Introduction travail E. Beau - copie

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Introduction travail E. Beau - copie
Des bruits et Des silences photographiques
Édouard Beau
« …J'ai visionné les contacts que vous m’avez adressé, plutôt deux fois qu'une, et j'avoue ma surprise face à la
maturité de vos images, qu’elles soient de Mossoul, du Kurdistan Irakien ou de Sangatte... L'homme de Sangatte
sautant par-dessus une haie, devant une mer sur laquelle au loin part un bateau vers l’Angleterre, donne le ton
de votre engagement et de vos préoccupations : être ici, là-bas et maintenant, vif, captif, à l’écoute des Autres,
prêt à franchir les seuils de l’incompréhension humaine… En remontant vers les territoires lointains parcourus
par ces immigrés, je veux m’interroger sur les mécanismes sociaux et géopolitiques qui poussent des centaines
de jeunes à rallier l’Europe, à imaginer chaque jour un départ, à crier « Take me to Europe » pour ne plus
entendre les bruits sourds de la poudre et de l’acier de cette guerre sans nom… », tel fut l’un de nos premiers
échanges épistolaires avec Édouard Beau, jeune photographe talentueux de l’Agence Vu’.
Depuis, je ne cesse d’être étonné à chaque fois qu’Édouard ouvre un peu plus ses cahiers de voyages, chargés
d’images, d’histoires et de notes personnelles. Je suis étonné de la richesse « risquée » de ses images, des
points de vue qu’il adopte pour imposer aux spectateurs une place inconfortable, celle d’accompagner les
actions dans le cœur de l’image. Étonné car Édouard n’a que 26 ans, mais non surpris de cette maturité
professionnelle. Cette posture est le fruit conséquent d’un parcours et d’une formation peu commune que lui
seul orchestre. En 2000, il rompt avec l’enseignement général, quitte le lycée pour une unité de parachutisme
dans laquelle il évoluera durant deux ans. D’une pratique à l’autre, il se forme à la photographie, obtient un CAP
et rejoint l’université, section photographie, pour alimenter son désir de connaissances et de réflexions,
complémentaires de ses expériences de terrains. Dans le même temps, il réalise son premier reportage à
Sangatte, près du centre d’hébergement de la Croix Rouge. Suivent ensuite des reportages au Kurdistan, à
Mossoul dans une unité de l’armée Kurde, sur les sans papiers en France, sur le quotidien en Chine… Puis en
2008, il « revient » et intègre l’ENSP d’Arles, histoire de ne pas prendre les chemins dans un sens convenu.
Cette formation « à l’envers », apparaît comme une métaphore de cet itinéraire photographique et de ses
expériences humaines, comme un parcours nécessaire à la compréhension de ceux qu’il photographie. Édouard
Beau se sert de « pauses ». Pour mieux regarder. Pour prendre le temps. Puis repartir dans une « lecture » juste
du monde chaotique qu’il tente de saisir avec son appareil photo. Ses photographies en effet s’organisent dans
cette alternance, entre l’action et l’apaisement, la ferveur et la plénitude.
Si un effet de focalisation est constant dans le cadrage de chaque image, dans sa construction, ses lignes et ses
ombres, cet effet agit de deux manières distinctes. La première manière sert à imposer un rythme soutenu dans
la ferveur de l’action photographiée. Ainsi, dans les scènes de combats, les traques, les attentes,
particulièrement tendues, le photographe se place (et nous placent) au cœur des actions hostiles, au corps à
corps avec ses sujets, à l’intérieur du champ, très proche des destins, des balles perdues, d’une réalité qui nous
est inconnue. La seconde manière regrouperait les images marquant les temps de repos. Ces images,
construites elles aussi autour d’un cercle focalisant, se distinguent des autres par le traitement d’un espace plus
aérien, par des vides expressifs et des ombres porteuses de silences.
Cette photographie bipolaire, à l’image de l’itinéraire d’Édouard Beau, n’est jamais en rupture avec elle-même :
elle s’inscrit bien dans une démarche de photoreportage. Tout en informant sur les chaos du monde, elle
s’accorde à donner une image humaine de destins brisés, de destins émigrés vers des territoires fantasmés ou
enracinés sur des terres hostiles. Cette démarche, jamais condescendante, est particulièrement respectueuse et
forte. Que ce soit une jeune femme qui pleure auprès de ces trois enfants endormis, un cercle d’écolier dans la
montagne, des hommes priant devant la lueur d’un soupirail, des militaires menaçant un homme à genoux ou
encore trois clandestins rêvant d’un autre voyage, Édouard Beau suggère toujours dans ses images, la lumière
d’un lendemain meilleur.
Patrick Ruet, pour L’atelier du midi, octobre 2008

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