le cortège de l`art - Musée d`art moderne et contemporain de Saint

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le cortège de l`art - Musée d`art moderne et contemporain de Saint
LE CORTÈGE
DE L’ART
œuvres de la collection
septembre 2012 — août 2013
Guide
du
visiteur
exposition
collections
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Le renouvellement des accrochages s’est substitué
à la constance des présentations immuables
des collections - longtemps symptomatique
du fonctionnement sanctuarisé des institutions
muséales. Au Musée d’art moderne de SaintÉtienne Métropole, les cimaises accueillent, au
fil des ans, un florilège d’œuvres familières ou
oubliées du public. Les regards et interprétations
sur les formes et les contenus deviennent ainsi
plus exhaustifs. La thématique de l’exposition
Le cortège de l’art, comme de coutume, incite
à puiser dans la connaissance de la collection,
à fureter dans les réserves, dans la base
de données, à sélectionner. En s’inspirant
de la hiérarchie classique des genres, réunir des
œuvres sans exclure de médiums, ne défie pas
la temporalité, mais sous-entend le respect
des motifs qui ont présidé à leur création…
Certaines se rebellent devant le canevas de départ
du commissaire d’exposition, exigeant une autre
approche. C’est là, toute la magie mais aussi
les incertitudes qui accompagnent l’exercice.
Un accrochage se conçoit comme une hypothèse
qui doit être confirmée par la justesse de
la contiguïté. Cela convie à l’acceptation tacite
de la contingence présupposée de ces rencontres.
Les collections recèlent des œuvres relevant
de tous les genres traditionnels. La contrainte
des hiérarchies a perduré de l’antiquité jusqu’au
XIXe siècle. Elle s’est estompée devant les
innovations formelles du XXe siècle. Certains
esprits chagrins ne l’acceptent pas, mais les
grandes thématiques ont résisté aux turbulences
de l’Histoire, à la nouveauté des médiums.
Le périmètre des espaces dévolus aux artistes,
en proie soit à la nécessité impérieuse de faire
pièce aux langages désuets, soit aux novations
des technologies de leur époque fluctuent.
Ainsi en va-t-il de la question du portrait posé
par Gabriel Tyr, René Iché et La Contrefleur –
donations présentées pour la toute première fois
– comme par Jim Dine avec Putney Winter Heart
(Crazy Leon). Les thèmes illustrant des épisodes
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de l’histoire religieuse, peints par Luis Moralès,
Antonio Zanchi ou Charles Le Brun, peintre du roi
Louis XIV, étaient un des chemins d’accès à une
vérité d’ordre supérieur – Christian Boltanski
et Frederic Mathys Thursz pointent aussi cette
nécessité impérieuse d’approche d’un indicible si
douloureux soit-il. Objet détourné et monochrome,
ces éléments d’un langage iconique contemporain
ont une emprise aussi forte sur nos sens que
le médium pictural. La photographie s’est saisie
- entre autres sujets - de la scène de genre si
décriée au milieu du XXe siècle. Cindy Sherman
emprunte au vocabulaire cinématographique,
Nan Goldin recourt à la mise en abyme picturale.
Le paysage de Xavier Jean-Joseph Bidauld et les
œuvres de Jean-Luc Mylayne loin d’être des
paysages, relèvent d’une réflexion philosophique
sur la condition humaine. Claude Monet a ouvert
la voie à Olivier Debré, Michael Buthe ou Richard
Long. La nature morte reste un des thèmes
récurrents de la contemporanéité, nous
confrontant à la vanité et l’inéluctable de notre
destinée. Des complicités inattendues se nouent
entre certaines œuvres. Il était parfois de tradition
aux temps anciens de porter en gai cortège,
les tableaux achevés de l’atelier du peintre dans
les églises ou les palais. Nous convions aujourd’hui
le visiteur à participer de la liesse de la découverte.
Martine Dancer-Mourès,
Conservateur.
Couverture :
Œuvres de Gustave Miklos,
Réné Iché, Jim Dine.
Vue de salle, septembre
2012. Photo Yves Bresson.
Page suivante :
Œuvres de Serge Comte,
Andy Warhol, Thomas Ruff.
Vue de salle, septembre
2012. Photo Yves Bresson.
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Avant propos
« […] un Peintre qui ne fait que
des portraits, n’a pas encore cette
haute perfection de l’Art, et ne peut
prétendre à l’honneur que reçoivent
les plus savants. Il faut pour cela
passer d’une seule figure à
la représentation de plusieurs
ensembles ; il faut traiter l’histoire
et la fable ; il faut représenter
de grandes actions comme les
historiens, ou des sujets agréables
comme les Poètes… ».
Extrait d’une conférence
de l’Académie Royale en 1667.
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André Félibien est à l’origine
de la hiérarchie des genres dans
la peinture classique, selon cet ordre
d’importance : peinture allégorique /
peinture d’histoire /portrait /
paysage /nature morte. Malgré
la rigueur de cette hiérarchie des
genres, Le cortège de l’art fait
émerger des formes de coexistence
entre les genres : liant la scène
religieuse au paysage ou la scène
de genre au portrait… Dans
l’exposition, cette hiérarchie est
revue, dans un dialogue entre les
œuvres classiques et contemporaines,
ouvrant sur des filiations possibles.
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Du portrait
A
Le portrait est un genre historiquement lié
à la mimésis, c’est-à-dire à l’imitation, puisqu’il
consiste en la représentation fidèle de la
physionomie d’un individu. Pourtant, ce dernier
traverse l’histoire de l’art en se renouvelant au gré
des révolutions techniques et artistiques et des
évolutions sociales, passant du portrait royal,
à la noblesse puis à la bourgeoisie. Il révèle
alors les caractéristiques sociales d’une époque,
ainsi que son contexte religieux, politique,
philosophique, voire métaphysique.
Dans le portrait bourgeois réalisé par Gabriel Tyr,
le fauteuil Voltaire en velours rouge est à la fois
l’accessoire et le symbole du style sobre, élégant
de M. Faure, renforcé par la finesse d’exécution
du dessin des mains et du visage. La particularité
des cadrages et des jeux de hors-champ dénotent
déjà, une correspondance avec la photographie,
qui apparaît au XIXe siècle. André Derain propose
quant à lui, une figure rêveuse, où la tasse de thé
et le livre deviennent des accessoires qui
participent à l’expression de sentiments intérieurs,
dans le contexte du « retour à l’ordre »
de l’après-guerre. Au-delà du cadrage,
la technique photographique révolutionne le genre
en permettant aux artistes de se détacher
de l’imitation du modèle, et manifeste l’ambiguïté
de son statut artistique ou documentaire.
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Effectivement, dans cette photographie de Raoul
Hausmann, l’expressivité du visage excède
le simple Portrait de fillette dans un style quasi
ethnographique. Les violents contrastes et
le cadrage presque cinématographique excluent
l’accessoire, à l’exception de la brillance délicate
des boucles d’oreilles. Par opposition, chez Jim
Dine, le corps est affranchi de sa représentation
et disparaît au profit de véritables accessoires qui
outrepassent la surface du tableau. Par ailleurs,
si le portrait était réservé à une certaine élite,
la photographie en démocratise le genre, jusqu’à
la banalité. Dans les photographies démesurées
de Thomas Ruff, le cadrage de type « photo
d’identité » évoque le portrait dans une dimension
politique où l’identité cède la place à l’anonymat
d’une réalité épidermique.
B
A.Raoul Hausmann
Portrait de fillette,
vers 1927.
© ADAGP, Paris, 2012.
B.Luis Morales
Vierge de douleur,
XVIe siècle.
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Du religieux
au spirituel
Si la religion est ce qui relie les hommes au sacré,
l’œuvre d’art est spirituelle lorsqu’elle transcende
la condition humaine (souffrance, peine, joie
intérieure). Le tableau Vierge de douleur
de Moralès (XVIe siècle) est construit tout entier
autour des figures du Christ et de la Vierge.
La Madone imprime un dernier baiser sur la joue
de son Fils dont les traits ne marquent plus aucune
trace de douleur. Parallèlement, une série
de thèmes religieux des XVIIe et XVIIIe siècles
renouvelle l’humanisme chrétien en rendant une
ambiance réaliste des scènes religieuses dans
le jeu des formes, des lumières et des couleurs.
Ainsi, les figures apparaissent expressives, voire
emphatiques. Par ailleurs, certains artistes durant
le XXe siècle se sont intéressés à une quête
du spirituel dans un contexte non-religieux :
développement des philosophies positivistes
et nihilistes, société de plus en plus industrialisée
et matérialiste. Cette renaissance du spirituel
est apparue, en France, sous l’impulsion du Père
Couturier, artiste lui-même et membre des Ateliers
d’Art Sacré fondés en 1919 par le peintre
Maurice Denis. Autrement dit, il y a « du spirituel
dans l’art »(1) lorsque le contenu de l’œuvre,
dans un contexte donné, signifie une élévation
de l’esprit. Une dimension spirituelle à la fois
individuelle et universelle, ancrée dans l’esprit
collectif, se retrouve dans Autel Chases.
Les pratiques culturelles et rituelles de Christian
Boltanski donnent à voir, ici, des boîtes
métalliques proches de reliquaires (ex-voto).
Des lampes allumées éclairent des visages flous
B
1. Expression empruntée
au traité de Kandinsky,
Du spirituel dans l’art, 1911.
2. L.Wei in F.M.Thurz,
Musée d’art moderne
de Saint-Étienne, 1989.
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C. Jean-Luc Mylayne
N°22 Juin-Juillet 1981,
1981.
en icône auréolée d’un halo analogue à celui des
cierges d’églises. C’est en ayant vu le ciel nocturne
de la Crucifixion du retable d’Isenheim, par
Matthias Grünewald, que Frederic Mathys Thursz
cherche à retrouver une lumière émanant
de l’intérieur du tableau. Cette lumière remontant
vers la surface est le résultat de couches
successives de peinture avec des marques
intentionnelles. Ainsi, l’image de la peinture
Still/Isenheim devient « le miracle de la couleur
incarnée, une Eucharistie picturale où l’esprit
de la couleur a trouvé son lieu d’élection. » (2)
C
De la scène
De genre…
Les Hollandais du XVIIe siècle ont excellé dans
la scène de genre : les personnages y évoluent,
dans les espaces de leurs lieux de vie,
de convivialité. Très souvent ces scènes, apparemment banales, sont en fait plus complexes qu’il
n’y paraît et doivent être décryptées. Chez Job
Berckheyde, trois personnages, un chien et un
perroquet paraissent enserrés, entre une fenêtre
ouverte sur un quai et l’enfilade de salles - ce qui
ouvre d’autres champs perspectifs. Dans cet
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D
intérieur bourgeois, Job Berckheyde dévoile,
simultanément le champ narratif codé, l’espace
domestique et le paysage urbain de la ville
d’Haarlem. Cette scène de séduction est supposée
se dérouler à l’écart du regard indiscret du
spectateur. L’œuvre de Jean-Luc Mylayne ouvre
également un espace narratif décalé, offre une
réflexion sur la condition humaine par le biais
d’une scénographie très réfléchie, d’oiseaux
photographiés dans leur lieu de vie. Ces scènes
s’appuient sur les fils de la mémoire. Privilégier
la précision sociologique d’un microcosme peut
susciter une lecture documentaire et affective.
Grâce à sa pratique du journal intime, Nan Goldin
évoque son amitié pour Cookie et son fils, Max.
Max at Sharon’s Appartement under photo of his
mother, multiplie les images dans l’image et par
l’intermédiaire de jeux de regard, fait naître
en nous un sentiment de solitude, de nostalgie :
Cookie n’est plus qu’une image. Suivre le regard
des personnages, c’est découvrir une autre
D.Œuvres de Cindy Sherman,
Nan Goldin, Jean-Pierre
Khazem, Richard Long.
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Vue de salle, septembre
2012. Photo Yves Bresson.
histoire, une histoire du Regard : ainsi Cindy
Sherman détourne-t-elle le vocabulaire
cinématographique pour créer une rencontre
surprenante d’intensité. Dans Volume 1, JeanPierre Khazem, nous invite à porter notre regard
sur l’autre par le truchement d’un corps imaginaire,
assemblé comme un collage. Les artistes
contemporains nous proposent donc une relecture
de la thématique de la scène de genre, riche en
nuances psychologiques.
… au paysage
Le paysage est par définition, une étendue de pays
s’offrant à la vue. Être spectateur d’un paysage
induit inévitablement un regard, un point de vue,
un cadrage qui nous distancie de la nature
elle-même et à partir duquel nous pouvons nous
situer. Tout paysage est intégré à un processus
d’« artialisation »(3), conditionné par un contexte
historique, culturel, politique. Ainsi, au début
du XIXe siècle, le paysage doit être pittoresque
pour être peint et apprécié. Les peintures de
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paysage, comme celle de Xavier Jean-Joseph
Bidauld, introduisent le spectateur dans des
mondes idylliques, comme Jean-Jacques Rousseau
a pu le faire en littérature, dans ses Confessions.
Cependant, Bidauld travaille ses compositions
en atelier, même s’il réalise ses études sur le motif,
en extérieur. Par la suite, les impressionnistes
sortent de l’atelier et travaillent entièrement sur
le motif, s’intéressant à la lumière dans le paysage,
son atmosphère, ses caractéristiques changeantes.
Les Nymphéas de Claude Monet constituent
de ce fait une véritable allégorie de la peinture :
le paysage est perçu par son reflet à la surface
de l’eau, de même que la peinture offre une vision
subjective de la réalité. Celle-ci nous emmène
jusqu’à l’abstraction, jusqu’à une nature qui
s’exprime par le geste, comme peut le faire
Olivier Debré dans Grand ocre à la tache violette.
Avec Michael Buthe, le paysage déborde du cadre :
la représentation s’efface au profit d’éléments
naturels directement associés et figés
à la surface picturale. Au XXe siècle, le paysage
investit également d’autres champs artistiques
comme ceux de la photographie, de la sculpture
ou de la performance. Jean-Luc Mylayne, comme
Bidauld en son temps, est imprégné d’intentions
philosophiques. Photographe de la condition
humaine, il positionne le regard du spectateur,
à la lisière du territoire d’un monde animal, dans
l’altérité du regard de l’être. Dans le champ
de la sculpture, Richard Long offre une ligne
au paysage. Winter Slate Line, n’est plus une ligne
d’horizon, mais comme une trace qui prend corps
dans l’espace muséal et dont les pierres sont
prélevées dans la nature, lors des promenades qu’il
effectue. Par ailleurs, Long est un artiste rattaché
au Land Art. Ce mouvement s’intéresse à
la dimension territoriale du paysage, notamment
par le travail in situ. Ainsi la notion de paysage
évolue-t-elle vers un art qui s’éloigne de la
représentation et privilégie l’action dans l’espace
concret, devenu support et matière pour l’artiste.
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Des natures
mortes
E
Les natures mortes recouvrent un ensemble riche
et complexe de représentations. Elles sont
chargées de significations entrecroisées, certaines
religieuses (allusion eucharistique du pain et
du vin) ou allégoriques (le pain et le vin évoquent
le goût, les cartes à jouer, le toucher…)
« Depuis le XVIIe siècle, la peinture des choses
immobiles [atteint] une complète maturité
artistique, de sorte qu’elle [peut] refléter au
même titre que [les portraits] ou [les paysages],
toutes les conceptions esthétiques et philosophiques de la nature, toutes les données sociales
et économiques (…) »(4). Cependant, les natures
mortes ne sont pas si immobiles, ni si figées
qu’elles en ont l’air. André Chastel décèle cet état
de déséquilibre propre aux objets qui composent
les natures mortes : « On dirait qu’ils vont tomber.
C’est une serviette en train de se défaire, une
miche de pain qui se divise comme d’elle-même
E.Gerhard Richter
Schädel, 1983.
© ADAGP, Paris, 2012.
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en tranches, toutes sortes de vases et d’assiettes
en porte-à-faux. »(5). Ce déséquilibre est
particulièrement visible dans les peintures
de vanités (Willem Claes Heda, Damien Lhomme).
Tous ces objets sont comme suspendus :
ils nous avertissent du passage du temps et
de l’usure des choses. S’y ajoutent les motifs,
plus directement symboliques, comme le crâne
ou la montre. La mort s’inscrit dans le tableau
de Gerhard Richter sans pour autant la représenter
de manière ostentatoire. La plupart des natures
mortes avec Gino Severini, Francis Picabia, Pablo
Picasso subissent des perturbations diversifiées :
espace cubiste présentant une multiplicité
de points de vue, d’objets, des jeux de matières
(papier calque pour la transparence du verre,
imitation du faux bois pour la table, morcellement
des objets par le va-et-vient de lignes noires avec
Picasso). L’image de Picabia prend place dans
le mouvement de la civilisation industrielle.
Le rouage, sorti des pages de la revue La Science
et la vie, est considéré au même titre que les
objets quotidiens. En revanche, le titre décalé fait
mouche entre la fantaisie et la provocation.
Si les natures mortes révèlent quelque chose
d’essentiel sur l’histoire de la peinture, elles sont
une réflexion sur le désir de peindre le « parti
pris des choses » (Francis Ponge).
4. Charles Sterling
in La Nature morte de
l’Antiquité au XXe siècle.
5. André Chastel
in Les Vanités dans
la peinture du XVIIe siècle.
MAM Saint-Étienne Métropole
Rue Fernand Léger
42270 Saint-Priest-en-Jarez
T. +33 (0)4 77 79 52 52
F. +33 (0)4 77 79 52 50
[email protected]
www.mam-st-etienne.fr
Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h.
Fermé le mardi sauf pendant
les vacances scolaires de la zone A.
Fermé les 1er janvier, 1er mai,
14 juillet, 15 août, 1er novembre,
25 décembre.
Plan du musée
Le cortège
de l’art
Entrée
www.lavitrinedetrafik.fr
3. Roger Alain,
Court traité du paysage,
Paris, Gallimard,
Bibliothèque des Sciences
Humaines, 1997.
inFos
pratiQues
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