrit. La parole est donc un
instrument de connaissance, ce qui permet d’appréhender le réel, de le déchiffrer, d’en
rendre compte.
Ce sens est particulièrement évident dans le domaine des religions révélées (judaïsme,
christianisme, islam) : la parole est l’expression d’une Vérité, transmise par Dieu lui-même, à
travers des textes sacrés (la Torah, la Bible, le Coran). Cette vérité est donnée comme
absolue puisqu’elle provient d’une source transcendante. Par exemple, pendant la
cérémonie de la messe, les fidèles chrétiens sont réunis pour écouter « la parole de Dieu »,
c’est-à-dire que l’officiant fait la lecture d’un passage de la Bible.
III. Synonymes, connotations
Un certain nombre de mots font simplement référence au premier sens du terme
« parole », c’est-à-dire la simple capacité à s’exprimer en recourant au langage. Lorsqu’elle
prend une forme écrite, la parole se décline à travers un certain nombre de supports qui ont
varié au cours de l’histoire : de la tablette d’argile à l’écran d’ordinateur. Le support privilégié
reste toutefois la lettre. Certains termes sont génériques, comme « message », qui désigne
« toute communication par laquelle on fait savoir quelque chose à une personne absente ».
D’autres sont plus spécifiques, en mettant l’accent sur le support matériel du message,
comme pli (qui se dit d’une lettre dans son enveloppe ») ; sur sa brièveté, comme billet (une
« courte lettre dans laquelle on peut se dispenser des formules de compliment ») ; sur son
mode de communication, comme missive (qui se dit d’une « lettre expédiée ») ou courriel
(seulement utilisé pour un message par voie électronique).
Ceci dit, le mot « parole » est plutôt utilisé pour désigner la capacité à s’exprimer à l’oral,
le fait de véhiculer une pensée grâce au langage articulé. Pour cela, le locuteur doit disposer
de qualités qui rendront le message compréhensible. Un certain nombre de mots sont donc
connotés de façon méliorative comme élocution, terme de rhétorique qui consiste à
s’exprimer de façon élégante, ou diction qui est « l’art de bien dire, de parler avec une
prononciation aussi parfaite que possible ». Un orateur, par exemple un homme politique ou
un comédien, doit d’abord se faire entendre distinctement, en maîtrisant le débit, le volume,
la hauteur, les inflexions de la voix. On voit donc que la « parole » ne se réduit pas à la voix,
c’est-à-dire au fait d’utiliser les « organes de la phonation ».
Le terme est indissociable de l’intention du locuteur. La parole est utilisée dans un but
précis. Cette visée peut être liée au registre comique, avec une volonté de faire rire : le
langage est en effet une source inépuisable de jeux de mots, de calembours, qui sont des
« plaisanteries fondées sur une similitude » de sons ou de sens. Un bon mot témoigne de
la finesse d’esprit de celui qui le maîtrise, même si certains mots d’esprit peuvent être
connotés de façon plus péjorative comme trait ou pointe qui suggèrent une « moquerie »
parfois blessante.
Le mot «parole » reste toutefois connoté de façon méliorative dans la plupart de ses
acceptions. Un certain nombre de mots font référence à une singularité de la voix : le fait de
pouvoir chanter. Tous ces mots sont valorisés car le chant répond à une exigence
artistique : la modulation de la voix provoque des sensations agréables à entendre,
notamment dans le fait de chanter en polyphonie : les voix de femmes (soprano, alto) et les
voix d’hommes (ténor, basse) se mêlent et produisent une harmonie riche et génératrice de
beauté.
Cette beauté n’est pas seulement d’ordre musical. Le sens des paroles chantées a
également de l’importance. Dans le domaine profane, il est agréable de chanter une
chanson, ou un air d’opéra. Mais c’est dans le domaine sacré que la parole est surtout
valorisée. Dans la liturgie protestante par exemple, le choral, chanté à l’unisson ou
harmonisé à quatre voix, est le ciment spirituel qui unit les fidèles dans l’amour de Dieu : que
l’on pense aux innombrables chorals de JS Bach par exemple. C’est aussi vrai dans la
tradition catholique où les fidèles sont invités à s’unir pour chanter des cantiques, ou des
psaumes.
Cela tient au fait que la parole est support de Vérité et de Connaissance. « Au
commencement était le Verbe » dit le premier chapitre de la Genèse : c’est la parole de Dieu
qui crée l’univers et la vie (« Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut »). La parole a
donc une puissance d’origine divine. C’est pourquoi il convient d’utiliser le langage de façon
appropriée, afin d’en sublimer toutes les ressources. C’est ce que font les écrivains, les
poètes notamment, qui détournent l’utilisation ordinaire du langage (la communication) pour
en faire un moyen d’expression artistique : la métaphore renouvèle notre vision du monde,
par exemple dans la poésie surréaliste.
On peut déplorer que notre époque perde progressivement cette valeur de la parole.
Plusieurs phénomènes en témoignent. Il y a une dévaluation de la parole perceptible dans
l’appauvrissement du vocabulaire. Une étude récente a montré que le bagage lexical moyen
des Français (environ cinq mille mots « courants ») a diminué (se réduisant parfois à cinq
cents mots). Dès l’école maternelle, on observe des écarts importants entre les enfants :
certains possèdent un lexique étendu parce qu’ils sont sollicités dans le cadre familial
notamment, et d’autres non.
La parole médiatique souffre aussi de dévaluation. La politique se réduit à quelques
petites phrases, parfois polémiques (qui font le « buzz »), au détriment de l’analyse
complexe de la réalité. L’art de gouverner importe moins que l’art de communiquer des
« éléments de langage » soigneusement préparés. Un autre phénomène contribue à cet
affadissement, qui tient paradoxalement à une trop grande profusion de la parole. Il se crée
un brouillard médiatique qui rend inaudible les paroles qui mériteraient d’être entendues.
Dans les medias audiovisuels, il y un très grand nombre d’émissions où l’on se contente de
bavarder de sujets insignifiants, entre interlocuteurs qui n’ont pas de compétences
particulières pour s’exprimer : la frontière entre divertissement et information s’efface, et rend
illisible la compréhension du monde. L’insignifiance de la parole atteint son plus haut degré
dans certaines émissions de téléréalité, où la banalité des propos est affligeante. Un grand
nombre de magazines de la presse écrite se complaisent dans les rumeurs sans intérêt,
proposent aux lecteurs une image factice de la réalité en s’attachant aux célébrités du
moment. Le voyeurisme, la vulgarité sont dégradants et ne rendent pas compte de la vie
réelle. On pourrait aussi citer certains usages des réseaux sociaux où l’on partage des
« informations » sans intérêt. Trop de parole inutile tue la parole authentique.
Il y a donc urgence à restaurer une parole porteuse de sens. Il conviendrait par exemple
de permettre à ceux qui n’ont pas habituellement accès aux medias de s’exprimer. Ce
« Parlement des Invisibles » (P. Rosanvallon)
permettrait de régénérer le modèle
démocratique. Une entreprise citoyenne comme le projet « raconter la vie » peut y
contribuer. Qui, en effet se soucie de recueillir la parole de ceux qu’on ne veut pas voir, qui
sont notre mauvaise conscience sociale, les élèves en échec scolaire ou décrocheurs, les
travailleurs pauvres, les précaires, les patients des hôpitaux psychiatriques, les vieillards en
fin de vie, pour ne citer que ces exemples ? Parler, c’est démontrer que sa vie est digne
d’être reconnue, qu’elle a un sens. S’approprier la parole permet de sortir de l’anonymat, de
lutter contre le sentiment d’abandon, de quitter le statut de « victime » pour acquérir une
autonomie. Bref, le langage est l’arme de l’émancipation.
La parole est un donc un instrument de libération à condition qu’elle ne serve pas
seulement à affirmer son individualité : certes, j’ai le droit d’être reconnu, mais les autres
jouissent également de ce droit. Autrement dit, la parole est ce qui permet le lien social ;
connaître l’autre grâce à une parole authentique devrait permettre de construire des relations
sociales apaisées. Se raconter, c’est ainsi s’apercevoir que son parcours a une signification
universelle, au-delà de sa vie personnelle. Nous ne sommes pas seuls, notre trajectoire a un
sens, car nous sommes tous faits de la même pâte humaine, dans de multiples variations
sociales. La parole a donc une puissance paradoxale : elle révèle notre singularité en même
temps qu’elle nous insère dans l’humaine condition. Cela doit nous inciter à tout faire pour la
préserver et la développer.