Sartre - Philopsis

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Sartre - Philopsis
Sartre
Notes sur L’Etre et le Néant
Nathalie Monin
Philopsis : Revue numérique
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Première partie : le problème du Néant
Chapitre I : l’origine de la négation.
Il s’agit de montrer que le néant a un type d’existence, d’abord, qu’il y
a du néant (et pas de l’être partout), puis, que l’origine du néant se trouve
dans le pour–soi, c’est–à–dire dans ce seul type d’être capable de secréter du
néant. Qu’en est-il de la différence avec Heidegger ? Pose–t–il lui aussi la
question de l’origine ? Comment aborde–t–il, comment arrive–t–il à la
notion de néant ?
I) L’interrogation
– le point de départ : l’impasse, si les deux régions sont
incommunicables. Il faut inverser, partir de l’ensemble, du concret, non de
l’abstrait : ne pas séparer abstraitement et sans raison ce qui ne fait qu’un en
réalité. pp. 37 à 381, 1er §. Comment commencer ? Par quoi ? Partir des
conduites humaines, c’est–à–dire de ce qui apparaît. On part de la totalité
« homme–dans–le–monde ».
– la première conduite est l’interrogation. Premier résultat : « il existe
donc, pour le questionnant, la possibilité permanente et objective d’une
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La pagination est celle de l’édition Tel de novembre 2014
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réponse négative » (p. 39). (…) « Ainsi, la question est un pont jeté entre
deux non–êtres : non–être du savoir en l’homme, possibilité de non–être
dans l’être transcendant. » (id). 1) Possibilité que je ne puisse répondre moi–
même à la question ; 2) possibilité que l’être que j’attends dans le monde
n’existe pas ou ne soit plus là. D’où la question de savoir d’où vient le non–
être : de moi ou du monde ? « …Nous sommes environnés de néant »
« Ainsi une nouvelle composante du réel vient de nous apparaître : le non–
être. »
II) Les négations
– L’en–soi ne peut fournir de réponses négatives, ni de réponses
positives, il est par–delà. Donc la négation vient de notre expérience. [Noter
que Sartre n’utilise pas ici le terme de Pour–soi, mais « expérience »,
homme, la première occurrence de « pour–soi » est dans l’introduction, p.
30, 32 et 33, dernier point, pour aider à spécifier l’en–soi.] Réfuter d’abord
que la négation soit le fait du jugement, que le jugement négatif soit le
contraire du jugement affirmatif, comme l’assemblage est le contraire du
triage. En est–il de même pour la relation du jugement affirmatif et du
jugement négatif ? Quel type de relation ? Sartre formule le problème : la
négation est–elle à l’origine du néant ou est–ce le néant qui est à l’origine et
au fondement de la négation ? (p. 41) Quel est l’être de la négation ?
– « La négation apparaît sur le fond primitif d’un rapport de l’homme
au monde ». Est–ce à dire que ces non–êtres sont de la pure subjectivité ?
Suit la description de ce qu’est une question : pas forcément seulement dans
une question (mais la question est un type d’expression du rapport à l’être
plus général qui se fait interrogatif), pas seulement d’homme à homme (on
peut interroger les choses aussi : mon carburateur quand la voiture est en
panne…). Second résultat : « Ainsi ma question enveloppe par nature une
certaine compréhension préjudicative du non–être ; elle est, en elle–même,
une relation d’être avec le non–être, sur le fond de la transcendance
originelle, c’est–à–dire d’une relation d’être avec l’être » (p. 42). Exemple
de la destruction : « l’homme est le seul être par qui une description peut être
accomplie », et le seul pour qui cela justement a un sens, qui est, de plus,
négatif. Bref, « il y a une transphénoménalité du non–être comme de l’être ».
– Le jugement négatif fait–il apparaître le non–être au sein de l’être,
ou se borne–t–il à fixer une découverte antérieure (constater qu’il y a du
non–être dans le monde ?) ? Exemple du rendez-vous avec Pierre à quatre
heures. Troisième résultat : « c’est le jugement de négation qui est
conditionné et soutenu par le non–être. » Suit, p. 45, dernière page du point
2, une première description analytique du néant : à partir de « Car la
négation est refus d’existence… ». La conséquence de ces trois résultats, ou
des deux premiers points, c’est qu’il faut que le non–être soit en nous qu’il
hante l’être. La même question revient encore : « quel est le rapport premier
de l’être humain au néant, quelle est la première conduite néantisante ? »
Recenser la suite des questions, par ordre, sur les deux premiers
points :
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– (1) p. 38 : 1° « Quel est le rapport synthétique que nous nommons
l’être–dans–le–monde ? » 2° « Que doivent être l’homme et le monde pour
que le rapport soit possible entre eux ? »
– Est–il une conduite qui puisse me révéler le rapport de l’homme
avec le monde ? … Que nous révèle cette attitude ?
– (2) p. 41 : la négation comme structure de la proposition judicative ;
est–elle à l’origine du néant – ou au contraire, est–ce le néant, comme
structure du réel, qui est l’origine et le fondement de la négation ?
– p. 46 : « Mais d’où vient le néant ? » Et s’il est la condition première
de la conduite interrogative et, plus généralement, de toute enquête
philosophique ou scientifique, quel est le rapport premier de l’être humain au
néant, quelle est la première conduite néantisante ?
III) La conception dialectique du néant (Hegel)
Quel est le rapport de l’être avec le néant ? Sont–ils contemporains,
comme chez Hegel ? Critique de Hegel, pour montrer que « l’être est
antérieur au néant et le fonde » (p. 50, in fine). « Il n’y a de non–être qu’à la
surface de l’être ». Autrement dit, se dessine déjà le fait que seul un certain
type d’être secrétera le néant, puisqu’on peut examiner l’être sans y trouver
la moindre trace de néant.
IV) La conception phénoménologique du néant (Heidegger)
C’est Heidegger qui représente cette théorie phénoménologique. En
quoi est–elle phénoménologique ? La description qu’on a de la distance est
phénoménologique : description de ce qui apparaît à une conscience, selon la
manière dont elle regarde. Mais on en restera à la surface, à l’apparaître,
c’est–à–dire aussi aux négatités : il faut attendre le § V, sur l’origine, pour
aller à l’être du néant.
– Mettre l’accent sur les forces réciproques de répulsion de l’être et du
néant l’un sur l’autre, comme Heidegger. Cela convient–il mieux ?
– Montrer d’abord les apports positifs de Heidegger : la légitimité de
l’interrogation sur le sens de l’être : il y a une compréhension préontologique
de l‘être. L’objection de la pure théorie ou de l’abstraction, du coup, tombe à
plat. De nombreuses conduites impliquent en effet une compréhension du
néant : la haine, le regret, la défense… (p. 51). Heidegger dit bien que le
Néant se néantise, et non qu’il aurait un être, un certain type d’être.
« L’angoisse est la découverte de cette double et perpétuelle néantisation ».
– Critique (p. 52) : « cette solution peut–elle nous satisfaire ? » « D’où
vient le pouvoir qu’a la réalité humaine d’émerger ainsi dans le non–être ? »
« Le néant ne peut être néant que s’il se néantise expressément comme néant
du monde : c’est–à–dire si dans sa néantisation il se dirige expressément vers
ce monde pour se constituer comme refus du monde. » Ensuite,
renversement par rapport à Heidegger : ce n’est pas la transcendance qui
fonde le néant, c’est la transcendance qui porte le néant en son cœur, le néant
est au sein même de la transcendance et la conditionne.
– il faut demander à Hegel : « Que doit être l’esprit pour qu’il puisse
se constituer comme négatif ? » Et à Heidegger : « Si la négation est la
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structure première de la transcendance, que doit être la structure première de
la réalité humaine pour qu’elle puisse transcender le monde ? » Il faut fonder
l’activité négatrice sur un être négatif.
– p. 54 en bas : ex. de la distance. Les négatités : « réalités éprouvées,
combattues, redoutées par l’être humain, et qui sont habitées par la négation
dans leur intrastructure, comme par une condition nécessaire de leur
existence » : l’absence, l’altération, l’altérité, la répulsion, le regret, la
distraction, etc… (p. 55). D’où vient le néant ? ne peut venir de ce type de
réalité lui–même ; doit être porté par l’être, en son sein. Alors ?
V) L’origine du néant
– le néant ne peut se néantiser, puisqu’il n’est plus rien. Seul l’être
peut se néantiser. Ainsi, le néant n’est pas, il est été. Quel type d’être peut
porter en lui le néant, et l’acte de néantisation ? Premier résultat : « l’être par
qui le néant vient au monde doit être son propre néant », comme une
caractéristique ontologique de l’Être requis (p. 57).
– p. 59 : deuxième résultat : « l’homme est l’être par qui le néant vient
au monde. Mais cette question en provoque aussitôt une autre : que doit être
l’homme en son être pour que par lui le néant vienne à l’être ? »
– comment va jouer la néantisation ? Non pas anéantir l’être en face
d’elle, mais « ce qu’elle peut modifier, c’est son rapport avec cet être ». Là
arrive la notion de liberté. « Que doit être la liberté humaine si le néant doit
venir par elle au monde ? » (p. 59)
– premier point : se souvenir que la liberté n’est pas l’essence de
l’homme, comme une propriété, et ensuite vient l’existence. Mouvement
inverse : la liberté est la condition requise à la néantisation du néant.
Liberté = être de la réalité humaine. Aussi, « nous avons à traiter de la liberté
en liaison avec le problème du néant et dans la stricte mesure où elle
conditionne son apparition ».
– première condition : « Ce qui apparaît d’abord avec évidence, c’est
que la liberté humaine ne peut s’arracher au monde [par la question…] que
si, par nature, elle est arrachement à elle–même ». (pp. 60–63)
– expliquer ou décrire la nature du rien, de la séparation néantisante.
« Reste à expliquer quelle est cette séparation, ce décollement des
consciences qui conditionne toute négation. » « Pas de solution de continuité
dans le flux du déroulement temporel ». « Ce qui sépare l’antérieur du
postérieur, c’est précisément rien. » « La liberté c’est l’être humain mettant
son passé hors de jeu en sécrétant son propre néant.».
– Objection qui conduit à une nouvelle question (§ de transition, p.
63) : « Quelle est la forme que prend cette conscience de liberté ? Utiliser
l’angoisse pour répondre à la question (pas vraiment de justification pour
choisir l’angoisse).
– p. 64 et sv : description de l’angoisse. D’abord, se distingue de la
peur. Deux exemples sont données, l’un où il y a seulement peur et
seulement angoisse, l’autre où on passe de l’un à l’autre. Mais le tout est de
montrer qu’on ne peut avoir les deux en même temps. « Que signifie
l’angoisse dans les différents exemples que je viens de montrer ? » 1°)
Angoisse devant l’avenir : Ex. du vertige. On constate que le fait d’éliminer
le danger, ou de savoir pourquoi on a peur et de prendre les mesures qui
s’imposent (s’écarter du bord du précipice, faire attention, etc…) n’enlève
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pas l’angoisse. Ce qui m’angoisse, c’est ce qui est possible, ce qui peut
arriver si je dévie de ces précautions – parce que justement, je ne suis pas
déterminé à les suivre nécessairement. Rien ne m’oblige à tenir la conduite
que la réflexion me donne comme étant la meilleure à tenir ; la raison est
qu’entre mon être présent et mon être futur, il y a un néant ; d’abord, parce
que du temps m’en sépare ; ensuite, parce que je ne suis pas le fondement de
celui que je serai ; enfin, parce que personne ne peut m’obliger. Définition
de l’angoisse : conscience d’être son propre avenir sur le mode du n’être pas.
Angoisse devant le passé : le joueur qui s’est promis de ne plus jouer.
Répondre (p. 68) à l’objection du déterminisme psychologique : je pense être
libre de pouvoir jouer ou pas, je pense me remettre à jouer librement, mais
en fait, je suis déterminé par en–dessous. Non, ça ne se passe pas comme ça :
ou bien c’est complètement inconscient, et alors ça ne change rien au fait de
la liberté et de ce qui est éprouvé. Ou bien on a conscience de ces motifs, ce
qui signifie qu’ils existent en nous comme des transcendants, et alors, il n’y
a plus angoisse, mais peur.
– saisir le sens de ce rien (on ne peut le décrire) : « C’est en se
produisant elle–même comme immanence que la conscience néantise le rien
qui la fait exister pour elle–même comme transcendance » (p. 69).
– p. 69-70 : conséquence de cette liberté : « obligation
perpétuellement renouvelée de refaire le Moi qui désigne l’être libre ».
Préciser ce qu’on entend par essence de l’homme. Mais, si l’angoisse est la
liberté s’angoissant devant elle–même, et si la réalité humaine est angoisse,
comment se fait–il que l’angoisse soit un phénomène rare ?
– p. 70 : expliquer la rareté de l’angoisse : il faut se placer sur le plan
de la réflexion, c’est–à–dire sortir de l’état préréflexif, le plus courant. (le
livre que j’écris). Ex. sur le fondement des valeurs : c’est ma liberté qui est
leur fondement, ce qui fait que c’est un fondement sans fondement ; je suis
celui qui fait « que des valeurs existent pour déterminer son action par leurs
exigences » (p. 74).
– Ceci dit, ce n’est pas non plus à chaque fois qu’on se met dans une
attitude de réflexion qu’on éprouve l’angoisse ; la réflexion elle–même
trouve une manière de fuir l’angoisse : ex. du déterminisme psychologique ;
on peut se distraire de l’angoisse (s’en détourner), ce qui suppose encore en
soi un pouvoir néantisant.
– On en arrive ainsi à voir, dans le processus même de la réflexion,
dans cet effort conscient d’explication (et inconscient de fuite de l’angoisse)
la structure propre de la conscience comme mauvaise foi (p. 77). C’est une
fuite devant mes possibles, en n’en voyant qu’un seul, en en retenant qu’un.
P. 78 : en même temps, il faut remettre le passé au jour de l’unique possible
retenu : il faut aussi « désarmer la menace du passé ». § de conclusion : p.
79.
Chapitre II : La mauvaise foi.
I) Mauvaise foi et mensonge
On distinguera deux grands moments :
- le premier distingue la mauvaise foi du mensonge, pour établir l'unité
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dont témoigne la mauvaise foi, tandis que le mensonge suppose une dualité.
- le second expose l'hypothèse de l'inconscient, avec lequel on pourrait
confondre la mauvaise foi, pour la réfuter ensuite.
Le texte s'ouvre sur un paragraphe d'introduction, dans lequel Sartre
précise d'abord de quelle négation il s'agit dans la mauvaise foi : non pas
celle de la défense qu'on fait à autrui, mais celle d'une négation que l'on se
fait à soi-même. Cette réalité existant, la question à poser est donc la
suivante : « que doit être l'homme en son être pour qu'il lui soit possible de
se nier ? » Parmi toutes les négations possibles, cependant, Sartre n'en
choisira qu'une, qui lui paraît à la fois essentielle et concernant le sujet luimême. Ce qu'il veut éviter, c'est l'abstraction d'une description qui
chercherait à saisir l'universel. Il choisit donc une « attitude déterminée ».
1) Distinctions entre mauvaise foi et mensonge.
- la mauvaise foi concerne l'intrastructure de la conscience, le
mensonge concerne un transcendant et n'a donc pas de « fondement
ontologique spécial ».
- le mensonge suppose un autre à qui l'on ment, tandis que la mauvaise
foi « implique au contraire par essence l'unité d'une conscience » (p. 83).
- explicitation et exposition du problème : il faut pouvoir, dans le
même temps que l'on sait ce que l'on veut se cacher, se le cacher. La
mauvaise foi suppose donc une bonne foi, qui cependant doit être
évanescente. En quoi la mauvaise foi ici décrite ne se confond-elle pas avec
l'inconscient ?
2) Distinction entre mauvaise foi et inconscient ; l'hypothèse de
l'inconscient (p. 84).
1. Description de l'interprétation psychanalytique (ce qui permet de
savoir ce que Sartre en connaît, ou ce sur quoi il met l'accent) :
- la censure rétablit la dualité du trompeur et du trompé (sous la forme
de la dualité du « ça » et du « moi »), que supprimait la structure
« métastable » de la mauvaise foi.
- ce qui constitue le ça est réel, comme la table est réelle (mais ni vraie
ni fausse), ce qui implique l'idée d'une « vérité des conduites du trompeur »
(p. 86, en haut) ; la manière dont le ça est constitué est indépendante du moi,
il est une réalité à part entière par rapport à laquelle « je n'ai point de
position privilégiée » (id.). Le ça est extérieur à moi, et son sens ne m'est pas
plus familier qu'à n'importe qui d'autre.
- le sens du ça est décidé d'avance, dans des structures déjà mises au
jour : le complexe d'Œdipe, par exemple.
- le critère de vérité de l'interprétation est la fécondité et l'efficacité de
la cure.
- nécessité du psychanalyste ou d'un autre que moi pour me
comprendre : la psychanalyse « introduit dans ma subjectivité la plus
profonde la structure intersubjective du mit-sein ».
- s'il n'y a pas de certitude, il y a une forte probabilité ; la
psychanalyse se donne comme une science expérimentale.
Il y a réification d'une partie du sujet et structure transcendante au
sujet de son intimité : le sujet semble totalement passif devant l'inconscient.
C'est sur cette passivité que Sartre met l'accent le plus fortement.
2. p. 86 : réfutation : le ça n'est pas une chose immuable, mais il se
modifie ou est modifié par le moi.
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Premier résultat (p. 87) : « la censure est consciente (de) soi ». On ne
peut perdre, sans contradiction, l'idée d'une unité de la conscience. C'est ce
qu'a perdu Freud, qui « est obligé de sous-entendre partout une unité
magique reliant les phénomènes à distance et par delà les obstacles » (p. 88).
(Sartre retourne contre Freud l'argument de la résistance du patient au
moment où il approche de la vérité : s'il résiste, c'est qu'il sait pourquoi)
Ainsi, il semble que le plus important, pour Sartre, est d'expliquer
comment la conscience peut receler en elle-même la possibilité de se duper
en le sachant, tout en préservant son unité ; cette unité devrait donc être en
même temps multiplicité, et non unilatérale ou unicité. C'est donc la
structure de la conscience temporelle qu'on découvre déjà, ou plutôt, la
mauvaise foi ne sera compréhensible comme possible qu'une fois la structure
temporelle de la conscience explicitée, car c'est celle-ci seulement qui mettra
au jour la notion d'unité qui se multiplie ou d'acte unificateur.
II) Les conduites de mauvaise foi
C'est à partir de la description d'une attitude de mauvaise foi qu'on
mettra en évidence ce qui caractérise la structure de la conscience. D’où la
question de savoir ce qu’est exactement la mauvaise foi : une conduite
« normale », dans le sens qu’elle serait courante, la conduite par excellence,
c’est–à–dire la révélatrice de la structure duelle de la conscience, ou bien une
conduite plus particulière que les autres, qui permet mieux de voir cette
structure ?
1. Premier exemple : la femme qui se rend à son premier rendez-vous.
Analyse et interprétation (p. 89 et sv.) : la mauvaise foi consiste à
réifier ce qui nous arrange et à garder toujours ouvertes au moins trois
ambiguïtés, que permet justement la structure de la réalité humaine.
Première duplicité ou ambiguïté : le couple « facticité –
transcendance ». La mauvaise foi est possible car elle utilise la « double
propriété de l'être humain, d'être une facticité et une transcendance » ; le
propre de la mauvaise foi est de ne pas les coordonner, mais de les garder
tous deux dans leur aspect contradictoire sans conciliation.
Deuxième duplicité (p. 92): « l'être-pour-soi implique complémentairement un être-pour-autrui ».
Troisième duplicité (p. 93, début) : « les synthèses confusionnelles qui
jouent sur l'ambiguïté néantisante des trois ek-stases temporelles ».
Transition : que faut-il pour que ces trois couples qui constituent la
mauvaise foi soient possibles ? Il faut « que la réalité humaine ne soit pas
nécessairement ce qu'elle est, puisse être ce qu'elle n'est pas » (p. 93).
2. Deuxième exemple : l'idée de sincérité, illustré par le garçon de
café. C'est dans les pages 94-95 qu'on sent le plus (en ce qui concerne ce
texte) l'idée de liberté absolue telle que Sartre la conçoit à ce moment. Il
suppose ainsi que le garçon de café l'est de son plein gré, et qu'il a toujours
la possibilité de ne pas l'être.
La sincérité est un phénomène de mauvaise foi, de même que
l'homosexualité (p. 98 - comparaison entre les deux). Le but de la sincérité et
de la mauvaise foi est le même (p. 101).
Le gain de cette étude est de montrer que la mauvaise foi n'est
possible que parce que la réalité humaine est ce qu'elle n'est pas et n'est pas
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ce qu'elle est.
– « Il est donc urgent d'attendre, d'éviter l'instant fatal où il faudra
sacrifier l'honneur au plaisir ou le plaisir à l'honneur » : le problème est là,
dans cette idée qu’il y a sacrifice d’une partie, qu’on ne peut garder la
totalité. De qui vient ce sentiment, de la femme ou de l’homme ? De la
société, de l’être–pour–autrui. C’est là qu’on voit la deuxième duplicité à
l’œuvre, déjà (rôle du Moi chez Freud).
La conclusion : y a–t–il simplement remplacement, ou pas, de
l’inconscient par ma mauvaise foi ? L’enjeu, c’est d’éviter qu’il y ait de la
passivité dans la conscience. Ce à quoi l’épisode de la jeune femme fait
écho, c’est l’introduction, III et IV, sur la passivité et les raisons de la
rejeter : raison ontologique et idéologique. Les griefs repris contre
l’inconscient (inutile, incohérent, insuffisant, nuisible…) rejoignent ceux mis
en œuvre dans La transcendance de l’ego contre la présence d’un je
transcendantal dans la conscience : il faut évincer l’inconscient comme on a
évincé tout ce qui peut être dans la conscience, pour préserver sa
translucidité, sinon, on introduit un élément opaque, on détruit le caractère
translucide de la conscience. Il y a un lien entre translucidité et activité, ça
va ensemble – le tout étant la structure même du préréflexif, ce
transphénoménal.
III) La « foi » de la mauvaise foi
Il apparaît que la mauvaise foi est foi, en ce qu'on y croit un
minimum ; ou plutôt, on y croit tout en sachant ce qu'elle est, à savoir de la
mauvaise foi. Elle est connue comme telle, elle est donc voulue comme telle.
Il faut avoir foi en la mauvaise foi pour qu'elle soit telle qu'elle est. La
question est donc la suivante : « comment peut-on croire de mauvaise foi aux
concepts qu'on forge tout exprès pour se persuader ? » « Quelles sont les
conditions de possibilité d'une pareille foi ? » C'est encore la structure de la
conscience.
On remarquera le développement sur la notion de croyance : la
croyance équivaudrait à son contraire. Il semble qu'on ait, ici, un exemple de
la dialectique sartrienne (binaire ?), où toute détermination passe de suite en
son contraire.
Plan du chapitre
I et II répondent à la question : à quelles conditions la mauvaise foi
est-elle concevable ? Quelles sont les structures d'être qui permettent de
former des concepts de mauvaise foi ?
Réponses : à condition de concevoir la réalité humaine comme n'étant
pas ce qu'elle est et étant ce qu'elle n'est pas ; la structure dont il s'agit est
métastable, c'est-à-dire formée de concepts amphibologiques. On distinguera
trois couples de concepts : le couple « facticité – transcendance » ; « l'êtrepour-soi implique complémentairement un être-pour-autrui » ; « les
synthèses confusionnelles qui jouent sur l'ambiguïté néantisante des trois ekstases temporelles » (II, p. 93, début).
En III, il s'agit de savoir la condition à laquelle la mauvaise foi est
possible (et non plus concevable). Elle est possible en tant que la conscience,
par sa structure même en recèle la possibilité. C'est donc du centre même de
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la conscience que la mauvaise foi est possible ; c'est pourquoi Sartre conclut
que la mauvaise foi « est la menace immédiate et permanente de tout projet
de l'être humain », en ce que « la conscience recèle en son être un risque
permanent de mauvaise foi ».
Il conviendra ensuite d'aborder l'étude ontologique de la conscience,
en tant que la conscience est « le noyau instantané de cet être » (p. 106).
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Deuxième partie : L’être-pour-soi
Chapitre I : Les structures immédiates du Pour soi
I) La présence à soi
On aborde ici « l'étude ontologique de la conscience en tant qu'elle est
non la totalité de l'être humain, mais le noyau instantané de cet être » (p.
106). Nous venons de voir deux attitudes possibles de la conscience : la
bonne foi et la mauvaise foi. Ce que révèlent ces attitudes, c'est que la
conscience, à la fois et dans son être, est ce qu'elle n'est pas et n'est pas ce
qu'elle est. Il s'agit de voir ce que cela recouvre et signifie.
Que signifie « noyau instantané » du pour-soi ? Ce sont ses
structures immédiates, quand on fait abstraction de sa temporalité. La
temporalité n'est pas une structure immédiate, elle est le sens de la
transcendance du pour-soi. Or, le chapitre sur les structures immédiates
montre l'impossibilité pour le pour-soi de s'en tenir à cette immédiateté : le
pour-soi est un être qui se transcende.
Rappel des questions posées (cheminement) :
1ère partie : À quelles conditions certaines conduites sont-elles
possibles ? But de cette interrogation : « nous mettre en mesure d'interroger
le cogito sur son être et de nous fournir l'instrument dialectique qui nous
permettrait de trouver dans le cogito lui-même le moyen de nous évader de
l'instantanéité vers la totalité d'être que constitue la réalité humaine » (p.
110)
2ème partie : Que signifie, pour la conscience, la nécessité d'être ce
qu'elle n'est pas et de ne pas être ce qu'elle est ?
Rappel du cheminement suivi jusqu'ici (plan conceptuel) : négation /
liberté / mauvaise foi / être de la conscience comme condition de possibilité
de la mauvaise foi. Cet être de la conscience s'avère être le cogito préréflexif.
C'est donc sur sa description qu'il faut revenir (déjà esquissée dans
l'Introduction). Comment procéder ?
1er §, p. 109-110 : rappel des « erreurs » commises par les
philosophes antérieurs : Descartes, Husserl, Heidegger.
- Descartes : commet « l'erreur substantialiste », car il a interrogé le
cogito sur son « aspect fonctionnel » ou son caractère opérationnel. La
question de Descartes : je découvre le cogito : que me permet-il de faire ? On
est dans l'activité du cogito. La fonction que remplit le cogito, c'est celle de
me livrer d'abord la certitude ou l'indéniabilité de mon existence ; ce qui
permet de prouver est en même temps l'objet de la preuve : en découvrant
l'existence du cogito, on découvre en même temps son fonctionnement, ou
on le découvre fonctionnant - et ça ne peut être autrement, s'il est d'abord
« l'activité / l'action de… ». La critique de Sartre porte sur le fait de n'avoir
pas pris en compte le « de », c'est-à-dire le caractère transcendant de
l'activité du cogito - ce qu'il appelle « l'erreur substantialiste ».
Cette erreur est due d'abord à la méthode : il faut un « fil conducteur »
pour passer de l'aspect fonctionnel du cogito à la « dialectique
existentielle ».
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- Husserl : est « demeuré sur le plan de la description fonctionnelle »,
pour éviter de tomber dans l'erreur substantialiste - ce qu'il a quand même
fait. Il n'a pu atteindre l'être du cogito, mais seulement son apparence, et
« s'est enfermé dans le cogito ». Mérite pour cela d'être appelé
« phénoméniste » plutôt que phénoménologue. Il reste ainsi dans l'idéalisme
(comme Kant).
- Heidegger : 3ème méthode après celles de Descartes et de Husserl :
ne passe pas par le cogito, et aborde directement « l'analytique
existentielle ». Mais ne retrouve pas, dans la conception du Dasein, la
« dimension de la conscience ». Sens de cette dimension ? C'est celui d'autofondement. Heidegger conçoit le caractère ek-statique du Dasein, mais on ne
sait ce qui le fonde, ce à partir de quoi ce projet se manifeste. C'est le cogito
préréflexif qui joue ce rôle de fondement, ce qui est absent de la philosophie
de Heidegger.
§ 2, p. 110 : Rappel de la description de la conscience non-thétique
(de) soi.
Rappel du caractère plein de l'en-soi : adéquation, être sans distance à
lui-même, densité infinie. Sens du passage sur l'identité de l'en-soi ? Les
concepts d'un, d'unité, d'unification supposent une relation au deux, ou à un
autre élément, ils supposent et impliquent (n'ont de sens que par rapport à)
une autre présence. Celle-ci n'existe pas pour l'en-soi ; c'est pourquoi on le
dit identique (absence totale de relation à autre chose, et de relation tout
court ; c'est l'être qui n'est même pas en relation avec lui-même). Il n'y a
donc que la réalité humaine qui puisse découvrir et donner sens à l'en-soi. La
réalité humaine, sur le plan du sens, est première. Sartre ne dit rien, ici, quant
à l'existence, mais seulement quant au sens.
§ 3 : Caractéristique de la conscience, au contraire : structure refletreflétant (décompression d'être) : la croyance est conscience (de) croyance.
Cela signifie que la « condition première de toute réflexivité est un cogito
préréflexif », c'est-à-dire qu'il ne pose pas d'objet et qu'il « reste
intraconscientiel » (p. 110).
Sartre montre d'abord que conscience et croyance ne sont pas
identiques, puis qu'elles ne sont pas non plus totalement différentes (§ 4) ;
elles sont radicalement différentes et ceci, pourtant, dans l'unité indissoluble
d'un même être.
Sartre prend l'exemple de la croyance parce que la croyance n'est pas
un objet pour la conscience. Si tel était le cas, ce serait « faire un saut
brusque sur le plan de la réflexivité ».
§ 5 : « Ainsi, conscience (de) croyance et croyance sont un seul et
même être dont la caractéristique est l'immanence absolue » (p. 112, en
haut). « La conscience préréflexive est conscience (de) soi. Et c'est cette
notion même de soi qu'il faut étudier, car elle définit l'être même de la
conscience ».
Étude de la notion de « soi »
a - définition
Cette étude du « soi », d'abord menée dans l'expression « en-soi »,
montre ce qu'implique la notion : un rapport du sujet avec lui-même. C'est ce
pourquoi son emploi, dans l'expression « en-soi », est en quelque sorte
impropre. Ce rapport de soi à soi, dans lequel le « soi » renvoie au sujet sans
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se confondre avec lui, est ce qu'on appellera présence à soi. « La loi d'être du
pour-soi, comme fondement ontologique de la conscience, c'est d'être luimême sous la forme de présence à soi » (p. 113).
b - description plus poussée, pour révoquer le préjugé selon lequel la
présence à soi serait plénitude d'existence, ce qui confèrerait à la conscience
la plus haute dignité d'être. Mise au point du sens à donner à l'expression
« présence à soi ».
Sartre montre que la véritable plénitude d'être, c'est la coïncidence à
soi, qui est le mode d'être de l'en-soi. N'y a-t-il pas confusion de deux plans,
dans cette critique, de la part de Sartre ? Sartre est sur le plan de
l'ontologique, tandis que les philosophes critiqués (Platon, Plotin,…) seraient
sur un plan pratique, existentiel, ou au moins axiologique. Les deux plans
s'impliquent. Être présent à soi, c'est ne pas être tout à fait soi. Ce qui sépare
le sujet du soi, c'est rien (p. 113), c'est un négatif pur. Ce n'est ni une
distance spatiale, ni un laps de temps, ni un différend psychologique. C'est
une « fissure intra-conscientielle », une distance nulle. Le soi, c'est « l'unité
de cet être (qui) comporte son propre néant comme néantisation de
l'identique ». Le néant « est la possibilité propre de l'être et son unique
possibilité » (p. 115).
On a défini le pour-soi comme présence à soi, c'est-à-dire
décompression d'être, unité duelle (ou multiple), ce qui implique cette fissure
intraconscientielle au sein de son être, la présence du néant pur, ou « cette
chute de l'en-soi vers le soi par quoi se constitue le pour-soi ».
En quoi la présence à soi est-elle une structure immédiate du poursoi ? Il n'y a pas de médiation entre le sujet et le soi, pas de distance réelle
(mais seulement structurelle, ou intraconscientielle). Immédiat renvoie à
« unité d'un seul acte » (p. 114 in fine). C'est parce que nous sommes sur le
plan du cogito préréflexif.
II) La facticité du Pour-soi
Le pour-soi est fondement du néant, mais il n'est pas fondement de
lui-même.
I. Constatation : le pour-soi n'est pas le fondement de sa présence au
monde. Cette saisie de l'être par lui-même comme n'étant pas son propre
fondement « se découvre immédiatement au cogito réflexif de Descartes »
(p. 115-116).
Sens de immédiatement : instantanément, en même temps qu'une autre
idée. L'idée de la facticité surgit alors qu'on ne l'attendait pas, que la
recherche avait un autre objet : la preuve de l'existence de Dieu (pour
Descartes).
II. Énoncé du problème : le pour-soi est à la fois fondement de son
propre néant (gain de la première recherche) mais sans être le fondement de
lui-même. Comment peut-on être à la fois présence à soi et facticité ?
(caractère apparemment contradictoire des recherches I et II ; comment les
concilier ?) Quel sens cela a-t-il ?
Sartre en vient à la preuve de l'inexistence d'un être qui serait
fondement de lui-même. Cela est ontologiquement inconcevable, car
contradictoire : l'idée de fondement implique une distance à soi, ce qui
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signifie nécessairement la présence de néant, ce qui nous ramène à la
structure déjà vue du pour-soi. Ainsi, seul le pour-soi peut avoir ce caractère
de fonder, mais ce qu'il peut fonder ne peut être que du néant ; l'être ne peut
être fondé ou se fonder.
Définition de la facticité du pour-soi : « contingence perpétuellement
évanescente de l'en-soi qui hante le pour-soi et le rattache à l'être-en-soi sans
jamais se laisser saisir » (p. 119).
Bilan : « l'être-en-soi peut fonder son néant mais non son être » (p.
120). Il est présence à soi (ce qui implique le néant - 1ère structure
immédiate du pour-soi), mais cette présence à soi doit être qualifiée
d'injustifiable, de gratuite. C'est la 2ème structure immédiate du pour-soi.
En quoi est-elle immédiate ? C'est qu'elle se découvre en même temps
que le cogito, comme une structure interne de celui-ci (cela a été montré p.
116, à propos de l'interprétation du sens de l'idée de parfait découverte dans
le cogito).
Il y a reprise, dans cette deuxième structure, du chapitre sur la
mauvaise foi (exemple du garçon de café, de ce qu'est être en situation), au
niveau de la description non plus phénoménologique, mais ontologique :
c'est à partir de la description de la structure du cogito préréflexif qu'on met
au jour, par analyse, ce qui y est impliqué : si le pour-soi fonde son propre
néant, il ne peut fonder son être. On aboutit au même résultat (la gratuité,
l'injustifiabilité), mais par deux voies d'accès différentes : l'une, au niveau de
l'apparence, l'autre, à partir du cogito préréflexif.
III) Le pour-soi et l'être de la valeur
I. Le 1er § reprend la nécessité de partir du cogito, mais ni selon la
façon de Descartes, ni selon celle de Heidegger - qui évite d'en partir. Le
problème est de dépasser l'aporie de Descartes (selon Sartre), qui n'a pas
compris la structure du cogito, puisqu'il n'a pas trouvé les moyens d'en sortir,
celui-ci étant conçu de manière instantanéiste. Comment en sortir est-il
possible ?
II. Reprendre la description du pour-soi.
La description ontologique fait paraître immédiatement que le poursoi est fondement de soi comme défaut d'être, c'est-à-dire qu'il se fait
déterminer en son être par un être qu'il n'est pas (p. 121). L'analyse de la
néantisation montre que la transcendance est au cœur du pour-soi : c'est lui
qui se néantise. La question de savoir comment on sort du cogito ne se pose
pas, puisque cela se fait tout seul : la sortie hors de soi est une structure qui
appartient au cogito. La néantisation implique le manque, le défaut d'être.
Le type de négation qui caractérise le pour-soi est interne, et non
externe, c'est-à-dire que ce n'est pas un tiers extérieur qui nie quelque chose
à propos du pour-soi, c'est à l'intérieur de lui que ça se fait. Dans la phrase :
l'encrier n'est pas un oiseau : la négation est externe : elle touche le rapport,
posé par un tiers, entre l'encrier et l'oiseau, mais elle ne touche ni l'encrier, ni
l'oiseau en leur être. La négation interne qui touche et concerne le pour-soi,
c'est le manque.
III. Preuve : le désir (p. 123).
Il y a trois termes du manque (p. 124) : ce qui manque (le manquant),
ce dont ça manque (le manqué), celui à qui ça manque (l'existant).
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1 - l'existant : le pour-soi.
2 - le manqué : il faut mieux déterminer le lien qui unit l'existant au
manquant. « Le manque est apparition sur le fond d'une totalité ».
Ne pas confondre l'en-soi de la facticité avec l'en-soi manqué : l'un est
pure présence au monde du pour-soi, l'autre est pure absence. « Le sens de
cet acte fondant manqué demeure comme transcendant » (p. 125). « Le
cogito est indissolublement lié à l'être-en-soi […] comme un manque à ce
qui définit son manque » (p. 126).
IV. Quel est cet en-soi vers quoi le pour-soi se dépasse ? (p. 126) C'est
le pour-soi figé en en-soi ; c'est l'impossible synthèse du pour-soi et de l'ensoi.
Cet être vers quoi le pour-soi se dépasse existe-t-il ? Il existe, mais
sans pouvoir être réalisé. C'est lui qui donne son sens à la conscience (et non
la conscience qui lui donne sens et existence, sans quoi on ferait de cet être
un objet de conscience. « Il surgit en même temps qu'elle, à la fois dans son
cœur et hors d'elle, il est la transcendance absolue dans l'immanence absolue,
il n'y a priorité ni de lui sur la conscience ni de la conscience sur lui : ils font
couple » (p. 127). C'est en cela que c'est une structure immédiate de la
conscience préréflexive.
Exemple donné de ce dépassement : un sentiment, la souffrance
(p.127-129). « Je voudrais que ma souffrance me saisisse et me déborde
comme un orage : mais il faut, au contraire, que je l'élève à l'existence dans
ma libre spontanéité. […] Moi qui dois, pour réaliser cette souffrance que je
suis, jouer sans répit la comédie de souffrir ». Cela veut-il dire que je peux,
si je veux, ne pas souffrir ? Que tout sentiment est librement choisi et décidé
? Il faudrait pour cela que la souffrance soit objet de la conscience, soit
conscience de souffrance. Est-ce le cas ici ?
V. Déterminer avec plus de netteté l'être du soi : c'est la valeur (p.
129).
« L'être de la valeur en tant que valeur, c'est l'être de ce qui n'a pas
d'être ». « La réalité humaine est ce par quoi la valeur arrive dans le
monde ». C'est l'unité inconditionnée de tous les dépassements d'être. « La
valeur n'est pas posée par le pour-soi, elle lui est consubstantielle […] la
valeur n'est donc point connue , à ce stade, … » (p. 131).
La question reste de savoir d'où viennent ces valeurs : ne faut-il pas
déjà poser la présence de l'autre pour comprendre la nécessité de leur
existence ? L'exemple donné par Sartre de la souffrance montre que le soi de
la souffrance me vient toujours de l'extérieur, des autres. C'est, en quelque
sorte, par imitation, par désir de ressembler ou sans en avoir conscience que
j'ai en moi l'image que souffrir, c'est souffrir comme untel, à la façon de…
Cf. p. 127 : « La souffrance dont nous parlons n'est jamais tout à fait celle
que nous ressentons. Ce que nous appelons la “belle” ou la “bonne” ou la
“vraie” souffrance et qui nous émeut, c'est la souffrance que nous lisons sur
le visage des autres … ».
Bilan : la valeur, c'est la transcendance, c'est-à-dire le fait pour le
pour-soi d'être toujours manque de soi. C’est une structure immédiate en tant
qu’elle est consubstantielle au pour-soi. La valeur donne ainsi son sens à la
conscience (et ce n’est pas la conscience qui lui donne sens et existence, sans
quoi on ferait de cet être un objet de conscience). « Le manquant surgit dans
le processus de transcendance et se détermine par un retour vers l'existant à
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partir du manqué » (p. 132).
On remarquera la composition de ce chapitre de 12 pages :
- la notion de valeur est abordée à la 10ème page, et n'occupe que les
trois dernières pages ;
- avant, il est question de la description de la structure du manque (la
notion apparaît à la 2ème page).
Résumé des structures immédiates :
- I) la présence à soi : la description ontologique du pour-soi permet
de découvrir, au sein de cet être, un rien, un négatif pur ou fissure, qui fait
que la présence à soi est loin d'être, comme on l'a décrite, plénitude d'être,
mais plutôt décompression d'être.
S'il y a du néant au sein de l'être, comment celui-ci peut-il être
fondement de lui-même ?
- II) la facticité : il ne peut fonder son être, mais seulement son néant.
C'est ce qui confère au pour-soi son injustifiabilité, ou sa facticité. La
question du fondement une fois définie, se pose celle de savoir ce à quoi
mène cette présence du néant au sein de l'être : à l'idée de la transcendance ;
comment le cogito peut-il être en relation avec le reste du monde ? Comment
sort-il de lui ?
- III) l'être de la valeur : le pour-soi est manque. C'est en ce sens qu'il
se transcende vers ce dont il manque. Mais quel degré de conscience le poursoi a-t-il de ce dont il manque ? La conscience qu'il en a n'est pas réflexive,
puisqu'on est toujours sur le plan du cogito préréflexif - sans quoi le manqué
serait objet de conscience, posée par elle. Ce dont elle manque et elle, en tant
que manquante, font couple. La structure du manque lui est consubstantielle,
et c'est ce qui lui confère son sens.
Pourquoi Sartre emploie-t-il ici le terme de valeur ? Ce terme a-t-il
une connotation morale ? Cf. p. 129 : « la valeur, en effet, est affectée de ce
double caractère, que les moralistes ont fort incomplètement expliqué, d'être
inconditionnellement et de n'être pas. […] Son être est d'être valeur, c'est-àdire de n'être pas être ». Il semble ainsi que le sens accordé à « valeur » ne
soit pas normatif (connotation morale), mais bien ontologique. Si on peut le
dire normatif, c'est parce que c'est ce qui donne son sens au pour-soi, à la
fois comme signification et comme direction (vers l'avenir, non vers le
passé).
L'analyse suivante, du possible, montrera que celui-ci est également ce
qui donne son sens au pour-soi et ce qui le dépasse. La différence
structurelle entre le possible et la valeur n'est pas flagrante, les deux
semblant être comme deux aspects ou modes d'être du pour-soi, par quoi
celui-ci se transcende hors de lui-même immédiatement.
IV) Le Pour-soi et l’Etre des possibles
On a déjà parlé du possible dans les chapitres précédents : à propos de
la facticité, p. 117, quand il s'agit de montrer qu'un être causa sui ne peut
être conçu comme fondement de soi. La nécessité implique la réflexivité, ce
qui amène Sartre à la critique de la façon dont Leibniz comprend le rapport
entre le nécessaire et le possible. Ce rapport ne peut se concevoir du point de
vue de la connaissance, mais seulement du point de vue de l'être. Sartre
signale alors deux aspects sous lesquels la notion de possible peut être
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considérée : a) elle peut être établie par un témoin comme un rapport
externe. C'est le pour-soi qui juge de la possibilité des choses, devançant
ainsi leur état actuel. b) Selon un deuxième aspect, la possibilité est une
structure ontologique du réel : il appartient à l'être, c'est-à-dire au pour-soi,
qui en est le fondement. Tout ce passage vise à montrer qu'aucun être n'est
nécessaire, mais que le pour-soi, ainsi que Dieu même, sont contingents. En
tout cas, selon les deux aspects évoqués, le possible ne provient que du poursoi, il ne peut exister indépendamment de lui, c'est par lui qu'il arrive au
monde. Il restera sans doute à savoir comment, quel est le rapport entre le
pour-soi et le possible : celui-ci est-il consubstantiel à celui-là ? Existe-t-il à
titre de structure immédiate, et qu'est-ce que cela implique ?
Remarquer l'enchaînement des concepts (ce qui mène la réflexion à la
notion de possible) : on a montré en I (présence à soi) que le pour-soi était
fondement du néant. La question est de savoir s'il est aussi fondement de son
être, et de quelle manière (nécessaire ?). On est donc dans une problématique
du fondement, à partir d'une interrogation sur le cogito (« pourquoi cet êtreci est-il tel et non autrement ? ») ; on cherche donc la nécessité pour le
cogito d'exister tel qu'il est, et précisément, on trouve qu'il n'y a aucune
nécessité qu'il existe d'une manière plutôt que d'une autre. D'où la notion de
contingence : le pour-soi (ou tout être en général) ne peut être le fondement
de son être, parce qu'il ne peut pas ne pas être le fondement de son néant
(étant distance à soi). Ce « ne peut pas ne pas être le fondement de son
néant », c'est ce que Sartre appelle la nécessité originelle (p. 117), qui ne
peut paraître que « sur le fondement d'un être contingent ». C'est sans doute
pourquoi Sartre critique ensuite Leibniz : du point de vue de l'être
(ontologique), c'est à la contingence que la nécessité se rapporte. La notion
de nécessité est à rapporter à celle de contingence, non à celle de possibilité,
comme le fait Leibniz. Si Leibniz confond le point de vue de la connaissance
avec celui de l'être, les distinguer revient à repenser la notion de possible,
ainsi que les rapports entre ces trois notions : nécessité, contingence et
possibilité.
1. Thèse (1e §) : le possible, « c'est ce qui se donne comme le
manquant propre de chaque pour-soi et qui se définit rigoureusement comme
manquant à ce pour-soi précis et à aucun autre ».
C'est de la reprise de l'analyse du manque que Sartre tire la notion de
possible. Ce dont manque le pour-soi, c'est d'une certaine coïncidence avec
soi-même. Ce manque se donne comme l'idéal, que je suis, puisque c'est du
pour-soi (ce dont je manque est de même nature que le pour-soi, en tant qu'il
ne lui est pas d'une nature étrangère) ; mais en même temps, je ne puis dire
que je suis ce pour-soi, sans quoi je serais de l'en-soi. Ainsi, je suis et ne suis
pas cet idéal : je le suis, en tant qu'il a, par moi, une certaine réalité
(existence idéale, mais de fait : « je suis le pour-soi manquant sur le mode
d'avoir à être le pour-soi que je ne suis pas »), et je ne le suis pas, en tant
qu'il n'est pas encore réalisé (existence réelle / réalisée).
Le possible n’a pas un rang secondaire, il surgit du fond de
néantisation du pour-soi : « le surgissement du pour-soi comme néantisation
de l'en-soi et décompression d'être fait surgir le possible comme un des
aspects de cette décompression d'être ; c'est-à-dire comme une manière d'être
à distance de soi ce qu'on est » (p. 133).
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C'est en cela que le possible est encore une structure immédiate du
cogito préréflexif : cette dimension lui est consubstantielle, en tant que ces
caractères découlent / sont impliqués par la nature même de l'être du poursoi. Quelle différence y a-t-il entre la transcendance comme valeur et le
possible ? Les rapports entre transcendance, valeur, idéal, manque, possible
restent confus. Quand Sartre dit que le cogito « renvoie à ses possibles », de
quelle nature est ce renvoi ? Le cogito en a-t-il conscience ? Faut-il
concevoir le possible dans le sens où je peux dire : je peux devenir
chanteuse ? Bref, la notion de possible ici employée a-t-elle un contenu
précis, ou en faire une structure immédiate signifie-t-il son absence de
contenu ? À quoi renvoie-t-elle exactement alors, et qu'est-ce que cela
signifie, de dire que le possible est une structure immédiate du pour-soi ?
2. Élucider la notion de possible (§ 2) : réfutation de deux conceptions
du possible, l'une, classique (Spinoza puis Leibniz : conception logique du
possible, sur le plan de la connaissance), l'autre, antique (Aristote :
conception magique).
a - Conception classique (p. 133) : selon Spinoza, « le possible n'est
qu'un stade subjectif sur le chemin de la connaissance parfaite » ; le possible
n'est qu'une pensée confuse ou tronquée ; il appartient en ce sens à une
subjectivité. Selon Leibniz, le possible est l'objet des pensées de
l'entendement divin, ce qui leur confère une manière de réalité absolue. Dans
les deux cas, le possible est une pensée qui n'a point été réalisée.
Ce que reproche Sartre à cette conception, c'est que le sens de ce
qu'est le possible n'est pas compris, car il n'est pas mis en relation avec une
propriété des êtres, mais avec notre ignorance (la connaissance - perspective
épistémologique, non ontologique) ou avec un autre monde que le nôtre
(divin). Le possible est donc avant tout une propriété des êtres. Il n'y a pas
de possible en dehors de l'être, mais c'est de l'être que peut découler du
possible.
b - Conception antique (p. 135) : le possible comme puissance : « la
procession souvent citée qui va du non-être à l'être en passant par le possible
ne correspond pas au réel ». « L'être-en-soi ne peut être en puissance ni avoir
des puissances » ; Sartre associe de suite le possible avec l'être-en-soi, et non
avec le pour-soi, pour critiquer cette association. Comme p. 117, il s'agit de
montrer que « le possible vient au monde par la réalité humaine » (p. 135),
c'est-à-dire qu'il convient de distinguer le point de vue de la connaissance de
celui de l'être.
Cependant, il convient de ne pas tomber dans un autre travers, qui est
de faire du possible « une simple donnée de notre subjectivité psychique »
(p. 135). Ce serait objectiver la notion de possible, en la séparant du pour-soi
par toute la distance qu'il y a entre le cogito préréflexif et le cogito réflexif,
et surtout, s'empêcher de concevoir comment je puis me dire qu'il est
possible pour moi de devenir chanteuse, c'est-à-dire comment je peux avoir
sur moi une idée (une pensée) qui me concerne tout en n'étant pas encore ce
que je suis. Il s'agit de comprendre comment je peux me projeter dans
l'avenir, faire des projets (avec un contenu bien défini) qui peuvent engager
mon être alors que rien, actuellement, dans ce que je suis, n'implique ce
projet - sinon cette structure immédiate. D'où la nécessité de la poser à titre
de condition de possibilité ontologique. C'est ce qui permettrait d'expliquer
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cette phrase (p. 135) : « mais précisément la possibilité ne peut, par essence,
coïncider avec la pure pensée des possibilités ». Le possible comme
structure immédiate n'a donc rien à voir avec une « représentation
concrète », c'est-à-dire avec un contenu précis, comme le Dieu de Leibniz les
conçoit en lui.
Qu'est-ce qui peut faire qu'une représentation soit transformée en
possible ? Qu'elle devienne du possible ? Ce ne peut être ni la négation ni
l'affirmation. Pourquoi Sartre met-il en rapport, ici, ces trois notions ? Et
pourquoi est-il encore question, à propos du possible, de l'entendement
divin ? Quelle nécessité y a-t-il de penser cette notion de possible en rapport
avec la conception de Leibniz ? Cela se comprenait, quand il s'agissait de
distinguer les deux points de vue, pour préciser lequel convenait à la
problématique de Sartre. Mais désormais, pourquoi ne pas prendre un
exemple concret (la représentation possible que je me fais qu'un jour, je serai
chanteuse) ?
Comprendre à partir de l'exemple donné : un monde est possible, où le
Centaure existe. Sartre dit : nier ce monde, c'est dire qu'il n'a pas de
correspondant réel, autrement dit, qu'il n'existe pas actuellement. « Mais dire
qu'il n'existe pas, ce n'est nullement dire qu'il est possible ». Ainsi,
l'existence ou la non-existence et la possibilité ne sont pas liées. Pour
Leibniz, au contraire, ce qui n'existe pas actuellement existe sous la forme de
possible dans l'entendement divin : un monde existe, où le Centaure existe,
sous la forme de possible. Il y a ainsi, pour Leibniz, deux modalités de
l'existence, réelle (ou actuelle) et possible, et la négation d'une réalité
actuelle implique l'affirmation de son existence sous la forme du possible.
C'est pourquoi les trois notions (affirmation, négation et possibilité) sont
mises en rapport. Ce n'est pas parce que je ne connais pas de Centaure
existant que cette existence n'est pas possible : c'est la relation posée entre la
connaissance que j'ai de la réalité et la notion de possible que Sartre conteste.
Le possible n'est pas lié à la connaissance que j'ai ou pas de la réalité, il est
une propriété ontologique du pour-soi. Sartre en vient à conclure que « la
saisie du possible comme tel suppose un dépassement originel » ; […] « le
possible est cet élément du pour-soi qui lui échappe par nature en tant qu'il
est pour-soi. Le possible est un nouvel aspect de la néantisation de l'en-soi en
pour-soi » (p. 137).
Ce qui est troublant, c'est la structure de ce début de chapitre, où
Leibniz est utilisé dans les deux conceptions, pourtant distinguées.
Reprendre la compréhension de la structure :
- le possible ne peut se définir comme le non-contradictoire et ne peut
se comprendre du point de vue de la connaissance, mais seulement du point
de vue de l'être (critique de Spinoza puis de Leibniz) ; conception logique,
qui aurait pour conséquence de conférer une pseudo-réalité au possible
(seulement une réalité pensée) et de supposer un être antérieur au monde réel
pour pouvoir avoir cette pensée du possible.
- le possible n'est pas l'être en puissance (critique très brève
d'Aristote) ; conception magique.
- 1ère déduction / conclusion : « le possible vient au monde par la
réalité humaine ». Il n'en est pas pour autant une donnée de notre subjectivité
psychique (c'est-à-dire une représentation concrète). Or, dire cela, c'est
retomber dans une conception logique du possible, telle que celle de Leibniz.
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D'où la reprise de la critique de Leibniz, pour montrer cette fois que le
possible, loin d'être l'apanage de l'entendement divin, ne peut venir au
monde que par le pour-soi. La pensée ou l'analyse du possible nous renvoie
à décrire l'être pour lequel il est possible qu'il y ait du possible. Cet être ne
peut être que le pour-soi, avec telle structure. « Structure immédiate »
semble bien signifier ici condition de possibilité (ce sans quoi on ne pourrait
pas concevoir la notion de possible). Il s'agissait donc de développer et de
justifier, par la poursuite de l'analyse-description ontologique du pour-soi, la
conception ontologique du possible, qui ne peut venir au monde que par le
pour-soi.
3. Implication de ce qui vient d'être justifié : l'en-soi ne peut « avoir »
de possibles (critique poursuivie d'Aristote). Cette idée renvoie de suite au
pour-soi. Et « être sa propre possibilité, c'est-à-dire se définir par elle, c'est
se définir par cette partie de soi-même qu'on n'est pas, c'est se définir comme
échappement-à-soi vers … En un mot, dès le moment où je veux rendre
compte de mon être immédiat […], je suis rejeté hors de lui vers un sens qui
est hors d'atteinte et qui ne saurait d'aucune façon être confondu avec une
représentation subjective immanente » (p. 137).
Ainsi, saisir le cogito comme doute, c'est saisir l'ensemble de la
réflexion qui m'amène à douter ; il ne peut y avoir saisie du cogito
instantané, ou de l'acte pur de douter. Toute description de la conscience
renvoie nécessairement au-delà d'elle-même, vers ce qu'elle n'est pas, tout
comme la lecture d'un livre renvoie au livre en entier, et non à une lettre ou
une ligne seulement du livre. La conscience « renvoie au néant de ce qui
n'est pas encore » (p. 138).
« Le possible est une absence constitutive de la conscience en tant
qu'elle se fait elle-même ». Suit l'exemple de la soif, comme manque. « En
tant que telle, elle veut se combler ». Pourquoi Sartre prend-il cet exemple,
physiologique ? Est-ce par désir d'être concret ? Quel rapport y a-t-il entre le
possible (et toute l'analyse précédente) et ce besoin (qui est nommé désir ou
manque) ? C'est un manque dont tout le monde fait l'expérience, manque qui
n'est pas du ressort de l'imaginaire (être chanteuse, partir à tel endroit, …),
c'est-à-dire d'un projet purement subjectif et personnel.
L'analyse du possible conduit à la temporalité : « par là, nous
entrevoyons l'origine de la temporalité, puisque la soif est son possible en
même temps qu'elle ne l'est pas. Ce néant qui sépare la réalité humaine
d'elle-même est à la source du temps » (p. 138). Sartre définit les deux
expressions suivantes :
- « le circuit de l'ipséité » : « rapport du pour-soi avec le possible qu'il
est », c'est-à-dire rapport du pour-soi avec son néant, avec ce qu'il n'est pas.
- « monde » : « totalité de l'être en tant qu'elle est traversée par le
circuit de l'ipséité ».
4. Conclusion. Eclaircir le mode d'être du possible : « le possible est
ce de quoi manque le pour-soi pour être soi » (p. 138).
- le possible « n'existe pas comme une pure représentation », sans quoi
le pour-soi serait conscient de ce dont il manque ;
- le possible n'est pas pour autant « ignoré ou inconscient », il « donne
son sens à ma perception présente, en tant qu'elle est saisie du monde dans le
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circuit d'ipséité ».
Expliquer littéralement les deux dernières phrases :
- « La conscience irréfléchie (de) soif » : conscience actuelle, vécue,
mais non encore objet de conscience. Appartient-elle à l'ordre de la sensation
diffuse ?
- « est saisie du verre d'eau comme désirable » : ce n'est pas d'abord
de ma soif que j'ai conscience, ce qui serait avoir conscience de moi, mais de
l'objet qui satisfera cette soif.
- « sans position centripète du Soi comme but du désir » : ce n'est pas
le soi qui est au centre du désir, qui importe, mais c'est le verre d'eau qui
satisfera la soif.
Ce qu'il importe de montrer, c'est que le mode d'être du possible est,
en quelque sorte, à mi-chemin entre la représentation et l'inconscient. Avec
des exemples tels que la soif, il s'agit sans doute de montrer que cette
structure immédiate concerne le pour-soi tout entier, dans son corps (c'est
bien lui qui est présent ici). Quel est le rôle du corps ? Y a-t-il une sensation
du corps diffuse ?)
Bilan : En quoi le possible est-il une structure immédiate ? Il est un
mode d'être du pour-soi, que l'on découvre comme lui appartenant dans sa
structure. Les structures sont immédiates à deux titres :
- d'abord du point de vue de l'investigation ontologique : l'analyse
ontologique les découvre en premier lieu, car c'est ce qui s'offre
instantanément en tant que l'on est dans la description du « noyau
instantané » du pour-soi (p. 106).
- ensuite, du point de vue de la réalité qui est décrite : si on découvre
ces structures de suite (sans besoin d'en passer par d'autres analyses ; le fil
qui conduit Sartre l'a conduit presque naturellement et immédiatement à la
mise au jour de ces structures), c'est qu'elles se présentent aussi de suite.
Quelle différence y a-t-il entre le possible, le projet et la valeur ?
Reprendre les analyses qui permettront de préciser le rapport entre possible
et valeur.
a - noter l'ordre d'apparition : la valeur est avant le possible.
b - noter les exemples choisis : pour la valeur, c'est la souffrance ;
pour le possible, c'est la soif. Ces deux types d'exemples engagent
différemment le corps : si la soif est purement physiologique et individuelle,
la souffrance est à cheval entre le corps et le psychique, et implique déjà le
visage de l'autre. Quel statut faut-il accorder à ces exemples ? Et quelle
signification ?
c - Hypothèse de travail à vérifier : le possible et la valeur renvoient à
la même structure de transcendance, ce sont deux aspects dont la différence
tient au contenu : la transcendance (le dépassement) du pour-soi vers la
valeur engage la figure de l'autre, le possible n'engage que le pour-soi. Les
deux sont manque, mais manque d'un contenu différent : pour la valeur, c'est
de lui-même que manque le pour-soi ; pour le possible, il n'y a pas de
« position centripète du Soi comme but du désir » (p. 139). Mais le but
désiré est un certain état du monde : « le pour-soi possible est pour-soi
comme présence à un certain état du monde. En ce sens, l'être par delà
lequel le pour-soi projette la coïncidence avec soi c'est le monde ou distance
d'être infinie par delà laquelle l'homme doit se rejoindre à son possible »
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(p.138-139). Ce n'est pas la soif qui est un possible, c'est le fait pour moi de
me projeter dans un monde à venir où j'aurai étanché ma soif : ce qui est
possible, c'est l'existence à venir de cet état du monde.
Possible et valeur sont manque tous deux : « de toutes les négations
internes, celle qui pénètre le plus profondément dans l'être, celle qui
constitue dans son être l'être dont elle nie avec l'être qu'elle nie, c'est le
manque » (p. 122). Mais la différence est :
- pour la valeur : « cet être perpétuellement absent qui hante le poursoi, c'est lui-même figé en en-soi. C'est l'impossible synthèse du pour-soi et
de l'en-soi. […] Ainsi la réalité humaine surgit comme telle en présence de
sa propre totalité ou soi comme manque de cette totalité » (p. 126). Le
contenu du manque est le soi.
- pour le possible : c'est un certain état du monde ; « la conscience
irréfléchie (de) soif est saisie du verre d'eau comme désirable sans position
centripète du Soi comme but du désir ».
Structure du manque :
- n'est pas posé par et devant la conscience ; le manqué « hante la
conscience non thétique (de) soi » (p. 127).
- ce n'est pas la conscience qui confère son sens à cet être, mais c'est
de lui qu'elle tire sa signification de conscience. « Il est la transcendance
absolue dans l'immanence absolue ».
Structure de la valeur :
- « La valeur étant toujours et partout le par-delà de tous les
dépassements, peut être considérée comme l'unité inconditionnée de tous les
dépassements d'être » (p. 130). « Elle est le manqué de tous les manques,
non le manquant. La valeur, c'est le soi en tant qu'il hante le cœur du poursoi comme le pour quoi il est. La valeur suprême vers quoi la conscience se
dépasse à tout instant par son être même, c'est l'être absolu du soi, avec ses
caractères d'identité, de pureté, de permanence, etc. et en tant qu'il est
fondement de soi ».
- « Elle est en son être la totalité manquée vers quoi un être se fait
être. […] elle hante la liberté. Cela signifie que le rapport de la valeur au
pour-soi est très particulier : elle est l'être qu'il a à être en tant qu'il est
fondement de son néant d'être » (p. 131).
Du coup, la question de savoir d'où viennent les valeurs n'a pas
vraiment de sens, puisque celles-ci ne sont possibles qu'en tant qu'il existe un
être structuré de telle manière que la valeur ne peut apparaître dans le monde
que par lui. Mais il faut comprendre la notion de valeur dans le sens de
dépassement, de structure transcendante, sans contenu (sans le contenu de ce
qu'est le bien, le courage, etc.). On peut cependant penser que c'est la
rencontre avec l'autre qui confèrera un contenu à cette structure d'abord vide.
Le possible est un des aspects de la décompression d'être du pour-soi.
« Ainsi le pour-soi ne peut apparaître sans être hanté par la valeur et projeté
vers ses possibles propres » (p. 133). « C'est ce qui se donne comme le
manquant propre de chaque pour-soi et qui se définit rigoureusement comme
manquant à ce pour-soi précis et à aucun autre ».
Si la valeur semble ouvrir ou impliquer la figure de l'autre, avec la
conscience morale ou les valeurs morales, le possible ouvre sur le monde (la
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présence de l'autre n'est pas évoquée ou appelée ici) et sur la temporalité.
V) Le moi et le circuit de l'ipséité.
Le « je » ou « l'ego » sont les phénomènes de la conscience, ils ne sont
pas de la conscience ; ils sont la manifestation de la conscience dans le
monde, et sont, à ce titre, plutôt comme un en-soi transcendant.
La notion de « circuit » renvoie à l'idée d'un retour sur soi, d'un
mouvement en boucle. C'est le pour-soi qui, dans son mouvement de
transcendance, rencontre le monde ; ou plutôt, il rencontre ses possibles et,
ce faisant, lui-même comme possible dans un certain état du monde. Mais
nous sommes là au stade du cogito réflexif, et non plus à celui du cogito
préréflexif. Il y a ainsi deux mouvements réflexifs :
- le premier est la structure reflet-reflétant, ou présence à soi du poursoi. La raison de ce mouvement à l'infini est le soi. Mais si on en restait là,
ce mouvement serait en boucle fermée, sans transcendance. Or, on a vu que
ce type de néantisation impliquait la transcendance, qui est :
- le second mouvement réflexif, qui fait que le pour-soi dépasse le
stade du pur renvoi réflexif reflet-reflétant vers ses possibles, ce qui le
projette vers un certain état du monde. C'est là ce que Sartre appelle le
circuit de l'ipséité (du Je), puisque ce à quoi renvoie le pour-soi n'est plus du
domaine du pour-soi, tout en étant encore du domaine de la réalité humaine :
c'est le Je, ou l'Ego, ou encore le Moi, qui est dans le monde, et qui doit bien
prendre en compte cette nouvelle dimension pour exister.
Ainsi la notion de possible provient du pour-soi (c'est l'analyse du
cogito qui permet de mettre au jour cette structure), mais elle ouvre d'emblée
sur le monde, sur la réalité humaine.
Bilan : Les structures immédiates du pour-soi sont :
- la présence à soi (présence du néant au sein de l'être) ;
- la facticité (injustifiabilité et contingence du pour-soi) ;
- le manque, qui comprend deux niveaux, la valeur (fondement de
tous les manques, structure transcendante pure sans contenu) et le possible,
qui projette immédiatement le pour-soi dans le monde, vers un certain état
possible de celui-ci dans lequel le pour-soi se pose (non thétiquement) autre
qu'il n’est, comme pouvant être ce qu'il n'est pas encore.
Le dernier chapitre a pour fonction de coordonner ce que l'on a
découvert jusque là à propos de la réalité humaine : les deux niveaux,
préréflexif et réflexif, et surtout, il permet de comprendre comment le cogito
ne peut se comprendre sans cette structure de transcendance ; se
transcendant, c'est encore lui qu'il rencontre, mais cette fois-ci, dans le
monde, sous la forme du Moi et de ses possibles. On est donc inévitablement
conduit vers le monde et vers la figure de l'autre, alors même que nous ne
faisons que découvrir le pour-soi ; son sens lui vient de ce vers quoi il est
transcendé. D'où la nécessité d'en passer par la description du temporel, si
c'est là le sens de sa transcendance.
Noter que la notion de transcendance renvoie à l'avenir, non au passé.
Le pour-soi, au terme de cette analyse, semble toujours en avant de luimême, jamais en arrière. La notion de temps est appelée par celle de possible
(p. 138 et 141), on ne l'a pas rencontrée dans les autres structures. Mais, du
fait que chaque structure ouvre sur la suivante (du point de vue de
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l'investigation, non de la réalité), et que la notion de possible clôture, en
quelque sorte, l'ensemble des structures immédiates, on peut penser que la
temporalité comme sens de la transcendance est enveloppée dans l'ensemble
des structures. Simplement, l'analyse ne peut mettre au jour l'ensemble de
ces structures et de leur signification en même temps.
Chapitre II : La temporalité
Plan du chap. sur « temporalité statique »
1 - On part de la définition liminaire de l'ordre « avant-après » :
l'irréversibilité.
a - L'ordre « avant-après », tout d'abord, est considéré comme une
forme de séparation. Sartre expose les thèses qui posent le temps comme
séparateur, et énonce les problèmes qu'elles soulèvent.
b - Ces problèmes semblant insolubles, il convient d'analyser à
nouveau cette conception du temps comme séparateur (Descartes et Kant).
c - On vient de montrer (a) et (b) l'impossibilité de concevoir la
relation entre l'avant et l'après sous la forme d'une relation externe, car cela
met en avant l'aspect séparateur du temps, et omet de comprendre comment
une continuité est possible. Étudier maintenant deux auteurs, Leibniz et
Bergson, qui ont conçu cette relation comme « un pur rapport d'immanence
et de cohésion » (p. 170 en haut). Cette dernière devrait assurer une
continuité au temps.
2 – « Que pouvons-nous conclure, au terme de cette discussion ? » (p.
171)
Cette deuxième partie est constituée de deux grands textes, dont le
deuxième occupe toute la fin du chapitre. Le premier texte (a) (p. 171-172)
conclut sur l'être de la temporalité, en montrant son rapport avec le pour-soi.
Mais il reste à montrer que le pour-soi ne peut exister sous aucune autre
forme que la temporalité - ce qui sera le propre du second texte (b) (p. 172 à
178).
a - Il n'y a pas de priorité de l'unité sur la multiplicité, ni de la
multiplicité sur l'unité. « Il faut donc concevoir la temporalité comme une
unité qui se multiplie, c'est-à-dire que la temporalité ne peut être qu'un
rapport d'être au sein du même être ».
b - Il est remarquable que, dans ce passage, le terme « temporalité » ne
figure jamais. Il s'agit ici de rappeler ce en quoi consiste le Pour-soi, pour
mettre plus spécifiquement en avant « toutes les dimensions possibles de
néantisation ». Sartre rappelle donc (a) - la différence entre le Pour-soi et
l'En-soi, (b) - un certain nombre de dimensions en mettant en avant le sens
de ces dimensions par rapport au Pour-soi, puis, dans un deuxième moment,
(c) - il précise plus particulièrement les « premières ek-stases ». Celles-ci
semblent se rapporter aux trois dimensions temporelles ; pourtant, à part la
mise en évidence de leur structure respective, rien ne le confirme
expressément.
Plan du chap. sur « temporalité dynamique »
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1 - (p. 178-181) Analyse de l'explication classique de la dynamique
temporelle comprise dans cette proposition : « le changement implique de
soi la permanence » (Leibniz, Kant).
a - Démonter les erreurs qu'implique cette proposition.
b - Là où l'on distingue traditionnellement deux problèmes, Sartre
montre qu'il n'y en a qu'un (p. 181). Le surgissement du pour-soi ex nihilo et
la modification que subit l'être du pour-soi pour devenir passé ne sont en
effet qu'un seul et même phénomène : « le phénomène du devenir temporel
est une modification globale », et non, sans doute, partielle ou relative à une
permanence ou à un point fixe qui permettrait de mesurer ce qui change.
Pour que le changement soit absolu, il faut que tout change, il faut qu'il soit
global.
c - Après avoir montré que la métamorphose est globale, il reste à
comprendre le surgissement connexe d'un nouveau présent. Ce surgissement
n'est pas abolition du passé, il signifie le passage à l'en-soi de l'ex-présent au
passé, en même temps que le nouveau présent est néantisation de cet en-soi.
2 – (p. 182) Montrer qu'il n'y a pas de problème, en fait, si l'on part
d'une conception correcte du pour-soi. Les difficultés rencontrées auparavant
sont de faux-problèmes, qui n'ont surgi que parce qu'on a d'abord figé le
pour-soi en en-soi. Le changement, en effet, « appartient naturellement au
pour-soi en tant que ce pour-soi est spontanéité » (p. 183).
3 – (p. 183 -185) Résolution des questions : il n'y a pas de problème,
car le pour-soi est par essence temporel. C'est si on les sépare, ou si l'on a
une fausse conception de la nature véritable du pour-soi que l'on s'empêche
de comprendre le caractère de la temporalité.
Conclusion : « Il n'y a jamais d'instant où l'on puisse affirmer que le
pour-soi est, parce que, précisément, le pour-soi n'est jamais. Et la
temporalité, au contraire, se temporalise tout entière comme refus de
l'instant » (p. 185)
- Rappel de la structure néantisante du pour-soi
- Rappel des critiques à l'encontre de la notion d'instant, qui ne
contribue qu'à choséifier (à transformer en en-soi) le pour-soi
- rapport de la temporalité avec le pour-soi (intra-structure et refus de
l'instant).
La Temporalité statique
Construction en deux grands moments :
Objet de cette analyse : « envisager la constitution et les exigences des
termes "avant" et "après" » C'est d'abord l'ordre du temps qu'il s'agit
d'étudier (avant son cours). Il s'agit aussi de comprendre la réalité du temps,
en évitant les pièges d'une interprétation moniste ou chosifiante.
1 - On part de la définition liminaire de l'ordre « avant-après » :
l'irréversibilité. C'est cette notion qu'on examinera en premier lieu.
a - L'ordre « avant-après », tout d'abord, est considéré comme une
forme de séparation. Sartre expose les thèses qui posent le temps comme
séparateur, et énonce les problèmes qu'elles soulèvent.
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Les thèses : les romanciers et les poètes ; Descartes ; Proust ; les
empiristes.
Ils considèrent que le temps est constitué d'atomes séparés les uns des
autres (les instants).
Les problèmes : comment peut-il y avoir passage d'un instant à
l'autre ?
- comment puis-je rester le même à travers cette dispersion d'instants ?
- comment, si on nie la permanence du moi temporel (comme les
empiristes), peut-on assurer un semblant d'unité transversale de la vie
psychique ?
En résumé, ce qu'on se demande, c'est comment un monde est
possible ; comment expliquer la continuité à travers les changements ?
b - Ces problèmes semblant insolubles, il convient d'analyser à
nouveau cette conception du temps comme séparateur. Affirmer cette thèse,
c'est oublier de voir qu'en même temps qu'on sépare, on réunit, au moins
dans un même ordre. Il faudrait dire, plus exactement, que toute séparation
implique une réunion, au moins pour la pensée (ex. : dire que X est séparé de
sa femme, c'est poser en même temps qu'ils ont été réunis, ou sont
susceptibles de le redevenir. Mais cette liaison est posée par la pensée).
Nous établissons donc que le temps est une séparation d'un type
spécial : c'est une division qui réunit (p. 167). On réintroduit ici la notion de
relation externe.
Mais cette relation reste externe ; or, nous avons établi, dans l'étude
phénoménologique, que la temporalité, en chacune de ses extases, impliquait
des relations internes avec la conscience.
Quatre thèses sont possibles, pour illustrer ce type de relation - et
montrer ses défaillances :
— 1ère thèse (les empiristes) : ce que critique Sartre, c'est que cette
thèse implique une conception moniste de l'être. Ainsi, chaque instant est
comme un en soi, et rien ne nécessite que l'on passe d'un instant à un autre.
S'il y a possibilité d'un passage, celui-ci doit venir de l'intérieur même de
l'instant ; l'instant A doit être tel qu'il tend vers B. On voit ce que serait une
relation interne : c'est une relation qui viendrait de l'intérieur même de
l'instant. Reste à savoir ce qui la motiverait : comment doit-on concevoir
l'instant pour qu'il soit tel qu'il tende toujours vers un autre que lui ? N'est-ce
pas le confondre avec l'intentionnalité ? C'est que penser un instant en luimême n'a pas sens et ne correspond à rien dans la réalité.
— 2ème thèse : il y a un sujet pour relier les instants. Mais s'il peut les
relier, c'est qu'il est lui-même temporel, et le problème de son unité se
repose.
— 3ème thèse : ce sujet est intemporel (Descartes et Kant). Mais le
temps est alors un irréel.
« Ou bien nous temporalisons implicitement et sournoisement
l'intemporel, ou bien, si nous lui gardons scrupuleusement son intemporalité,
le temps deviendra une pure illusion humaine, un songe » (p. 168). Pour
conférer au temps une réalité, il faut allier dans le même être à la fois les
concepts d' « infinité temporelle et d'ubiquité temporelle ». L'être en soi ne
correspond pas à ce mode d'être.
— 4ème thèse : le temps est réel. Mais alors Dieu n'est pas vraiment
intemporel, ou bien on ne comprend pas pourquoi il y a besoin « d'attendre
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que le sucre fonde ». Le temps redevient un songe (contradiction).
Nous nous dirigeons maintenant vers l'être par qui le temps (selon
cette conception) est rendu possible. On vient de voir que ce ne peut être l'en
soi. Nécessité « d'une unité d'un type neuf, précisément l'unité ek-statique :
chaque état sera hors de soi, là-bas, pour être avant ou après l'autre ».
1ère conclusion : « Ainsi, en tant qu'elle est à la fois forme de
séparation et forme de synthèse, la temporalité ne se laisse ni dériver d'un
intemporel ni imposer du dehors à des intemporels » (p. 169).
c - On vient de montrer (a) et (b) l'impossibilité de concevoir la
relation entre l'avant et l'après sous la forme d'une relation externe, car cela
met en avant l'aspect séparateur du temps, et omet de comprendre comment
une continuité est possible. Étudier maintenant deux auteurs, Leibniz et
Bergson, qui ont conçu cette relation comme « un pur rapport d'immanence
et de cohésion » (p. 169-170). Cette dernière devrait assurer une continuité
au temps.
Mais ce que Leibniz oublie, c'est la puissance séparatrice du temps. Il
privilégie la continuité (qu'il confond avec l'identité) au détriment de la
séparation - tandis que, précédemment, nous avons vu Descartes privilégier
l'aspect séparateur au détriment de la continuité et de la cohésion du temps.
Ce qu'il faut, c'est parvenir à concilier les deux. Mais pour cela, il faut
disposer du concept de pour soi, puisque celui-ci est le seul type d'être qui
autorise une telle conciliation.
Sartre se réfère à la définition de Poincaré, à propos d'une série
continue. Cette définition permet de concevoir un type d'être qui à la fois est
et n'est pas ce qu'il est. Ainsi, en mathématique (on pourrait dire aussi « en
théorie », ou sur le plan de l' intellect, et non sur celui du fait), un tel être est
concevable. Mais ceci ne nous dit rien sur la possibilité de l'existence d'un tel
être en fait, ni, en particulier, sur ce qui constituerait ses principes et son
fondement. Quel peut être, en effet, l'unité d'un être qui à la fois serait et en
serait pas ? Comment peut-on affirmer de lui qu'il est le même ? C'est sur ce
problème que vient buter Leibniz, car il confond le continu avec l'identique ;
ou, pour le dire autrement, il réduit l'ordre chronologique à l'ordre logique.
Ce qui manque, chez Leibniz, c'est un sujet pour « tirer le temps » - puisque
c'est Dieu qui fait tout.
C'est le même reproche que Sartre adresse à Bergson, qui "ne semble
pas voir qu'une organisation de multiplicité suppose un acte organisateur" (p.
171). Il peut alors encore moins concevoir ce que doit être cet « acte
organisateur », ni comment il doit être structuré (il doit exister ekstatiquement). Alors, certes, Bergson assure l'identité de cet être à travers la
continuité affirmée du temps : « c'est bien un même être qui dure ». Mais
cela manque d'« éclaircissements ontologiques » (p. 171).
Sartre vient d'exposer deux grandes conceptions du temps, l'une qui
privilégie l'aspect séparateur (a) et (b), l'autre, l'aspect de continuité (c). Le
gain de cette étude est double :
- ce qui manque à chacune, c'est la même chose, finalement : un
fondement du temps dans un être qui soit le pour soi.
- ce qui fait que le même reproche s'applique aux deux conceptions,
alors qu'elles sont parfaitement à l'opposé l'une de l'autre, c'est leur manière
de procéder, leur méthode. Ayant exposé ce même défaut, on comprendra
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mieux la nécessité de penser le temps comme l'être paradoxal qui concilie les
deux aspects à la fois. Ce qui paraissait, sur le plan théorique, impensable, le
devient, si l'on part non pas de ce que nous pouvons penser, mais du fait luimême, et de sa description. La démarche est inverse : on ne cherche pas ce
que doit être le temps pour que nous puissions le penser sans contradiction
(en ce cas, nous nous conformons à l'ordre logique de notre pensée, mais
c'est au détriment de la réalité ; d'où les contradictions que Sartre a mis en
avant dans ces thèses). Mais on décrit la manière dont nous le percevons
(cela a été fait dans l'étude phénoménologique) ; on part donc du fait, de la
réalité, et on se demande comment cette réalité est possible ; à quelle
condition elle est possible ; ou encore, que doit être l'être du temps, pour
qu'il nous apparaisse de cette manière. C'est à cette question que le deuxième
moment répond.
2 – « Que pouvons-nous conclure, au terme de cette discussion ? (p.
171)
On a montré jusque-là que la temporalité ne peut appartenir qu'au
pour-soi. Mais cela n'implique pas nécessairement que le pour-soi ne puisse
exister que sous cette forme, ou cela ne dit rien sur le rapport ontologique (si
celui-ci, déjà, est ontologique ou pas) entre le pour-soi et la temporalité.
Dans l'étude phénoménologique, on part de la temporalité, et on arrive à la
conclusion que son lieu essentiel d'être est celui du pour-soi. Il s'agit
maintenant, en partant du pour-soi, de montrer qu'on aboutit également à la
temporalité, comme forme essentielle d'existence du pour-soi. C'est à cette
occasion que l'on devra mettre en avant les trois dimensions ek-statiques
d'existence du pour-soi.
a - Il n'y a pas de priorité de l'unité sur la multiplicité, ni de la
multiplicité sur l'unité. « Il faut donc concevoir la temporalité comme une
unité qui se multiplie, c'est-à-dire que la temporalité ne peut être qu'un
rapport d'être au sein du même être ».
Remarque : le terme « unité » apparaît à propos des empiristes, dès le
début de cette partie. C'est le terme « unification » qui est ensuite employé
(relation unificatrice). Puis, p. 167 : « Kant n'a-t-il pas montrer qu'il fallait
l'unité de l'expérience et, par là, l'unification du divers temporel, pour que le
moindre lien d'association empirique fût même concevable ? » Qu'entend
Sartre, exactement, par unité ? Il semble identifier ce terme avec la
continuité. L'unité, ce n'est pas seulement ce qui unifie, ce qui rend uniforme
ou homogène, c'est ce qui assure aussi le lien entre une suite, une succession.
S'oppose à multiplicité (concept bergsonien), qui suppose la discontinuité.
Sartre précise, p. 171, que « le continu n'est pas compatible avec
l'identique » ; c'est ce que montrait la définition de Poincaré. Il y a ainsi la
possibilité de concevoir un nouveau type d'unité, qui comprenne en elle
l'hétérogénéité.
On peut dire, ainsi, de la temporalité :
- qu'elle n'est pas un contenant ;
- qu'elle n'est pas donnée ;
- qu'elle n'est pas ;
- elle est un mode d'être, celui d'un être qui est soi-même hors de soi ;
- a la structure de l'ipséité.
Difficulté : « c'est là-bas dans l'après que l'avant se fait déterminer
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comme avant et réciproquement. En un mot, l'avant n'est intelligible que si
c'est l'être qui est avant lui-même. […] C'est seulement en effet parce que le
soi est soi là-bas hors de soi, dans son être, qu'il peut être avant ou après soi,
qu'il peut y avoir en général de l'avant et de l'après » (p. 171-172).
Ce qu'on cherche ici, ce sont les conditions de possibilité permettant
de concevoir l'avant et l' après. La difficulté tient à la nécessité d'un point
fixe, par rapport auquel on définira l'avant et l'après. Mais que peut être ce
point fixe ? Est-ce qu'on n'est pas obligé, pour voir qu'il est fixe, d'apercevoir
déjà du mouvement ? Ainsi, mouvement et point fixe s'impliquent l'un
l'autre, ou se « réciproquent ». On aimerait pouvoir assigner un point fixe, à
partir duquel on jugerait du mouvement ; cela serait commode. Mais si,
selon les termes de Bergson, cela correspond à notre intelligence, cela ne
correspond pas à la réalité. Car qui est fixe ? Il faudrait que ce soit celui qui
juge, l' « acte organisateur ». Mais « fixe » voudrait dire atemporel ; or
toutes les analyses précédentes ont montré les contradictions dans lesquelles
on tombait quand on posait d'abord un sujet fixe, extra-temporel, pour
comprendre le temps.
Par quoi, alors, Sartre assure-t-il une continuité ? Comment échappe-til à la dislocation du sujet à travers le temps ? Ou plutôt, qui est ce « soi »,
qui permet de mesurer l'avant et l'après ? Qui est cet être qui est avant luimême ? Il ne parle même pas de la mémoire, ici, qui assurerait une continuité
et une conscience d'identité de l'être.
Ce problème sera abordé dans la « temporalité dynamique », à la p.
179 (notion de changement absolu). C'est le lien au passé qui remplacera la
permanence. On remarquera en même temps comment un problème soulevé
dans cette partie ne trouvera sa résolution que dans la dynamique temporelle.
Rappeler le rôle de la dynamique temporelle par rapport à la statique
temporelle (p. 165).
Difficulté : sens de la phrase, p. 172 : « Non que le Pour-soi ait une
priorité ontologique sur la Temporalité » ? - Pourquoi Sartre précise-t-il
cela ? Quelle est l' importance de cette précision ? - Que signifie « avoir une
priorité ontologique sur » ? Cela a-t-il à voir avec la différence entre
structure primaire et structure secondaire ?
Quand Sartre dit que la temporalité n'est pas, il faut comprendre
qu'elle n'a pas d'être ou de consistance (ni comme contenant, ni comme
contenu ; c'est ce qu'exprime le terme « intrastructure », ou mode d'être). On
pourrait croire alors qu'elle dépend (dépendance ontologique : dans son être
même ; ce sans quoi elle n'existerait pas) du Pour-soi. C'est le contraire que
précise Sartre, en disant que le Pour-soi n'a pas de priorité ontologique sur la
Temporalité. Ce qu'il veut éviter, c'est une relation de causalité entre le Poursoi et la Temporalité : on ne peut pas dire que c'est parce qu'il y a le Pour-soi
qu'il y a de la temporalité (Et cependant, sans Pour-soi, il n'y en aurait pas.).
La relation entre Pour-soi et Temporalité n'est pas causale, elle est interne.
C'est pourquoi Sartre poursuit ensuite en disant « Réciproquement,
[…] le Pour-soi ne peut être, sinon sous la forme temporelle" (p. 172).
Remarque de méthode à propos du rapport entre l'étude
phénoménologique et l'étude ontologique (p. 172) : le but de l'étude
phénoménologique, dit Sartre, était de montrer que le Pour-soi ne peut être,
sinon sous la forme temporelle. L'étude ontologique aurait alors comme but
de montrer que la temporalité ne peut être qu'une intrastructure du Pour-soi,
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ce qui établit définitivement la relation interne et réciproque qu'il y a entre
les deux.
Rapprocher ces deux phrases : p. 171 – « la temporalité est […] moins
une multiplicité réelle […] qu'une quasi-multiplicité, qu'une ébauche de
dissociation au sein de l'unité » / p. 172 – « Ainsi le néant introduit la quasimultiplicité au sein de l'être ».
b - Commentaire littéral de la p. 172 (depuis « Le pour soi surgissant
dans l’être comme néantisation (47 lignes)
Il est remarquable que, dans ce passage, le terme « temporalité » ne
figure jamais. Il s'agit ici de rappeler ce en quoi consiste le Pour-soi, pour
mettre plus spécifiquement en avant « toutes les dimensions possibles de
néantisation ». Sartre rappelle donc (a) - la différence entre le Pour-soi et
l'En-soi, (b) - un certain nombre de dimensions en mettant en avant le sens
de ces dimensions par rapport au Pour-soi, puis, dans un deuxième moment,
(c) - il précise plus particulièrement les « premières ek-stases ». Celles-ci
semblent se rapporter aux trois dimensions temporelles ; pourtant, à part la
mise en évidence de leur structure respective, rien ne le confirme
expressément.
(a) - L'en-soi étant ce qu'il est, il n'a qu'une manière d'être. En
revanche, dès lors que s'introduit du néant dans l'être, celui-ci a plusieurs
manières d'être (l'expression n'apparaît qu'aux lignes 29 puis 30 ; sinon,
Sartre emploie l'expression « dimension d'être » ou, ligne 8 : « mode d'être
du Pour-soi »).
Avant d'expliciter ces diverses manières d'être, Sartre justifie (?) la
différence énoncée en rappelant le rôle du néant.
l. 1 : « Le Pour-soi surgissant dans l'être comme néantisation de l'Ensoi … » : nous aurions, semble-t-il, trois entités ontologiques ici : le Poursoi, l'En-soi et l'être. Que sont le Pour-soi et l'En-soi par rapport à l'être ? Le
Pour-soi surgit dans l'être. De quelle façon ? « Comme néantisation de l'Ensoi ». Ceci ne signifie-t-il pas que l'être et l'En-soi ne sont qu'une seule et
même entité ? Le Pour-soi est alors celui qui néantise l'être, c'est-à-dire qui
le fait tomber ou devenir néant. Pourquoi ? Qu'est-ce qui motive cet acte
(est-il actif ou passif ?) ?
Ce faisant, « le Pour-soi […] se constitue à la fois sous toutes les
dimensions possibles de néantisation ». C'est pour cela que Sartre désigne
son mode d'être comme « diasporique », terme qui évoque les concepts de
cohésion en même temps que de dispersion, et qui reprend, sous un autre
vocabulaire, l'idée d'une "unité qui se multiplie" (p. 171). Tout ce qui n'est
pas Pour-soi est En-soi, ou être. Dès lors, le seul rapport que peut entretenir
le Pour-soi avec l'être en-soi est un rapport de néantisation.
l. 8 à 11 : « L'être-en-soi n'a qu'une dimension d'être, mais l'apparition
du néant comme ce qui est été au cœur de l'être complique la structure
existentielle en faisant apparaître le mirage ontologique du Soi ». L'
expression « est été » désigne le processus de néantisation.
Qu'est-ce que « le mirage ontologique du Soi » ? Un mirage, c'est ce à
quoi l'on croit sans pouvoir s'en défaire. C'est une illusion perceptive, dont
on peut, en théorie, douter, mais dont on ne saurait faire qu'elle se conforme
à ce qu'énonce la théorie - à savoir qu'il n'y a là nulle réalité. Ce mirage
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concerne l'être du Soi (ou, pour mieux dire, le Soi du Pour-soi). Cette notion
de Soi revient à la fin du texte, ligne 47. Que désigne-t-elle ? Ce que l'on
désire être ? Nos espoirs et espérances, ou notre projet d'être ? C'est ce qui,
provenant de nous, et pourtant inatteignable, nous dirige. Mais cela reste un
mirage, car dès que nous l'atteignons, nous ne sommes plus le même, et nous
voulons autre chose.
(b) - En quoi consistent les dimensions d'être ? Ce sont des « rapports
originels de l'être avec soi » (l. 14 ; l. 28: « différents rapports à son être »).
Exemples : le réflexion, la transcendance et l'être-dans-le-monde, l'être-pourautrui (l. 11-12) et la temporalité (l. 32).
l. 14 à 17 : « Ainsi le néant introduit la quasi-multiplicité au sein de
l'être. Cette quasi-multiplicité est le fondement de toutes les multiplicités
intra-mondaines car une multiplicité suppose une unité première au sein de
laquelle s'ébauche la multiplicité ».
Qu'est-ce qu'une multiplicité intra-mondaine ? C'est une multiplicité à
l'intérieur ou au sein même du monde. Sartre semble désigner par là la
multiplicité des objets ou des en-soi (table, chaise, montre, etc.). Mais il n'y a
multiplicité que pour le Pour-soi qui les appréhende, parce que celui-ci a la
structure suffisante qui permet de se transcender vers ces objets intramondains. Pourquoi le terme « multiplicité » est-il ici employé, plutôt
qu'objet ?
« Ainsi le néant introduit la quasi-multiplicité au sein de l'être »
signifie « en-soi + néant = pour-soi » ; « quasi-multiplicité » = « ébauche de
dissociation au sein de l'être » (si la dissociation était complète, il y aurait
multiplicité réelle, et donc dispersion sans cohésion). L'expression montre
bien aussi combien, « de quelque côté qu'on le considère, il [le pour-soi] ne
tient à soi-même que par un fil » (l. 3-4).
La référence à Meyerson semble confirmer l'idée que c'est parce que
le pour-soi est tel qu'il est, que par lui seul, peut être appréhendée la diversité
ou multiplicité du monde. Remarquer le terme « fondement ».
(c) - (l. 31 sv) Il s'agit ici de s'intéresser aux « premières ek-stases celles qui, à la fois, marquent le sens originel de la néantisation et
représentent la moindre néantisation ».
Question : quelles sont les secondes ek-stases ? Peut-être les quatre
vues plus haut (réflexion, transcendance, être-dans-le-monde et être-pourautrui). En quoi sont-elles secondes ? Elles sont pourtant dites également des
« rapports originels de l'être avec soi » (l. 14). Que serait un rapport non
originel ? Qui ne proviendrait pas de l'origine, ou qui ne prendrait pas sa
source, son sens, à l'origine. Il reste à savoir ce que représente l'origine.
En quoi ces ek-stases représentent-elles la moindre néantisation ? Que
signifie « moindre » ici ? Est-ce la néantisation la plus minime ? En ce cas,
on doit concevoir quelque chose comme une échelle métrique des
néantisations. Ou alors, « moindre » signifie la plus insignifiante ? Mais
alors, on ne comprend pas en quoi la néantisation est un rapport originel. Sur
« originel », voir la distinction (pages suivantes) mode primaire / mode
secondaire.
Sartre précise, l. 37, que le sens de l'ek-stase est la distance à soi.
Ces trois ek-stases sont les suivantes :
- 1° ne pas être ce qu'il est ;
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- 2° être ce qu'il n'est pas ;
- 3° dans l'unité d'un perpétuel renvoi, être ce qu'il n'est pas et ne pas
être ce qu'il est.
Sartre rappelle ensuite :
- qu'« il est impossible de concevoir une conscience qui n'existerait
pas selon ces trois dimensions »,
- que s'il est plus facile d'appréhender d'abord une ek-stase plutôt
qu'une autre, il n'empêche qu'elles sont toutes dépendantes les unes des
autres. En cela, il redit ce qu'il avait signalé dès la première page du chapitre.
- dernière précision sur la notion de distance : « c'est simplement le
rien, le néant qui "est été" comme séparation ». On rapportera ce passage
aux développements concernant directement cette notion (« Conception
phénoménologique du néant ».
Enfin, chaque dimension, précise Sartre, a sa spécificité. Nous n'avons
pas à faire à la même manière de se néantiser, « une manière différente d'être
ce fléchissement d'être, cette frustration d'être que le Pour-soi a à être ».
C'est pourquoi il faut étudier chaque fléchissement à part.
c- Passons à l’étude de chaque ek-stase.
1. ne pas être ce qu'il est : construction en trois moments.
a - p. 173. Explication de la manière d'être du Pour-soi, qui consiste à
ne pas être ce qu'il est. Ce que le pour-soi a à être quand il n'est pas ce qu'il
est, est derrière lui. Cela étant, ce « derrière lui » est irrémédiable et gratuit.
Quel rapport le pour-soi entretient-il avec cet irrémédiable ?
- il ne peut en être le fondement, car il ne peut « ni l'ôter ni s'y
fondre » ; aucune action n'est, dans ce cas, possible sur ce « derrière » - c'est
pourquoi il est irrémédiable. En revanche, ce dont le pour-soi est fondateur,
c'est la liaison avec cet être, et du fait que cet être puisse être donné.
- le pour-soi n'est pas pour cet être, car il n'y a pas réciprocité du
reflet-reflétant en ce cas.
- le pour-soi se saisit sous la forme de l'être - ce qui supprime le jeu
« normal » du reflet-reflétant.
- « en tant que pour-soi, il n'est jamais ce qu'il est. Ce qu'il est est
derrière lui, comme le perpétuel dépassé ».
- ce qui sépare le pour-soi de son être derrière lui, c'est le néant de la
facticité.
Remarque de vocabulaire : ce que Sartre appelle « derrière », il le
nomme aussi l' « être ». Cet être est en-soi, c'est-à-dire qu'il a la manière
d'être de l'en-soi, d'un bloc, sans aucune liaison avec autre chose que lui.
Remarque de méthode : ce que décrit Sartre ici, c'est la manière
d'être originelle avec cet en-soi, sur le mode de la conscience, et non du
savoir ou de la connaissance - il distinguera ces deux modes différents p.
176, dans la remarque 2 du 3ème moment. Ainsi, le pour-soi a à être (= il n'a
pas le choix) ce qu'il n'est pas ; ce faisant, il n'est pas ce qu'il est. (Distinguer
« avoir à être » et « être ».)
C'est seulement à la fin de ce passage (p. 173 in fine) que nous
apprenons que cette facticité dépassée est appelée le Passé.
Première conclusion : « Le passé est donc une structure nécessaire du
Pour-soi, car le pour-soi ne peut exister que comme un dépassement
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néantisant et ce dépassement implique un dépassé » (Id.).
Remarque de méthode sur la structure du § de cette page : Sartre part
du pour-soi, pour mettre au jour la première de ses ek-stases essentielles :
« n'être pas ce qu'il est ». Ce faisant, Sartre met au jour un type de
néantisation qui consiste à être radicalement séparé de son être-derrière-soi
(par le néant de la facticité), sans pouvoir par ailleurs ne pas l'être. Cette
néantisation est un rapport du pour-soi avec l'être dépassé qu'est le passé.
Ainsi, c'est bien en partant de l'explicitation des structures du pour-soi qu'on
en vient à mettre au jour une dimension temporelle comme structure
nécessaire du pour-soi (que celui-ci ne peut pas ne pas être, qu'il a à être,
sans toutefois ne l'être plus). D'où, peut-être, l'importance de ne pas parler, à
propos des trois dimensions ek-statiques du pour-soi, de passé / présent /
futur, mais de mettre en avant la structure néantisante de chaque dimension.
b - p. 174-175 : il s'agit de montrer qu'on ne peut concevoir le pour-soi
sans passé (puisque c'est une structure nécessaire).
La première remarque (haut de la p. 175) porte sur le surgissement de
la conscience : à quel moment cela se fait-il ? Sartre montre qu'on ne peut
assigner un moment ultime, ou une séparation-limite brutale, entre un
moment sans et un moment avec la conscience. Ce problème, dit-il, est
métaphysique.
Seconde conclusion : « Le Passé comme être irréparable que j'ai à être
sans aucune possibilité de ne l'être pas, n'entre pas dans l'unité "refletreflétant" de "l'Erlebnis" : il est dehors ».
c - p. 175 (« Pourtant il n’est pas non plus… »)-177 : deux idées sont
développées ici : d'abord, la ressemblance et la différence entre la conscience
du passé et la conscience perceptive. Ensuite, il s'agit de montrer qu'on peut
entretenir deux types de relations avec le passé. La première, originelle, est
celle dont on vient de parler : elle est une structure de la conscience. La
seconde fait l'objet de cette analyse : c'est le passé en tant qu'il est objet de la
conscience. Le rapport à la temporalité n'est plus alors intra-structurel, il est
sur le mode de la connaissance ou de la perception.
La conscience du passé n'est pas la conscience perceptive (objet dont
on a conscience). Ce qui change, c'est le type de liaison que la conscience
entretient avec ou bien le passé, ou bien la chose perçue. Le point commun
entre le passé et une chose perçue est que tous deux sont hors de la
conscience. Différence :
- liaison entre la conscience et la chose perçue : la négation est
explicite. « Il y a thèse, c'est-à-dire saisie et affirmation de la chaise comme
l'en-soi que la conscience n'est pas » ;
- liaison entre la conscience et le passé : « il ne peut y avoir thèse du
passé, car on ne pose que ce qu'on n'est pas ». Or le pour-soi est et n'est pas
son passé ; celui-ci lui est à la fois extérieur et immanent. Le passé est une
chose qu'on est sans la poser. Le passé est « posé contre » le pour-soi,
assumé comme ce qu'il a à être, sans pouvoir être ni affirmé, ni nié, ni
thématisé, ni absorbé par lui ». Le passé, en ce sens, n'est pas objet de thèse.
Être objet de thèse implique un regard translucide, et est « négation de la
chose ». Je suis mon passé, mais sur un mode d'être bien particulier, à la fois
extérieur et immanent.
Mais le passé peut aussi être objet de thèse. Cela signifie que le poursoi s'affirme comme n'étant pas le passé. C'est ici que Sartre distingue :
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- être son passé sur le mode primaire ; j'ai conscience de mon passé, et
je le suis, mais je ne le connais pas. C'est la liaison que l'on a décrite plus
haut (conscience irréfléchie ?)
- être son passé sur le mode secondaire ; je connais mon passé, mais je
ne le suis plus. Je suis mon passé sur le mode thétique ; le passé, en ce cas,
devient objet de thèse.
Remarque : tout ce qui est décrit par Sartre à la 2nde moitié de la p.
176 relève du thème de la continuité inconsciente. Relever les expressions
employées pour désigner le passé : « c'est cette épaisseur du monde,
constamment donnée et qui permet que je m'oriente et me repère, c'est moimême en tant que je me vis comme une personne » (p. 176).
Se souvenir de ce qui est énoncé p. 104 : « la conscience non thétique
n'est pas savoir. Mais elle est, par sa translucidité même, à l'origine de tout
savoir ».
Remarque de méthode : tout ce qui a été décrit précédemment
concerne le mode primaire de la conscience.
2. « être ce qu'il n'est pas » (seconde dimension de néantisation) : le
pour-soi se saisit comme un manque. Le pour-soi est ici en arrière de soi,
mais il n'est pas soi.
On pourrait croire que Sartre, après avoir décrit la structure propre au
passé, va décrire celle qui est propre au présent. Mais ce présent est luimême fuite. Autant, dans le « passé », le pour-soi était en avant de lui-même,
autant ici, il est en arrière. Ce qui est important, c'est que jamais, et surtout
dans cette dimension-là, il ne coïncide avec lui-même. Être manque, c'est
avoir à être ce qu'on n'est pas. « Le Pour-soi n'est pas seulement être-àdistance : il est amenuisement d'être » (p. 177, milieu).
3. « être ce qu'il n'est pas et ne pas être ce qu'il est » : « le Pour-soi
dispersé dans le jeu perpétuel du reflété-reflétant s'échappe à lui-même dans
l'unité d'une même fuite ». C'est la Présence à l'être.
Conclusion sur les trois dimensions
Dans la 1ère ek-stase, le pour-soi est en avant de lui (son passé est
derrière lui). Un néant le sépare de son passé, qui est une négation implicite
(et non explicite) ; le Pour-soi se donne comme étant le passé, mais sa nature
est telle qu'il ne peut pas l'être.
Dans la 2nde, le pour-soi est en arrière de lui.
Dans la 3ème, le pour-soi s'échappe à lui-même ; il est partout et nulle
part. C'est la structure immédiate de la présence qui est décrite ou rappelée
(cf. p. 109 à 114, le chapitre sur « la présence à soi »).
Conclusion générale
- « le pour-soi du seul fait qu'il se néantise est temporel ».
- « aucune de ces dimensions n'a de priorité ontologique sur les
autres ».
- contrairement à Heidegger, on mettra l'accent sur l'ek-stase présente,
et non future.
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Ainsi, la temporalité
- n'est pas un temps universel, une loi de développement qui
s'imposerait du dehors à l'être
- n'est pas non plus l'être, mais l'intrastructure de l'être qui est sa
propre néantisation, c'est-à-dire le mode d'être propre à l'être-pour-soi.
- est une forme diasporique
On remarquera que la conclusion est en deux temps : d'abord, on
conclut sur le pour-soi, en rapport avec ses dimensions ek-statiques ; ensuite,
on conclut sur l'être de la temporalité.
Dynamique de la temporalité
Nous avons montré jusqu'ici que « le surgissement du Pour-soi se fait
nécessairement suivant les trois dimensions de la Temporalité ». Mais il faut
revenir à l'être même de la temporalité, pour comprendre non plus ses
conditions de possibilité ou son lieu de surgissement (ce qui a trait à son être
même), mais sa durée, ou sa dynamique, le fait même du devenir ou du
passage.
Sartre pose deux questions, qui toutes deux mettent à nouveau le poursoi en relation avec la temporalité :
- « pourquoi le pour-soi subit-il cette modification de son être qui le
fait devenir Passé ? » Noter la passivité du verbe employé « subir », ainsi
que la notion de « modification » ; en quoi consiste-t-elle ? C'est la première
fois que Sartre emploie ce terme. S'agit-il du passage de la présence à soi à
une néantisation ?
- « Et pourquoi un nouveau Pour-soi surgit-il ex nihilo pour devenir le
Présent de ce Passé-là ? » Noter le ex nihilo. On a l'impression ici d'une
discontinuité dans le flux de la conscience. Comment Sartre, s'il pose un
surgissement ex nihilo d'une part, un « nouveau » pour-soi à chaque fois,
d'autre part, peut-il surmonter cette contradiction (par rapport à ce qu'il a
montré dans la statique) ?
Il faut comprendre pourquoi le pour-soi devient , c'est-à-dire à la fois
pourquoi il est autre (il y a passage d'un moment à un autre) et pourquoi il
reste le même cependant. Ce que l'on cherche à savoir, ce n'est plus comment
la temporalité est possible (question des conditions de possibilité), mais
pourquoi elle est possible.
Construction en trois moments :
1 - (p. 178-181) Analyse de l'explication classique de la dynamique
temporelle comprise dans cette proposition : « le changement implique de
soi la permanence » (Leibniz, Kant). Le temps est alors identique au
changement, et ne peut se comprendre que par rapport à un permanent hors
du temps. Ce faisant, on perd la réalité du temps, comme on l'a vu dans la
statique temporelle.
a - Démonter les erreurs qu'implique cette proposition. Le changement
fonde, en ce cas, la temporalité. La temporalité est pensée à partir de la
notion de changement, celui-ci n'étant possible, à son tour, qu'à partir de la
notion de permanence - conçue comme intemporelle.
Cheminement des concepts selon cette conception : changement /
temporalité / permanence.
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Cheminement des concepts selon Sartre : temporalité du pour-soi /
changement absolu.
L'argument de Sartre pour réfuter cette conception consiste à dire
qu'elle est corrélative d'une conception de l'être humain comme en-soi. Ce
qui a pour conséquence, comme on l'a déjà vu dans l'étude statique,
l'impossibilité de comprendre le problème de la durée. Deux types
d'argumentation sont mises en place, qui correspondent chacun à un § :
- le changement ne peut se constituer qu'aux yeux d'un témoin qui est
lui-même unité de ce qui change et de ce qui demeure. Mais que signifie
« unité », ici ? Non pas un rattachement purement extérieur, mais une unité
d'être ; cela signifie que le permanent est ce qui change.
- « le recours à la permanence pour fonder le changement est d'ailleurs
parfaitement inutile » (p. 179). On peut remplacer la « pseudo-nécessité de la
permanence » par le lien au passé. Le changement est alors absolu, c'est-àdire qu'il ne reste plus rien par rapport à quoi il y ait changement. Il n'y a pas
de point fixe..
C'est là une originalité de Sartre : il veut penser la possibilité d'un
changement pur et absolu : « le problème de la durée peut et doit se poser à
propos de changements absolus ». C'est cela, pour Sartre, la durée : c'est le
changement pur et absolu, sans que rien, nécessairement, ne change.
La question de la raison du devenir se repose donc ; les philosophes
antérieurs n'y ont pas répondu.
b - Là où l'on distingue traditionnellement deux problèmes, Sartre
montre qu'il n'y en a qu'un (p. 180). Le surgissement du pour-soi ex nihilo et
la modification que subit l'être du pour-soi pour devenir passé ne sont en
effet qu'un seul et même phénomène : « le phénomène du devenir temporel
est une modification globale », et non, sans doute, partielle ou relative à une
permanence ou à un point fixe qui permettrait de mesurer ce qui change.
Pour que le changement soit absolu, il faut que tout change, il faut qu'il soit
global.
Sartre examine le passage du présent au passé, puis du futur immédiat
ou lointain au présent (p. 180-181). L'essentiel est de montrer qu'à chaque
fois, il y a modification globale du pour-soi.
c - Après avoir montré que la métamorphose est globale, il reste à
comprendre le surgissement connexe d'un nouveau présent. Ce surgissement
n'est pas abolition du passé, il signifie le passage à l'en-soi de l'ex-présent au
passé, en même temps que le nouveau présent est néantisation de cet en-soi.
Quant à ce surgissement, « il faut se garder d'y voir l'apparition d'un
être neuf. Tout se passe comme si le présent était un perpétuel trou d'être,
aussitôt comblé et perpétuellement renaissant » (p. 182).
Ainsi, le caractère dynamique de la temporalité
- « n'est pas une qualité contingente qui s'ajoute à l'être du pour-soi »
(p. 182, in fine) ;
- mais c'est « une structure essentielle du pour-soi conçu comme l'être
qui a à être son propre néant ».
Rapprocher la notion de qualité de la phrase : « Enfin, nous l'avons
assez marqué, le rapport du Présent au Passé est un rapport d'être, non de
représentation » (p. 181). On lit ensuite (bas de page 181) : « l'Être-Pour-Soi
passéifié devient une qualité de l'En-Soi. Si j'ai éprouvé telle tristesse, au
passé, ce n'est plus en tant que je me suis fait l'éprouver, cette tristesse n'a
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plus l'exacte mesure d'être que peut avoir une apparence qui se fait son
propre témoin ; elle est parce qu'elle a été, l'être lui vient quasiment comme
une nécessité externe ».
- j'ai éprouvé telle tristesse ; cela est maintenant de l'ordre du fait.
Devenir une qualité ; rapport de représentation. « Elle est parce qu'elle a été,
l'être lui vient quasiment comme une nécessité externe ». C'est du passé,
c'est donc de l'en-soi. « Ce que j'étais, je l'étais au milieu du monde, à la
manière des choses, à titre d'existant extra-mondain ».
- je me suis fait éprouver une tristesse ; cela est au présent. Il y a une
action de l'agent ; c'est comme si cela dépendait de moi de pouvoir ne pas
l'éprouver. En ce cas, cette tristesse a « l'exacte mesure d'être que peut avoir
une apparence qui se fait son propre témoin » ; ce qui est évoqué ici, c'est le
caractère de reflet-reflétant du pour-soi.
On retrouve la notion de qualité à la p. 183 : le caractère ek-statique
de l'être temporel « se retrouve au passé, non comme constitutif du pour-soi
mais comme qualité supportée par l'en-soi ». Sens de ce passage : on ne peut
réduire la temporalité à l'étude de son ordre, il faut en passer par une analyse
de son cours. Séparer la description de l'ordre de celle du cours, c'est
s'empêcher de comprendre ce qu'est la temporalité, car c'est en faire un ensoi (c'est la figer en avant-après). Et affecter le pour-soi d'un caractère ekstatique « n'y changerait rien », car cela ne permettrait pas de retrouver une
dynamique à la temporalité, mais seulement de transformer le passé en une
qualité, ce qui semble signifier, pour Sartre, quelque chose d'extérieur au
pour-soi, qu'il « supporte » comme une substance supporte des attributs. Or,
le pour-soi n'est pas une substance - au sens de Descartes -, sans quoi il serait
réifié, et il n'entretient pas, avec la temporalité, une relation externe. Noter
qu'on retrouve ces notions de support et d'attributs, ainsi que la notion de
qualité, dans la partie sur la réflexion.
2 - p. 183. Montrer qu'il n'y a pas de problème, en fait, si l'on part
d'une conception correcte du pour-soi. Les difficultés rencontrées auparavant
sont de faux-problèmes, qui n'ont surgi que parce qu'on a d'abord figé le
pour-soi en en-soi. Le changement, en effet, « appartient naturellement au
pour-soi en tant que ce pour-soi est spontanéité » (p. 183).
Une fois de plus, tout est dans la méthode : il s'agit de partir des
bonnes prémisses ; alors ce n'est plus le changement qu'il convient
d'expliquer, c'est la permanence « si elle pouvait exister ».
Il y a deux façons de tomber dans l'instantanéisme - et ainsi de ne pas
saisir le véritable caractère de la temporalité :
- quand on fait de l'instant une réalité en-soi bornée par un néant
d'avenir et un néant de passé ; cela a été vu p. 156, au début de l'étude
phénoménologique sur le présent. En ce cas, d'un en-soi, rien ne peut sortir ;
ce qu'on ne comprend pas, c'est le cours du temps, son caractère dynamique.
C'est ce que dit Sartre plus haut : « une temporalité réduite à son ordre
deviendrait aussitôt temporalité en-soi ».
- quand on admet implicitement une succession de totalités
temporelles dont chacune serait centrée autour d'un instant. À nouveau, la
succession concerne l'ordre, non son cours, son devenir.
Il ne suffit pas de doter l'instant de dimensions ek-statiques, il faut
aussi faire en sorte de le supprimer. Car ce qu'on risque, c'est d'en faire une
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totalité donnée, en-soi, figée, dont on ne saura pas comment sortir. On fera
alors « supporter la totalité temporelle par l'intemporel ». Cet intemporel est
compris comme ce qui est ; or, nous avons montré que la temporalité n'est
pas - et en particulier, le présent.
3 - p. 183 -184. Résolution des questions : il n'y a pas de problème,
car le pour-soi est par essence temporel. C'est si on a une fausse conception
de la nature véritable du pour-soi que l'on s'empêche de comprendre le
caractère de la temporalité.
Il y a deux § dans cette partie : l'un résout la question en des termes
pédagogiques (p. 184 : »…plus familier à nos lecteurs »), l'autre, dit la même
chose, mais dans le langage sartrien.
- 1er §. Spontanéité, cela signifie : « elle serait fondement non
seulement de son néant d'être mais aussi de son être » (p. 183). Ce qui la
caractérise est qu'elle fait tout pour refuser ce qu'elle pose - ce que Sartre
nomme aussi : de l'acquis. Ce faisant, il y a un ordre qui est ainsi défini :
« position-refus » (c'est un sens, une direction irréversible). Cet ordre est
irréversible compte-tenu de la nature même de la spontanéité : « c'est
précisément son caractère de spontanéité qui constitue l'irréversibilité de ses
évasions » (ou de l'immuabilité de l'ordre « position-refus »).
Remarque :
- on retrouve le rapport annoncé à la p. 165, entre la statique et la
dynamique : c'est bien la dynamique qui donne l'explication de ce qui a été
dit dans la statique (« le secret de la constitution statique du temps »), et qui
en constitue ainsi le fondement.
- Sartre formule des objections : « on dira que ces notions de
prolongement et d'acquis supposent déjà la temporalité et cela est vrai. Mais
c'est que la spontanéité constitue elle-même l'acquis par le refus et le refus
par l'acquis, car elle ne peut être sans se temporaliser. […] En vain objecterat-on que nous ne pouvons rien penser sinon sous la forme temporelle et que
notre exposé contient une pétition de principe, puisque nous temporalisons
l'être pour en faire, peu après, sortir le temps … »
Pourquoi toutes ces objections seront-elles vaines ? Sans doute parce
que ce qui intéresse Sartre est une description précise et exacte. Il se trouve
que nous avons l'impression de tourner en rond et de redire toujours la même
chose ; mais cela tient à la constitution ou à la structure même de la
conscience. Sartre n'a pas d'abord temporalisé l'être pour en faire ensuite
sortir le temps (image du magicien qui avait mis dans son chapeau ce qu'il
compte en faire sortir après), mais il se trouve que conscience et temporalité
ne font qu'un, et qu'il n'y a pas de priorité ontologique de l'un sur l'autre ; il
n'y a pas de dépendance logique ou de relation causale entre les deux, mais
une relation interne (c'est la nature même de la conscience de fonctionner en
cercle.)
- 2ème § : les termes propres à Sartre sont ici : « reflet-reflétant »,
contingence, problème du fondement, fuite. Noter « Ce qui vaut pour le
pour-soi comme présence à … convient naturellement aussi à la totalité de la
temporalisation » (p. 184-185).
Conclusion : « Il n'y a jamais d'instant où l'on puisse affirmer que le
pour-soi est, parce que, précisément, le pour-soi n'est jamais. Et la
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temporalité, au contraire, se temporalise tout entière comme refus de
l'instant » (p. 185)
- Rappel de la structure néantisante du pour-soi ;
- Rappel des critiques à l'encontre de la notion d'instant, qui ne
contribue qu'à choséifier (à transformer en en-soi) le pour-soi ;
- rapport de la temporalité avec le pour-soi (intra-structure et refus de
l'instant).
Remarquer le souci permanent de ne pas transformer le pour-soi en
en-soi. Il s'agit pour Sartre de déjouer et de dénouer tous les pièges dans
lesquels sont tombés ses prédécesseurs, à qui il reproche principalement ce
fait. Il semble donc bien que ce qui est fondamentalement déterminant pour
toute cette étude sur la temporalité, c’est la structure du pour-soi. Ce qu'on
dit sur la temporalité n'est ensuite qu'une conséquence (on ne fait que tirer le
fils de la pelote ; mais en même temps, s'il y a déduction, au sens logique du
terme, ce qu'on tire est aussi une déduction au sens juridique - justification).
Ce que cherche à établir surtout ce passage, cette dynamique, c'est que
toute philosophie qui enferme la conscience dans l'instant ne peut penser
correctement la temporalité. Car alors, on se demande toujours comment on
peut sortir de l'instant, comment il peut y avoir du changement (le problème
du changement et de la permanence n'est en fait qu'une variante de cet aspect
de l'instantanéisme). Il est très facile, d'une manière ou d'une autre, et
surtout, sans s'en apercevoir, de retomber dans l'instantanéisme (p. 183)
Temporalité originelle et temporalité psychique : la réflexion.
Construction en trois grands moments.
Objet de cette partie : tout ce qui a été décrit jusque-là concerne le
cogito préréflexif, c'est-à-dire que la durée décrite n'était pas, de la part de la
conscience, une conscience de durée (le sentiment de l'écoulement du
temps) ; la durée n'était pas objet pour la conscience.
Aux p. 175-176, nous avons distingué, à propos du passé, trois
modes de la conscience : la conscience perceptive, la conscience non
thétique de durée et la conscience connaissante (qui a pour objet de connaître
son passé).
La durée décrite en premier lieu est « sous forme de conscience
non-thétique (de) durer » ; on l'appellera temporalité originelle. Il s'agit
maintenant de décrire et d'examiner la conscience thétique de durer. La
première remarque de Sartre est qu'elle ressemble fort à une connaissance ce qu'il a déjà souligné p. 175. Il faudra donc distinguer trois types de
conscience :
- une conscience non-thétique (de) durer : c'est la temporalité
originelle.
- une conscience thétique de durer ; c'est comme une durée qui se
temporalise sous mon regard (« sous mon regard » indiquant l'extériorité que
j'entretiens entre moi et la durée) : temporalité psychique.
- une connaissance de la durée : la durée devient alors objet de
connaissance (et à ce titre, elle m'est également extérieure).
Cette connaissance de la durée est différente de la conscience thétique
de durer. Cette dernière forme ayant été décrite aux pp 175-176 et distinguée
de la conscience non thétique de durer, on peut penser que la différence est
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claire pour Sartre - c'est pourquoi il n'y revient pas, et l'abandonne de suite.
Il n'aura fait que la rappeler.
On se concentrera donc principalement, pour cette étude, sur le
rapport entre temporalité originelle <tempo> et temporalité psychique
<tempp>.
Mais ce premier problème se redouble d'un second : « la conscience
de durée <tempp> est conscience d'une conscience qui dure » (cette
conscience s'appelle la réflexion). La question sera de savoir « comment une
durée psychique peut se constituer comme objet immanent de réflexion ».
Cette question concerne la nature et les droits de la réflexion. La réflexion
apparaît en effet comme le plus originaire - ce qui conditionne la tempp. (La
question sera reprise p. 195.)
Mais avant, dit Sartre, une question préalable se pose : « comment la
réflexion est-elle possible pour un être qui ne peut être qu'au passé ? »
Pourquoi cette question se pose-t-elle ? Il faut insister sur le « être ». C'est
seulement au passé que le pour-soi peut être ; sinon, il n'est pas (ou du
moins, il entre du néant dans sa constitution). Or la réflexion - le retour sur
soi pour prendre conscience de soi - prétend tout saisir (passé, mais aussi
présent et avenir). Mais peut-on saisir un néant d'être ? Aussi, il semble que
la seule certitude que puisse avoir la réflexion, c’est quand elle aura pour
objet de réflexion le passé. Mais nous avons déjà montré la valeur du passé,
qui ne définit en rien le pour-soi - c'est de « l'être dépassé ».
Autre version : la temporalité, ou le fait que le Pour-soi se
temporalise, pourrait être un échec pour la réflexion ; comment saisir et figer
(ce qui est le fantasme ontologique du pour-soi) la totalité de mon être, alors
que celui-ci n'est qu'au passé ? Le fantasme ne peut qu'échouer, on ne peut
jamais saisir que ce qu'on a été. Cela sera vrai pour la réflexion impure, mais
cela sera un peu différent pour la réflexion pure, qui verra étendre ses droits
à la totalité de la temporalité.
- Doit-on vraiment regarder la réflexion « comme un type d'intuition
privilégié » (p. 185 in fine), tels Descartes et Husserl ? Cette question porte
sur la valeur de la réflexion, comme outil de savoir (?).
- Est-il exact de dire qu'elle « saisit la conscience dans un acte
d'immanence présente et instantanée » ? Cette question porte sur la nature de
la réflexion, sur ce qu'elle est capable de faire.
- « Gardera-t-elle sa certitude si l'être dont elle a à connaître est passé
par rapport à elle ? » Cette question porte sur la validité de la réflexion.
- « Et comme toute notre ontologie a son fondement dans une
expérience réflexive, ne risque-t-elle pas de perdre tous ses droits ? » Cette
question est ambiguë, car on peut douter que ce soit la réflexion qui perde
tous ses droits : lesquels ? Où ont-ils été définis ? La forme grammaticale
incite à dire que c'est l'ontologie qui perd tous ses droits. Mais une fois
encore, droits à quoi ou de quoi ?
Est-ce que ce qui est en question, ici, ce n'est pas la validité de tout ce
qui a été précédemment écrit ? Aussi cette partie aurait-elle une importance
primordiale, décisive, puisqu'elle ne serait rien de moins que la légitimation
de toute l'entreprise de Sartre (de toute l'œuvre). Ce qu'il faut noter, c'est
alors la place centrale de la réflexion sur la temporalité dans l'œuvre :
centrale par la position dans l'ordre de fondation des idées, et dans l'ordre de
l'exposition : s'il s'avérait que la réflexion ne peut avoir pour objet que le
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passé, alors tout le début de l'œuvre est déjà « dépassé » (?).
1) Structure de la réflexion
1 -p. 185 - 186. Déterminer la structure du phénomène réflexif.
a - critique de la conception selon laquelle conscience réflexive et
conscience réfléchie sont deux entités distinctes. Car alors, c'est une relation
externe qui les unit, et encore, cette unité est inconcevable. « Il convient
donc que la réflexion soit unie par un lien d'être au réfléchi, que la
conscience réflexive soit la conscience réfléchie » (p. 186, in fine).
Quelle différence y a-t-il entre conscience réfléchie et conscience
réflexive ?
- conscience réflexive : c'est celle qui fait l'action même de réfléchir,
le mouvement de retour sur l'objet de la réflexion. C'est le mouvement de
visée.
- conscience réfléchie : c'est celle qui est réfléchie (passivité), celle qui
est l'objet de la réflexion. C'est la vision, le "vu".
Difficulté à propos de la phrase : « outre qu'il est difficile d'expliquer
le surgissement ex nihilo de la conscience réflexive … ». Pourquoi cela estil difficile, quand nous avons vu, p. 179 in fine, « la nécessité pour l'être,
quel qu'il soit, de se métamorphoser tout entier à la fois, forme et contenu, de
s'abîmer dans le passé et de se produire, à la fois, ex nihilo , vers le futur » ?
Il faut sans doute ne pas confondre le surgissement du pour-soi avec le
surgissement de la conscience, quelle qu'elle soit. Nous avons vu, p. 174-5, à
propos de la naissance, qu'on ne pouvait jamais dire quand la conscience
apparaissait, cela parce qu'une conscience sans passé n'a pas de sens. Si la
conscience surgissait ex nihilo, cela voudrait dire qu'elle est sans passé ; cela
signifierait la possibilité d'une conscience qui ne serait pas néantisation de
l'En-Soi : « … la conscience ne peut s'apparaître à soi-même que comme
néantisation d'en-soi, c'est-à-dire comme étant déjà née ».
b - critique de la conception selon laquelle les deux consciences
seraient identiques, car cela supprimerait le phénomène de réflexion :
« Aussi faut-il à la fois que le réflexif soit et ne soit pas réfléchi » (p. 187,
début).
Mais ce couple ne se confond pas pour autant, ni ne ressemble au
couple reflet-reflétant. Étude de la différence :
- reflet-reflétant : dépendance radicale des deux termes l'un par
rapport à l'autre ; c'est-à-dire que chaque terme, en se posant pour l'autre,
devient l'autre.
- réfléchi - réflexif : « le réfléchi est apparence pour le réflexif sans
cesser pour cela d'être témoin (de) soi et le réflexif est témoin du réfléchi
sans cesser pour cela d'être à soi-même apparence ». Les deux tendent donc
chacun à l'indépendance « et le rien qui les sépare les divise plus
profondément que le néant du pour-soi ne sépare le reflet du reflétant » (p.
187).
Conclusion : la réflexion est une modification intra-structurale que le
pour-soi réalise en soi ; « c'est le pour-soi lui-même qui se fait exister sur le
mode réflexif-réfléchi au lieu d'être simplement sur le mode reflet-reflétant,
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à titre de structure interne primaire » (p. 188, milieu). Ainsi la réflexion est
un être, non une addition d'être ni une nouvelle conscience.
2 - p. 188 - 190. Nous venons de voir que « le phénomène de réflexion
est une néantisation du pour-soi qui ne lui vient pas du dehors, mais qu'il a à
être. D'où peut venir cette néantisation plus poussée ? Quelle peut en être la
motivation ? »
- « La réflexion demeure une possibilité permanente du pour-soi
comme tentative de reprise d'être. Par la réflexion, le pour-soi qui se perd
hors de lui tente de s'intérioriser dans son être, c'est un deuxième effort pour
se fonder ».
Le premier effort pour se fonder : « le surgissement du pour-soi
entérine l'échec de l'en-soi qui n'a pu être son propre fondement ». Sartre
semble attribuer une intention de fondement à l'en-soi ; en aucun cas
cependant il ne peut s'agir d'un en-soi sous forme de chose. Notion
équivoque. Le pour-soi seul peut être fondement de son être - ou plutôt, de
son néant ?
La réflexion est la tentative de se saisir comme totalité achevée,
comme un donné ; mais cela est par définition - du fait de la structure du
pour-soi - impossible.
- C'est pourquoi on aboutit à un échec, « et c'est précisément cet échec
qui est la réflexion ». Car ce que découvre la réflexion, c'est que l'être qu'elle
tente de saisir est un pour-soi. « L'être qui veut se fonder dans l'être n'est luimême fondement que de son propre néant. (…) Et en même temps, le
retournement de l'être sur soi ne peut que faire apparaître une distance entre
ce qui se retourne et ce sur quoi il y a retournement ».
Condition de possibilité de la réflexion (p. 189, in fine) : « il suffit que
le pour-soi reflétant se pose pour lui comme témoin du reflet et que le poursoi reflet se pose pour lui comme reflet de ce reflétant. Ainsi, la réflexion
comme effort de récupération d'un pour-soi par un pour-soi qu'il est sur le
mode du n'être pas est un stade de néantisation intermédiaire entre
l'existence du pour-soi pur et simple et l'existence pour autrui comme acte
de récupération d'un pour-soi par un pour-soi qu'il n'est pas sur le mode du
n'être-pas ».
On distinguera donc plusieurs stades de néantisation :
- celle du pour-soi pur et simple ;
- celle de la réflexion ;
- celle d'un autre vis-à-vis de moi.
Réponses aux deux questions préliminaires :
- « D'où peut venir cette néantisation plus poussée ? » Cette
néantisation est plus poussée en ce qu'elle n'est plus celle du « pour-soi pur
et simple » ; ce n'est plus celle du reflet-reflétant, et la distance découverte
divise le réfléchi et le réflexif « plus profondément que le néant du pour-soi
ne sépare le reflet du reflétant » (p. 187). Elle provient de la motivation
expliquée ci-dessous.
- "Quelle peut en être la motivation ?" C'est le projet de récupération
de soi (« intériorisation et objectivation » - p. 189, fin §1), ou encore de
fondement - reprise de soi par soi, comme une totalité achevée - ce qui
s'avère être un échec, puisqu'on ne peut saisir que ce qu'il y a à saisir, c'est-à-
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dire une totalité inachevée, un pour-soi.
2) Objet de la réflexion et distinction entre deux types de réflexion
1 - p. 190 - 203 : Montrer que la réflexion ainsi décrite ne peut être
limitée dans ses droits et dans sa portée par le fait que le pour-soi se
temporalise. Cette partie répond à la question soulevée p. 185 (introd.) :
« comment la réflexion est-elle possible pour un être qui ne peut être qu'au
passé ? »
Il s'agit de saisir le phénomène de réflexion dans ses rapports avec la
temporalité. En quoi ceci est-il important et en quoi cette analyse s'impose-telle ? C'est parce que nous avons pu craindre, dans un premier temps (p.
186), que la réflexion ne puisse avoir pour objet que l'être passé. Si tel était
le cas, alors elle s'avèrerait peu utile et peu fiable. Ce qu'il faut voir
maintenant, c'est si elle peut saisir les deux autres dimensions temporelles, et
comment. Comme ces trois dimensions définissent le pour-soi, on comprend
que l'analyse sur la réflexion doive nécessairement en passer par ses rapports
avec la temporalité.
Il s'agit en vérité de montrer la pertinence ou la légitimité de toute
l'œuvre, puisque celle-ci est le fait de la réflexion (c'est par la réflexion que
l'on a saisi la structure du pour-soi). On voit donc l'importance théorique et
stratégique de cette partie sur la réflexion : elle est ce qui fonde tout ce qui
précède, et ce qui permettra à l'analyse de se poursuivre. Il faut donc montrer
que la réflexion n'a pas une étendue limitée au passé, mais qu'elle est capable
de saisir la totalité inachevée que constitue le pour-soi. D'une certaine
manière, le fait que nous soyons arrivés jusque-là prouve la réalité des
possibilités de la réflexion. C'est une preuve par le fait, mais qu'il convient
maintenant de soutenir par la théorie, en droit.
Sartre distingue deux types de réflexion : une (a), pure, et une autre
(b), impure.
a - p. 190 - 195 : la réflexion pure : « simple présence du pour-soi
réflexif au pour-soi réfléchi » ; « est à la fois forme originelle de la réflexion
et sa forme idéale » ; « n'est jamais donnée d'abord » ; « doit être gagnée par
une sorte de catharsis » ; est la structure originelle de la réflexion impure (p.
195). « Quels sont les titres et les droits de la réflexion pure à l'évidence ? »
- Rappel de (1) : « le réflexif est le réfléchi en toute immanence,
quoique sous la forme du "ne-pas-être-en-soi" ». En ce sens, le réfléchi est
quasi-objet pour le réflexif.
- Mais si le réflexif est le réfléchi, il ne peut l'être tout à fait, et en ce
sens, il ne peut adopter un point de vue complètement extérieur au réfléchi,
tel que cela est possible dans l'acte de connaissance. Ainsi, la réflexion n'est
pas une connaissance, car elle ne livre pas le réfléchi comme un donné.
1ère conclusion : « La réflexion est reconnaissance plutôt que
connaissance. Elle implique une compréhension pré-réflexive de ce qu'elle
veut récupérer comme motivation originelle de la récupération » (p. 191). La
réflexion ne nous apprend rien, elle ne nous surprend pas dans ce qu'elle met
au jour.
- p. 191. Il s'agit maintenant de comprendre le rapport de la réflexion
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avec la temporalité. Le réfléchi est son passé et son avenir. Or, si le réflexif
est le réfléchi (quoique d'une manière non identique ou identitaire), alors la
réflexion ne se borne pas à saisir le passé seulement, mais elle peut étendre
ses prétentions et son champ d'analyse, sa légitimité, aux trois dimensions
temporelles.
Il faut montrer que le réfléchi est son passé et son avenir. Sartre
montre cela : « la pensée est un acte qui engage le passé et se fait
préesquisser par l'avenir ». L'illustration prise par Sartre est le « je doute
donc je suis ». Le fait de douter implique un lien avec le passé et un projet
vers l'avenir.
- « la réflexion est un phénomène diasporique » (bas p. 192).
- Ne pas confondre le plan de la réflexion avec celui de la mémoire
(haut p. 192-3). La différence consiste en le fait de thématiser ou pas le passé
(la mémoire thématise, pas la réflexion.)
2ème conclusion : « Ainsi la réflexion est conscience des trois
dimensions ek-statiques. Elle est conscience non thétique (d') écoulement et
conscience thétique de durée » (p. 193 en haut). Nous avons affaire ici aux
deux types de temporalité, originelle et psychique. p. 185 : « tous les
processus de durée psychique appartiennent à la conscience réfléchie ».
« La réflexion pure ne découvre encore la temporalité que dans sa
non- substantialité originelle, dans son refus d'être en-soi … » (p. 193) ; « la
réflexion saisit donc la temporalité en tant qu'elle se dévoile comme le mode
d'être unique et incomparable d'une ipséité, c'est-à-dire comme historicité ».
- Cette historicité est la durée originelle, non la durée psychique (ou
psychologique). De la p. 193 à la p. 195, c'est la différence et le rapport
qu'entretiennent ensemble la tempo. et la tempp. que détermine Sartre.
Explication littérale des termes :
- (tempp.) les unités d'écoulement (ex. : humiliation, tristesse, joie)
servant à dater l'avant et l'après.
- (tempo.) ou historicité. N'est rien d'autre qu'elle-même.
- tempp./ tempo. : la tempp. est à la tempo. ce que des dessins ou des
motifs sont à une tapisserie. Les faits psychiques viennent s'imprimer sur le
tissu de ma temporalisation (tempo.) comme un sceau.
Conséquences : d'une part, les faits psychiques nous paraissent
entretenir entre eux des relations externes ; ne sont qu'une pure succession de
faits extérieurs les uns aux autres, sans rapport interne. D'autre part, ces faits
semblent également extérieurs à mon être. Je suis comme leur support, et
eux seraient mes attributs. On dit en ce sens que j'ai ou que j'ai eu de la joie,
ce qui indique un rapport de possession extérieure.
C'est ce rapport entre moi (?) et les faits psychiques qu'il faut
éclaircir : suis-je dans le même rapport avec eux que je le suis avec mon
passé ? La question peut à bon droit être posée, car je dis également que j'ai
un passé ; on a cependant montré que cela signifiait plutôt une manière de
l'être, et nullement un rapport de possession externe (mais relation interne).
Ce qui est en jeu, dans les deux cas, c'est mon unité d'être. Suis-je ou ne suisje pas ma joie, comme je suis mon passé ? « … il n'est pas concevable que le
pour-soi irréfléchi qui s'historialise dans son surgissement soit lui-même ces
qualités, ces états et ces actes. Son unité d'être s'effondrerait en multiplicité
d'existants extérieurs les uns aux autres, le problème ontologique de la durée
réapparaîtrait… » (p. 194). Car, selon les explications de Sartre, il semble
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que être ma joie, ce serait aussi être ma tristesse, ce qui aboutirait à « exiger
de ma joie qu'elle fût la tristesse qui l'a précédée… » ; cela annihilerait la
relativité entre les faits de conscience, ou encore, cela ferait disparaître entre
eux la relation d'ordre « avant-après ».
Il semble que ce que Sartre appelle le problème ontologique de la
durée, ce soit celui de son fondement ontologique. Le fondement
ontologique de la durée, c'est son ancrage, en tant qu'intrastructure, dans le
pour-soi. C'est dire que la temporalité est un mode d'être du pour-soi. Tant
que nous n'avions pas montré cela, rien ne prouvait que le pour-soi n'était
pas dispersé sans unité entre les trois dimensions temporelles. Assurer un
fondement ontologique à la temporalité, ce n'est pas tant un gain pour la
temporalité elle-même - pour la compréhension de ce qu'elle est pour ellemême - que pour la compréhension du pour-soi.
Or, dit Sartre, si je dis que je suis ma joie, alors je m'empêche de
distinguer les différents états de conscience, et je perds l'unité d'être montrée
auparavant. Pourquoi ?
- d'abord, on peut dire qu'il y a une différence d'être entre la joie et le
passé : ne pas confondre une dimension ek-statique (une ek-stase) avec une
qualité. Il se pourrait que cette différence soit également celle qu'il peut y
avoir entre l'être et la représentation. À vérifier.
- ensuite, c'est ôter tout fondement ontologique à la temporalité ; c'est
l'expliquer par son ordre seulement, sans ramener celui-ci à une dynamique
(à son cours). Or, ce qui fonde l'ordre, ce dans quoi cet ordre prend son sens,
c'est son cours. On en revient alors à la critique que fait Sartre à la p. 182.
Par ailleurs, ce serait contribuer à diviser ou à rompre la continuité du poursoi.
- ainsi, la joie, la tristesse, et ce qu'on appelle généralement des
qualités ne doivent pas être comprises comme « des êtres dans son être » - p.
194 - (des entités sans rapport avec l'être du pour-soi, ce qui ferait de la joie
et de celui qui l'éprouve deux entités séparées, ou, comme dit Sartre, des
« contenus » ou « faits » de conscience), mais comme des « colorations
internes non positionnelles qui ne sont autres que lui-même, en tant qu'il est
pour-soi » ; ces colorations ne peuvent en ce sens être « appréhendées en
dehors de lui » (p. 194).
« Nous voici donc en présence de deux temporalités : la temporalité
originelle, dont nous sommes la temporalisation, et la temporalité psychique
qui apparaît à la fois comme incompatible avec le mode d'être de notre être
et comme une réalité intersubjective … » (p. 194). Ce § résume ce en quoi
consiste chaque temporalité, et les rapports entre les deux, avant de
reprendre la question au début du chapitre : « comment une durée psychique
peut se constituer comme objet immanent de réflexion ? ».
- tempo. : ne constitue rien d'autre qu'elle-même ; nous sommes la
temporalisation de la tempo.
- tempp. : apparaît « comme incompatible avec le mode d'être de notre
être », « comme une réalité intersubjective, objet de science, but des actions
humaines » (c'est la seule temporalité qui soit étudiée par les psychologues,
c'est la seule à laquelle tout un chacun se réfère pour se repérer dans le
temps, et nous avons pour but, dans nos rapports avec les autres, de susciter,
en nous et/ou en eux, ce genre d'émotions) ; « est incapable de se constituer,
car elle n'est qu'un ordre successif de faits » ; se dévoile à la réflexion, qui
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doit la constituer.
Et cependant, on a dit que la réflexion est pure et simple découverte de
l'historicité qu'elle est (« La réflexion saisit donc la temporalité en tant
qu'elle se dévoile comme (…) historicité. »). Comment peut-elle alors
constituer la tempp. ? Il faudrait que la réflexion joue sur deux plans
différents, puisse avoir deux types d'objets différents.
Difficulté : qu'est-ce qui empêche, a priori, que la réflexion ait deux
objets différents ?
C'est pourquoi Sartre en vient à distinguer deux types de réflexion,
pure et impure ou constituante.
b - p. 195 à 202 : la réflexion impure. Elle « enveloppe la réflexion
pure » ; « paraît sur le fondement de la réflexion pure » ; mais « la dépasse
parce qu'elle étend ses prétentions plus loin » ; est constitution et
dévoilement de la tempp.
Remarque de méthode et rappel du chemin suivi jusqu'ici : la
question initiale est de savoir « comment une durée psychique peut se
constituer comme objet immanent de réflexion ». Il a donc d'abord fallu
s'interroger sur la réflexion :
- A-t-elle un objet privilégié (le passé, par exemple) ? (question posée
p. 185 ;
- Quelle est sa structure ? (cf. 1 - p. 185 - 188 : c'est celle du rapport
entre le réfléchi et le réflexif, couple dont la structure ne se confond pas avec
celle du reflet-reflétant)
- Quelle est sa nature ? (p. 188 : c'est une modification intrastructurale que le pour-soi réalise en-soi.)
- Quelle est sa motivation ? (pourquoi le pour-soi se fait-il exister sur
le mode de la réflexion ?) (cf. 2 - p. 188 - 190 : le pour-soi tente de se fonder
- reprise de soi par la réflexion, ce qui est un échec, car ce que découvre la
réflexion, c'est que l'être qu'elle tente de fonder est un pour-soi ;
- Quelles sont ses conditions de possibilité ? (p. 190)
- cf. 3 : Compte-tenu de la structure et de la motivation de la réflexion,
nous pouvons conclure qu'elle ne se limite pas au passé, mais s'étend et est
capable de recouvrir les trois dimensions temporelles ; elle recouvre la
totalité du pour-soi. Il s'agit donc maintenant d'étudier les rapports de la
réflexion avec la temporalité en général.
Or il se trouve que la première chose que nous saisissons, par la
réflexion, c'est ce qu'il y a de plus concret : nos états de conscience, telles la
joie, la tristesse ou l'humiliation. Ceux-ci forment un ordre successif de faits.
On prend ordinairement ces faits pour des contenus de conscience. Le
propos de Sartre est de montrer que si tel était le cas, nous retomberions dans
les problèmes ontologiques dénoncés auparavant, en ce qui concerne
l'absence d'un fondement ontologique de la durée (et la discontinuité qui
s'ensuivrait pour le flux temporel de la conscience). Ainsi, les états de
conscience ne sont pas des contenus de conscience, mais des « colorations
internes non positionnelles ». Ceci dit, la réflexion qui est alors à l'œuvre
dans cette saisie est dite impure par Sartre, en tant qu'elle ne saisit que ce qui
paraît, non ce qui est le plus originel - ce qui conditionne et rend possible
toute autre réflexion. La temporalité qu'elle saisit est appelée, elle,
temporalité psychique, en référence aux objets saisis (les faits psychiques).
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Notons que l'analyse de la réflexion impure ne vient qu'en dernier lieu,
après l'analyse de la réflexion pure, qui elle, révèle la temporalité originelle
en ce qu'elle nous livre le réfléchi. On pourrait donc distinguer l'ordre
d'exposition choisi par Sartre (du plus originel vers le plus apparent) de
l'ordre de découverte (du plus concret et apparent à ce qui le conditionne et
le permet).
Le rapport entre les deux types de temporalité met en avant le
caractère d'auto-constitution de la tempo., contrairement à la tempp. ; celleci, en effet, est dite incapable de se constituer. Il s'agit donc de décrire « la
réflexion impure en tant qu'elle est constitution et dévoilement de la
temporalité psychique ». Ce qui intéresse désormais Sartre, dans les p. 199 à
207, c'est la structure et le mode de dévoilement de la tempp. et, de manière
concomitante, la structure de ce qui permet de dévoiler la tempp., à savoir la
réflexion impure.
Remarquer que ce qui intéresse toute cette partie, c'est plutôt la
réflexion impure et, partant, la temporalité psychique, que la temporalité
originelle. Sartre écarte délibérément la description de la motivation et de la
structure de la catharsis qui permettrait d'atteindre la réflexion pure. Par
ailleurs, on peut penser que la mise en pratique de la réflexion pure a déjà
permis de révéler la temporalité originelle, qui doit faire l'objet de toute la
description des deux premières parties (phénoménologie et ontologie). C'est
en effet la structure originelle qui a été décrite jusque là. La temporalité
psychique vient parachever le travail accompli auparavant, en ce qu'elle
s'occupe de ce qui apparaît à la conscience en premier lieu - et peut-être
aussi, ce qui l'intéresse le plus, à savoir les états de conscience, ce qu'elle
paraît contenir. On retrouve les problèmes antérieurs, de rapport entre l'ordre
et le cours (la statique et la dynamique).
[Essai d'esquisse d'une structure du plan d'ensemble :
- phénoménologie : on part de ce qui nous apparaît, mais en ce qui
concerne la temporalité en ses trois ek-stases (on est à la surface, mais, en
quelque sorte, c'est une surface sans contenu).
- ontologie : on met en avant la nécessité que la temporalité soit une
intrastructure du pour-soi, et l'impossibilité de séparer les deux. L'être de la
temporalité se confond ainsi avec l'être du pour-soi. On est dans les
profondeurs des structures de l'être.
- réflexion : on montre comment les deux premières analyses ont été
possibles ; ce faisant, on les fonde en droit (puisqu'elles témoignent par le
fait des possibilités de la réflexion). On fait ainsi apparaître que la
temporalité décrite jusque là est la temporalité originelle, mais qu'il en existe
une autre : la temporalité psychique. C'est alors qu'il faut distinguer deux
types de réflexion, ce qui permet de montrer les rapports entre deux types
d'être du pour-soi : un plan d'immanence (la temporalité originelle, la
translucidité du cogito à lui-même) et un plan de saisi de soi (réflexion
impure qui aboutit nécessairement à un échec). Il s'avère, à la p. 195, qu'on
peut voir que la réflexion dont il a été question des p. 185 à 189 (mais aussi
dans la majorité des pp. 189 à 194, qui prétendent pourtant analyser la
réflexion pure) était plutôt la réflexion impure. C'est sa description qui
domine dans cette partie. Il s'agit de savoir pourquoi.
On en revient à ce qui apparaît en premier lieu, et le plus aisément :
les états de conscience. On pourrait croire, en ce sens, qu'on en revient à une
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phénoménologie. En quoi n'est-ce pas un retour en arrière ? Parce qu'on est
dans l'analyse de l'outil (la réflexion) qui a permis les deux parties
précédentes.
Selon Varet (L’ontologie de Sartre, p. 126 - 129), l'ontologie est le fait
de la réflexion impure ; on aboutit donc logiquement à l'échec de l'ontologie,
comme de toute ontologie en général, car elle prétend toujours saisir l'en-soi
et, surtout, connaître l'être].
Reprise de l'analyse de la réflexion impure
Il s'agit donc de décrire « la réflexion impure en tant qu'elle est
constitution et dévoilement de la temporalité psychique ». Ce qui intéresse
désormais Sartre, dans les p. 195 à 202, c'est la structure et le mode de
dévoilement de la temporalité psychique et, de manière concomitante, la
structure de ce qui permet de la dévoiler, à savoir la réflexion impure.
b.1 - pp. 195 à 197.
- « La réflexion est un type d'être où le pour-soi est pour être à luimême ce qu'il est. (…) La signification de la réflexion est donc son êtrepour ».
- Ce que découvre la réflexion pure, c'est que partout, et de quelque
manière qu'il s'affecte, le pour-soi est condamné à être-pour-soi.
- Ce que cherche à saisir la réflexion impure, c'est le réfléchi comme
en-soi (p. 195 : « sa motivation est en elle-même dans un double mouvement
d'intériorisation et d'objectivation » - cf. p. 188 également).
- « La réflexion impure est un effort avorté du pour-soi pour être
autrui en restant soi " (p. 196, in fine).
- « Le fait psychique (Cf. p. 193) est l'ombre du réfléchi en tant que le
réflexif a à l'être ek-statiquement sur le mode du n'être pas » (Id.). Ainsi, la
réflexion est impure lorsqu'elle se donne comme « intuition du pour-soi en
en-soi » (p. 196-197)
- « L'unité de ces êtres virtuels se nomme la vie psychique ou psychè,
en-soi virtuel et transcendant qui sous-tend la temporalisation du pour-soi ».
Il peut y avoir connaissance réflexive de la psychè, mais on parlera
seulement d'une quasi-connaissance en ce qui concerne l'activité de la
réflexion pure.
Des p. 195 à 197, on vient de décrire la structure de la réflexion
impure (double mouvement d'intériorisation et d'objectivation), puis, p. 197,
de préciser à nouveau la différence entre les deux types de réflexion.
b.2 - pp. 197 à 201
Il s'agit maintenant de décrire la psychè, ce qui se fera en quatre
points :
1°) p. 197 et 198 : définition de la notion de psychè, ainsi que de celles
d'Ego, de qualité, d'habitude, d'état et d'acte.
- psychè = Ego, ses états, ses qualités et ses actes.
- L'Ego « représente notre personne, en tant qu'unité psychique
transcendante ». Noter qu'il y a bien une unité au niveau de la strate
psychique, mais que cette unité est transcendante, en tant qu'elle peut être
objet de connaissance - pour une réflexion impure.
- les qualités de l'Ego représentent l'ensemble des virtualités, latences,
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puissances qui constituent notre caractère et nos habitudes (simple
disposition latente, à se mettre en colère par exemple). Ex. de qualités qui
constituent notre caractère : être coléreux, travailleur, jaloux, ambitieux,
sensuel, etc. Ex. de qualités qui constituent nos habitudes (car elles ont notre
histoire pour origine) : être vieilli, las, aigri, diminué, en progrès … C'est
une disposition d'esprit innée ou acquise qui contribue à qualifier ma
personne.
- Les états se donnent, en opposition avec les qualités qui existent en
puissance, comme existant en acte. Ex. : la haine, l'amour, la jalousie, une
maladie … C'est quelque chose qui m'arrive ; en ce sens, c'est beaucoup plus
accidentel et contingent que la qualité (qui qualifie ma personne).
- Les actes constituent « toute activité synthétique de la personne,
c'est-à-dire toute disposition de moyens en vue de fins, non en tant que le
pour-soi est ses propres possibilités, mais en tant que l'acte représente une
synthèse psychique transcendante qu'il doit vivre ». Ex. : l'entraînement du
boxeur … « L'acte représente une existence transcendante et la face
objective du rapport du pour-soi avec le monde ».
2°) p. 198 : c'est seulement la réflexion impure, sous la forme d'actes
cognitifs, qui peut saisir la psychè.
3°) p. 198 et 199 : précision sur la définition d' « objets psychiques » :
ce ne sont pas des abstraits, « mais ils se donnent comme l'en-soi concret que
le réflexif a à être par delà le réfléchi ». La possibilité que nous avons de
présentifier un objet psychique (un amour, par exemple) « prouve mieux que
tous les arguments la transcendance du psychique » (cf. « stratifications »)
4°) p.199 et 200 : il s'agit de s'interroger sur le type d'unité que peut
avoir la pychè.
Étant donné qu'on a dit que l'objet psychique est l'ombre portée du
pour-soi réfléchi, il possède en dégradé les caractères de la conscience.
Quels sont les caractères de la conscience ? Le pour-soi « se fait
exister dans l'unité diasporique d'une totalité détotalisée » ; en ce sens, il
n'est jamais une totalité achevée, car il n'est pas un en-soi. Son unité est
diasporique, ce qui signifie qu'il est toujours fuite à lui-même, vers un soi
qu'il ne sera jamais. L'unité est obtenue du fait de la relation interne qui
existe entre chaque ek-stase - c'est pourquoi elle ne peut être que
diasporique.
En revanche, la psychè apparaît comme une totalité achevée et
probable, car elle est appréhendée sur le mode de l'en-soi. De ce fait, son
unité ne peut pas être détotalisée : « du fait que le psychique est en-soi, son
présent ne saurait être fuite ni son avenir possibilité pure. Il y a, dans ces
formes d'écoulement, une priorité essentielle du passé, qui est ce que le poursoi était et qui suppose déjà la transformation du Pour-soi en En-soi ».
Ainsi, « mon amour, ma joie n'ont pas à être leur futur, ils le sont dans la
tranquille indifférence de la juxtaposition, comme ce stylo est à la fois plume
et, là-bas, capuchon » (p. 200).
b.3 - p. 201-203 (conclusion).
La forme psychique se compose de deux modalités contradictoires :
elle est à la fois unité cohésive, et en même temps, elle existe sous la forme
d'une succession de « maintenant » qui sont plutôt comme des en-soi. Les p.
201 à 203 explicitent cette contradiction. Ce qui fait problème, c'est la
cohésion intime du psychique : comment est-elle possible ? Comment se
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réalise-t-elle ?
Ce qui est en jeu, c'est la compréhension des faits psychiques non pas
sous la forme habituellement décrite par les psychologues, voire par Bergson
même (forme qui implique une partition de la vie psychique), mais sous sa
forme réelle, en tenant compte de sa complexité et des structures du pour-soi
révéles jusque là. Il est bien évident que la définition donnée par Sartre du
pour-soi lui étant propre, la description et les structures de la vie psychique
ne peuvent pas être les mêmes que celles des psychologues ou de Bergson.
On peut ainsi décrire trois strates différentes (qui ne sont distinguées
que pour les besoins de l'analyse) :
- le pour-soi transparent. L'unité d'être de ce pour-soi s'explique par le
caractère ek-statique du pour-soi. C'est ici la temporalité originelle qui est à
l'œuvre, dont nous n'avons pas une conscience thétique. Seule la réflexion
pure peut révéler cette nature ek-statique du pour-soi, constituée à la fois
d'être et de néant, avec un perpétuel renvoi de l'un à l'autre et l'impossibilité
d'une stabilité définitive. C'est pourquoi la réflexion pure ne peut avoir
qu'une quasi-connaissance de ce pour-soi.
- la vie psychique en tant qu'elle est vécue, où « coexistent deux
modalités d'être contradictoires » (p. 201, début), que peut révéler la
réflexion impure. Il y a là aussi unité et cohésion, mais celle-ci « n'est rien
autre que l'unité d'être du pour-soi hypostasiée dans l'en-soi ». 1ère modalité
: la passivité (le psychique est-été) ; 2ème modalité : impression d'une
divisibilité à l'infini de la psychè et, cependant, « cohésion magique ». En
quoi y a-t-il contradiction ? En ce que la passivité n'implique pas la cohésion
(pour qu'il y ait cohésion, il faut une activité cohésive, telle que celle du
pour-soi, qui est unité ek-statique d'être) ; or, il y a quand même cohésion,
malgré l'inertie de la psychè, qui « subit sa cohésion sans la faire, qui est
perpétuellement temporalisée sans se temporaliser, où l'interpénétration de
fait, irrationnelle et magique d'éléments qui ne sont point unis par une
relation ek-statique d'être, ne peut se comparer qu'à l'action magique
d'envoûtement à distance … ».
1ère modalité : le psychique « est-été », c'est-à-dire qu'il est sur le
mode de la passivité : « un amour est donné comme provoqué par l'objet
aimé » (p. 201). On peut alors penser que si tout est donné ou provoqué par
des objets extérieurs à nous, il n'y aura pas grande cohésion dans cette vie
psychique, mais elle devrait plutôt apparaître comme disparate. « Par suite la
cohésion totale de la forme psychique devient inintelligible puisqu'elle n'a
pas à être cette cohésion, puisqu'elle n'est pas sa propre synthèse, puisque
son unité a le caractère d'un donné » (p. 201). Il n'y a pas de spontanéité de
la vie psychique qui réalise de suite une unité cohésive.
2ème modalité : cela a pour conséquence, de manière corrélative, de
donner l'impression d'une divisibilité à l'infini des formes psychiques, ou
encore une partition (une division possible par parties) ; mais cette
divisibilité est « masquée, niée, en tant que le psychique est l'objectivation
de l'unité ontologique du pour-soi » (p. 201). La propriété du psychique est
ainsi la suivante : en fait, on constate bien une interpénétration des états de
conscience les uns dans les autres. Mais cela implique une divisibilité en
droit de la psychè, ce qui n'est pas le cas, selon Sartre : il y a en effet, en fait
comme en droit, une « cohésion magique et totalement inexpliquée, et cette
fusion totale défie à présent l'analyse ».
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Cette strate est concrète, c'est le vécu réel, en acte ; elle correspond au
moi profond de Bergson mais, contrairement à ce que Bergson en dit, il n'est
pas besoin d'une intuition particulière pour l'atteindre, et cette strate n'est pas
absolument ignorée du pour-soi. Cette non-ignorance n'est pas une
méconnaissance, seulement une non-connaissance en ce sens qu'au moment
où ils sont vécus, il n'y a pas conscience thétique des objets psychiques. C'est
à un 3ème niveau, celui de la connaissance, qu'il pourra y avoir prise de
conscience de cette vie psychique - ce qui sera le fait de la réflexion impure.
Mais alors, cette connaissance sera nécessairement dénaturée, car sur le
mode du passé).
- la connaissance, qui peut avoir pour objet le monde extérieur au
pour-soi, ou le pour-soi lui-même, entre autre, par exemple, la vie psychique.
La connaissance est alors réflexion impure, et c'est elle qui révèlera les
modalités d'existence et la structure de la vie psychique.
b.4 - p. 202 à 204
Examen des relations que les formes psychiques entretiennent les unes
avec les autres au sein du temps psychique, pour rendre plus sensible les
raisons de cette contradiction.
- « Notons d'abord que c'est bien l'interpénétration qui régit la liaison
des sentiments, par exemple, au sein d'une forme psychique complexe » (p.
202).
- « Mais les processus psychiques impliquent aussi l'action à distance
de formes antérieures sur des formes postérieures » (p 203). Cette action à
distance n'a rien à voir avec une relation de causalité ; la forme postérieure
n'est pas produite par la forme antérieure. Mais, « en tant que le psychique
est objectivation du pour-soi, il possède une spontanéité dégradée, saisie
comme qualité interne et donnée de sa forme et d'ailleurs inséparable de sa
force cohésive » (Id.). Cependant, cette spontanéité « ne saurait se
déterminer elle-même à l'existence ».
- Les formes s'influencent les unes les autres, à distance, sur le mode
de l'ayant-été.
- « Cette influence se manifeste soit par pénétration, soit par
motivation" (p. 203). Cette influence reste magique et irrationnelle ; on peut
décrire la succession des sentiments, mais leur raison d'être et l'influence de
chacun sur les suivants reste inexplicable.
Ce contre quoi s'élève Sartre, c'est une « interprétation mécaniste du
psychique qui, sans être plus intelligible, déformerait sa nature » (p. 204).
Conclusion
Résumé de la différence entre les deux types de réflexion et les deux
temporalité.
- « la conscience réflexive se constitue comme conscience de durée
et, par là, la durée psychique apparaît à la conscience ». La réflexion impure
cherche à déterminer l'être que je suis.
- la temporalité psychique ne cesse d'accompagner la temporalité
originaire, en tant que celle-ci est saisie par la réflexion. La temporalité
psychique n'est saisie que par la réflexion impure. Aussi, si le pour-soi
demeure sur le plan irréfléchi, la temporalité psychique disparaît.
- point commun entre les deux temporalités : sont deux modes d'être,
et non un cadre ou une règle préétablie (comme Kant).
- différence essentielle : la temporalité psychique est, au lieu que la
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temporalité originelle se temporalise (n'est pas).
La temporalité psychique est encore appelée « interne » ou
« qualitative » (p. 205-206) ; elle est l'objectivation en en-soi de la
temporalité originelle. Ce que la réflexion impure découvre, c'est un monde
entier, celui de la psychè, qui vient peupler la temporalité psychique. Ce
monde est transcendant et « se loge dans le devenir infini d'indifférence
antihistorique » (p. 205).
Chapitre III : La transcendance
I) Introduction (p. 207-208).
Sartre fait le point sur ce qui a été fait jusque là, tant du point de vue
de la méthode employée que du contenu, et sur ce qui reste à voir.
La méthode : choisir un fil conducteur, l'examen des conduites
négatives, pour décrire le pour-soi. Le problème à résoudre : « quelle est la
relation originelle de la réalité humaine avec l'être des phénomènes ou êtreen-soi ? » Il s'agit de comprendre, à travers cette question, la nature de la
conscience. On sait qu'elle n'est ni constituante de l'objet (solution idéaliste),
ni impressionnée par l'objet (solution réaliste), ce qui, dans les deux cas,
supposerait une relation externe entre les deux substances, celles-ci étant
comprises comme isolées l'une de l'autre. Ainsi, il n'y a pas de phénomènes
qui ne paraissent à une conscience, ni de conscience à qui n’apparaissent des
phénomènes. Et cependant, il y a bien un être des phénomènes, qui est ce
qu'il est (et non ce qu'il paraît pour/à une conscience), et qui est
nécessairement cela, pour que le phénomène puisse être (condition de
possibilité du phénomène). Autrement dit, le phénomène est pour une
conscience, l'être du phénomène est en-soi indépendant d'une conscience,
condition de possibilité de son apparition. Il n'est pourtant ni une substance,
ni « de l'en-soi » (bas p. 207). L'être des phénomènes serait un être
indépendant, mais concret (alors que phénomènes et conscience, s'ils sont
considérés dans leur indépendance, sont des abstraits dépourvus de sens).
Caractères de cet être :
- il est sa propre néantisation ;
- il ne peut être que dans l'unité ontologique de ses ek-stases.
Connaissances acquises depuis l'introduction :
- on a « saisi le sens du pour-soi comme fondement de son propre
néant ».
Il s'agit maintenant de comprendre l'être de la connaissance. La
question est : « l'en-soi étant ce qu'il est, comment et pourquoi le pour-soi at-il à être dans son être connaissance de l'en-soi ? Et qu'est-ce que la
connaissance en général ? »
II) La connaissance comme type de relation entre le pour-soi et
l'en-soi.
« Il n'est d'autre connaissance qu'intuitive » : l'intuition, c'est, pour
Husserl, « la présence de la chose <Sache> en personne à la conscience ».
Mais, après les analyses de la structure « présence à… », on doit plutôt dire :
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l'intuition, c'est la présence de la conscience à la chose : la différence entre
les deux formulations consiste en la part active accordée à la conscience.
Noter que cette « présence à… » n'est plus étudiée à titre de structure
immédiate ; ce qui signifie que nous ne sommes plus au niveau du cogito
préréflexif, dans la description du noyau instantané ; avec la notion de
transcendance, la conscience est présence à la chose ; c'est la conscience de
cette chose qu'il faut étudier, non ce qui rend possible cette conscience de.
1) Revenir sur la nature et le sens de cette présence du pour-soi à
l'être : « que peut signifier cette nécessité pour la conscience d'êtreconscience de quelque chose, si on l'envisage sur le plan ontologique, c'està-dire dans la perspective de l'être-pour-soi ? » C'est
le
sens
de
« conscience de » qu'il s'agit d'approfondir. Sartre reprend l'analyse du
cogito préréflexif comme couple « reflet-reflétant », en montrant que le
reflet doit être quelque chose, sans quoi le couple tourne à vide, et le cogito
serait impossible. La connaissance apparaît comme un mode d'être du poursoi, non comme une activité, ni une qualité ou propriété ou vertu. Ce qui
qualifie cette relation à (présence à) est la négation : ce que je connais
d'abord de l'objet, c'est qu'il n'est pas moi.
2) Préciser le sens de cette négation originelle.
Distinguer deux types de négation :
- la négation externe (p. 211) : pur lien d'extériorité établi entre deux
êtres par un témoin. Exemple : « la tasse n'est pas l'encrier ».
- la négation interne (Id.) : « je ne suis pas riche » ; « je ne suis pas
beau ». Signifie « une relation telle entre deux êtres que celui qui est nié de
l'autre qualifie l'autre, par son absence même, au cœur de son essence. La
négation devient alors un lien d'être essentiel … »
Connaître, c'est donc se faire apparaître (ou s'apparaître) comme
n'étant pas ce qu'on connaît.
3) Se déprendre de l'illusion intellectualiste : il faut d'abord connaître
l'objet pour se constituer ensuite comme n'étant pas cet objet. Autrement dit,
selon cette illusion, la connaissance précèderait la négation, tandis que Sartre
vient de décrire la connaissance comme une négation originelle (connaître,
c'est s'apparaître comme n'étant pas ce qu'on connaît ; dans cette formule, la
négation est au cœur de l'acte de connaître) : « le rapport fondamental par
quoi le pour-soi a à être comme n'étant pas cet être en particulier à quoi il est
présent est le fondement de toute connaissance de cet être ».
Le lien premier de l'en-soi au pour-soi dans l'acte de connaissance est
un lien d'être (lien ontologique) ; ce n'est ni un manque, ni une absence, mais
un type de présence.
Structure de la connaissance :
- l'en-soi est le pôle concret dans sa plénitude ;
- le pour-soi est le néant, l'absence qui se détermine à l'existence à
partir de ce plein.
- la présence du connu est présence à rien.
- la connaissance n'est ni absence, ni manque, elle est présence, ce qui
signifie qu'il n'y a rien qui sépare le connaissant du connu.
Ainsi, dans la connaissance, c'est toujours le connu qu'on saisit, jamais
le connaissant (contrairement au matérialisme, qui pense qu'on peut dériver
une substance à partir d'une autre substance pour parvenir à la connaissance
de l'objet ; or, dit Sartre, on ne peut connaître que l'objet (p. 213).
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Définir ce rien :
Le rapport originel du connaissant au connu n'est ni continu, ni
discontinu. C'est une identité niée.
Ce qui sépare le connu du connaissant n'est pas un rapport immédiat
dans le sens banal de « sans intermédiaire ». Mais c'est un rapport
d'immédiateté « qui unit originellement le connaissant au connu ».
De quelle manière le connaissant est-il présent au connu ? Ni de
manière continue, ni de manière discontinue, puisqu'il n'y a pas
d'intermédiaire (l'intuition - ou la connaissance - est présence immédiate du
connaissant au connu).
« Le phénomène originel de connaissance n'ajoute rien à l'être et ne
crée rien. Par lui, l'être n'est pas enrichi, car la connaissance est négativité
pure ». Se rapporter à L'Imaginaire, p. 26, où Sartre, distinguant percevoir,
concevoir et imaginer, montre que, en ce qui concerne le savoir, l'image
n'apporte rien (on ne peut rien apprendre d'une image que ce qu'on sait déjà,
que ce qu'on y a mis). Ne pas oublier que « connaissance » signifie pour
Sartre un mode d'être, un certain type de rapport au monde de la
conscience, non l'attitude de recherche et de compréhension du scientifique.
L'étude de la connaissance dans laquelle nous sommes est
phénoménologique, non épistémologique.
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Troisième partie : le pour-autrui
Chapitre I : l'existence d'autrui.
I) Le problème
Bref rappel du chemin parcouru. La méthode employée est celle d'un
fil conducteur (les conduites négatives) et d'une réflexion descriptive. La
question est : nous avons découvert que la réalité humaine est pour-soi ;
« est-ce là tout ce qu'elle est ? » (p. 259). Non, on peut découvrir un autre
type de structure ontologique. Partons d'un exemple : la honte.
Ce qui reste énigmatique, c'est comment on progresse. Apparaît le mot
"souci" : « c'est à mon sujet que je me soucie » (1e alinéa). Mais rien dans le
texte antérieur ne laissait prévoir qu'il était nécessaire de parler de souci,
puis de l'exemple de la honte. C'est la nécessité des enchaînements qui n'est
pas clair, ou qui n'a rien d'évident.
L'exemple de la honte : n'est pas originellement un phénomène de
réflexion. La structure première, c'est d'être honte devant quelqu'un. Rôle
d'autrui : me constitue sur un type d'être nouveau qui doit supporter des
qualifications nouvelles. « J'ai besoin d’autrui pour saisir à plein toutes les
structures de mon être, le pour-soi renvoie au pour-autrui « (p. 260-261)).
Deux questions se posent alors : celle de l'existence d'autrui, celle de
mon rapport d'être avec l'être d'autrui.
« Si donc nous voulons saisir la relation d'être de l'homme à l'être-ensoi, … » : il semble bien qu'il y ait plusieurs caractérisations du sens de
« être-en-soi » ; en tout cas, le terme est vague.
II) L'écueil du solipsisme
a - Position du réalisme : n'a pas les moyens de penser l'autre
autrement que sur le mode d'un objet. Cela pose donc le problème de la
communication entre les âmes. « Dans une philosophie fondée sur l'intuition,
il n'y a aucune intuition de l'âme d'autrui » (p. 261-2). Ou plutôt, la question
de l'existence d'autrui ne se pose pas, elle est donnée pour certaine. Cela, par
analogie ou par expérience. Mais nous n'aboutissons qu'à une existence
probable. Ainsi, le réalisme, à propos de la question de l'autre, verse, par un
curieux retournement, dans l'idéalisme.
b - Position de l'idéalisme : si autrui est « ma représentation », alors il
faut interroger cette représentation (p. 263).
Kant : caractère ambigu de l'autre dans une philosophie kantienne.
Autrui est donné dans notre expérience, c'est un objet et un objet particulier.
Son existence est seulement pensée, non connue. Noter ce qui est dit de la
causalité, p. 265 : « la causalité kantienne est unification des moments de
mon temps sous la forme de l'irréversibilité ». Autrui reste un concept
régulateur (et ne peut constituer notre expérience). Le point d'achoppement
est la temporalité : il faudrait une temporalité commune pour qu'autrui soit
un concept constitutif (et non régulateur) de mon être, pour que je puisse
comprendre comment je puis être certain de son existence. Vue la
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conception kantienne de la temporalité et de la connaissance, cela est
impossible.
Second moment de l'analyse : « la qualité de concept régulateur
convient-elle bien au concept d'autrui ? » (p. 266). La réponse est
évidemment négative.
Deux solutions pour l'idéaliste : ou « se débarrasser du concept de
l'autre et montrer qu'il est inutile à la constitution de mon expérience »
(solution du solipsisme) ; ou « affirmer l'existence réelle d'autrui, c'est-à-dire
poser une communication réelle et extra-empirique entre les consciences »
(= réalisme métaphysique).
b.1 - Première solution, le solipsisme (p. 267-268). Deux manières de
formuler cette position : ou comme pure hypothèse métaphysique, injustifiée
et gratuite : « en dehors de moi, rien n'existe », ce qui va à l'encontre de mon
champ d'expérience. Deuxième manière : plan du positivisme critique, pour
qui le solipsisme est une pure hypothèse de travail, qu'on atteint par une
epochê. C'est méthodologique, mais ne nous dit rien ou n'affirme rien sur
l'existence d'autrui.
b.2 - Deuxième solution, le réalisme métaphysique (p. 268). On pose
l'existence de l'autre, ce qui a pour conséquence de faire éclater les cadres de
l'idéalisme. On rétablit la notion de substance. On retombe ensuite dans le
problème de la représentation adéquate (avec l'exemple de la colère perçue et
la colère appréhendée).
On tombe donc dans un cercle vicieux, puisque la position réaliste
nous renvoie à la position idéaliste, qui elle-même nous renvoie à la position
réaliste.
c - Critique de Sartre (p. 270-271). Ce qui ne va pas, c'est qu'on pose
que les corps sont dans le même rapport d'extériorité que les objets, séparés
par un espace. La séparation des consciences est ainsi imputable à celle des
corps.
III) Husserl, Hegel, Heidegger
La philosophie du XIXème et du XXème siècle comprend qu'on ne
peut échapper au solipsisme si on pense les individus sous la forme de
substances séparées. Il y a donc un effort pour montrer que le rapport entre
moi et autrui n'est pas extérieur mais réside au sein même des consciences.
Cependant, et c'est le point qui fait encore défaut, on conserve l'idée que
« ma liaison fondamentale à autrui est réalisée par la connaissance » (p.
271).
a - Thèse de Husserl (p. 271-272) références : les Méditations
cartésiennes et Logique formelle et logique transcendantale, où il réfute le
solipsisme. « Il croit y parvenir en montrant que le recours à autrui est
condition indispensable de la constitution d'un monde ».
- présentation de la doctrine de Husserl (p. 272) : autrui est condition
permanente de l'unité et de la richesse du monde. Autrui est garant de
l'objectivité du monde.
- évaluation : malgré des avantages sur Kant, pas d'avancées
significatives. Car le problème demeure : « ce qu'il faudrait montrer, ce n'est
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pas le parallélisme des “Egos” empiriques, qui ne fait de doute pour
personne, c'est celui des sujets transcendantaux » (p. 272-3). Ainsi le
véritable problème, c'est celui de la liaison des sujets transcendantaux par
delà l'expérience » (Id.).
- p. 274 : Sartre donne les motivations de son article sur La
transcendance de l'Ego : échapper au solipsisme ; le moyen qu'il avait trouvé
: vider la conscience de son sujet, afin de ne privilégier dans ma conscience
rien de plus que dans celle d'autrui ; mettre ainsi les consciences au même
niveau de vide. Mais c'est aussi un échec. Ce qui ne va pas chez Husserl,
c'est bien sûr l'hypothèse (inutile) d'un sujet transcendantal, mais surtout le
fait d'avoir réduit l'être à une série de significations, ce qui conduit à établir
ensuite une liaison de connaissance entre les sujets.
b - Thèse de Hegel (p. 275-283) : vol. 1 de la Phénoménologie de
l'esprit. Autrui est important pour le rôle qu'il joue dans la constitution de la
conscience comme conscience de soi. Hegel trouve le moyen de parvenir à
un « lien de négation par intériorité » : « aucun néant externe et en soi ne
sépare ma conscience de la conscience d'autrui, mais c'est par le fait même
d'être moi que j'exclus l'autre », relation d'exclusion qui est réciproque.
- critique : le progrès consiste à avoir posé la question de l'être des
consciences. Mais « il est non moins certain que ce problème reste partout
formulé en termes de connaissance » (p. 277). C'est finalement encore la
connaissance qui est mesure de l'être, et Hegel ne quitte pas le terrain de
l'idéalisme (dont la question est : comment l'autre peut-il être objet pour moi
?). La critique de Hegel conduit à réaffirmer ce qu'est la conscience en sa
structure propre : « en un mot, la conscience est un être concret et sui
generis, non une relation abstraite et injustifiable d'identité, elle est ipséité et
non siège d'un Ego opaque et inutile, son être est susceptible d'être atteint par
une réflexion transcendantale et il y a une vérité de la conscience qui ne
dépend pas d'autrui, mais l'être même de la conscience étant indépendant de
la connaissance préexiste à sa vérité » (p. 278). Opposer Kierkegaard à
Hegel.
Suit une double accusation d'optimisme (épistémologique, puis
ontologique) de la part de Hegel (p. 279-283). L'être de la conscience, c'est
d'être exclusion radicale de toute objectivité (je ne peux me concevoir
comme objet). Par ailleurs, « le seul point de départ sûr …» (contre Hegel,
qui le place en dehors de toute conscience) « …est l'intériorité du cogito (p.
282).
- gain de cette critique : « mon rapport à autrui est d'abord et
fondamentalement une relation d'être à être, non de connaissance à
connaissance, si le solipsisme doit pouvoir être réfuté » (p. 283).
c - Thèse de Heidegger, in Seit und Zeit (p. 283-289).
- exposé de la thèse : autrui « est le terme ex-centrique qui contribue à
la constitution de mon être » (p. 284). C'est à partir de moi que je découvre
des structures qui me renvoient vers autrui. Ce que je découvre, en outre,
c'est la structure « être-avec », et non « être-pour », ce qui exprime « une
sorte de solidarité ontologique pour l'exploitation de ce monde » (Id.).
- évaluation (p. 286 en bas) et critique. La coexistence reste encore à
expliquer. La théorie de Heidegger est sans fondement. « Pourquoi devient-
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elle le fondement unique de notre être, pourquoi est-elle le type fondamental
de notre rapport avec les autres, pourquoi Heidegger s'est-il cru autorisé à
passer de cette constatation empirique et ontique de l'être-avec à la position
de la coexistence comme structure ontologique de mon être-dans-lemonde ? ». En outre Heidegger n'échappe pas à l'idéalisme (p. 288).
d - Remarques de méthode pour la suite (p. 289-291) : préciser les
conditions nécessaires et suffisantes pour qu'une théorie de l'existence
d'autrui soit valable.
- rôle d'une telle théorie : non pas apporter une preuve de plus de
l’existence d’autrui, cela n'a pas de sens, mais éclaircir et préciser le sens de
cette affirmation (j'affirme, je ne conjecture pas, l'existence d'autrui), et
surtout, « expliciter le fondement même de cette certitude » (p. 290). « Si
l'existence d'autrui n'est pas une vaine conjecture, un pur roman, c'est qu'il y
a quelque chose comme un cogito qui la concerne. C'est ce cogito qu'il faut
mettre au jour, en explicitant ses structures et en déterminant sa portée et ses
droits ».
- le point de départ : le cogito cartésien (ce qu'a montré l'échec de
Hegel) : « ainsi, c'est au pour-soi qu'il faut demander de livrer le pour-autrui,
à l'immanence absolue qu'il faut demander de nous rejeter dans la
transcendance absolue : au plus profond de moi-même, je dois trouver non
des raisons de croire à autrui, mais autrui lui-même comme n'étant pas moi »
(p. 290-291).
- résultat exclu : autrui ne peut être d'abord objet (ce qui aurait pour
conséquence d'en faire un probable).
- moyen ou outil conceptuel pour mener la recherche : pour
appréhender autrui, il faut repousser la négation externe et préférer la
négation interne, « ce qui signifie liaison synthétique et active des deux
termes dont chacun se constitue en se niant de l'autre. Cette relation négative
sera donc réciproque et de double intériorité » (p. 291).
IV) Le regard
Le souci de Sartre : éviter à tout prix de retomber dans une relation de
connaissance (péché de connaissance).
Point de départ de Descartes : comment avoir la certitude que les
hommes que je vois existent de façon plus que probable ? « En un mot, pour
qu'autrui soit objet probable et non un rêve d'objet, il faut que son objectité
ne renvoie pas à une solitude originelle, mais à une liaison fondamentale où
autrui se manifeste autrement que par la connaissance que j'en prends » (p.
292). Sartre donne la démonstration dans cette page de la critique des
théories classiques. Ce qu'il faut contourner, c'est la relation de
connaissance.
- Théories classiques : la relation première par quoi autrui se découvre
« est l'objectité, c'est-à-dire comme si autrui se révélait d'abord à la
perception » (Id.)
- critique : porte sur la nature de la perception, qui se réfère à autre
chose qu'à elle-même ; son essence doit être de se référer à une première
relation de ma conscience à celle d'autrui.
- d'où la formulation du problème : « y a-t-il dans la réalité
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quotidienne une relation originelle à autrui qui puisse être constamment
visée et qui, par suite, puisse se découvrir à moi, en dehors de toute référence
à un inconnaissable religieux ou mystique ? » (p. 293)
Le problème est de savoir ce qu'est autrui pour moi : comment est-ce
que je l'appréhende ? Qu'est-ce que cela implique, quant à la manière dont je
le conçois / connais ?
L'objectité est une des modalités de la présence d'autrui à moi.
Cette relation d'objectité passe pour être la relation fondamentale
d'autrui à moi-même. Mais cette relation, pour fondamentale qu'elle soit,
n'est pas première. Il existe une relation première avec autrui, dans laquelle
autrui « doit m'être donné directement comme sujet » (p. 293).
La question est donc : « y a-t-il dans la réalité quotidienne une relation
originelle à autrui qui puisse être constamment visée et qui, par suite, puisse
se découvrir à moi, en dehors de toute référence à un inconnaissable
religieux ou mystique ? » (p. 293 en bas)
1) p. 293-303 - Introduction du thème du regard.
Exemple 1 : le jardin public
On passe par la description de ce qui se passe au cours d'une rencontre
quotidienne, banale, entre autrui et moi. L'autre, c'est celui qui introduit des
relations nouvelles entre les choses de mon univers (p. 293). Ce que Sartre
découvre, c'est que nous sommes un être-vu par autrui.
Première conclusion : « autrui, c'est d'abord la fuite permanente des
choses vers un terme que je saisis à la fois comme objet à une certaine
distance de moi, et qui m'échappe en tant qu'il déplie autour de lui ses
propres distances » (p. 294). C'est sur mon espace qu'autrui vient empiéter,
comme s'il me le volait : il vole ma relation avec les choses, ou plutôt, sa
relation des choses à lui m'échappe entièrement.
Sartre ne parle pas d'un sens qui m'échapperait. Pour le moment, ce
n'est pas du sens qui m'échappe, c'est le monde lui-même, dans sa chair (ou
comme objet). La question du sens du regard ne vient qu'à la fin de cette
première partie.
Première conséquence (p. 295) : autrui est sujet quand c'est moi qui
suis objet pour lui. Si je conçois autrui comme objet, c'est parce que je suis
sujet. Il faut donc raisonner de manière réciproque : autrui est sujet quand il
me voit comme je le vois ; je ne peux en effet être objet que pour un sujet,
non pour un objet ; et c'est parce que je suis un sujet qu'il peut être un objet,
et parce qu'il est sujet que je peux être un objet. Ce qu'on doit comprendre,
dans ce retournement, que Sartre nomme « conversion », c'est comment je
peux devenir objet pour l'autre : comment le sais-je ? Par le regard qu'autrui
porte sur moi : « l'“être-vu-par-autrui” est la vérité du “voir-autrui” » (p.
296).
2) p. 296-307 - Explicitation du sens du regard d'autrui, puisqu'autrui
est d'abord, par principe, "celui qui me regarde".
a - distinguer l'œil du regard (p. 297 et 298). Décrire ce que je saisis
à travers le regard (moi-même).
« L'œil n'est pas saisi d'abord comme organe sensible de vision, mais
comme support du regard » (p. 297). L'expression « organe sensible de
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vision » est neutre et signifie quelque chose d'objectif, comme on peut dire
que les jambes sont l'organe sensible de la marche, ou la peau, l'organe
sensible du toucher ; il n'y a pas d'emblée, dans cette expression, de
référence à la présence intentionnelle de l'autre. En revanche, dans le terme
« regard », cette intentionnalité est présente. Ce qui importe, ce n'est donc
pas la fonction de l'œil (le voir ) - ou le physiologique -, mais la direction, la
portée, le directionnement, ou l'intention - ce qui s'appelle un regard.
Percevoir (= regarder) et saisir un regard sont deux choses
différentes :
- la perception est liée à la connaissance, par conséquent à l'objet ; on
perçoit ou on regarde comme on connait, la relation est une relation externe
de distance, envers un objet. Mais quand on saisit un regard, on saisit d'abord
soi-même comme objet, ce qui suppose qu'on est en face d'un sujet. « Nous
ne pouvons percevoir le monde et saisir en même temps un regard fixé sur
nous ; il faut que ce soit l'un ou l'autre » (p. 298).
Première conclusion : « le regard est d'abord un intermédiaire qui
renvoie de moi à moi-même » (p. 298).
On a l'impression que le regard est comme un miroir ; peut-on jamais
en savoir plus sur l'autre par son regard ? Est-ce que échapper au solipsisme,
ce n'est pas rendre possible ou concevable la possibilité que l'autre me soit
donné par le regard ? Atteindre l'autre vraiment, et non encore moi-même à
travers l'autre ? Comment concilier cela avec l'article sur l'intentionnalité (in
Situations I où Sartre critique la littérature du moi intime ?
b - Nature de cet intermédiaire (p. 298 à 307)
Que signifie pour moi : être vu ?
Exemple 2 : le trou de la serrure.
La première description met en avant la liberté que je suis, avec son
caractère non figé : moi-même, ou de moi-même, je ne me définis pas
comme étant jaloux ni même comme étant très précisément dans cette
situation, mais « j'échappe à cette définition provisoire de moi-même par
toute ma transcendance ; c'est là, nous l'avons vu, l'origine de la mauvaise
foi » ; je ne suis pas, je fais.
L'intervention, dans un deuxième temps, du regard d'un autre sur ma
situation va provoquer « des modifications essentielles (…) dans mes
structures - modifications que je puis saisir et fixer conceptuellement par le
cogito réflexif » (p. 299). La modification concerne la manière dont je me
saisis désormais et tout d'un coup. Selon la description « habituelle » :
- la conscience irréfléchie = conscience du monde ; le monde est objet
pour la conscience ; tout ce que saisit la conscience ne peut être qu'objet
(l'objectivation est le mode d'être de la conscience irréfléchie) ;
- la conscience réflexive a pour rôle de saisir le moi, ce qui fait qu'elle
le saisit certes « comme son objet », mais non comme extérieur à elle ;
- l'intervention du regard de l'autre entre moi et moi-même courtcircuite les deux consciences de manière asymétrique : la conscience
irréfléchie saisit le moi (qui n'est pas ordinairement son objet / ce qui n'est
pas son rôle) sur le mode non de la conscience réflexive, mais sur son propre
mode, ce qui a pour conséquence de placer le moi sur le même plan que les
objets du monde, extérieur au sujet. Ainsi, le moi apparaît à la conscience
aussi figé qu'un objet du monde tout en gardant, cependant, le propre du moi,
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qui est d'être échappement ou transcendance ; « cela signifie que j'ai tout
d'un coup conscience de moi en tant que je m'échappe, non pas en tant que je
suis le fondement de mon propre néant, mais en tant que j'ai mon fondement
hors de moi » (p. 300). Je suis l'objet qu'autrui regarde et fige, sans
possibilité de me « rattraper » ou récupérer.
c – « Avec cet être que je suis et que la honte me découvre, quelle
sorte de rapports puis-je entretenir ? » (p. 301, en haut)
La question ne concerne plus le regard ou le problème d'autrui, mais le
sujet. On entre ici dans l'analyse des conséquences, sur moi, du regard de
l'autre me surprenant dans une situation de honte. Ne pas oublier que le
regard est un intermédiaire entre moi et moi-même. Mais on devrait mettre
au jour, en même temps et par le détour de cette analyse, la nature du regard
: figeant, révélant, objectivant … On observe d'abord les conséquences du
regard sur moi (par les modifications des structures), et on en déduit ce que
doit être le regard pour pouvoir provoquer ces modifications.
- « En premier lieu, une relation d'être. Je suis cet être ». Sur quel
mode ? Ni sur celui de l’ « avoir à être », ni sur celui du « étais », mais sur
celui de l'en-soi, en tant que je le suis non pour ou par moi, mais « pourautrui ». C'est l'autre, comme liberté, qui décide de ce que je suis, et je n'ai
aucun pouvoir sur cette manière de me percevoir. Cet être que je suis est
ainsi indéterminé ; « la matière même de mon être est l'imprévisible liberté
d'un autre » (p. 301), qui me confère une nature. « L'autre, comme regard,
n'est que cela : ma transcendance transcendée » (p. 302). « Le regard ne me
découpe pas dans l'univers, il vient me chercher au sein de la situation et ne
saisit de moi que des rapports indécomposables avec les ustensiles » (Id.).
Ainsi, le monde m'échappe aussi, avec ce que je suis. « Autrui, c'est la mort
cachée de mes possibilités en tant que je vis cette mort comme cachée au
milieu du monde » (p. 304). « Ainsi, dans la brusque secousse qui m'agite
lorsque je saisis le regard d'autrui, il y a ceci que, soudain, je vis une
aliénation subtile de toutes mes possibilités qui sont agencées loin de moi, au
milieu du monde, avec les objets du monde » (Id.).
Deux conséquences : d'abord, autrui me renvoie de moi
l'indétermination que je suis pour lui : il ne sait jamais ce que je vais faire ou
ce que je pense, et c'est cela, de cette façon-là que je me saisis. Ensuite,
autrui me vole mon monde, en l'organisant autrement, à d'autres fins, que je
saisis dans son regard : « je ne suis plus maître de la situation » (p. 304,
bas).
Ainsi, « se saisir comme regardé c'est se saisir comme spatialisantspatialisé », et comme "temporalisé" (p. 313, en haut), en me renvoyant à un
temps universel.
C'est pourquoi autrui constitue ou me met toujours en danger ; "ce
danger n'est pas un accident, mais la structure permanente de mon être-pourautrui" (p. 306). Distinguer la simultanéité et la co-présence : seul autrui me
fait accéder à la simultanéité, qui « suppose la liaison temporelle de deux
existants qui ne sont liés par aucun autre rapport » (p. 306).
Première conclusion générale : « nous voilà au terme de cette
description » (p. 307, milieu). À noter que la description a été faite tout
entière sur le plan du cogito. Ce qu'autrui me fait découvrir, c'est une
« dimension neuve d'existence », celle du non-révélé, c'est-à-dire quelque
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chose que je suis, par delà moi, et qui n'est pas de l'ordre du connaître, mais
de l'être (je suis tel que l'autre me voit). Nous avons vu trois manières d'être :
la peur, la fierté ou la honte, la reconnaissance de mon esclavage (p. 307).
3) « Dès lors nous pouvons préciser le sens de ce surgissement
d'autrui dans et par son regard » (p. 307 à 317).
« En aucune façon, autrui ne nous est donné comme objet ». Il vient à
moi par rencontre. « Qu'est-il donc ? » (308)
- « l'être vers qui je ne tourne pas mon attention » - détermination
négative.
- « le regard d'autrui est destruction de toute objectivité pour moi » (p.
308, in fine). « Par le regard d'autrui, je fais l'épreuve concrète qu'il y a un
au-delà du monde. Autrui m'est présent sans aucun intermédiaire comme une
transcendance qui n'est pas la mienne » (p. 309). « Autrui, c'est ce moimême dont rien ne me sépare, absolument rien, si ce n'est sa pure et totale
liberté, c'est-à-dire cette indétermination de soi-même que seul il a à être
pour et par soi » (p. 310).
4) Revenir maintenant sur nos pas, pour expliquer et comprendre les
résistances du bon sens aux arguments des solipsistes (p. 308 en bas - 315).
« Ce n'est pas dans le monde qu'il faut d'abord chercher autrui, mais
du côté de la conscience, comme une conscience en qui et par qui la
conscience se fait être ce qu'elle est » (p. 312).
« … la saisie de mon être-hors-de-moi pour l’autre, c’est-à-dire la
saisie objective de mon être-autre […] est radicalement différent de mon
être-pour-moi » (p. 313, début). « Autrui ne saurait être le sens de mon
objectivité, il en est la condition concrète et transcendante » (p. 313, in fine).
Ainsi, si j'éprouve autrui comme existence certaine, et si je puis dire
qu'il m'apprend ce que je suis, ce n'est pas par projection de mes réactions
sur lui, ou autre ; c'est parce que, par son regard, je fais l'épreuve de mon
moi-objet, c'est-à-dire qu'il faut qu'il soit sujet pour me faire être pour moimême sur le mode de l'objet - non pas que je sois effectivement à ses yeux
un objet, ni même comme un objet, mais par lui, je m'apparais comme un
objet, sur ce mode objectif.
5) « Restent pourtant de nombreuses difficultés » (p. 315-320)
- d'abord, en ce qui concerne la certitude de l'existence de l'autre : il se
peut que l'autre ne me regarde pas, tandis que je crois qu'il me regarde. En ce
sens, je dois dire que son existence reste seulement probable, et non certaine.
Cependant, « cette difficulté ne saurait nous retenir longtemps et nous ne
l'aurions même pas mentionnée si elle n'avait l'avantage de faire progresser
notre recherche et de marquer plus purement la nature de notre être-pourautrui » (p. 315). Conclusion : « la présence d'autrui dans le monde ne
saurait découler analytiquement, en effet, de la présence d'autrui-sujet à moi
puisque cette présence originelle est transcendante, c'est-à-dire être-pardelà-le-monde ».
- suit une analyse de l'absence : « …en un mot, l'absence se définit
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comme un mode d'être de la réalité humaine par rapport aux lieux et places
qu'elle a elle-même déterminés par sa présence » (p. 317) - « … l’apparition
d’un homme comme objet dans le champ de mon expérience n’est pas ce qui
m’apprend qu’il y a des hommes. Ma certitude de l'existence d'autrui est
indépendante de ces expériences et c’est elle, au contraire, qui les rend
possibles » (p. 319)
6) « Nous pouvons saisir à présent la nature du regard » (p. 320-321)
« Il y a, dans tout regard, l'apparition d'un autrui-objet comme
présence concrète et probable dans mon champ perceptif et, à l'occasion de
certaines attitudes de cet autrui, je me détermine moi-même à saisir par la
honte, l'angoisse, etc., mon être-regardé » (p. 320). C'est là tout ce que peut
révéler le regard.
7) « Ce qu'il nous faut examiner à présent, c'est le rapport
fondamental de Moi à l'Autre […] ; quel est l'être de cet être-pour-autrui" ?
(p. 321-344)
Premier moment de mon rapport à l'autre (conséquence des remarques
précédentes) : « l'être-pour-autrui n'est pas une structure ontologique du
Pour-soi : nous ne pouvons pas songer, en effet, à dériver comme une
conséquence d'un principe l'être-pour-autrui de l'être-pour-soi, ni,
réciproquement, l'être-pour-soi de l'être-pour-autrui » (p. 321-322).
a- premier temps de l'analyse : montrer que l'analyse qui a été faite
précédemment, sur la présence du néant et son lien avec la conscience,
s'applique dans la relation du pour-soi avec autrui (reprise et application de
ce qui a déjà été dit de la négation interne) : la conscience est spontanément
ce n'être-pas-autrui, et cela est la condition pour qu'il puisse y avoir un
autrui. Première négation, qui va d'autrui à moi (p. 323)
b – « addition essentielle qui va en modifier radicalement la portée »
(p. 323 et sv.) : la relation de n'être-pas est réciproque. Autrement dit, quand
il s'agit pour la conscience de n'être-pas un objet, l'objet, lui, ne développe
aucune relation. Tandis qu'autrui-objet développe lui aussi une relation de
n'être-pas. Ainsi, l'autre, c'est avant tout « celui pour qui mon pour-soi est » « Ainsi, originellement, l'autre est le non-moi-non-objet ». L'être-pour-autrui
n'est ni en-soi ni pour-soi, mais être écartelé « entre deux négations d'origine
opposée et de sens inverse ». Ce moi-pour-autrui tire sa « réalité absolue de
ce qu'il est la seule séparation possible entre deux êtres foncièrement
identiques quant à leur mode d'être et qui sont immédiatement présents l'un à
l'autre, puisque, la conscience pouvant seule limiter la conscience, aucun
terme moyen n'est concevable entre eux ».
Deuxième moment de mon rapport à l'autre (p. 326) : l'objectivation
d'autrui. « Rien ne peut me limiter, sinon autrui ». Explication de la seconde
négation, qui va de moi à autrui. Sartre reprend ensuite, à titre d'application
concrète, les trois exemples de la crainte (p. 327), de la honte (p. 328) et de
la fierté (p. 329).
Note : « en un mot, il y a deux attitudes authentiques : celle par
laquelle je reconnais autrui comme le sujet par qui je viens à l'objectité - c'est
la honte ; celle par laquelle je me saisis comme le projet libre par qui autrui
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vient à l'être-autrui - c'est l'orgueil ou affirmation de ma liberté en face
d'autrui-objet » (p. 330).
« Si je me trompe sur une intention d'autrui… », « c'est parce que
j'organise le monde entier autour de ce geste autrement qu'il ne s'organise en
fait » (p. 333). Connaître autrui, ce serait donc comprendre le monde, son
rapport avec les objets, de la même manière que lui. « Autrui ne peut se
définir autrement que par une organisation totalitaire du monde et il est la clé
de cette organisation » (p. 335).
Autrui a toujours la possibilité de se révéler à moi comme sujet, ce qui
me ferait éprouver « la fuite hors de moi du monde et l'aliénation de mon
être ». Ainsi, tous mes efforts tendent à faire en sorte que autrui reste objet :
« mes rapports avec autrui-objet sont faits essentiellement de ruses destinées
à le faire rester objet » (p. 336).
8) « Pourquoi y a-t-il des autres ? » (…) « Examinons de plus près la
possibilité de la question métaphysique » (p. 336-341)
Rappel des trois ek-stases du pour-soi :
- la première, « c'est le projet tridimensionnel du pour-soi vers un être
qu'il a à être sur le mode du n'être-pas. Elle représente la première fissure, la
néantisation que le pour-soi a à être lui-même, l'arrachement du pour-soi à
tout ce qu'il est, en tant que cet arrachement est constitutif de son être » (p.
337).
- La deuxième, « ou ek-stase réflexive est arrachement à cet
arrachement même » (Id.), tentative pour récupérer son être en en-soi. Cette
ek-stase, réflexive, « se trouve sur le chemin d'une ek-stase plus radicale :
l'être-pour-autrui » ;
- l'être-pour-autrui est la troisième ek-stase du pour-soi ;
- et terme ultime de la néantisation, pôle idéal, qui devrait être la
négation externe : les trois ek-stases précédentes n'atteindront jamais ce
terme ultime, qui reste un idéal.
Conséquences de la troisième ek-stase : « mon ipséité et celle d'autrui
sont des structures d'une même totalité d'être ».
Je ne peux éprouver autrui et le connaître en même temps. L'éprouver,
c'est le voir comme sujet, le connaître, c'est le considérer comme objet. Et
« aucune synthèse de ces deux formes n'est possible ».
Mais comment se manifeste le fait d'être objet pour l'autre ? Par le
corps. D'où la nécessité de s'interroger sur ce qu'est mon corps, et ce qu'est le
corps d'autrui.
Chapitre II : le corps
Problème de l’union du corps et de l’esprit. On a des difficultés, car
on a posé le problème en termes de chose : on a fait de mon corps non pas
mon corps, mais un corps, identique à tous les autres, et tel que les sciences
médicales peuvent en avoir connaissance. Il y a ainsi deux types de
perceptions de mon corps : tel qu’il est au milieu du monde, et tel qu’il est
pour moi.
Sartre fait un parallèle (implicite) entre le corps et la conscience en ce
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qui concerne la capacité de réflexion (p. 343) : de même que la conscience
de… ne peut pas être en même temps conscience de soi, de même le corps
est ou bien chose parmi les choses (objet), ou bien ce par quoi les choses se
découvrent à moi (moyen, translateur), mais je ne peux voir le corps voyant.
Les deux plans, sentir qu’on touche et sentir qu’on est touché, touché et être
touché, sont incommunicables. Je suis présent à mon corps sans que mon
corps soit moi.
Souci d’éviter les absurdités commises jusque là, qui ont confondu le
corps avec le corps pour-autrui. Il faut donc établir non pas une méthode,
mais une sorte de garde-fou, ou plutôt, un principe de base : « si nous
voulons réfléchir sur la nature du corps, il faut établir un ordre de nos
réflexions qui soit conforme à l’ordre de l’être : nous ne pouvons continuer à
confondre les plans ontologiques et nous devons examiner successivement le
corps en tant qu’être-pour-soi et en tant qu’être-pour-autrui », ces deux plans
étant irréductibles l’un à l’autre et incommunicables. Il n’y a pas ainsi, à
proprement parler, d’union entre le corps et la conscience, mais « c’est tout
entier que l’être-pour-soi doit être corps et tout entier qu’il doit être
conscience » (p. 344, in fine).
I) Le corps comme être-pour-soi : la facticité
Remarques préliminaires
Préciser à nouveau les rapports du pour-soi et du monde (p. 345) : ils
ne sont pas l’un en face de l’autre, car alors, se posera effectivement la
question de leur communication possible. Le pour-soi n’est pas non plus en
face du monde, dans le sens où il le survolerait sans y participer, sans être
lui-même dans des relations avec le monde. La vitesse est aussi à
comprendre par « rapport aux dimensions données de corps en mouvement »
(p. 347). Il n’y a ainsi jamais de connaissance pure (ce qui serait une
connaissance en dehors du monde), mais toujours engagée. Être, pour la
réalité humaine, c’est donc toujours être-là, dans une certaine position
géographique, ce qu’on appellera une nécessité ontologique (Id.).
Mais cette nécessité apparaît entre deux contingences : celle de mon
existence, celle d’être engagé dans cette relation plutôt que dans une autre.
Cette double contingence, c’est ce que Sartre appelle la facticité du pour-soi
(p. 348, début).
Rappel à ce propos de ce qui a été écrit dans la deuxième partie : la
contingence hante le pour-soi, c’est ce qui le rend ou le fait totalement
injustifiable et totalement responsable de ce qu’il est.
« Il découle nécessairement de la nature du pour-soi qu’il soit corps,
c’est-à-dire que son échappement néantisant à l’être se fasse sous forme d’un
engagement dans le monde » (p. 349). Le corps est déduit de la nature du
pour-soi, pour contrecarrer l’idée qu’il n’y a pas à chercher une union, ou
contre leur séparation.
I) Faire l’application de ces remarques au « problème de la
connaissance sensible » (p. 349 - 359)
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a - critique de la conception classique de la sensation (p. 349-353)
La description d’expérimentations à la Sorbonne (sur la perception de
phénomènes lumineux) amène à s’interroger sur le sens d’objectivité et de
subjectivité. « Nulle part nous ne rencontrons quelque chose qui se donne
comme purement senti, comme vécu pour moi sans objectivation » (p. 351).
« J’appellerai subjectivité l’objectivité que je n’ai pas choisie » (Id., in fine).
Examiner d’abord la notion de sensation : « unité objective
correspondant à la plus petite et à la plus courte des excitations
perceptibles » (p. 352). Sartre en présente d’abord la vision ou conception
« classique » (?) - ou peut-être est-ce celle des psychologues -, pour montrer
son absurdité (p. 353). C’est une notion hybride, et le raisonnement qu’on
fait avec tient de celui du menteur crétois : elle est en effet « conçue à partir
de l’objet, et appliquée ensuite au sujet » (p. 354 in fine).
b - conception de Sartre (p. 363-368)
« Mais si la sensation n’est qu’un mot, que deviennent les sens ? » (p.
355) Ou « qu’est-ce donc qu’un sens qui ne nous donne pas de sensation ? »
Le sens est là, mais dès que j’essaie d’en avoir la conscience, c’est la
conscience de la chose sentie que j’ai, non la conscience de ce qui sent.
Comment accédons-nous alors aux sens ? Par quel moyen, si ce n’est par un
type de conscience ? essayer de définir le sens par ses objets (p. 355).
Prendre en compte cette observation : les objets sont orientés vers
moi, ils ne sont pas en désordre ou dans un ordre quelconque. C’est-à-dire
qu’ils apparaissent sur fond de monde, et d’une seule manière à la fois. « La
structure du monde implique que nous ne pouvons voir sans être visibles »
(p. 357). Car « il n’est d’autre manières d’entrer en contact avec le monde
que d’être du monde ». « Mon corps est à la fois coextensif au monde,
épandu tout à travers les choses et, à la fois, ramassé en ce seul point qu’elles
indiquent toutes et que je suis sans pouvoir le connaître » (p. 358, début).
On peut donc répondre à la question de savoir ce que sont les sens : ils
sont contemporains des objets. « Ils sont même les choses en personne, tels
qu’elles se dévoilent à nous en perspective » (p. 358). La vue ainsi est la
« collection de tous les objets visibles en tant que leur relations objectives et
réciproques se réfèrent toutes à certaines grandeurs choisies - et subies à la
fois - comme mesures et à un certain centre de perspective » (Id.). Les sens
sont objectifs. « Le sens, c’est notre être-dans-le-monde en tant que nous
avons à l’être sous forme d’être-au-milieu-du-monde » (p. 359).
2) Ce qu’on vient de dire des sens peut être généralisé au corps tout
entier (p. 359 - 365)
Prendre comme fil conducteur, pour l’étude du corps en tant qu’il est
centre d’action, « les raisonnements qui nous ont servi à dévoiler la véritable
nature des sens » (p. 359). Veiller à ne pas interpréter mon corps à partir de
celui de l’autre, ou à partir de la perception que j’ai du corps de l’autre, et de
reporter ensuite sur mon propre corps. Sartre part de l’action. Cela peut
conduire à une interprétation de mon corps comme instrument. Or, c’est bien
ce que Sartre veut éviter.
Pouvons-nous restituer au corps sa nature-pour-nous ? (p. 361) « Le
monde, dès le surgissement de mon pour-soi, se dévoile comme indication
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d’actes à faire » (p. 361). L’espace de la perception est immédiatement
organisé par les outils, qui indiquent des chemins, des rapports. (Perception
et action sont ainsi indiscernables - excepté le fait que l’action a une
efficacité sur le monde, sur l’avenir.) Par la présence de ces outils dans le
monde, celui-ci « m’apparaît comme objectivement articulé ; il ne renvoie
jamais à une subjectivité créatrice mais à l’infini des complexes ustensiles »
(p. 361).
Il faut cependant des centres pour organiser le sens des choses, des
repères vers quoi les choses peuvent aller pour s’organiser et prendre leur
sens. Ex. de Sartre : « Carthage est delenda pour les Romains, mais servanda
pour les Carthaginois » (p. 362).
NB : phrase curieuse : « la main d’autrui me renvoie à l’instrument
qui me permettra d’utiliser cette main (menaces-promesses-salaires, etc.) »
(p. 362-363) . Sartre met sur le même plan, en tant qu’outil, le marteau, la
main - ce qui se comprend encore - mais aussi les menaces, les promesses,
ce qui est verbal. Cela est moins compréhensible, parce qu’il ne va pas de soi
qu’on ait un rapport instrumental au langage. Mais, d’une certaine manière,
cela se trouve confirmé dans Situations X, sur le langage.
L’univers est ainsi « un renvoi objectif indéfini d’outil à outil. En ce
sens la structure du monde implique que nous ne puissions nous insérer dans
le champ d’ustensilité qu’en étant nous-mêmes ustensile, que nous ne
puissions agir sans être agis » (p. 363). Nous n’employons pas notre corps
comme instrument, nous sommes notre corps.
« Au terme de ces exposés… » (p. 365), on voit qu’on ne peut d’abord
dire qu’on a un corps, pour ensuite étudier le monde ou la façon dont le
monde nous apparaît à travers le corps. « Loin que le corps soit pour nous
premier et qu’il nous dévoile les choses, ce sont les choses-ustensiles qui,
dans leur apparition originelle, nous indiquent notre corps. Le corps n’est pas
un écran entre les choses et nous : il manifeste seulement l’individualité et la
contingence de notre rapport originel aux choses-ustensiles ».
NB : référence à Bachelard, pour « le “coefficient d’adversité” des
objets ». Mais, si Sartre reconnaît que Bachelard à raison de souligner la
résistance des choses par elles-mêmes, ce qui semble, d’après lui, avoir été
ignoré par Husserl et Heidegger, il souligne que ce qui est premier, c’est
quand même l’ustensilité, c’est-à-dire ce par quoi il y a des ustensiles,
autrement dit, le pour-soi, en tant que son corps est centre du monde - ou
plutôt, ce autour de quoi les choses se centrent. Remarquer aussi que Sartre
ne parle pas de sens ici, seulement d’organisation spatiale, de centre,
d’espace hodologique (du grec odos, chemin, terme emprunté à Lewin,
comme une note de la Théorie des émotions le confirme, p. 42).
3) « Nous pouvons à présent préciser la nature-pour-nous de notre
corps » (p. 365 - 370)
Conclusions précédentes : le corps est perpétuellement le dépassé. En
tant que dépassé, il est le Passé. Même le corps, je le suis ou plutôt, le suis
été sans l'être plus. Il est un point de vue et un point de départ, que je suis et
que je dépasse - vers ce que j'ai à être. Le corps est la nécessité de ma
contingence, de deux façons :
- est le ressaisissement continuel du pour-soi par l'en-soi et le fait
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ontologique que le pour-soi ne peut être que comme l'être qui n'est pas son
propre fondement. Par ma néantisation, j'échappe à mon corps. « Être pour
soi, c'est dépasser le monde… » (p. 366). Mais cela ne peut être que de cette
façon-là, dans cette perspective, et c'est là ma finitude, qui est condition
nécessaire du projet originel du pour-soi.
- est l'obstacle à dépasser pour être dans le monde. Être pour soi, c'est
faire qu'il y ait un monde en le dépassant.
Ainsi, par ce dépassement, nécessaire au sein de sa contingence, mon
corps ne peut être ni saisi, ni connu : il est cet « insaisissable donné » (p.
367).
Et, comme tel, il est condition nécessaire de mon action. Ce qui fait la
différence entre désirer et vouloir, c'est précisément l'épaisseur de monde
entre moi et moi-même, par mon corps ; sans quoi « il suffirait de concevoir
pour réaliser » (Id.).
C'est par mon corps que je suis renvoyé à ma naissance, c'est-à-dire à
l'en-soi que je suis de fait sans avoir à l'être. « Naissance, passé, contingence,
nécessité d'un point de vue, condition de fait de toute action possible sur le
monde : tel est le corps, tel il est pour moi. Il n'est donc nullement une
addition contingente à mon âme, mais au contraire une structure permanente
de mon être et la condition permanente de possibilité de ma conscience
comme conscience du monde et comme projet transcendant vers mon futur"
(Id.).
Que le corps joue un rôle nécessaire, et donc primordial, dans la
manière d'être de la conscience, dans ce qu'elle perçoit, on le comprend. Ce
qu'on voit moins, c'est pourquoi c'est par le corps que je suis renvoyé à mon
passé, et à ma naissance : pourquoi le corps est-il là nécessaire ? Pourquoi
une mémoire ne suffit-elle pas ? On dira que ma mémoire me renvoie encore
à la position de mon corps dans le monde. Mais justement, c'est bien la
mémoire qui y renvoie, non d'abord le corps. Nulle part, il n'est fait mention
de cette faculté de se remémorer. Parce que j'aurai beau avoir un corps,
sans mémoire, ce corps ne me renverrait pas vers ma naissance. On dirait
que lors de la naissance, il n'y a qu'un corps qui naît, et non pas aussi une
conscience, même endormie, non éveillée, etc.
C'est parce que j'ai un corps que je ne puis être tout à la fois et que je
dois choisir. « En ce sens ma finitude est condition de la liberté, car il n'y a
pas de liberté sans choix et, de même que le corps conditionne la liberté
comme pure conscience du monde, il la rend possible jusque dans sa liberté
même ».
« Reste à concevoir ce que le corps est pour moi, car, précisément
parce qu'il est insaisissable, il n'appartient pas aux objets du monde, c'est-àdire à ces objets que je connais et que j'utilise » (p. 368).
Ce qui caractérise le corps, c'est qu'il est le point de vue sur lequel on
ne peut avoir de point de vue, l'instrument que je ne puis utiliser au moyen
d'un autre instrument. La conscience existe son corps - pour éviter la relation
de propriété (avec le verbe avoir) et la distance qu'introduirait forcément le
verbe être. La relation de la conscience au corps est ainsi une relation
existentielle. Qu'est-ce à dire ?
- d'abord, que la conscience ne peut exister son corps que comme
conscience. Comme il n'y a pas, sur le plan de la conscience irréfléchie du
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corps, une conscience du corps, le corps appartient aux structures de la
conscience non-thétique (de) soi. La conscience du corps est conscience non
thétique de la manière dont elle est affectée. N'est-ce pas une autre manière
de parler de ce qui affecte inconsciemment ? « La conscience (du) corps est
latérale et rétrospective » (p. 369). « La conscience du corps se confond avec
l'affectivité originelle ». Distinguer cependant
- « l'affectivité, telle que l'introspection nous la révèle, qui est déjà
affectivité constituée ; elle est conscience du monde » (p. 370). Plan de la
transcendance et du choix.
- les « qualités affectives pures » (Id.) - affectivité intentionnelle
dirigée vers moi (vers ma douleur, etc.). « C'est l'intention même qui est
affection, elle est acte pur et déjà projet, pure conscience de quelque chose.
Ce ne saurait être elle qui peut être considérée comme conscience (du)
corps » (Id.).
- « Cette intention ne saurait être le tout de l'affectivité », car nous
pouvons imaginer une telle affection sans nécessairement en ressentir les
effets : c'est une intention vide. « Pourtant il existe quelques expériences
privilégiées où l'on peut le [« ce coenesthésique »] saisir dans sa pureté, en
particulier celle de la douleur qu’on nomme “physique” » (p. 371).
4) « C'est à cette expérience que nous allons nous adresser pour fixer
conceptuellement les structures de la conscience (du) corps » (p; 371 - 378)
Description d'abord de l'expérience : la lecture d'un livre malgré une
douleur aux yeux. Saisir « la manière dont la conscience existe sa douleur ».
- la douleur n'est pas dans l'espace, mais pas non plus dans le temps
objectif ; « elle se temporalise et c'est dans et par cette temporalisation que
peut apparaître le temps du monde » (p. 373).
- la douleur est matière translucide de la conscience, son être-là, son
rattachement contingent au monde (Id.).
- La réflexion cherche à faire de la douleur un objet-douleur (p. 375)
Le corps détermine un espace psychique qui sous-tend la réflexion
psychique. Sartre distingue le corps originel, tel qu'il est vécu par chaque
conscience dans sa contingence propre, et le corps psychique, qui est le
corps vécu « sur un nouveau plan d'existence, c’est-à-dire comme pur
corrélatif noématique d'une conscience réflexive » (p. 377). Ce corps n'est
pas encore connu, il faudrait le surgissement de l'autre pour qu'il le soit.
Tout ce passage, appelant la notion de réflexion psychique (donc
impure – Sartre parle aussi de « réflexion complice »), fait appel ou fait écho
à celui sur les deux types de réflexion, dans le chapitre sur la temporalité.
Ainsi, c'est le corps « qui paraît dès que nous nommons le psychique ; c'est
lui qui est à la base du mécanisme et du chimisme métaphorique dont nous
usons pour classer et pour expliquer les événements de la psyché ; c'est lui
que nous visons et que nous informons dans les images (consciences
imageantes) que nous produisons pour viser et présentifier des sentiments
absents ; c'est lui enfin qui motive et, en quelque mesure, justifie des théories
psychologiques comme celle de l'inconscient, des problèmes comme celui de
la conservation des souvenirs » (p. 378). Ce qui était critiqué, dans le
chapitre sur la temporalité, c'était de prendre cette conscience réflexive
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comme ultime fondement et socle de la conscience. Mais que cette
conscience existe ne fait pas de doute. Elle est encore ici, cependant,
dénoncée comme source d'erreur, apparemment, à propos de l'inconscient et
de la mémoire (dite « conservation des souvenirs »). Le corps psychique, ce
serait donc quelque chose comme la représentation (mais non cognitive) que
se fait d'elle-même la conscience dans le monde ou sur fond de monde, une
fois le regard de l'autre porté sur moi, ce qui ne peut se faire que par le corps
- sur fond de mon corps, à partir de lui.
II) Le corps-pour-autrui
Résumé des réflexions précédentes :
- ou bien mon corps « est le centre de référence indiqué à vide par les
objets-ustensiles du monde… » (p. 379),
- « …ou bien il est la contingence que le pour-soi existe ».
Il s'agit maintenant d'étudier le corps dans une nouvelle perspective
ontologique : l'existence du corps pour autrui.
On a vu encore que « le corps n'est pas ce qui me manifeste autrui
d'abord ». Cela peut paraître étonnant, et à l'encontre de l'expérience
commune. Comment comprendre cette idée ? Il semble que Sartre s'en tienne
à des arguments théoriques, au fondamental, à ce qui est de l'ordre du
concevable : l'impossibilité qu'il en aille autrement lui semble acquise par le
raisonnement, puisque, dit-il en guise d'explication : « si, en effet, la relation
fondamentale de mon être à celui d'autrui se réduisait au rapport de mon
corps au corps de l'autre, elle serait pure relation d'extériorité. Mais ma
relation à autrui est inconcevable si elle n'est pas une négation interne. Je
dois saisir autrui d'abord comme ce pour quoi j'existe comme objet ; le
ressaisissement de mon ipséité fait apparaître autrui comme objet dans un
second moment de l'historialisation antéhistorique ; l'apparition du corps
d'autrui n'est donc pas la rencontre première, mais au contraire, elle n'est
qu'un épisode de mes relations avec autrui, et, plus spécialement, de ce que
nous avons nommé l'objectivation de l'autre ; ou si l'on veut, autrui existe
pour moi d'abord et je le saisis dans son corps ensuite ; le corps d'autrui est
pour moi une structure secondaire » (p. 379).
La clé de mon rapport à l'autre, c’est que la relation soit négation
interne, et non pure relation d'extériorité.
- 1er moment : autrui est d'abord celui « pour qui j'existe comme
objet » : le « moi » est premier dans la relation, non pas forcément comme si
tout se faisait à partir de moi (quoique Sartre vienne de montrer que le corps
est centre de référence pour les objets du monde, qui l'organise), mais en tant
que c'est le pilier fondamental, le point d'où tout part. « Autrui existe pour
moi d'abord »
- 2ème moment : objectivation de l'autre, où il m'apparaît comme
objet. « Ensuite, je le saisis dans son corps ».
Est-ce qu'il découle, du fait d'établir avec l'autre une relation de
négation interne, qu'on retombe dans les vieilles catégories d'objet et de
sujet, d'une part, et que ce qui est premier est le sujet, d'autre part - et non le
visage de l'autre, par exemple ?
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Structure du texte :
Introduction : premier point à rappeler, fondamental : il y a une
relation fondamentale à autrui, qui n'est pas celle qui passe par son corps ; ce
n'est pas le corps d'autrui d'abord que je saisis.
1 - p. 379 à 381: saisir le corps d'autrui « en tant qu'il est indiqué
latéralement par les choses-ustensiles de mon univers » (p. 381in fine).
Qu'autrui soit présent ou absent, les choses indiquent toujours sa présence. Il
semble qu'on reprenne ici le texte du jardin public – Cf. le rapport entre le
corps-pour-autrui et le regard. Mais alors pourquoi pas un même moment ?
Pourquoi dissocier le corps-pour-autrui de ce qui me met en rapport avec lui,
à savoir le regard ?
Ce qu'on a du mal à comprendre, c'est la différence, au bout du
compte, entre le corps d'autrui et un outil ou ustensile (p. 380 : « Ainsi, le
corps d'autrui est radicalement différent de mon corps-pour-moi : il est l'outil
que je ne suis pas et que j'utilise […] Le corps d'autrui, c'est donc autrui luimême comme transcendance-instrument »)
2 - p. 381 à 386 : saisir autrui dans son être-là de « chair et d'os », non
pas dans la structure fondamentale de mon rapport avec le corps d'autrui,
mais dans ce qu'apporte de neuf sa présence, son apparition. Comprendre la
signification de ce corps qui m'apparaît.
a) « Tout d'abord » (p. 382) la contingence du corps d'autrui est
maintenant explicite, et non plus implicite (comme dans son absence).
« Ainsi, l'existence même d'autrui comme autrui-pour-moi implique qu'il se
dévoile comme outil possédant la propriété de connaître et que cette
propriété de connaître soit liée à une existence quelconque objective » (p.
383). Deux choses étonnantes : autrui comme outil, ce qui peut déjà, on l'a
vu, choquer, et comme possédant la propriété de connaître, alors que nous
sommes sur le terrain de l'originel, et que cette propriété a été refusée
comme étant une structure au moins seconde.
b) Ensuite (p. 384) autrui n'est pas d'abord corps et ensuite en
situation, mais il « m'est donné originellement comme corps en situation ».
c) « De là résulte… » (p. 385) : « Ainsi, ma perception du corps
d'autrui est-elle radicalement différente de ma perception des choses ».
3 - p. 389-391: « Ces considérations permettent d'expliquer ce que
nous nommons le caractère ». Passage à mettre en relation avec celui sur la
réflexion impure. Le caractère est essentiellement pour-autrui, car on ne se
connaît pas de caractère de l'intérieur. En ce sens, le caractère ne se distingue
pas du corps. « Entre le tempérament et le caractère, il n'y a […] qu'une
différence de raison, et le caractère s'identifie avec le corps » (p. 390).
« Dès la première rencontre […] autrui est donné tout entier et
immédiatement, sans voile ni mystère. Apprendre ici, c'est comprendre,
développer et apprécier » (p. 390 in fine). Ceci peut choquer, on peut penser
que l'autre est d'abord ce qui m'est opaque, mystérieux, etc. C'est ce que
disent Merleau-Ponty et Lévinas. Contre une philosophie du mystère et de
l'opacité, Sartre est le philosophe de la transparence, celle de la conscience,
et celle d'autrui-pour-moi. Comment expliquer cela ? Cf. Réflexions sur la
question juive : il n'y a pas de détail, de personne avec des moments
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juxtaposés, qui soit par exemple bon père de famille, doux, et par ailleurs,
antisémite, mais l'antisémitisme contamine toute la personnalité. Cela
ressemble à du Bergson, à propos de la non-juxtaposition, et de la manière
dont les états d'âme se contaminent les uns les autres, s'entre-pénètrent).
C'est pourquoi autrui se donne d'un coup, et est toujours tout entier ; ou
encore, il est totalité détotalisée, inachevée, mais totalité d'abord de ce qu'il a
été jusque là : on porte sur soi, sur son visage et dans sa manière d'être, tout
ce qu'on est.
Le problème est ensuite un problème de décryptage, sans doute,
d'interprétation. C'est pourquoi, là, on ne peut pas partir du phénomène tel
qu'il se donne dans l'expérience, à savoir l'incompréhension que j'ai envers
autrui, et l'impression qu'il m'est étranger, opaque, incompréhensible, etc.
Mais il faut mettre cette expérience entre parenthèse (il y a là une réduction
du sensible à quelque chose de plus originel), pour saisir non pas comment
autrui se donne à moi, mais ce que doit être ma relation originelle à autrui.
Même formulation que dans le chapitre sur le temps, pour saisir ce que doit
être cet être bizarre qu'est le temps, sauf qu'on est plus inquiet du procédé
quand il s'agit de traiter de l'autre (n'est-on pas dans le pur raisonnement,
déconnecté de toute réalité justement ? Comment la même méthode peut-elle
s'appliquer à deux objets aussi différents, le temps et l'autre ?) Est-ce qu'en
terme sartrien, on pourrait accuser Merleau-Ponty ou les autres penseurs qui
font de l'autre un être obscur, d'avoir confondu deux plans de réflexion, le
pur et l'impur (idem critique à Bergson, dans le chapitre sur la temporalité) ?
Ou plutôt, le fondamental ou originel, et les structures secondaires ou
l'immédiat ? Ce qui apparaît immédiatement n'est pas, en effet, ce qui est
originellement.
III. La troisième dimension ontologique du corps
Rappel des trois dimensions ontologiques du corps, ou modes d'être
du corps :
- « j'existe mon corps » : rapport de moi à mon corps, signification du
rapport entre mon corps et le monde, ou plutôt, rôle de mon corps dans mon
rapport au monde.
Niveau de la « liaison originelle de la désignation et du vécu : les
choses perçues désignent ce que “j'existe” subjectivement » (p. 393).
- « mon corps est utilisé et connu par autrui » : rôle d'autrui, comme
faisant partie du monde, dans mon rapport au monde ; ce qu'est l'autre pour
moi, à travers son corps, et ce que je suis pour l'autre - manière dont je suis,
à travers mon corps, perçu par l'autre (c'est-à-dire, connu).
- « j'existe pour moi comme connu par autrui à titre de corps » :
répercussion ou conséquence de la deuxième dimension : manière dont je me
vois, étant ce que je suis pour autrui (c'est-à-dire objet connu). C'est la
conscience que j'ai d'exister pour autrui.
Conséquence du deuxième niveau : « le vécu désigné devient désigné
comme chose hors de la subjectivité, au milieu d'un monde qui n'est pas le
mien. Mon corps est désigné comme aliéné. L'expérience de mon aliénation
se fait dans et par des structures affectives comme la timidité ».
Structure du texte :
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1) p. 392-394 : explicitation de cette troisième dimension
« …la rencontre d'autrui ne m'atteint pas seulement dans ma
transcendance… », c'est-à-dire en faisant que je vois ma transcendance
transcendée par autrui, mais me fais saisir en même temps ma propre
facticité « dans sa fuite vers un être-au-milieu-du-monde ». Je me vois être
vu, et je m'apparais alors différemment de ce que je pouvais être quand
j'existais seulement pour moi (à titre de conscience non thétique de moi) Je
peux en effet saisir ma facticité de deux manières :
- dans sa néantisation non-thétique ;
- en l'existant.
Me saisir par le détour d'autrui, c'est saisir mon corps comme autrui le
connaît, c'est tout à coup me voir vu, et ce point de vue nouveau sur moi
m'échappe (« point de vue intime sur lequel je ne puis prendre aucun point
de vue » - « Mon corps m'échappe vers un être-outil-parmi-des-outils, vers
un être-organe-sensible-saisi-par-des-organes sensibles, cela avec une
destruction aliénante et un effondrement concret de mon monde qui s'écoule
vers autrui et qu'autrui ressaisira en son monde » (p. 393). L'exemple qui suit
est celui du médecin qui m'ausculte.
Je fais donc l'expérience de mon corps aliéné (p. 393 in fine),
expérience qui se fait à travers des structures affectives telle que la timidité.
2) p. 394 - 398 : quelle réalité a le corps-pour-l'autre ? Qu'est-il pour
nous, quelle réalité a-t-il effectivement ? Ce corps-pour-l'autre n'est qu'irréel,
et pourtant, il a plus de réalité pour nous que notre corps-pour-nous. Il
semble que l'autre nous voit comme nous sommes. Sartre montre ensuite les
conditions nécessaires pour que cela soit possible. C'est à ce niveau que se
fait l'assimilation analogique de mon corps et de celui d'autrui. On retrouve
également à ce niveau la réflexion impure (Sartre dit à nouveau
« complice ») et le corps psychique.
- "Revenons, par exemple, à notre description de la douleur physique"
(p. 395 in fine).
3) p. 398- p. 400 : « Nous n'avons pas épuisé avec les remarques
précédentes la description des apparitions de mon corps ». Voir ce cas
particulier, qui est quand je vois ma main, comme si elle était un objet du
monde. Dans ce cas-là, nous pouvons prendre sur notre corps le point de vue
d'autrui. Ce qui ne veut pas dire que cette apparition de mon corps est la plus
fondamentale : les penseurs qui n'ont vu que cet aspect ont inversé le
problème, d'où leurs erreurs après.
Chapitre III : Les relations concrètes avec autrui
Rappel du chemin parcouru jusqu'ici et mise au point du sens du texte
qui suit (p. 401-404) :
- description de la relation fondamentale avec l'autre ;
- cette relation a permis d'expliciter les trois relations d'être de notre
corps ;
- le corps est apparu comme la « signification » (p. 401) de mes
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relations avec autrui, qui en marque les limites (par sa facticité) ;
- examiner maintenant les relations concrètes : « elles ne sont pas de
simples spécifications de la relation fondamentale : bien que chacune
enveloppe en elle la relation originelle avec autrui comme sa structure
essentielle et son fondement, elles sont des modes d'être entièrement neufs
du pour-soi. Elles représentent, en effet, les différentes attitudes du pour-soi
dans un monde où il y a l'autre » (Id.).
Rappel, p. 402 de ce qu'est le pour-soi : il se temporalise, est fuite,
poursuivant-poursuivi, « fondement de toute négativité et de toute relation, il
est la relation ».
« Cela étant, le surgissement d'autrui atteint le pour-soi en plein
cœur » (Id.), car autrui fige le pour-soi en en-soi. Ce que je cherche, c'est à
récupérer le fondement de mon être, détenu par l'autre. « Transcender la
transcendance d'autrui ou, au contraire, engloutir en moi cette transcendance
sans lui ôter son caractère de transcendance, telles sont les deux attitudes
primitives que je prends vis-à-vis d'autrui » (p. 403). Ces deux attitudes sont
l'une dans l'autre : « au sein même de l'une, l'autre demeure toujours
présente, précisément parce qu'aucune des deux ne peut être tenue sans
contradiction ». Ces deux attitudes se produisent et se détruisent en cercle.
On commencera par les conduites par lesquelles le « pour-soi tente de
s'assimiler la liberté d'autrui » - donc, de récupérer son fondement,
« engloutir en moi cette transcendance sans lui ôter son caractère de
transcendance » : amour, langage, masochisme.
Les deux attitudes qui vont suivre sont des réactions fondamentales
« à l'être-pour-autrui comme situation originelle » (p. 419 in fine).
I) La première attitude envers autrui : l'amour, le langage, le
masochisme.
« Tentative pour assimiler la conscience de l'autre par l'intermédiaire
de mon objectité pour lui » - et échec (cité p. 419-420).
Structure :
1) - p. 404-406 : introduction générale (conceptualisation de la
première attitude).
2) - p. 406-413 : première application, l'amour.
Pourquoi l'amant veut-il être aimé ? (p. 406)
- on ne désire pas l'asservissement de l'être aimé (p. 407) ;
- mais l'amant demande en même temps un serment de fidélité et s'en
irrite, car il faut que l'amour soit sans cesse repris comme tel, sans cesse
réaffirmé pour aimer l'autre pour lui-même - c'est la position de l'autre, la
manière dont il est considéré dans la relation qui est en jeu (p. 407-408)
- « On saisit à présent le sens de cette exigence… » (p. 408-412)
Rapport entre l'amour et le langage (p. 412-414) : « On dira que ces
diverses tentatives d'expression supposent le langage. Nous n'en
disconviendrons pas ; nous dirons mieux : elles sont le langage ou, si l'on
veut, un mode fondamental du langage », dont le sens m'échappe forcément,
car c'est autrui qui détient ou peut conférer un sens autre à ce que je dis.
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L'expression est, par essence, déjà objet (ne m'appartient plus).
3) - la triple destructibilité de l'amour : p. 414-417
- première contradiction : aimer, c'est vouloir être aimé, ce qui produit
un jeu de miroir et d'illusion, semblable au reflet-reflétant de la conscience.
- deuxième contradiction : comme chacun reste libre, je peux toujours
devenir objet pour l'autre (alors que dans l'amour, chacun est sujet) - il y a
risque perpétuel de retomber dans une relation d'objectivation.
- troisième contradiction : les autres risquent toujours de relativiser
notre amour, ce qui lui fait perdre son caractère d'absoluité (valeur, fait). Ce
qui me rend, pour et par les autres, ou fier ou honteux - dénaturation du lien
amoureux.
4) p. 427-419 : « l'entreprise se traduira sur le plan concret par
l'attitude masochiste"
Je m'acharne là à me faire exister par autrui non pas comme sujet,
comme dans l'amour, mais comme objet parmi les autres, comme un
instrument à utiliser. C'est ma transcendance qu'il s'agit de nier, non la
sienne.
En fait, il n'y a pas vraiment trois temps, l'un sur l'amour, l'autre sur le
langage, puis sur le masochisme, mais c'est tout un, et on passe facilement
d'une attitude à une autre, sans vraiment le vouloir. Le point commun entre
les trois, c'est le fait qu'on se trouve être sujet pour l'autre :
- en le voulant, dans l'amour ;
- sans le vouloir, bien au contraire, dans le masochisme, puisqu'un
excès de recherche de sa propre objectivité (être objet pour l'autre) libère la
subjectivité (on fait l'autre objet pour-nous dans l'espoir d'être soi-même
objet, ce qui produit l'effet contraire. Exemple : l'homme qui demande à une
femme de le fouetter)
II) Deuxième attitude envers autrui : l'indifférence, le désir, la
haine, le sadisme (pp. 419-453).
Après l'échec de la première attitude, on en vient à une deuxième
attitude : « …me tourner délibérément vers l'autre et […] le regarder. En ce
cas, regarder le regard d'autrui, c'est se poser soi-même dans sa propre liberté
et tenter, du fond de sa propre liberté, d'affronter la liberté de l'autre » (p.
420). Tentatives encore vouées à l'échec.
Cela vient du fait qu'autrui ne peut que rebondir de la façon
exactement inverse de celle que j'attendais, et cela, parce qu'il est, comme
moi, poursuivant-poursuivi, transcendance-transcendée, etc. Il y a forcément
conflit à l'origine, et échec à la fin, comme si aucune relation avec l'autre
n'était viable : « Ma déception est entière puisque je cherche à m'approprier
la liberté d'autrui et que je m'aperçois d'un coup que je ne puis agir sur l'autre
qu'en tant que cette liberté s'est effondrée sous mon regard » (p. 420). Cela
fait un peu philosophie du malheur, tout au moins de l'échec prévisible. On
ne saisit pas bien le sens de ces descriptions, parce qu'elles paraissent un peu
prophétiques : finalement, il n'est pas sûr qu'on ne fasse que décrire,
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justement parce que l'avenir, la possibilité d'un changement est comme niée
par ces descriptions de fait - même si elles sont théoriques, … Si L’Etre et le
Néant était jusque là optimiste, regonflant, motivant, on dirait que tout se
dégonfle ici, par ces échecs prévus et apparemment inéluctables. Ou alors,
les descriptions sont de la même veine que celle de Hegel, avec le maître et
l'esclave, cela doit rester une grille de lecture, un outil d'interprétation.
1) p. 420-422 : l'indifférence. Je choisis de « regarder le regard de
l'autre" et je bâtis ma subjectivité sur l'effondrement de celle de l'autre. C'est
une cécité vis-à-vis des autres. Du coup, les autres sont vus selon leur
fonction : le poinçonneur de tickets n'est rien d'autre que celui qui remplit
cette fonction, etc. « Il y a des hommes qui meurent sans avoir – sauf
pendant de brèves et terrifiantes illuminations - soupçonné ce qu'était
l'autre » (p. 421).
2) p. 422-425 : le désir sexuel, « …tentative originelle pour me saisir
de la subjectivité libre de l'Autre à travers son objectivité-pour-moi ».
Remarquer que, contrairement aux psychologues, le désir sexuel, dans
ce passage, n'est pas une réaction psycho-physiologique, mais un fait de
conscience. D'autre part, si Heidegger n'en parle pas dans son analytique
existentielle, il y a cependant lieu de prendre en compte la différenciation
sexuelle. Pour Sartre, la vie sexuelle ne vient pas de surcroît, comme fait
contingent, mais c'est une structure fondamentale du pour-autrui. C'est en ce
sens que le problème de la sexualité est bien un problème d'ontologie. Cela
renvoie au désir, car c'est par le désir d'abord que j'appréhende l'Autre
comme être sexué (ou par le non-désir que j'en ai).
3) p. 425-431 : « Qu'est-ce donc que le désir ? Et d'abord, de quoi y at-il désir ? »
Sartre signale d'abord les idées auxquelles il faut renoncer, pour
« définir le désir par son objet transcendant ». Le désir est par lui-même
irréfléchi (et non sur le plan de la conscience réflexive, sauf s'il est posé
explicitement comme l'objet à supprimer). Avec le désir, on retrouve
l'intentionnalité affective que Husserl et Scheler ont décrite.
« Mais de quel objet y a-t-il désir ? » (p. 426, en haut) Du corps ?
C'est plus que cela : « le désir pose le monde et désire le corps à partir du
monde et la belle main à partir du corps » (p. 426, milieu). « Un corps vivant
comme totalité organique en situation avec la conscience à l'horizon : tel est
l'objet auquel s'adresse le désir » (Id.).
« Qui est-ce qui désire ? » (p. 426 en bas) La conscience irréfléchie,
non positionnelle. Autant un besoin comme la faim ne compromet pas le
pour-soi, autant le désir compromet le pour-soi. « …le désir est tout entier
chute dans la complicité avec le corps » (p. 428). « On glisse vers un
consentement passif au désir » (Id.). Il faut entendre par cette passivité qu'on
ne peut l'éviter, comme on peut, quand on a faim, penser à autre chose.
« Mais au contraire, le plus faible désir est déjà submergeant ». « L'être qui
désire, c'est la conscience se faisant corps » (p. 429, milieu).
Remarquer qu'il y a peut-être ici comme une idée de passivité. On
trouve que la conscience peut être opaque, trouble, comme l'eau est trouble
(analyse du caractère trouble p. 427), et que le désir prend, en quelque sorte,
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le dessus sur l'activité de la conscience. On trouve encore, bien sûr, que la
conscience se choisit comme désir, ce qui fait dire que c'est toujours
l'activité de la conscience qui est première et fondamentale : « se choisir
comme désir, pour le pour-soi […] c'est se porter sur un certain plan
d'existence, qui n'est pas le même par exemple que celui d'un pour-soi qui se
choisit comme être métaphysique » (p. 427) (Qu'est-ce, d'ailleurs, que se
choisir comme être métaphysique ?) Il reste à savoir si ce choix est encore
l'expression d'une conscience claire, si ce choix est vraiment choisi « en
toute connaissance de cause ». Autre expression analogue : « dans le désir la
conscience choisit d'exister sa facticité sur un autre plan ».
« Quelle est la signification du désir…» (p. 429-431) « …c'est-à-dire :
pourquoi la conscience se fait-elle - ou tente-t-elle vainement de se faire corps et qu'attend-elle de l'objet de son désir ? » - « C'est une tentative
d'incarnation du corps d'autrui » (p. 430) et cela, par la caresse, qui est
façonnement. « Le désir s'exprime par la caresse comme la pensée par le
langage ». La caresse révèle le corps d'autrui en même temps qu'elle me
révèle à moi-même mon propre corps. « Ainsi dans le désir, il y a tentative
d'incarnation de la conscience (c'est ce que nous appelions tout à l'heure
empâtement de la conscience, conscience troublée, etc.) pour réaliser
l'incarnation de l'Autre ».
« Reste à déterminer quel est le motif du désir ou, si l'on préfère, son
sens » (p. 431-436). Le désir n'est pas le fait d'un hasard auquel ne
participerait pas la conscience, mais « la conscience se choisit désir ».
« Pourquoi la conscience se néantise-t-elle sous forme de désir ? » (p. 431 en
bas)
Deux remarques préalables pour répondre à cette question :
a) Noter que « la conscience désirante ne désire pas son objet sur fond
de monde inchangé ». Le désir est un autre plan d'existence pour le pour-soi,
qui transforme ses relations au monde, c'est-à-dire, finalement, le monde luimême.
b) p. 433, alinéa : « mais le désir n'est pas d'abord ni surtout une
relation au monde. Le monde ne paraît ici que comme fond pour des
relations explicites avec l'autre ». Je ne puis me découvrir chair que pour et
par un autre - jamais indépendamment de l'autre.
« Nous pouvons maintenant expliciter le sens profond du désir » (p.
433, 2ème alinéa) : ce que je veux m'approprier, c'est l'au-delà de l'autre, sa
liberté. Comme je ne peux y parvenir par le regard seulement, je réagis
autrement. « C'est alors que je me fais désir. Le désir est une conduite
d'envoûtement » (p. 434). Il s'agit de toucher la libre subjectivité de l'autre.
NB., p. 435, en bas : « Il ne faut pas comprendre les descriptions
précédentes, comme si je me mettais délibérément en état de trouble avec le
dessein de retrouver le pur "être-là" de l'Autre. Le désir est un projet vécu
qui ne suppose aucune délibération préalable, mais qui comporte en soimême son sens et son interprétation ». La réalisation ne se distingue pas de
la conception, le projet n'est pas conçu, mais vécu - c'est cela, sa conception.
Comment ne pas entendre ici de la passivité ? À mettre en relation avec la p.
428 milieu, avec les deux « il semble », qui atténuent l'aveu, si l'on peut dire,
de passivité. Ou plutôt, il faut voir si Sartre n'entend pas par passivité
l'enchaînement nécessaire dans lequel je me trouve pris, et dont je ne peux
plus me déprendre - mais c'est bien moi qui en suit à l'origine et qui l'ai
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choisi. Je suis ainsi encore actif dans un enchaînement nécessaire, au moins
pour l'activer. Après tout, à tout moment, je peux m'enfuir ou faire cesser le
trouble.
Le but ultime du désir est encore de faire que l'autre apparaisse désir,
chair à ses propres yeux (p. 436).
« Toutefois, le désir est lui-même voué à l'échec » (p. 437). Ce qui
reste troublant, c'est que, d'abord, dans cette page, cela soit présenté comme
une certitude, puis qu'on ait l'impression ensuite que cela reste une
possibilité, que le désir se transforme en masochisme (« Il arrive même
souvent que cet échec du désir motive un passage au masochisme »).
Définition de Sartre : « ma conscience, se saisissant dans sa facticité, exige
d'être saisie et transcendée comme corps-pour-autrui par la conscience de
l'autre : en ce cas l'autre-objet s'effondre et l'autre-regard apparaît et ma
conscience est conscience pâmée dans sa chair sous le regard de l'autre » (p.
438).
« Mais inversement, le désir est à l'origine de son propre échec en tant
qu'il est désir de prendre et de s'approprier » (p. 448). Suit la description de
cet échec, qui nous amène à la conclusion : « c'est cette situation qui est à
l'origine du sadisme » (p. 439). Encore une fois, on ne sait pas ici si le
passage du désir à la forme du sadisme est nécessaire ou non.
4) p. 439-447 : « le sadisme est passion, sécheresse et acharnement ».
« …il n'a d'autre ressource que de traiter l'autre en objet-ustensile, cherche à
utiliser le corps de l'autre comme un outil pour faire réaliser à l'autre
l'existence incarnée » (p. 439).
L'obscène, le disgracieux et le gracieux. Référence au clinamen des
Épicuriens, comme « imprévisibilité », « indéterminisme », terme qui n'a pas
l'air laudatif. Sens de l'exigence sadique : « …ne cherche pas à supprimer la
liberté de celui qu'il torture mais à contraindre cette liberté à s'identifier
librement à la chair torturée » (p. 443).
« Nous voulions simplement montrer que le problème du sadisme est
en germe dans le désir lui-même, comme l'échec du désir » (p. 444). Le
désir, par son inconsistance, oscille constamment entre le sadisme et le
masochisme (Id.).
C'est un perpétuel échec, car on ne sort pas du cercle de « l'êtreregardant à l'être-regardé » (p. 446)
5) Remarques de conclusion (ou mise au point) : p. 446-453. « Dès
qu'il “y a” le corps et qu'il “y a” l'autre, nous réagissons par le désir, par
l'amour et par les attitudes dérivées que nous avons mentionnées » (p. 447).
« Ainsi pourrons-nous dire que le pour-soi est sexuel dans son surgissement
même en face d'autrui et que, par lui, la sexualité vient au monde ».
Ces trois attitudes, l'amour, le désir sexuel et la haine, sont
fondamentales, et toutes les autres, plus complexes, « ne sont que des
enrichissements de ces deux attitudes originelles » (p.447). Toutes les autres
relations « enferment en elles les relations sexuelles comme leur squelette ».
Mais la différence avec Freud, c'est qu'il ne s'agit pas là de libido, mais avant
tout d'un rapport à l'autre. La libido, c'est d'abord en rapport avec l'individu
tout seul, c'est statique, d'une certaine manière, cela concerne l'individu seul.
Tandis que, pour Sartre, c'est dynamique, dans le sens où cela permet de
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passer sur un autre plan d'existence, cela permet de « réaliser le pourautrui ».
La clé des rapports avec autrui (p. 448), c'est le cercle, qui provient
de la structure de la conscience, perpétuelle renvoi à elle- même. Du coup,
ce jeu de renvoi, instable, quand il entre en résonance avec un autre pour-soi,
résonne doublement : cela fait un cercle infernal : « ainsi sommes-nous
renvoyés indéfiniment de l'autre-objet à l'autre-sujet et réciproquement ; la
course ne s'arrête jamais et c'est cette course, avec ses inversions brusques de
direction, qui constitue notre relation à autrui » (p. 448). « Nous poursuivons
l'idéal impossible de l'appréhension simultanée de sa liberté et de son
objectivité ».
p. 449-450 : comment respecter la liberté d'autrui ? Question des
moyens. « Ainsi, le respect de la liberté d'autrui est un vain mot… ».
p. 450-452 : les notions de culpabilité et de péché.
p. 452-453 : la haine. À rapprocher de Réflexions sur la question juive.
La haine aussi est un échec.
III) L' "être-avec" (Mitsein) et le "nous".
Il s'agit de prendre en compte une expérience particulière, celle du
« nous », dans laquelle des subjectivités se présentent les unes aux autres
non pas comme transcendances-transcendées (= objectivées), mais comme
transcendances-transcendantes (= sujets).
- p. 453 : établir d'abord l'existence de cette expérience, et son infinie
variété (apparemment, contrairement aux autres expériences) ; établir aussi
ce qu'elle revêt : « la reconnaissance des subjectivités est analogue à celle de
la conscience non-thétique par elle-même : mieux, elle doit être opérée
latéralement par une conscience non-thétique dont l'objet thétique est tel ou
tel spectacle du monde » (p. 454). Ex. : le « nous » des spectateurs regardant
le même spectacle - conscience non-thétique de co-spectateur.
- préciser la différence avec la thèse de Heidegger (p. 455) :
l'expérience du « nous » ne peut être « le fondement de notre conscience
d'autrui. Il est clair, en effet, qu'elle ne saurait constituer une structure
ontologique de la réalité-humaine : nous avons prouvé que l'existence du
pour-soi au milieu des autres était à l'origine un fait métaphysique et
contingent ».
- préciser ce que peut être la conscience du « nous » : doit être
éprouvé par une conscience particulière (et non idée d'intersubjectivité) :
« pour qu'une conscience prenne conscience d'être engagée dans un nous, il
faut que les autres consciences qui entrent en communauté avec elle lui aient
été données d'abord de quelque autre manière ; c'est-à-dire à titre de
transcendance-transcendante, et non de transcendances-transcendée […]
L'être-pour-l'autre précède et fonde l'être-avec-l'autre ».
- distinguer deux formes du nous, selon que l'on est objet ou sujet
(patient ou acteur), qui correspondent à l'être-regardé ou à l'être-regardant.
A) p. 455-463 : Le « nous »-objet. (être-regardé en commun)
Le nous-objet nous précipite dans le monde : « nous l'éprouvons par la
honte comme une aliénation communautaire ». Ex. : des galériens qui
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suffoquent de honte parce qu'une jolie femme « voit leurs haillons, labeur et
misère ». Comment cette expérience est-elle possible ? Revenir aux
caractères fondamentaux de notre être-pour-l'autre.
Suit la description (p. 456-460) des variations de modalités entre trois
sujets, selon les alliances (les différents types d'association). Le nous-objet
apparaît quand (p. 457), engagé dans un conflit avec un autre, un tiers
apparaît, qui nous faire subir à tous deux, corrélativement, une modification
globale de notre situation, en nous faisant tous deux objet pour lui. Ceci
s'éprouve à titre non-thétique et sans en avoir de connaissance. Le nous-objet
n'est ni connu, ni senti, ni éprouvé (c'est la situation qui l'est), il ne se
découvre que « par l'assomption que je fais de cette situation, c'est-à-dire par
la nécessité où je suis, au sein de ma liberté assumante, d'assumer aussi
l'autre, à cause de la réciprocité interne de la situation » (p. 458, en bas).
Description des situations propices à l'avènement du nous-objet (p.
470-). La conscience de classe (p. 461) ; la classe opprimée. Ce qu'on peut
en conclure, à nouveau, c'est que « l'épreuve du nous-objet suppose celle de
l'être-pour-autrui dont elle n'est qu'une modalité plus complexe » (p. 462, en
haut). La foule (p. 462 en bas).
Passage au « nous-sujet » (p. 463) : ce « nous » que nous ne pouvons
être qu'aux yeux des autres implique « qu'il puisse exister un projet abstrait
et irréalisable du pour-soi vers une totalisation absolue de lui-même et de
tous les autres ». Ce « nous-sujet » ne peut se poser qu'en rapport avec un
tiers envers qui le nous sera objet, qui doit donc être exclu de cette totalité
que nous formons, à savoir l'humanité. Ce sera alors un concept-limite
d'altérité, qui s'apparente à l'idée de Dieu. Ainsi, « ce nous-humaniste
demeure un concept vide, une pure indication d'une extension possible de
l'usage ordinaire du nous ».
B) p. 464-471 : Le nous-sujet
Comment accède-t-on à l'idée de cette communauté-sujet ? Par le
monde, et en particulier par les objets manufacturés.
Remarquer cependant que 1°) cette expérience est d'ordre uniquement
psychologique, et non ontologique, elle ne correspond à rien de concret ou
de réel (modification de la structure intime d'une conscience singulière qui
consiste à se saisir comme transcendance indifférenciée). C'est seulement
une manière de se sentir avec les autres (p. 467 en haut).
Remarquer ensuite 2°) que « l'expérience du nous-sujet ne saurait
être première, elle ne peut constituer une attitude originelle envers les autres,
puisqu'elle suppose, au contraire, pour se réaliser, une double reconnaissance
préalable de l'existence d'autrui ». Sartre semble, de son propre aveu (bas p.
478), reprendre les analyses de Heidegger. Mais la conclusion à en tirer est
autre : « pour que l'objet apparaisse comme manufacturé, il faut que l'autre
soit donné d'abord de quelque autre manière ». Ainsi, l'expérience du noussujet « se construit sur l'épreuve originelle d'autrui et ne saurait être qu'une
expérience secondaire et subordonnée ».
Suivent les implications de cette expérience du nous-sujet comme
transcendance indifférenciée sur la manière dont il faut que le sujet
s'appréhende (comme pure exemplification de l'espèce humaine) et dont il
appréhende les autres (ni comme sujets ou objets ; ils ne sont pas posés du
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tout).
p. 469. Première conclusion sur le nous-sujet : rappeler sa valeur
d'expérience uniquement psychologique et personnelle, fugace, et idéale. Se
glisse dans la p. 469, une analyse ou essai d'explication de l'absence de l'idée
de nous-sujet pour le bourgeois : il ne peut pas y avoir de conscience de
classe du bourgeois (qui reste profondément anarchique), du fait de sa
situation, et parce qu'il se saisit comme tiers impartial, ne subissant pas le
regard objectivant de la classe opprimée, encore trop faible.
Milieu p. 470 : « Au terme de cette longue description… ».
Conclusion générale. Rappel du but poursuivi : une théorie générale de l'être.
Nous ne pouvons pas encore la faire, car nous n'avons pris en compte que la
dimension statique du pour-soi, c'est-à-dire en tant qu'il est un être projetant
simplement ses possibilités par-delà l'être-en-soi. Or, en se projetant ainsi, il
change le monde à chaque instant. C'est cette dimension ou aspect
dynamique du pour-soi qu'il faut prendre en compte maintenant. C'est là un
autre rapport originel du pour-soi à l'en-soi, l'agir.
Les questions à poser sont : définition de l'agir, raisons d'agir du
pour-soi et moyens de possibilité : « Nous avons tous les éléments d'une
réponse : la néantisation, la facticité et le corps, l'être-pour-autrui, la nature
propre de l'en-soi. Il convient de les interroger à nouveau ».
Structure d'ensemble du pour-autrui (3ème partie)
Le chapitre I, sur l'existence d'autrui, traite un problème classique,
celui de la manière de rejoindre l'autre, d'être sûr de son existence. Sartre
montre l'échec des deux grandes voies pratiquées jusque là, le réalisme et
l'idéalisme, pour finir par voir que c'est d'emblée que l'autre appartient à mon
champ de perception (l'expression n'est pas dans Sartre, mais dans Deleuze.
Comment dire ? champ d'existence ? d'action ? …) Finalement, on ne
découvre rien de plus que ce qui était déjà en place avant, dès l'introduction,
à savoir que la relation est constitutive du cogito ; et même, le pour-soi ou la
conscience n'est que « relation à… ». Simplement, il faut prendre en compte
la spécificité de cet « objet », l'autre, qui est un autre pour-soi, et dont la
rencontre va engendrer de nouvelles formes de modifications. L'autre est
donc éprouvé par le pour-autrui, et non connu, c'est là le gain essentiel - la
pierre d'achoppement des erreurs des philosophies précédentes pour saisir le
pour-autrui.
Le chapitre II, sur le corps, développe en long et en large ce qui a été
mis en place dans la dernière partie du chapitre I, à savoir le regard. Il faut
revoir la place tout à fait centrale de ce passage, et comprendre pourquoi il
appartient à « l'existence d'autrui », et non au « corps ». Disons, comme
première hypothèse à vérifier, que le regard est entièrement vers la
conscience, comme tout le premier chapitre : la relation à autrui appartient
de fait à la structure de la conscience, être-pour-soi, c'est simultanément êtrepour-autrui, et cela est une nécessité de fait. C'est par le regard que nous
appréhendons l'être de l'autre, et si nous sommes d'abord objet pour l'autre,
c'est par notre corps : c'est notre corps qui permet cette objectivation, c'est
pourquoi il faut, dans un deuxième temps, comprendre ce qu'est le corps.
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On peut dire que le gain essentiel sera ici de montrer que le corps est
tout entier conscience, comme la conscience est tout entière corps, avec cette
particularité, par rapport à la conscience vue jusque là, que le corps a une
position géographique dans l'espace, qu'il ancre, en quelques sorte, comme
une amarre, la conscience dans le monde. C'est pourquoi on peut dire que le
corps est centre de référence, ce à partir de quoi les objets indiquent vers
moi. Et, point également important, le corps est facticité : c'est par lui, parce
que, par lui, je suis nécessairement en situation dans le monde, que mon
existence est facticité (revoir à quel moment Sartre parle de la facticité de la
conscience - peut-on envisager, à un moment donné, une conscience sans
corps ? En fait, on ne peut s'empêcher, avec la démarche suivie par Sartre, de
comparer avec celle de Descartes, qui commence par l'âme pour aller vers le
corps. Ici, le point de départ, identique, le cogito, étant réinterprété, c'est
toute la méthode et la démarche qui sont transformées).
Il faudra envisager trois dimensions ontologiques (comprendre en quoi
elles sont ontologiques) :
1) - le corps-pour-moi (fiction, en fait, où on envisage ce qu'est mon
corps quand autrui n'est pas là - à vérifier), ou corps originel ;
2) - le corps psychique, c'est-à-dire pour autrui : relations réciproques.
3) - conséquence de la deuxième dimension : autrui me voyant, je
m'éprouve, du coup, d'une autre façon que selon la première dimension.
Il n'y a pas de dialectique entre ces trois dimensions, on peut plutôt
penser qu'elles sont superposées, ou entremêlées, et que c'est l'analyse (par
une opération de réduction) qui les démêle. La première dimension est
vraiment sous le coup de la réduction, car il n'est pas sûr que nous puissions
en avoir d'emblée une expérience concrète.
« Dire que le pour-soi existe sa facticité, comme nous l'avons vu au
chapitre sur le corps, cela revient à dire que la néantisation est vain effort
d'un être pour fonder son propre être et qu».
Il semble que le chapitre III mette en pratique, ou montre
concrètement comment on peut interpréter, à la lumière de cette manière de
concevoir les relations du pour-autrui (dans cette notion, est comprise toute
la complexité des trois dimensions ontologiques, c'est-à-dire des trois
relations que je peux avoir avec mon corps, ou moi-même comme ancré dans
le monde : sur le mode de la réflexion pure, sur le mode de la réflexion
impure, comme corps constituté à partir du regard des autres), les relations
affectives avec l'autre.
«…mon projet fondamental envers Autrui - quelque soit l'attitude que
je prenne - est double : il s'agit d'une part de me protéger contre le danger
que me fait courir mon être-dehors-dans-la-liberté-d’autrui et d'autre part
d'utiliser autrui pour totaliser enfin la totalité détotalisée que je suis, pour
fermer le cercle ouvert et faire enfin que je sois fondement de moi-même »
(p. 421-422).
L'expérience du « nous » ne peut être constitutive de notre relation
fondamentale avec l'autre. Le troisième chapitre vient donc, dans l'ordre du
fondement, après les deux premiers, comme une conséquence à décrire. Ceci
dit, à l'intérieur de ce chapitre, Sartre va de l'apparent vers le fondement,
puisque le nous-objet implique l'existence d'un projet du nous-sujet (p. 463).
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Quatrième partie : avoir, faire et être
Ce sont les catégories cardinales de la réalité humaine. « La valeur
suprême de l'activité humaine est-elle un faire ou un être ? » Sartre montre
l'opposition entre deux grands types de morale, celle, substantialiste, qui
cherche à fournir à l'homme le moyen d'être, et celle, plus moderne, à partir
de Kant, qui a substitué le faire à l'être. L'étude de l'action est une des tâches
essentielles de l'ontologie, avec ses relations au faire et à l'avoir.
Chapitre premier. Être et faire : la liberté
I) La condition première de l’action, c’est la liberté (p. 477-526)
L'objectif du chapitre est de mettre au jour notre totale et infinie
liberté. Il ne s'agit ici que de tirer les conséquences de ce qui a été mis en
place dans les trois premières parties.
Dans le I, on a montré que le pour-soi était fondamentalement libre,
ou ontologiquement libre, cette liberté étant une émanescence du pour-soi,
de son caractère néantisant. Ainsi, le pour-soi ne peut pas ne pas être libre, et
ne peut pas ne pas se construire ou agir selon un projet, qui éclairera le sens
du monde - et lui conférera ce sens-là. Rien, dans le pour-soi, ne peut venir
limiter ou enrayer cette liberté : ni inconscient (on a éliminé son existence
dans la première partie, deuxième chapitre), ni absence de volonté (cette
faculté n'étant qu'une structure secondaire du pour-soi), ni caractère ou
tempérament (on les choisit), ni émotions (qu'on choisit aussi) - on choisit en
général se manière d'être au monde. Mais rien non plus, hors du pour-soi,
dans le monde, ne peut venir limiter cette liberté, si ce n'est la liberté de
l'autre, ce qui est l'objet (les limites extérieures au pour-soi) du II. Le III met
en avant la conséquence sur le plan moral de cette totale liberté : notre totale
responsabilité.
À vrai dire, c'est dans les conséquences qu'on se demande si Sartre est
bien réaliste.
Tout ce qui précède est repris dans ce chapitre (la temporalité, la
néantisation), pour montrer en quoi c'est fondement, ou pour agencer cela
plus concrètement (autrui, repris en situation).
La quatrième partie aborde le registre du pratique : et en pratique,
qu'est-ce que ça donne, tout ce qui a été élaboré théoriquement dans les trois
premières parties ?
1) p. 477-482 : premières considérations sur le rapport de l'acte avec
la liberté.
Préciser quelle doit être la méthode pour parler de la liberté : avant de
gloser sur le déterminisme et le libre arbitre, il faut expliciter les structures
contenues dans l'idée même d'action.
D'abord une action est par principe intentionnelle, c'est-à-dire qu'elle
est directement voulue (et non occasionnelle).
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Deux conditions pour qu'on puisse parler d'action (p. 479-480) :
1°) aucun état de fait ne peut de lui-même motiver un acte quelconque
2°) aucun état de fait ne peut déterminer la conscience à le saisir
comme négatité ou comme manque.
Il faut donc une double néantisation de la situation actuelle, qui ne
peut venir que de la conscience, c'est-à-dire de la liberté de l'être agissant.
Aussi (p. 480 en bas), les discussions des déterministes et partisans
de la liberté d'indifférence sont stériles, car ils s'attachent à de fauxproblèmes :
- savoir si on peut parler ou s'il existe des actes sans motif ;
- ils assimilent à tort le rapport de l'acte au motif ou mobile à celui du
phénomène avec la cause.
Or, « le mobile ne se comprend que par la fin, c'est-à-dire du nonexistant » (milieu p. 481). « Il en résulte qu'il est impossible, en effet, de
trouver un acte sans mobile, mais qu'il n'en faut pas conclure que le mobile
est cause de l'acte : il en est partie intégrante » (p. 482). « L'acte est
l'expression de la liberté ».
Noter, p. 491, que Sartre parle de temporalisation, le futur et la fin de
l'acte se rapportant au passé dans le surgissement de l'acte présent. C'est
donc tout un, liberté et temporalisation.
2-a) p. 482-485 : décrire plus précisément la liberté (remarque de
méthode)
Difficulté pour cette description : décrire, c'est ordinairement décrire
une essence. Or, la liberté n'a pas d'essence (= être soumis à une nécessité
logique), c'est d'abord une existence. Difficulté déjà rencontrée, pour décrire
l'être du phénomène et le néant. « Il peut y avoir des descriptions qui ne
visent pas l'essence, mais l'existant lui-même, dans sa singularité » (p. 482).
En ce cas, ce qu'on peut décrire, c'est une singularité, et non ce qui se
donne comme commun à plusieurs : « lorsque j'ai décrit la conscience, il ne
pouvait s’agir d’une nature commune à certains individus, mais bien de ma
conscience » (Id.). La liberté, c'est bien une « étoffe de mon être », et non
une qualité surajoutée.
Noter un laxisme dans l'emploi du terme essence : d'abord, essence =
ce qui peut être soumis à une nécessité logique, puis essence = ce qui est
commun à l'autre et à moi-même. Confusion avec nature, dans le premier
sens ? Le terme est d'ailleurs employé six lignes plus loin.
Noter la critique à Husserl et à Descartes sur le traitement apporté à
l'expérience du cogito : il ne peut livrer une vérité d'essence, mais seulement
une nécessité de fait.
2-b - p. 483-485 : description de la compréhension que je dois
nécessairement posséder de la liberté
« …quelques remarques que nous devons à présent résumer ici » :
- premier chapitre : la négation vient au monde par le pour-soi, qui ne
peut être qu'un être capable de réaliser une rupture avec le monde et avec luimême
- cette possibilité permanente d'une rupture ne fait qu'un avec la liberté
- « mais, d'autre part, nous avions constaté que cette possibilité
permanente de néantiser ce que je suis sous forme de "l'avoir-été" implique
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pour l'homme un type d'existence particulier » qui est le fait d'être son propre
néant : « être, pour le pour-soi, c'est néantiser l'en-soi qu'il est » (p. 483, en
bas).
Conclusion : « je suis condamné à être libre » : « nous ne sommes pas
libres de cesser d'être libres » (comprendre que cette négation n'est quand
même pas une passivité de notre part). Montrer que « la liberté coïncide en
son fond avec le néant qui est au cœur de l'homme » (p. 485 en haut).
3) p. 485-490 : amener des découvertes nouvelles et, d'abord, « tirer
au clair les rapports de la liberté avec ce que l'on nomme la volonté ».
- exposé de la thèse déterministe. Descartes identifie liberté et volonté,
et réserve le déterminisme pour les passions. Référence aussi aux Stoïciens
et à Proust, pour montrer qu'à chaque fois, on est obligé de conclure à une
sorte de dualité ou de schisme dans l'individu, qui d'un côté, est libre, et d'un
autre, celui des passions, est entièrement déterminé. Le problème concerne
alors le rapport entre ces deux parties.
- première objection : « une pareille dualité tranchée est inconcevable
au sein de l'unité psychique ». Noter le mot « spontanéité » : « se
déterminant à être et ne relevant que d'elle-même » - p. 486). Ce qui est
repris ici, c'est la critique du psychique comme instance ultime, dans le
chapitre sur la temporalité, « la réflexion ». La volonté et les passions étant
deux choses hétérogènes l'une à l'autre, on ne peut en faire la synthèse. À la
suite de cette discussion, il reste deux solutions : ou « l'homme est
entièrement déterminé (ce qui est inadmissible, en particulier parce qu'une
conscience déterminée, c'est-à-dire motivée en extériorité, devient pure
extériorité elle-même et cesse d'être conscience), ou il est entièrement libre »
(p. 486-7). On vient de montrer qu'il ne peut être à la fois l'un et l'autre.
- « aller plus avant » dans l'étude de la volonté pour comprendre la
liberté. Définir les conditions pour que la volonté soit autonome :
- qu'elle ne soit pas un fait psychique (p. 487) ;
- « la liberté, étant assimilable à mon existence, est fondement des fins
que je tenterai d'atteindre, soit par la volonté, soit par des efforts passionnels.
Elle ne saurait donc se limiter aux actes volontaires ». Précision sur le sens
de « originel » dans l'expression « liberté originelle » : « …il ne faut pas
entendre une liberté qui serait antérieure à l'acte volontaire ou passionné,
mais un fondement rigoureusement contemporain de la volonté ou de la
passion et que celles-ci manifestent chacune à sa manière" (p. 488). C'est la
liberté, dans son surgissement, qui pose des fins, et la volonté ne fait que se
déterminer par rapport à elles. « Ce qui reste à décider à tout instant, c'est la
façon dont je me conduirai vis-à-vis d'elles, autrement dit l'attitude que je
prendrai. Serai-je volontaire ou passionné ? Qui peut le décider sinon moi
? » (p. 488-489).
4) p. 490-496: description des mobiles et des motifs.
À première vue (p. 490-493), on peut proposer les définitions
suivantes :
- motif : raison d'un acte, c'est-à-dire ensemble des considérations
rationnelles qui le justifient. Appréciation objective de la situation. « Nous
appellerons donc motif la saisie objective d'une situation déterminée en tant
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que cette situation se révèle, à la lumière d'une certaine fin, comme pouvant
servir de moyen pour atteindre cette fin » (p. 491 début).
- mobile : considéré comme un fait subjectif. « Ensemble des désirs,
des émotions et des passions qui me poussent à accomplir un certain acte ».
Rapport entre les deux ? Ce sont « deux couches de signification
radicalement distinctes » (p. 491 in fine) (explication objective, et
explication subjective, psychologique).
Mais, à la réflexion, ce qui apparaît ensuite, c'est :
- « Loin que le motif détermine l'action, il n'apparaît que dans et par le
projet d'une action » (p. 492 in fine). Il y a donc, au fondement et de manière
déterminante, la fin, le projet posé par le pour-soi, qui est le mobile. « Alors,
tout s'éclaire, et nous pouvons concevoir les relations de ces trois termes,
motifs, mobiles et fins » (p. 493 milieu). « De même que la conscience de
quelque chose est conscience (de) soi, de même le mobile n'est rien autre que
la saisie du motif en tant que cette saisie est consciente (de) soi. Mais il
s'ensuit évidemment que le motif, le mobile et la fin sont les trois termes
indissolubles du jaillissement d'une conscience vivante et libre qui se
projette vers ses possibilités et se fait définir par ces possibilités » (p. 493 in
fine).
Retour pour comprendre les raisons de la mésinterprétation des
psychologues : « d'où vient alors que le mobile apparaît au psychologue
comme contenu affectif d'un fait de conscience en tant que ce contenu
détermine un autre fait de conscience ou décision ? » (p. 494) C'est que le
mobile, passéifié, se donne comme un savoir, et donc comme extérieur à la
conscience. Ce qui donne l'impression qu'il peut déterminer une action (on
oublie le lien intime entre les deux).
Il y a donc bien possibilité de se tromper, en confondant les deux
niveaux (de l'apparaître et de l'originel), et croire ainsi à une détermination
de nos actions plutôt qu'à notre entière liberté.
« De cela résulte que la délibération volontaire est toujours truquée »
(p. 495). "Quand la volonté intervient, la décision est prise et elle n'a d'autre
valeur que celle d'annonciatrice ». En fait, la volonté apparaît comme une
instance vide ou fantôme, ce qu'on pouvait pressentir quand Sartre parlait de
« vouloir vouloir » (p. 487, début de l'étude sur la volonté - p. 489 surtout,
sur les contradictions de la représentation classique de la volonté). Il n'y a
donc pas de lien constitutif des rapports entre liberté et volonté, mais la
volonté est une certaine structure de l'acte, qui est celle de « l'apparition
d'une conscience réflexive qui saisit le mobile comme quasi-objet, ou même
qui l'intentionne comme objet psychique à travers la conscience réfléchie »
(p. 495)
« Si donc la volonté est par essence réflexive, son but n'est pas tant de
décider quelle fin est à atteindre puisque, de toute façon, les jeux sont faits,
l'intention profonde de la volonté porte plutôt sur la manière d'atteindre cette
fin déjà posée » (p. 496). Ce qu'il était essentiel d'établir, c'est l'absence de
rapport entre la volonté et la liberté. La liberté nous traverse de part en part,
c'est la texture ou la consistance (ou inconsistance) même de notre être, en
vertu de la temporalité originelle qui nous caractérise : nous ne pouvons pas
être déterminé du dehors, rien n'agit de façon déterminante sur nous, sans
que nous le sachions. Ce projet fondamental, c'est l'intention. La volonté est
un mode de conscience, comme la passion ou autre état affectif, ou encore
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un « événement psychique d'une structure propre, qui se constitue sur le
même plan que les autre et qui est supporté ni plus ni moins que les autres,
par une liberté originelle et ontologique » (p. 496-7).
5) « Du même coup, la liberté apparaît comme une totalité
inanalysable ». Comment se représenter la liberté alors ? (p. 507-521)
Ce qui peut effrayer, c'est que la liberté ou nos actes soient purs
caprices, gratuits, car nos actes apparaissent comme inexplicables, sans
raison - ce que le déterminisme gagne, c'est au moins cette explication de
nos actes.
Rappel des « résultats certains que l'analyse a permis d'acquérir » : la
liberté est néant et « a à l'être dans de multiples dimensions » (p. 497) :
- d'abord, en se temporalisant (conséquences : ne peut jamais se
laisser déterminer par son passé) ;
- ensuite « en surgissant comme conscience de quelque chose et (de)
soi-même » (conséquence : rien d'extérieur à la conscience ne peut la
motiver) ;
- enfin en étant transcendance (c'est-à-dire être qui se définit par sa
fin).
Ceci ne signifie pas que l'acte libre soit ou insignifiant, ou quelconque.
Pourquoi cette interprétation ? Voir le sens que la liberté a pour le sens
commun (p. 498). Sartre prend l'exemple de la fatigue : suis-je libre de
résister à mon corps ? Puis-je vraiment choisir sans aucun facteur extérieur ?
Si on parle de liberté absolue, alors la volonté est toute-puissante, contre les
résistances du corps lui-même. La question n'est pas de savoir si j'aurai pu
faire autrement, mais à quel prix j'aurai pu le faire.
Reprendre cet exemple, pour le considérer selon deux approches,
l'une, théorique (p. 498-514), l'autre, selon la réalité concrète (p. 514).
- approche théorique (p. 498-514) : la valeur accordée à la fatigue,
comme supportable ou intolérable, n'est qu'une structure secondaire qui
s'intègre dans un choix plus large, plus fondamental, le choix originel. Par
exemple, aimer sa fatigue, c'est faire exister plus fortement la nature autour
de soi, c'est « une manière de s'approprier la montagne, de la souffrir
jusqu'au bout et d'en être vainqueur ». Mais ceci suppose encore un rapport
particulier au corps, et aux choses, qui peut être une valorisation de la
facticité (pour la reprendre à son compte ; c'est un type de fuite de la facticité
: aimer sa fatigue). On atteint ainsi le « rapport originel que le pour-soi
choisit avec sa facticité et avec le monde. Mais ce rapport originel est-il rien
d'autre que l'être-dans-le-monde lui-même du pour-soi en tant que cet être
dans le monde est choix, c'est-à-dire que nous avons atteint le type originel
de néantisation par quoi le pour-soi a à être son propre néant ? » (p. 500).
Au contraire, souffrir sa fatigue, c'est exister son corps comme s'il
comptait pour rien, comme s'il était négligeable. Je cherche à me
débarrasser, de ma fatigue, mais sans souplesse, en raideur – « et cela tout
simplement parce qu'elle incarne mon corps et ma contingence brute au
milieu du monde, alors que mon projet est de faire sauver mon corps et ma
présence dans le monde par les regards de l'autre ».
Freud a la même intuition, qu'un acte ne renvoie pas à ce qui le
précède, mais qu'il signifie quelque chose de plus profond. C'est la seule
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école qui est partie « de la même évidence originelle que nous » (p. 502).
Similitude et différences avec Freud (p. 513-515). Le gros reproche, c'est
que « la dimension du futur n'existe pas pour la psychanalyse » (p. 503).
Ainsi, si Freud parvient à échapper à un déterminisme psychique horizontal,
il n'échappe pas à celui, vertical, qui en fait, et en dernier ressort, demeure
axé sur un déterminisme horizontal. « Ainsi devons-nous nous borner à nous
inspirer de la méthode psychanalytique » (p. 503). Méthode qu'il faut
appliquer en sens inverse. Référence à Adler aussi, avec le complexe
d'infériorité (pour contester son utilisation - non son existence).
Suit, p. 504 en bas, un aperçu de la méthode psychanalytique de Sartre
(en deux mouvements, psycho-analyse régressive de l'acte vers le possible
ultime, et progression synthétique de ce possible redescendre vers l'acte pour
saisir son intégration dans la forme totale).
Qu'est cette forme, nommée le possible ultime ? Ce n'est pas un
possible parmi d'autres, mais « la synthèse unitaire de tous nos possibles
actuels » (p. 505). Ne pas oublier que toutes nos actions, comme les
perceptions, sont toujours sur fond de monde. « Notre surgissement est une
passion en ce sens que nous nous perdons dans la néantisation pour qu'un
monde existe (p. Id.).
L'acte fondamental de liberté (haut p. 506-507), c'est le « choix de
moi-même » dans chaque acte et, corrélativement, la découverte du monde à
chaque acte. Cependant, comment peut-on imaginer que ce choix
fondamental d'être soit entièrement conscient, avec toutes les implications
qu'il suppose ? Sartre pose ici la question de la possibilité de zone d'ombre
dans la conscience : « si rien n'est dans la conscience qui ne soit conscience
d'être, pourrait-on nous objecter en effet, il faut que ce choix fondamental
soit choix conscient ; or, précisément, pouvez-vous affirmer que vous êtes
conscient, lorsque vous cédez à la fatigue, de toutes les implications que
suppose cet acte ? Nous répondrons que nous en sommes parfaitement
conscients. Seulement cette conscience elle-même doit avoir pour limite la
structure de la conscience en général et du choix que nous faisons » (Id.). La
limite de la conscience, c'est qu'elle ne peut être conscience positionnelle de
monde et conscience réflexive d'elle-même en même temps. Et ce « choix
que nous faisons » n'est nullement délibéré, parce qu'il est le fondement de
toute délibération. Il est le choix originel. Distinguer le choix délibéré, qui
est le résultat ou la suite du choix originel, ou fondamental ou liberté
originelle. Cette liberté originelle est celle qui décide des fins (en fonction de
quoi, ensuite, sont appréciés les mobiles et motifs), mais non pas de façon
posée (la fin n'est pas posée par la conscience, ce qui ne veut pas dire qu'elle
est inconsciente) : elle est conscience non positionnelle.
Sartre distingue la conscience non positionnelle de l'inconscient :
l'esprit est entièrement conscience, mais étant toujours conscience de, est
aussi conscience non positionnelle de soi (conscience (de) soi), ce qui n'est
pas une absence de conscience. « La conscience (de) choix est alors
identique à la conscience (de) soi ». « Il faut être conscient pour choisir et il
faut choisir pour être conscient. Choix et conscience sont une seule et même
chose » (p. 506). Mais comme la conscience est globale, qu'elle porte sur la
globalité de notre être, « nous ne pouvons espérer avoir une conscience
analytique et détaillée de ce que nous sommes. Cette conscience, d'ailleurs,
ne saurait être que non-thétique » (p. 507, bas).
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« D'autre part, le monde nous renvoie exactement, par son articulation
même, l'image de ce que nous sommes » (Id.) (même idée que plus haut :
« mon ultime et totale possibilité comme intégration originelle de tous mes
possibles singuliers et le monde comme totalité qui vient aux existants par
mon surgissement à l'être sont deux notions rigoureusement corrélatives »).
« Nous choisissons le monde non dans sa contexture en-soi, mais dans sa
signification - en nous choisissant ». Bien que nous n'ayons pas une
conscience connaissante de ce que nous sommes - qui pourtant, est partout
présent autour de nous dans le monde -, la nécessité de nous choisir
perpétuellement se traduit par le double sentiment d'angoisse et de
responsabilité, qui sont les qualités de la conscience.
Nous pouvons répondre maintenant à la question : à quel prix aurai-je
pu ne pas céder à la fatigue ? (p. 508) Gain de l'analyse théorique : il n'y a
pas d'acte gratuit, mais tout acte s'interprète à partir d'un projet originel.
Ainsi, modifier l'acte, c'est modifier le projet originel. Cela ne signifie pas
que le projet originel ne puisse être modifié : il peut l'être à tout moment, car
rien ne le justifie, et c'est lui qui est le fondement de tout. « Toutefois,
entendons bien que notre choix actuel est tel qu'il ne nous fournit aucun
motif pour le passéifier par un choix ultérieur » (p. 510 en haut).
Ne pas se représenter le choix originel comme « se produisant d'un
instant à l'autre ». « Liberté, choix, néantisation, temporalisation, ne font
qu'une seule et même chose » (p. 510).
Remarque sur la consistance et la réalité de l'instant (p. 510-511).
« L'instant, s'il doit pouvoir exister, doit être borné par un double néant » (p.
511 haut). Ce sera non pas un rien, un néant absolu, mais la néantisation
opérée par la conscience d'un projet antérieur et la néantisation de sa
poursuite, de telle sorte que l'instant est à la fois fin et commencement.
« L'instant n'existera donc que si nous sommes à nous-même commencement
et fin dans l'unité d'un même acte », ce qui est le cas dans la modification
radicale de notre projet d'être. Ou encore, l'instant est la « brisure néantisante
de la temporalisation » (p. 512).
Comprendre les résultats obtenus par cette analyse en les comparant à
une autre théorie de la liberté, celle de Leibniz par exemple (p. 512-514) :
- point commun : exemple d'Adam mangeant la pomme ; il eût été
possible qu'il ne la mange pas. Mais alors, cela impliquait un autre Adam.
- différence : Leibniz réduit l'ordre chronologique à n'être qu'une
expression symbolique de l'ordre logique. (Même critique que dans le
chapitre sur la temporalité).
Le problème de la liberté se place non dans ce qui découle de
l'essence, mais dans le choix même de cette essence, qui se fait déterminer
par l'existence, par les actes. C'est le futur, en ce sens, qui annonce ce que
nous sommes.
- Approche concrète (p. 514-521).
Doit venir rectifier l'idée qu'on pourrait déduire ce qu'on est à partir de
la fin ultime. C'est pour cela que l'exemple de Leibniz s'impose, car lui
déduit, en quelques sortes, ce que nous sommes de l'essence. Ne pas croire,
donc, que Sartre déduit ce que nous sommes de l'existence (à partir de la fin,
et non du passé). « En fait, la réalité est bien autrement complexe ». Ce qu'il
faut établir :
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- que la liaison de l'acte dérivé (souffrir ou aimer sa fatigue) au projet
fondamental n'est pas de déductibilité, mais c'est « une liaison de totalité à
structure partielle » (p. 514). Ainsi, « la compréhension est l'interprétation
d'une liaison de fait et non la saisie d'une nécessité » (p. 515 en haut).
- il n'y a pas de barème objectif de l'appréciation du rapport des fins
secondaires à la fin ultime (bas p. 515: je peux me tromper sur l'appréciation
de cette fin : « il m'est donc possible, en fonction d'erreurs sur moi-même, de
m'imposer réflexivement, c'est-à-dire sur le plan volontaire, des projets qui
contredisent à mon projet initial, sans toutefois modifier fondamentalement
le projet initial » (p. 516). Ex. : projet initial = me choisir comme inférieur ;
je bégaie, et essaie de corriger cet effet. Je peux y parvenir par des moyens
techniques, mais mon complexe se déplacera ailleurs.
L'exemple reste choquant, car on ne peut imaginer que l'on se
choisisse inférieur, même sur le plan de la conscience irréfléchie : n'est-on
pas en droit d'invoquer une fragilité morale, induite par une enfance
particulière ? Ce seraient des situations particulières qui agiraient sur le
caractère. Le sujet ne serait pas entièrement à l'origine de ce qu'il est. Ce qui
reste obscur, c'est la manière dont Sartre parvient à rejeter toute passivité.
Rien n'arrive qui ne soit choisi, d'une certaine manière.
« Comme cette inefficacité profonde de l'acte volontaire dirigé sur soi
peut surprendre, nous allons analyser de plus près l'exemple choisi » (p. 516521) : différences et similitudes avec la théorie de Adler sur le complexe
d'infériorité.
Noter, p. 519 : reprise de la mauvaise foi du patient qui se rend chez
l'analyste. Avant, il était question de Freud pour parler de la psychanalyse,
ici, c'est d'Adler, pour le complexe d'infériorité. Cite aussi Janet.
6) « Au terme de cette longue discussion, il semble que nous soyons
parvenus à préciser un peu notre compréhension ontologique de la liberté. Il
convient de reprendre à présent en une vue d'ensemble les différents
résultats obtenus » (p. 521-526)
1°) être, pour la réalité humaine, c'est agir. Ce qui signifie qu'il n'y a
aucune donnée (data) dans la réalité humaine, existant à la manière de
choses.
2°) la détermination à l'action est elle-même action. L'existence de
l'acte implique son autonomie (sans quoi la notion de conduite se détruit
d'elle-même, comme chez Janet et les béhavioristes).
3°) si l'acte est pur mouvement, il doit se définir par une intention. La
question à poser est la suivante : quelle peut « être la structure ontologique
d'un phénomène tel qu'il se fait annoncer ce qu'il est par quelque chose qui
n'est pas encore » ? « L'intention, qui est la structure fondamentale de la
réalité humaine, ne peut donc, en aucun cas, s'expliquer par un donné, même
si l'on prétend qu'elle en émane ». « …l'intention se fait être en choisissant la
fin qui l'annonce » (p. 522).
4°) « L'intention est conscience thétique de la fin. Mais elle ne peut
l'être qu'en se faisant conscience non-thétique de sa possibilité propre ».
« Ma fin est un certain état objectif du monde, mon possible est une certaine
structure de ma subjectivité ; l'une se révèle à la conscience thétique, l'autre
reflue sur la conscience non-thétique pour la caractériser » (p. 523).
5°) l'intention doit réaliser par son surgissement même une rupture
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avec le donné, quel qu'il soit.
6°) « Cette nécessité pour le donné de n'apparaître que dans les cadres
d'une néantisation qui le révèle ne fait qu'un avec la négation interne que
nous décrivions dans notre deuxième partie. (…) Mais si la conscience existe
à partir du donné, cela ne signifie nullement que le donné la conditionne :
elle est pure et simple négation du donné existant et comme engagement vers
une certaine fin encore non existante. » - « La liberté est simplement le fait
que ce choix est toujours inconditionné » (p. 524).
7°) la liberté est choix de son être, mais pas fondement. Ce qui fait
qu'un tel choix, ou qu'une telle liberté, peut paraître absurde. Mais il faut
prendre « absurde » dans le sens, non de sans aucune raison, mais de ce qui
donne la raison de toutes choses, qui est par delà toutes raisons, "ce par quoi
la notion même d'absurde reçoit un sens" (p. 524).
8°) « le projet libre est fondamental, car il est mon être ». Ce choix
doit être constamment renouvelé, repris et assumé. Comme je sens la
contingence de mes choix, qui le sont en effet, je sens aussi la totale
possibilité que j'ai de toujours pouvoir faire autrement.
On remarque que la liberté requiert un donné, qui est la facticité.
Étudier maintenant les relations entre liberté et facticité.
Ce qui a été établi :
- la liberté n'est pas une qualité ou un être, mais un faire, un agir. Être
libre, c'est agir, et l'être de la liberté, c'est l'action.
- la liberté est à comprendre par rapport au projet originel, c'est-à-dire
à la fin ultime, ou encore à mon possible ultime. C'est lui que je choisis, et
par quoi ensuite s'annonce ce que je suis, et qui confère ce sens-là au monde.
- la liberté n'est donc pas d'abord à mettre en rapport avec la volonté,
qui n'est qu'une structure secondaire de la conscience. De même, il faut
revoir la définition et la place des motifs et mobiles dans l'économie générale
de l'être libre ainsi conçu.
- mon projet et le sens du monde sont corrélatifs : l'un annonce ce
qu'est l'autre.
- Il reste à savoir quel est le rôle du monde sur mon projet : c'est là la
question de la facticité. Le monde se donne comme un donné, j'ai à faire
avec. Ce sera l'étude suivante.
Il n'y a rien en nous qui fasse obstacle au libre choix de ce que nous
sommes. Pour le montrer, Sartre étudie les deux obstacles qu'on pourrait
opposer à l'idée d'une liberté radicale. Dans le présent chapitre : un obstacle
intérieur (nos émotions, notre passé, la petite enfance, bref, un déterminisme
causal). Dans le chapitre suivant : l'obstacle du monde, extérieur ; il s’agit de
montrer qu'on est libre aussi contre les situations apparemment
incontournables que présente le monde.
Les grands moments de ce texte :
- reprise de la critique de l'inconscient et des théories psychanalytiques
(avec mise en avant de ce qui est bien chez elles, du point commun que
reprend Sartre.
- c'est Adler qui est cité, avec le complexe d'infériorité, dont Sartre
montre qu'il ne peut être antérieur, mais toujours transcendant
- sur la question de savoir si le choix fondamental est conscient : p.
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506. On peut comprendre là la différence, si vite oubliée, entre conscience et
connaissance.
- il y a sans cesse reprise, ou en tout cas, fondation supposée acquise
de la temporalité, avec tout ce qui est impliqué : contre un mécanisme
causal ; la négation interne; ce qu'est l'instant ; la reprise de la critique de
Leibniz
II) Liberté et facticité : la situation (p. 526-598)
Il s'agit de voir si ce qu'on va appeler les structures de la situation
peuvent ou non limiter ma liberté. Ma situation est-elle une limite de ma
liberté ?
1) Considérations générales.
Argument du bon sens contre la liberté : il y a trop de paramètres
contre lesquels il est vain de se battre ; nous sommes faits par notre situation,
plutôt que nous ne la faisons ou la décidons.
Réponse des partisans de la liberté, notamment Descartes : la volonté
est infinie, mais aussi, il vaut mieux « tâcher à nous vaincre plutôt que la
fortune » (p. 527). Ce qui signifie, pour Sartre, que c'est nous qui décidons
du coefficient d'adversité des choses (ex.: le rocher). « C'est donc notre
liberté qui constitue les limites qu'elle rencontrera par la suite » (p. 527). Et
il faut un residuum pour que la liberté soit seulement possible.
Autre remarque : « “être libre” « ne signifie pas “obtenir ce qu'on a
voulu”, mais “se déterminer à vouloir (au sens large de choisir) par soimême”. Autrement dit, le succès n'importe aucunement à la liberté » (p. 528
in fine).
Noter que l'exemple du rocher reste « mignon » : là, oui, le sens
dépend de moi. Mais dans une situation de guerre, où je suis pris, le sens ne
vient pas de moi, et il ne dépend pas de moi de contourner l'obstacle. Ainsi,
l'exemple donné est valable pour ce qu'il veut prouver, mais pas illustratif.
2) « Reprendre du début la question de la facticité » (p. 529-598)
Remarques introductives (p. 529-534) :
Le fait de ne pouvoir choisir d'être libre ou pas (absence de fondement
de la liberté), c'est-à-dire d'être délaissés, n'a « d'autre origine que l'existence
même de la liberté. Si donc on définit la liberté comme l'échappement au
donné, au fait, il y a un fait de l'échappement au fait. C'est la facticité de la
liberté » (p. 530).
Toute production à partir du néant ne saurait être que de l'en-soi.
1ère partie : le néant ne peut apparaître qu'au cœur de l'être.
Nous voyons ici qu'il y a préséance ontologique de l'en-soi sur le
pour-soi.
Ainsi, « la liberté est un moindre être qui suppose l'être, pour s'y
soustraire ». « Le surgissement de la liberté se fait par la double néantisation
de l'être qu'elle est et de l'être au milieu duquel elle est » (p. 531).
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« … le fait de ne pas pouvoir ne pas être libre est la facticité de la
liberté, et le fait de ne pas pouvoir ne pas exister est sa contingence.
Contingence et facticité ne font qu'un (…). Cela signifie que la liberté est
originellement rapport au donné » (p. 531-532).
« Mais quel est le rapport au donné ? » (p. 532) Il n'est ni cause, ni
raison, ni condition nécessaire, ni matière indispensable sur quoi la liberté
doive s'exercer. « La liberté s'intériorise comme négation interne du donné ».
- définition de la situation, p. 533. L'exemple est encore celui du
rocher, comme obstacle. L'exemple est-il topique, quand on parle de liberté
impossible ou enrayée ?
- « C'est donc seulement dans et par le libre surgissement d'une liberté
que le monde développe et révèle les résistances qui peuvent rendre la fin
projetée irréalisable » (p. 533 in fine). « Le paradoxe de la liberté, c'est qu'il
n'y a de liberté qu'en situation, et il n'y a de situation que par la liberté » (p.
534). Le donné que la liberté a à être, c'est la situation, qui comporte
plusieurs structures : ma place, mon corps, mon passé, ma position, ma
relation fondamentale à autrui. Examiner successivement ces différentes
structures, sans oublier qu'aucune d'elles n'est jamais donnée seule.
« A) Ma place » (p. 535-541)
C'est ma position géographique dans le monde, qui est à la fois voulue
par moi, et suite d'une position antérieure, guidée par les objets. De place
antérieure en place antérieure, on régresse jusqu'à ma naissance, dont la
place n'est plus rien de moi : « ainsi, naître, c'est, entre autres
caractéristiques, prendre sa place ou plutôt, la recevoir » (p. 535). On
retrouve à partir de là, les discussions entre partisans et adversaires de la
liberté. Mais la question reste confuse, et il convient « de porter le débat sur
son véritable terrain ».
Il faut partir de l'antinomie : la réalité humaine, à la fois, reçoit
originellement sa place au milieu des choses, et est ce par quoi quelque
chose comme une place vient aux choses.
- l'espace géométrique est un pur néant. Il faut considérer l'espace à
partir du point que j'occupe dans l'espace. Je suis là, non pas ici, mais là, et
c'est là le seul fait absolu, de pure contingence, et absurde. Je suis une place.
- mais, d'autre part, cette place que je suis est un rapport.
- la « détermination de l'emplacement, qui suppose toute la
transcendance, ne saurait avoir lieu que par rapport à une fin. C'est à la
lumière de la fin que ma place prend sa signification » (p. 537-8). "Si la
liberté est indispensable à la découverte de ma facticité" (…),
"réciproquement, la facticité est la seule réalité que la liberté peut découvrir,
la seule qu'elle puisse néantiser par la position d'une fin" (p. 539).
« Ainsi la liberté crée elle-même les obstacles dont nous souffrons »
(p. 540).
B) Mon passé (p. 541-549)
On ne peut échapper à son passé, ou le produire au gré de ses caprices.
Les décisions ne peuvent être prises qu'à partir de lui. Mais on retrouve le
même paradoxe que précédemment : je ne peux me concevoir sans passé,
mais je suis aussi celui par qui le passé vient à soi-même et au monde.
Examiner de plus près ce paradoxe. « Pour que le futur soit réalisable,
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il faut que le passé soit irrémédiable » (p. 542).
- le passé a un élément immuable (le fait), et un « élément par
excellence variable : la signification du fait brut par rapport à la totalité de
mon être » (p. 543).
- « la signification du passé est étroitement dépendante de mon projet
présent » (p. 543, milieu). « Moi seul peut décider à chaque moment de la
portée du passé » (Id.).
- p. 545 : rôle de l'histoire pour les nations : pourquoi on s'intéresse au
passé, comment il joue encore un rôle, compte tenu des projets. Parallèle
entre la société et la personne.
Choisir le sens donné au passé, c'est choisir le passé, et c'est ensuite le
réaliser par ses conduites (ex. du soldat « demi-solde » sous la restauration,
p. 547). En conséquence, il est « impossible de déterminer a priori le
pouvoir contraignant d'un passé » (p. 548).
Le passé, comme la place, motive les actes et les conduites du poursoi, par son choix du futur.
C) Mes entours (p. 549-554)
Ce sont les choses-ustensiles qui m'entourent (ne pas confondre avec
la place que j'occupe). « Les entours peuvent changer ou être changés par
d'autres sans que je sois pour rien dans leur changement ». Il y a une
potentialité propre des ustensiles. Par exemple, un pneu qui crève, un soleil
trop ardent, un vent trop fort qui m'empêchent de réaliser mes fins, et que je
n'avais pas prévus. Ne vais-je pas changer mon projet à cause de l'adversité
des choses ?
D'abord préciser et limiter le fond du débat (p. 550).
« La liberté implique l'existence des entours à changer : obstacles à
franchir, outils à utiliser » (p. 551). « Ainsi, le projet même de faire en
général est un choix qui implique la prévision et l'acceptation de résistances
par ailleurs quelconques. Non seulement c'est la liberté qui constitue le
cadre où des en-soi par ailleurs indifférents se révéleront comme des
résistances, mais encore son projet même, en général, est projet de faire dans
un monde résistant, par victoire sur ses résistances » (p. 552) ; le projet est
donc toujours ouvert, et non fermé, en ce qu'il prévoit l'indépendance des
choses, leur imprévisibilité - qui ne prend son sens que dans et par un projet.
- la structure primitive de la situation (p. 565, vers le bas) : c'est qu'à
un état de choses, il y a toujours un envers : « en même temps que la liberté
est dépassement de ce donné-ci, elle se choisit comme ce dépassement-ci du
donné. » « Ainsi le surgissement de la liberté est cristallisation d'une fin à
travers un donné et découverte d'un donné à la lumière d'une fin ; ces deux
structures sont simultanées et inséparables » (p. 553).
S'il y a des choses, c'est parce que nous sommes libres. « Ainsi suis-je
absolument libre et responsable de ma situation. Mais aussi ne suis-je jamais
libre qu'en situation » (p. 554).
D) Mon prochain (p. 554-576) (pourquoi ne pas dire l'autre, ou
autrui ?)
Que peut signifier pour notre situation le fait originel et contingent
d'exister dans un monde où « il y a » aussi l'Autre ? Pour cela, étudier trois
couches de réalité qui entrent en jeu pour consituter me situation concrète :
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a - les ustensiles déjà signifiants (la gare, l'indicateur de chemins de
fer, l'œuvre d'art, l'affiche de mobilisation) ;
b - la signification que je découvre comme déjà mienne (ma
nationalité, ma race, mon aspect physique) ;
c - l'autre comme centre de référence auquel renvoient ces
significations.
a (p. 554-558) : coefficient proprement humain d'adversité. Je dépends
de cette organisation, qui peut être troublée, comme en temps de guerre. N'y
a-t-il pas là un état qu'on m'impose, et non une situation comme organisation
d'un monde signifiant autour du libre choix de ma spontanéité ?
b (p. 559-571) : je ne décide pas si le monde m'apparaît selon une
interprétation marxiste ou pas, ces significations appartiennent à ma classe.
Ainsi, ma naissance entraîne mon appartenance à telle classe, dont les
significations ne dépendent pas de moi. Et cependant, une langue est bien
parlée par quelqu'un, et son discours doit être compris à partir du monde, de
la situation environnante. « On a fait du langage une langue qui se parle
toute seule. Voilà bien l'erreur à ne pas commettre, pour le langage comme
pour toutes les autres techniques » (p. 561). « Ainsi est-ce à l'intérieur du
projet libre de la phrase que s'organisent les lois du langage […]. La liberté
est le seul fondement possible des lois de la langue » (p. 562).
- rapport entre penser et parler (p. 563). Les linguistes ont cru voir un
cercle entre les deux. Mais « il n'y a pas cercle ou, plutôt, […] ce cercle […]
n'est pas spécial au langage : il est la caractéristique de la situation en
général. Il ne signifie pas autre chose que la liaison ek-statique du présent,
du futur et du passé, c'est-à-dire la libre détermination de l'existant par le
non-encore-existant et du non-encore-existant par l'existant ». « C'est le coup
de hache qui révèle la hache » (Id.), etc.
« Ceci nous permet d'ébaucher une solution des rapports de l'individu
à l'espèce ».
- le pour-soi est libre, « mais en condition, et c'est ce rapport de la
condition à la liberté que nous cherchons à préciser sous le nom de
situation » (p. 564).
Ce que nous avons montré jusque là : « l'existence de significations
qui n'émanent pas du pour-soi ne saurait constituer une limite externe de sa
liberté » (Id.).
- « être libre n'est pas choisir le monde historique où l'on surgit - ce
qui n'aurait point de sens - mais se choisir dans le monde, quel qu'il soit » (p.
566).
« … Descartes est ce qu'il a choisi d'être, qu'il est un choix absolu de
soi à partir d'un monde de connaissances et de techniques que ce choix
assume et éclaire à la fois » (p. 567). Il reste à savoir si Descartes a choisi
d'être génial, comme de savoir si le simplet a choisi de l'être. Il y a là une
résistance naturelle, physiologique ou génétique qui ne dépend pas de nous,
et avec laquelle on doit composer. C'est un résiduum, cependant, dirait
Sartre, qui ne limite pas ma liberté, c'est-à-dire cette liberté-ci, qui est
toujours dépassement de ce donné-ci. Cela ferait partie de la situation.
- chaque technique est une structure abstraite que le pour-soi dépasse
en l'intégrant (p.568).
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c (p. 568-576) : « Pourtant, l'existence de l'autre apporte une limite de
fait à ma liberté ». Je subis celui que je suis pour l'autre (juif, aryen, laid,
maladroit, etc.). Nous rencontrons là une « limite réelle à notre liberté, c'està-dire une manière d'être qui s'impose à nous sans que notre liberté en soit le
fondement » (p. 569). Bref, je deviens objet pour un autre. Ainsi, les seules
limites de la liberté sont dans la liberté même, soit la mienne, soit celle de
l'autre (p. 570).
Cette aliénation, par la liberté de l'autre, n'est jamais dans la
situation, elle est par principe l'extériorité même de la situation, c'est-à-dire
son être-dehors-pour-l'autre. Cette aliénation est liée à la situation, et il serait
absurde de songer exister autrement qu'en situation. Il y a ainsi un envers de
la situation, qu'on appellera « les irréalisables » (p. 572) : « il s'agit
d'existences parfaitement réelles, mais ceux pour qui ces caractères sont
réellement donnés ne sont pas ces caractères ; et moi qui les suis, je ne puis
les réaliser ». Cependant, ces irréalisables « se découvrent au pour-soi
comme irréalisables-à-réaliser. Ils ne perdent pas pour cela leur caractère de
limites ; bien au contraire, c'est comme limites objectives et externes qu'ils se
présentent au pour-soi comme à intérioriser. Ils ont donc un caractère
nettement obligatoire » (p. 574).
« La liberté est totale et infinie, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'ait pas
de limites mais qu'elle ne les rencontre jamais. Les seules limites que la
liberté heurte à chaque instant, ce sont celles qu'elle s'impose à elle-même et
dont nous avons parlé, à propos du passé, des entours et des techniques » (p.
576).
E) Ma mort (p. 576-598)
- Les deux manières de considérer la mort (réalisme et idéalisme).
L'inhumain.
- la conception de Heidegger (p. 577 en bas).
- Noter d'abord le caractère absurde de la mort (p. 578-579). Contre
Heidegger, qui pense que la mort est la seule chose que personne ne peut
faire à ma place, ce qui montrerait son caractère absolument individuel,
Sartre montre qu'il en va ainsi de toutes choses (personne ne peut non plus
aimer à ma place, ou pour moi). « La mort ne saurait se caractériser parce
qu'elle est mort comme ma mort et, par suite, sa structure essentielle de mort
ne suffit pas à faire d'elle cet événement personnalisé et qualifié qu'on peut
attendre" (p. 579 in fine).
- « En outre, la mort ne saurait aucunement être attendue" (p. 579583).
« La liberté limite la liberté, le passé tire son sens du présent. Ainsi,
comme nous l'avons montré, s'explique ce paradoxe que notre conduite
actuelle nous est à la fois totalement translucide (cogito préréflexif) et, à la
fois, totalement masquée par une libre détermination que nous devons
attendre » (p. 582, milieu). « De là cette nécessité pour nous de nous
attendre » (Id.) (n'y a-t-il pas là de la passivité ?)
- Leibniz, p. 583. La mort chrétienne.
- « S'il en est ainsi, nous ne pouvons même plus dire que la mort
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confère un sens du dehors à la vie : un sens ne peut venir que de la
subjectivité même » (p. 583). La mort est « au contraire ce qui ôte tout sens à
la vie », toute signification (p. 584).
- Ces remarques sont tirées de la considération de la vie, non de la
mort. C'est que, pour le vivant qui est pour-soi, qui réclame toujours un
après, il n'y a pas de place pour la mort. La mort ne saurait être une de mes
possibilités (p. 585).
- Autre cas d'aliénation : ma mort me livre aux autres, qui font de moi
ce qu'ils veulent, sans que j'aie la possibilité de me reprendre (p. 588-9).
Ainsi, la mort « telle que je peux la découvrir comme mienne engage
nécessairement autre chose que moi » (p. 589). « Méditer sur ma vie en la
considérant à partir de la mort, ce serait méditer sur ma subjectivité en
prenant sur elle le point de vue de l'autre ; nous avons vu que cela n'est pas
possible » (p.590).
- Nous devons donc renoncer à l'être-pour-mourir de Heidegger.
Voir où se place exactement la différence entre Sartre et Heidegger :
n'est-ce pas déjà dans la conception de la temporalité, qui privilégie le projet,
le futur ? Voir si toute la philosophie de Sartre ne découle pas de sa
conception de la temporalité - et non de la conscience comme transcendance
à soi.
- Conséquence (p. 590) : loin que la mort vienne limiter notre liberté,
elle nous libère au contraire entièrement de sa prétendue contrainte. Séparer
d'abord les deux idées de mort et de finitude : « la mort est un fait contingent
qui ressortit à la facticité ; la finitude est une structure ontologique du poursoi qui détermine la liberté et n'existe que dans et par le libre projet de la fin
qui m'annonce mon être » (p. 591). La finitude de mon être tient à
« l'irréversibilité de la temporalité, et cette irréversibilité n'est autre que le
caractère propre d'une liberté qui se temporalise » (Id.). « Être fini, en effet,
c'est se choisir, c'est-à-dire se faire annoncer ce qu'on est en se projetant vers
un possible, à l'exclusion des autres ». C'est la nécessité où l'on est de
choisir. « La mort n'est donc aucunement structure ontologique de mon
être » (Id.). La mort n'est donc « rien d'autre qu'un certain aspect de la
facticité et de l'être pour autrui, c'est-à-dire rien d'autre que du donné » (p.
592)
3) Nous pouvons maintenant définir plus précisément cet « être-ensituation » qui caractérise le pour-soi en tant qu'il est responsable de sa
manière d'être sans être fondement de son être (p. 593-601).
1°) définition de la situation (résumé).
2°) « La situation n'existe qu'en corrélation avec le dépassement du
donné vers une fin ». Ce à quoi engage d'être en situation (condition de
possibilités). La situation n'est ni subjective, ni objective, mais la situation
« reflète au pour-soi sa liberté ». C'est une « relation d'être entre un pour-soi
et l'ens-soi qu'il néantise » (p. 594).
3°) il suit de là que « l'être-en-situation définit la réalité humaine, en
rendant compte à la fois de son être-là et de son être-par-delà ». Sartre
précise la différence avec la liberté intérieure de Politzer, empruntée à
Bergson - mais on peut questionner aussi la différence avec la liberté
intérieure des Stoïciens.
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4°) la situation se présente comme entièrement concrète.
5°) la situation provient de l'éclairement de la contrainte par la liberté
qui lui donne son sens de contrainte.
6°) « le pour-soi est temporalisation ; cela signifie qu'il n'est pas, il “se
fait” » (p. 596).
En conclusion, il n'y a pas de limites à ma liberté, excepté autrui, qui
est un donné capable de figer mon être, que je peux récupérer - sauf après
ma mort. C'est donc toujours une liberté qui vient limiter ma liberté, ce qui
fait que la seule limite à la liberté, c'est elle-même.
III. Liberté et responsabilité (p. 598-601)
Chercher à comprendre ce que représente pour la destinée humaine le
fait de cette liberté – « bien que les considérations qui vont suivre intéressent
plutôt le moraliste ».
- conséquence essentielle : l'homme, « étant condamné à être libre,
porte le poids du monde tout entier sur ses épaules : il est responsable du
monde et de lui-même en tant que manière d'être ».
« …les pires inconvénients ou les pires menaces qui risquent
d'atteindre ma personne n'ont de sens que par mon projet » (p. 598).
Autrement dit, si nous sommes, en quelque situation, libres, il faut dire que,
si un individu pointe un pistolet sur ma tempe pour me tuer, il dépend encore
de moi, non pas de changer la situation elle-même, mais son sens, en faisant
que ce qui va arriver ne soit pas un obstacle ou une contrainte à mon projet.
Celui-ci s'est vu être réduit à « vivre ». Faut-il le changer en « mourir » ? Si
les contraintes n'ont de sens et de réalité qu'à la lumière de mon projet, alors
il suffit de changer de projet pour faire disparaître la contrainte. Ainsi, il est
vrai que la roue de vélo crevée, le vent de face, sont des contraintes si j'ai
l'intention d'aller au village voisin coûte que coûte. Mais si je change d'avis,
et décide de manquer mon rendez-vous, et de faire du chemin une
promenade, alors la roue crevée est l'occasion de se reposer, de découvrir
autre chose, etc. Là, la réalité ne change pas, mais son sens change. Dans
l'exemple premier, la réalité non plus ne changera pas (je vais mourir
bêtement, pour rien), mais son sens non plus : ce sera toujours bête et
absurde. Il y a un moment où la réalité a un sens intrinsèque, qui ne dépend
pas de moi, c'est un donné brut : son absurdité. Pas la même chose que la
contingence et la facticité de l'existence, car l'horizon est ouvert : j'ai du
temps pour lui trouver un sens, et il y a encore un futur. Il faut du temps pour
que le sens se déploie, ou pour déployer du sens. On peut dissocier réalité et
sens. Mais dans l'exemple extrême, sens et réalité collent ensemble, car la
route est barrée pour la possibilité même d'un futur. C'est comme si l'absence
d'avenir rabattait le sens sur la réalité, un sens qui se donne dans l'évidence,
d'un coup, qui fait que la réalité m'apparaît crûment, avec un sens déjà fait même pas par celui qui va me tuer, mais dans le fait même. C'est à se
demander s'il n'y avait pas sophisme à dissocier, jusque là, réalité et sens,
avec cette idée de projet par quoi s'éclairent les choses, comme obstacle ou
non. Les exemples choisis par Sartre sont toujours soft (le rocher, la ballade
à vélo, etc.). Jamais vraiment dans l'urgence. D'où la question qui se repose :
n'y a-t-il pas un donné brut des choses, indépendant de nous, et qui fait
obstable à notre liberté, qui vient limiter notre pouvoir de choisir ? Ou plutôt,
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il y a les autres, qui imposent leur propre sens à la réalité, ou la réalité est
déjà investie d'un sens que je subis - pas d'autre choix. Sinon, on en revient à
une liberté stoïcienne (pas beaucoup avancé, alors).
Il y aurait, dans la situation, quelque chose qui échappe au pour-soi et
à son pouvoir de néantisation, mais qui s'imposerait massivement, en pleine
évidence : de l'en-soi irrémédiable, un vrai obstacle au pour-soi - quand
précisément, la temporalité du pour-soi connaît une fin proche de la
troisième ek-stase.
À voir aussi plus précisément, la différence entre cette liberté totale et
infinie, et celle des Stoïciens. C'est le rapport ou la considération de la réalité
qui n'est pas la même.
Bilan du premier chapitre
L'objectif du chapitre est de mettre au jour notre totale et infinie
liberté. Il ne s'agit ici que de tirer les conséquences de ce qui a été mis en
place dans les trois premières parties.
Dans le I, on a montré que le pour-soi était fondamentalement
libre, ou ontologiquement libre, cette liberté étant une émanescence du poursoi, de son caractère néantisant. Ainsi, le pour-soi ne peut pas ne pas être
libre, et ne peut pas ne pas se construire ou agir selon un projet, qui éclairera
le sens du monde - et lui conférera ce sens-là. Rien, dans le pour-soi, ne peut
venir limiter ou enrayer cette liberté : ni inconscient (on a éliminé son
existence dans la première partie, deuxième chapitre), ni absence de volonté
(cette faculté n'étant qu'une structure secondaire du pour-soi), ni caractère ou
tempérament (on les choisit), ni émotions (qu'on choisit aussi) - on choisit en
général sa manière d'être au monde. Mais rien non plus, hors du pour-soi,
dans le monde, ne peut venir limiter cette liberté, si ce n'est la liberté de
l'autre, ce qui est l'objet (les limites extérieures au pour-soi) du II. Le III met
en avant la conséquence sur le plan moral de cette totale liberté : notre totale
responsabilité.
Chapitre II : Faire et avoir
I) La psychanalyse existentielle
Il s'agit de classer et d'étudier les fins de la réalité humaine, par quoi
celle-ci s'annonce et se définit. Et interroger cette fin elle-même, « car elle
fait partie de la subjectivité absolue, comme sa limite transcendante et
objective ».
C'est la même démarche que la psychologie empirique, à deux
différences près :
- le désir n'est pas dans l'homme ; le psychologue est victime de
l'illusion substantialiste. Les désirs sont la conscience « elle-même dans sa
structure originelle pro-jective et transcendante, en tant qu'elle est, par
principe, conscience de quelque chose » (p. 602).
- ne pas considérer « la recherche psychologique comme terminée dès
qu'on a atteint l'ensemble concret des désirs empiriques » (602-3). Car on
échoue à considérer l'individualité du projet considéré. C'est l'ambition
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littéraire de Flaubert qu'il faut expliquer. Il faut aller au-delà pour saisir le
« véritable irréductible psychique » (p. 606). Ce qu'il faut viser, c'est
« l'unification d'un projet originel, unification qui doit se révéler à nous
comme un absolu non substantiel » (p. 606 in fine).
- p. 608-611 : Il y a donc une autre méthode que la méthode
analytique, celle qui prend en compte une signification plus profonde, et
transcendante au désir. Ne pas distinguer un plan intellectuel, d'analyse,
abstrait, celui de la signification, et celui de l'existence, attitude empirique :
« si l'attitude empirique signifie le choix du caractère intelligible, c'est qu'elle
est elle-même ce choix » (p. 609). Le principe de la recherche : « ne s'arrêter
que devant l'irréductibilité évidente, c'est-à-dire ne jamais croire qu'on a
atteint le projet initial tant que la fin projetée n'apparaît pas comme l'être
même du sujet considéré » (p. 610).
- p. 611-613 : préciser le rapport du pour-soi à l'en-soi. « Ainsi, le but
et la fin de la néantisation que je suis, c'est l'en-soi. Ainsi la réalité humaine
est désir d'être-en-soi » (p. 611). Préciser le sens de « en-soi » ici : celui que
le pour-soi désire, non celui qu'il néantit. « L'homme est l'être qui projette
d'être Dieu ». « Être homme, c'est tendre à être Dieu ; ou, si l'on préfère,
l'homme est fondamentalement désir d'être Dieu » (p. 612).
Objection (p. 612, alinéa suivant) : si le projet est déjà défini (être
Dieu), que devient la liberté de l'homme ? Réponde : « …si le sens du désir
est en dernier recours le projet d'être Dieu, le désir n'est jamais constitué par
ce sens, mais au contraire il représente toujours une invention particulière de
ses fins » Il y a alors une architecture à trois degrés au moins, qui constitue
le pour-soi :
- le désir empirique, qui s'exprime dans une situation empirique
particulière ; est une symbolisation du désir fondamental ; ne peut être conçu
par soi, est partiel et réductible ; tire son sens du désir fondamental
- le désir fondamental et concret qui est la manière dont elle a décidé
que l'être serait en question dans son être, l'expression (ce dans ou par quoi
s'exprime le désir d'être) du désir d'être ; constitue la trame de notre vie
consciente
- le désir d'être en général, qui se réalise toujours comme désir de
manière d'être ; est une structure abstraite et signifiante ; est « la réalité
humaine dans la personne, qui fait qu'il y a une vérité de l'homme et non pas
seulement des individualités incomparables » (p. 612).
- p. 613-615 : « La vérité humaine de la personne doit pouvoir être
établie, comme nous l'avons tenté, par une phénoménologie ontologique - la
nomenclature des désirs empiriques doit faire l'objet de recherches
proprement psychologiques ».
Méthode de la psychanalyse existentielle : énoncé des règles. Le point
d'appui est la compréhension préontologique que l'homme a de la personne
humaine. Il semble que « préontologique » = prescience. Le « travail
essentiel est une herméneutique, c'est-à-dire un déchiffrage, une fixation et
une conceptualisation » (p. 614).
- p. 615-620 : Marquer les ressemblances et les différences entre la
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psychanalyse de Freud et celle de Sartre.
1) Ressemblances (p. 615)
- Les manifestations de la vie psychique entretiennent des rapports de
symbolisation à symbole avec des structures fondamentales et globales qui
constituent la personne.
- il n'y a pas de données premières qui entacheraient déjà la vie du
sujet avant même son début (inclinations héritées, caractères, etc.)
- l'être humain est une historialisation perpétuelle, et on cherche à
déceler les avatars de cette histoire, son sens, etc.
- on ne peut interroger un homme sans tenir compte de sa situation ;
- les deux recherchent une attitude fondamentale en situation ;
- le sujet n'est pas lui-même en position privilégié pour procéder à ces
enquêtes sur lui-même (voir la différence qui a été établie entre conscience
et connaissance).
2) Différences (p. 617)
- la psychanalyse empirique a décidé de son irréductible au lieu de le
laisser s'annoncer lui-même dans une intuition évidente : c'est soit la libido,
soit la volonté de puissance (Adler). Pour Sartre, il s'agit de remonter à un
choix originel, et ce choix n'est pas nécessairement la libido ou la volonté de
puissance : « rien n'empêche de concevoir a priori une réalité humaine qui
ne s'exprimerait pas par la volonté de puissance, dont la libido ne
constituerait pas le projet originel » (p. 617). Il n'y a donc pas à remonter du
complexe jusqu'à la libido (qui est une abstraction), car le complexe est
choix ultime, il est choix d'être et se fait tel
- il n'y a pas d'action mécanique du milieu sur le sujet considéré (il y a
une action, mais dans la mesure où le sujet comprend ce milieu, c'est-à-dire
le transforme en situation) : « aucune description objective du milieu ne
saurait donc nous servir » (p. 618)
Conséquence : il n'y a pas de symbolisation définitive et valable pour
tous les individus (ex. : fèces = or, pelote à épingles = sein, etc.)
- le choix est vivant, et peut toujours être révoqué par le sujet.
- la méthode doit être pour chaque individu réinventée, elle n'est
jamais applicable à un autre sujet.
- c'est un choix que l'on cherche, non un état.
La méthode de la psychanalyse : est destinée à « mettre en lumière,
sous une forme rigoureusement objective, le choix subjectif par lequel
chaque personne se fait personne, c'est-à-dire se fait annoncer à elle-même
ce qu'elle est » (p. 620).
II) Faire et avoir : la possession
Rappel sur le rôle de l'ontologie par rapport à la psychanalyse :
« … les désirs concrets ont des structures qui ressortissent à l'étude de
l'ontologie parce que chaque désir (…) exprime toute la réalité humaine ».
« C'est là que doit s'arrêter l'ontologie : ses dernières découvertes sont les
premiers principes de la psychanalyse ».
« Qu'est-ce donc que l'ontologie nous apprend sur le désir, en tant que
le désir est l'être de la réalité humaine ? » (p. 621)
1) On définit ici le désir en terme de rapport (p. 621), en mettant en
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avant ce par rapport à quoi il est rapport et ce qu'il met en rapport. Le désir
est ce qui tend à réaliser l'en-soi-pour-soi, c'est-à-dire l'Homme-Dieu, sans
qu'il n'y ait aucun substrat de ce désir. L'être de la réalité humaine est ainsi
un rapport vécu (et non une substance). Ce désir se décline selon les trois
grandes catégories humaines : faire, avoir, être. Le faire, cependant, se réduit
souvent à un avoir.
a - Ce qu'est l'appropriation, ses déclinaisons (dans la création d'une
œuvre d'art, d'une canne, …) - p. 622. Le problème (la contradiction
dialectique du désir) quand il s'agit de la connaissance, comme dans le désir
sexuel : on veut assimiler et garder intact. « Le connaître est une des formes
que peut prendre l'avoir » (p. 626).
Noter : le complexe d'Actéon et le complexe de Jonas : Sartre reprend
les termes de la psychanalyse, mais on ne comprend pas bien en quel sens il
entend « complexe » : comme ensemble, structure ? Ou comme ce qui
affecte le sujet ? En quoi consistent ces complexes ?
b - Le jeu est-il une tendance appropriative ? (p. 626-631) Réfléchir
sur l'esprit de sérieux : quand on attribue plus de réalité au monde qu'à soimême. Le jeu s'oppose en ce sens au sérieux.
Sartre dit que « nos descriptions n'ont visé jusqu'ici que la réflexion
complice », or le type de projet qui est celui du jeu ressort à une Éthique, et
cela « suppose qu'on ait préalablement défini la nature et le rôle de la
réflexion purifiante ». Sartre dit que le désir de jeu est désir d'être, et qu'en
cela, il faudrait une étude spéciale pour montrer les rapports avec la réalité
profonde de l'homme, à avoir être-Dieu (p. 627) - mais là n'est pas le lieu.
Conclusion : les trois catégories se réduisent à deux : être ou avoir, car
le faire est purement transitif (on fait pour être ou pour avoir).
Le sportif s'approprie ce qu'il a vaincu (par exemple, le skieur, son
champ de neige - p. 628-631), ainsi que la difficulté vaincue.
c - Rappel et conclusion, bas p. 631 - haut p. 632. La catégorie du
faire se réduit tantôt à l'avoir, tantôt à l'être, il est transitif. Il faut définir
maintenant le rapport de ces deux êtres du désir, concret et idéal, et voir ce
qu'il en est de l'avoir : se réduit-il à l'être ?
2) Qu'est-ce que s'approprier ? Étude de la catégorie de l'avoir (après
celle du faire) (p. 632-646)
a - le désir idéal (p. 632-641) : « mettre en lumière le caractère idéal
du lien appropriatif et la fonction symbolique de toute conduite
appropriative » (p. 641).
- la propriété (matérielle) ;
- posséder des objets, une femme = "être à" ; on enterrait les morts
avec leurs objets (p. 633). « Le lien de possession est un lien interne d'être »
(haut p. 634).
« Le désir d'avoir est au fond réductible au désir d'être par rapport à un
certain objet dans une certaine relation d'être » (haut p. 635). « Avoir, c'est
d'abord créer » (p. 636, milieu). « La possession est un rapport magique » (p.
637 en bas) ; « la possession est, en outre, une défense contre l'autre » (p.
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638). « Mais le rapport originel et radical de création est un rapport
d'émanation ». Bref, en fait, l'appropriation « n'est que l'indication d'une
jouissance suprême (celle de l'être qui serait fondement de soi-même) » (p.
638).
- la destruction : « … c'est recréer en s'assumant comme seul
responsable de l'être de ce qui existait pour tous » (p. 639 en bas).
- la générosité, le don - p. 640. Donner, c'est asservir. C'est
s'approprier par destruction, et non par création.
b - le désir concret (p. 641-646) : « Reste à déterminer en général
la signification de l'objet possédé. (…) Qu'est-ce donc que nous cherchons à
nous approprier ? » (p. 642)
- s'approprier un objet, c'est s'approprier le monde symboliquement.
Suit un exemple personnel de Sartre, « non pour prouver, mais pour guider
l'enquête du lecteur » : p. 642-643 (fumer). Ainsi, ce que nous cherchons à
posséder à travers un objet, c'est le monde. « Je cherche derrière le
phénomène à posséder l'être du phénomène » (p. 643 milieu).
Que faut-il entendre par l'être du phénomène ? Revenir p. 638 en bas,
sur ce que cela signifie, posséder une bicyclette : ce n'est pas seulement la
payer, mais c'est l'utiliser dans toutes ses utilisations possibles, ce qui fait
qu'il faut l'infinité du temps pour réaliser la possession de l'objet : « … mais
ces voyages se décomposent en mille comportement appropriatifs dont
chacun renvoie aux autres ».
Ainsi, « tout projet possessif vise à constituer le pour-soi comme
fondement du monde ou totalité concrète de l'en-soi » (p. 643).
Conclusion : « alors que le désir d'être porte directement sur le poursoi et projette de lui conférer sans intermédiaire la dignité d'en-soi-pour-soi,
le désir d'avoir vise le pour-soi sur, dans et à travers le monde » (p. 644
enbas). C'est pourquoi on peut séparer les deux désirs par l'analyse, mais en
réalité, ils sont deux directions de l'attention à propos d'un même but.
On a vu jusque-là que tout rapport au monde est une manière de se
l'approprier. Il reste à se demander pourquoi l'on choisit "de se l'approprier à
travers tel ou tel ceci particulier" (p. 645).
III) De la qualité comme révélatrice de l'être (p. 646-661)
1 - p. 646 à 649 : exposé de la psychanalyse des choses de Bachelard,
in L'eau et les rêves, pour mettre en évidence deux points de discorde.
D'abord, « la psychanalyse n'a pas à rechercher des images, mais bien
à expliciter des sens appartenant réellement aux choses ». La méthode de
Bachelard, c'est d'appliquer « non au sujet, mais aux choses, une méthode de
déchiffrement objectif qui ne suppose aucun renvoi préalable au sujet » (p.
646 in fine). Or, il faut prendre en compte ce renvoi préalable, car le sens des
choses ne leur est pas inhérent (l'en-soi n'est pas pourvu par lui-même d'un
sens tout fait).
- 2ème point de discorde : on ne sait pas trop ce que cherche
Bachelard. « Il faut abandonner ici ces principes empiriques ou ces postulats
qui feraient de l'homme, a priori, une sexualité ou une volonté de puissance,
et qu'il convient d'établir rigoureusement le but de la psychanalyse à partir de
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l'ontologie » (p. 648-9). « Une psychanalyse des choses et de leur matière
doit donc se préoccuper avant tout d'établir la façon dont chaque chose est le
symbole objectif de l'être et du rapport de la réalité humaine à cet être » (p.
649).
2 - p. 649-652 : thèse de Sartre sur les rapports entre l'ontologie et la
psychanalyse, et en quel sens on doit prendre le rapport de l'homme aux
choses (comment les choses révèlent l'être).
« Ce que l'ontologie peut apprendre à la psychanalyse, en effet, c'est
tout d'abord l'origine vraie des significations des choses et leur relation vraie
à la réalité-humaine. Elle seule, en effet, peut se placer sur le plan de la
transcendance et saisir d'une seule vue l'être-dans-le-monde avec ses deux
termes, parce que, seule, elle se place originellement dans la perspective du
cogito. C'est encore l'idée de facticité et de situation qui nous permettront de
comprendre le symbolisme existentiel des choses » (p. 649). Que signifie ce
« d'une seule vue » ? Est-ce que cela est assimilable au survol du monde,
impossible, dont Merleau-Ponty dénonce l'illusion ?
Il s'agit aussi de comprendre comment les couches de signification
attribuées aux choses se mettent en place. Éviter l'erreur de croire que nous
projetons nos dispositions affectives sur les choses, pour les éclairer ou les
colorer (p. 650). Il y a un sens préontologique des choses elles-mêmes. C'est
comme si les choses avaient par elles-mêmes une consistance significative,
qui leur est bien réelle, et qui ne vient pas du sujet. Que l'on aime ou non le
visqueux, c'est ce que la psychanalyse doit expliquer. Mais quel est la
signification ontologique du visqueux, c'est ce que l'on peut mettre au jour,
c'est le travail de l'ontologie, sur lequel s'appuiera la psychanalyse, et cette
signification est la même pour celui qui aime ou non le visqueux (ou quelque
soit le sens - c'est-à-dire la direction - que prendra notre rapport au
visqueux).
3 - p. 652-659 : application de la thèse à l'exemple du visqueux.
Description (p. 652-656) ; interprétation ontologique (p. 656-658) ;
compréhension préontologique que nous avons et faisons du visqueux, dans
l'enfance (p. 658-659).
p. 659-660 : avec l'exemple de la signification ontologique de trou,
Sartre montre encore une fois comment on ne peut tout ramener et expliquer
par des déterminations sexuelles. Les significations sexuelles des choses ne
sont pas originaires, mais résultent de significations plus fondamentales,
proprement ontologiques. Exemple de l'anus : l'enfant ne le connaît pas
comme trou, c'est par les autres qu'il l'apprend. Il ne peut donc pas aimer
boucher les trous ou en faire en rapport avec son anus, il n'y a pas là de
connotation sexuelle.
4 - p. 660-662 : préciser et définir à nouveau l'objet de la psychanalyse
existentielle, et son rapport à l'ontologie (et rôle de l'ontologie).
« Ce qui intéresse le psychanalyste, c'est de déterminer le projet libre
de la personne singulière à partir de la relation individuelle qui l'unit à ces
différents symboles de l'être ». Ce qu'il faut c'est comprendre « pourquoi
Pierre aime les oranges et a horreur de l'eau, pourquoi il mange volontiers de
la tomate et refuse de manger des fèves », etc.
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- l'ontologie « a simplement permis de déterminer les fins dernières de
la réalité humaine, ses possibles fondamentaux et la valeur qui les hantent » « C'est à la psychanalyse existentielle de comparer ces choix et de les
classer ».
Remarques globales et synthèse de la quatrième partie.
- beaucoup de remarques sur le rôle de l'ontologie par rapport à la
psychanalyse existentielle. On pose ici les bases de la psychanalyse. « C'est
là que doit s'arrêter l'ontologie : ses dernières découvertes sont les premiers
principes de la psychanalyse ».
Objet du I : définir l'objet de la psychanalyse existentielle, ses
objectifs, son originalité et sa méthode. Comment elle tient compte de
l'irréductibilité de la personne comme totalité détotalisée. La méthode de la
psychanalyse : est destinée à « mettre en lumière, sous une forme
rigoureusement objective, le choix subjectif par lequel chaque personne se
fait personne, c'est-à-dire se fait annoncer à elle-même ce qu'elle est » (p.
620).
Objet du II : On va voir que tout rapport au monde est une manière de
se l'approprier.
Les conclusions :
- L'être de la réalité humaine est ainsi un rapport vécu (et non une
substance). Ce désir se décline selon les trois grandes catégories humaines :
faire, avoir, être. Le faire, cependant, se réduit souvent à un avoir.
- La catégorie du faire se réduit tantôt à l'avoir, tantôt à l'être, il est
transitif.
- « Le désir d'avoir est au fond réductible au désir d'être par rapport à
un certain objet dans une certaine relation d'être » (p. 635)
- « La réalité humaine, bien avant de pouvoir être décrite comme
libido ou volonté de puissance, est choix d'être, soit directement, soit par
appropriation du monde » (p. 649). C'est là la différence entre Sartre et
Freud : ce choix d'être est le socle originaire, dont le sexuel n'est ensuite
qu'une manifestation ou une dérivation.
Objet du III : Il reste à se demander pourquoi l'on choisit « de se
l'approprier à travers tel ou tel ceci particulier »
Autrement dit, plus on avance dans ce chapitre, plus on affine les
raisons d'aimer le sucré et non le salé : d'abord, on définit la méthode
d'investigation de la réalité humaine, méthode qui respecte l'être de la réalité
humaine. Ensuite, on montre que le rapport de la réalité humaine avec le
monde est de l'ordre du désir, et celui-ci se déclinant selon les trois grandes
catégories (être, faire, avoir), on voit (II) que le faire est un transitif, et se
réduit à un avoir ou à un être, et que ces deux derniers types de rapport au
monde sont comme deux directions d'un même désir.
Il reste à comprendre (III) pourquoi on désire plutôt ceci que cela :
qu'est-ce qu'on exprime par là ? Qu'est-ce que cela signifie ? « Les goûts ne
restent pas des données irréductibles ; si on sait les interroger, ils nous
révèlent les projets fondamentaux de la personne. Il n'est pas jusqu'aux
préférences alimentaires qui n'aient un sens » (p. 662).
C'est ce que le III montre et met en évidence, à partir de l'idée qu'il y a
une couche de sens objectif (qui appartient aux choses elles-mêmes, c'est-àdire que nous ne projetons pas nos états d'âme sur les choses, mais qu'il y a
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comme une résistance de ces choses. D'une certaine manière, c'est l'idée que
nous ne faisons pas ce que nous voulons avec les choses, nous ne leur
attribuons pas le sens que nous voulons, mais on fait l'expérience de leur
signification (l'expérience du visqueux, par exemple, c'est l'expérience de la
compromission du pour-soi dans l'en-soi, ce qui renverse le rapport de
possession au monde : « la possession affirme la primauté du pour-soi dans
l'être synthétique "en-soi-pour-soi". Mais voici que le visqueux renverse les
termes : le pour-soi est soudain compromis » - p. 655 en haut). Ceci dit,
Sartre prend soin, dès le début de texte, de distinguer cette thèse de celle de
Bachelard, qui fait la psychanalyse des choses comme si elles n'étaient
qu'objectives, sans rapport au sujet. S'il faut prendre en compte le sujet dans
l'attribution du sens (comme valeur, direction que va prendre mon être par
rapport aux choses : direction de l'amour ou de la haine, du désir ou de
l'horreur, etc.), la signification des choses ne lui appartient pas, elle réside
en elles.
Or, c'est le travail de l'ontologie de décrire les grandes catégories ou
symboles, ou encore classes de valeurs. C'est ensuite le rôle de la
psychanalyse de comparer et classer ces catégories, et de comprendre les
individualités.
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