Histoire - memoria.dz
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Lettre de l'Editeur Pour une vive mémoire AMMAR KHELIFA [email protected] es nations se hissent par le savoir et se maintiennent par la mémoire. C’est cet ensemble d’événements qui se créent successivement aujourd’hui pour qu’un jour on ait à le nommer : Histoire. Sans cette mémoire, imbue de pédagogie et de ressourcement, l’espèce humaine serait tel un atome libre dans le tourbillon temporel et cosmique. L’homme a eu de tout temps ce pertinent besoin de vouloir s’amarrer à des référentiels et de se coller sans équivoque à son histoire. Se confondre à un passé, à une ancestralité. Cette pertinence va se confiner dans une résistance dépassionnée et continue contre l’amnésie et les affres de l’oubli. Se contenir dans un souvenir, c’est renaître un peu. L’intérioriser, c’est le revivre ; d’où cette ardeur permanente de redécouvrir, des instants durant, ses gloires et ses notoriétés. En tant que mouvement dynamique qui ne s’arrête pas à un fait, l’Histoire se perpétue bien au-delà. Elle est également un espace pour s’affirmer et un fondement essentiel dans les domaines de prééminence et de luttes. Transmettant le plus souvent une charge identitaire, elle est aussi et souvent la proie pitoyable à une éventualité faussaire ou à un oubli prédateur. Seule la mémoire collective, comme un fait vital et impératif, peut soutenir la vivacité des lueurs d’antan et se projeter dans un avenir stimulant et inspirateur. Elle doit assurer chez nous le maintien et la perpétuation des liens avec les valeurs nationales et le legs éternel de la glorieuse révolution de Novembre. Il est grand temps, cinquante ans après le recouvrement de l’indépendance nationale, de percevoir les fruits de l’interaction et de la complémentarité entre les générations. Dans ce contexte particulier et délicat, les moudjahidate et moudjahidine se doivent davantage de réaffirmer leur mobilisation et leur engagement dans le soutien du processus national tendant à éterniser et à sacraliser l’esprit chevaleresque de Novembre. Ceci n’est qu’un noble devoir envers les générations montantes, qui, en toute légitimité, se doivent aussi de le réclamer. A chaque disparition d’un acteur, l’on assiste à un effacement d’un pan de notre histoire. A chaque enterrement, l’on y ensevelit avec une source testimoniale. Le salut de la postérité passe donc par la nécessité impérieuse d’immortaliser le témoignage, le récit et le vécu. Une telle déposition de conscience serait, outre une initiative volontaire de conviction, un hommage à la mémoire de ceux et de celles qui ont eu à acter le fait ou l’événement. Le témoignage devrait être mobilisé par une approche productive d’enseignement et de fierté. Raviver la mémoire, la conserver n’est qu’une détermination citoyenne et nationaliste. Toute structure dépouillée d’histoire est une structure sans soubassement et toute Nation dépourvue de conscience historique est une nation dépourvue de potentiel de créativité et d’intégration dans le processus de développement. C’est dans cette optique de rendre accessibles l’information historique, son extraction et sa mise en valeur que l'idée de la création de cette nouvelle tribune au titre si approprié : Memoria, a germé. Instrument supplémentaire dédié au renforcement des capacités de collecte et d’études historiques, je l’exhorte, en termes de mémoire objective, à plus de recherche, d’authenticité et de constance. [email protected] LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE (3) www.memoria.dz Supplément N°15-Juillet-2013 P.06 P.25 Fondateur Président du Groupe AMMAR KHELIFA Président d’honneur Abdelmalek SAHRAOUI Coordination Sonia BELKADI Direction de la rédaction Assem MADJID Directeur des moyens généraux Abdessamed KHELIFA D.A.F Meriem KHELIFA LE JOUR DE L'INDéPENDANCE Ils ont contribué avec nous Dahou Ould Kablia Ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales et président de l’Association nationale du ministère de l’Armement et des Liaisons générales (AN-MALG) wilayas historiques Indépendance de l'Algérie P.13 P.06 Histoire L’Algérie à l’indépendance union et sentiment national P.11 Histoire Le premier juillet 1962 la parole retrouvée Rédaction Zoubir Khélaifia Leïla BOUKLI Boualem TOUARIGT Abderrachid MEFTI Adel FATHI Djamel BELBEY Hassina AMROUNI Imed Kenzi Abdelhakim Meziani Direction Artistique Halim BOUZID Salim KASMI Réda Hassene DAOUADJI P.19 Histoire De Gaulle veut éviter l’indépendance Il sous estime la force du sentiment national Tous les chefs des Wilayas historiques P.19 P.27 Histoire wilaya I Benboulaïd et son héritage P.31 Portrait Le chahid Ali Souaihi Le vaillant guerrier et charismatique chef P.35 Histoire Contacts : Eurl COMESTA MEDIA N° 181 Bois des Cars 3 Dely-Ibrahim - Alger - Algérie Tél. : 00 213 (0) 661 929 726 / +213 (21) 360 915 Fax : +213 (21) 360 899 E-mail : [email protected] [email protected] REFeRENDUM Wilaya II Le grand élan du Nord-Constantinois CHARLES DE GAULLE P.31 P.43 Histoire Wilaya III Krim Belkacem : un politique à la tête du maquis P.61 Histoire Wilaya IV Les légendaires chefs de la wilaya IV www.memoria.dz Supplément offert, ne peut être vendu ALI SOUAïHI P.29 P.39 P.57 Supplément du magazine ELDJAZAIR.COM consacré à l’histoire COPYRIGHT COMESTA MÉDIA GROUPE PROMO INVEST Edité par COMESTA MÉDIA Dépôt légal : 235-2008 ISSN : 1112-8860 hADJ LAKHDAR Youcef Zighoud MOHAND OULHADJ P.74 P.70 HOUARI BOUMEDIENE Tous les chefs des Wilayas historiques P.80 P.73 Histoire Wilaya V entre diversité et complexité P.77 Histoire Wilaya VI D’Ali Mellah à Si El-Haouès : batailles sur tous les fronts P.83 Histoire Wilaya VII LA REVOLUTION S'IMPLANTE AU COEUR DE LA FRANCE GUERRE DE LIBERATION COLONEL CHAABANI P.85 P.87 Histoire Moment de grande émotion à travers l’Algérie en ce mois de juin. Ahmed Zabana et Abdelkader Ferradj revisités P.93 Histoire Lorsque le remodelage du passé à l’image du présent devient chose courante HISTOIRE D'UNE VILLE P.99 JIJEL JIJEJ : La perle de la Méditerranée OMAR BOUDAOUD P.88 AHMED ZABANA SOMMAIRE SALAH ZAMOUM L’Algérie à l’indépendance union et sentiment national Par Boualem Touarigt Indépendance de l'Algérie L Histoire e 19 mars 1962 est la date historique certainement la plus porteuse de sens dans l’histoire contemporaine du peuple algérien. Celui-ci se voyait reconnaître le droit de s’exprimer librement sur son sort. En fait, le gouvernement français trouvait la solution qui lui semblait la plus conforme à ses intérêts et lui évitait de se plier aux exigences de son adversaire le FLN. Cette solution pourtant était contenue dans l’appel du 1er novembre qui proposait de négocier sur la base de la reconnaissance du droit du peuple algérien à l’indépendance. Les accords du 19 mars concluaient une longue phase plus que centenaire de luttes, parfois éparpillées et spontanées, de longs efforts de travail politique et de consolidation de l’union nationale, parachevés par une forme violente de combat qui a pu imposer une solution politique juste. Les Algériens arrivaient en 1962 avec de grands acquis : l’idée nationale, la volonté d’indépendance s’étaient profondément ancrées au sein de la population. Dès 1945, le refus de l’assimilation, le sentiment d’exaspération, le sentiment de révolte étaient tellement forts et perceptibles. Les conditions politiques de la lutte de libération nationale étaient alors rapidement réunies avec le rejet des solutions conciliatrices vis-à-vis du système colonial et le succès des actions unitaires des différentes composantes du Scène de liesse à l'annonce des résultats du référendum LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE (7) www.memoria.dz Indépendance de l'Algérie Histoire Djoundi de l'ALN mouvement national. Celui-ci prenait alors forme : dirigé par les élites politiques issues du mouvement populaire, il s’appuiera sur les couches les plus pauvres des campagnes puis des villes envers lesquelles il mènera un patient travail d’organisation et de formation politique. Il regroupera aussi les représentants des courants politiques moins radicaux qui prendront une place importante dans la direction politique de la guerre de libération nationale. Le FLN créa les conditions de sa victoire. Il capitalisa la forte volonté d’indépendance qui toucha toutes les catégories de la population et s’en tint à sa stratégie : imposer les solutions politiques par l’extension de la lutte armée, préserver l’unité nationale, être prêt à négocier le meilleur compromis possible, une fois reconnu le droit à l’indépendance nationale. Le gouvernement français ne voulut jamais reconnaître cette indépendance. Devant l’ampleur de la révolte, il tenta de dégager une élite algérienne prête à accepter la domination française moyennant un élargissement limité des droits politiques et une amélioration des conditions de vie. Aux propositions de Soustelle qui alla jusqu’à suggérer une réforme agraire, succédèrent les grandes annonces du général de Gaulle. De 1954 à 1962, des gouvernements de sensibilités politiques différentes refusèrent l’indépendance, cherchèrent la victoire militaire sur les combattants de l’ALN et ten- t è rent de dégager une élite politique algérienne docile. De Gaulle fut le plus tenace, étant sûr d’imposer une solution néocoloniale De Gaulle à Alger en 1958 Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . (8) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Indépendance de l'Algérie Histoire qu’il réussit d’ailleurs en Afrique, refusant au FLN le droit d’être le représentant de tous les Algériens, ne voyant en lui qu’une tendance qu’i l que les grandes opérations ne permirent jamais la « pacification » recherchée. Ils se mirent en mouvement dans les villes pour faire échec aux manœuvres politiques. Le gouvernement français ne trouva pas son élite locale. La stratégie d’union du FLN regroupa autour de lui toutes les catégories d’Algériens. Femmes de l'ALN Un sentiment national très fort n’a pas pu éliminer militairement et qu’il chercha à domestiquer. Les Algériens résistèrent aux offensives militaires et firent En 1962, l’Algérie arrivait à l’indépendance dans des conditions extrêmement difficiles : une population vivant dans la pauvreté, à plus de 90% analphabète, une production en recul dans tous les domaines. L’encadrement, les activités économiques étaient aux mains de la minorité européenne. On estimait à un millier le nombre de médecins, dans leur très grande majorité européens. Les divergences qui apparurent au grand jour au congrès de Tripoli furent limitées à des conflits entre des dirigeants du FLN. Les choix idéologiques ne furent pas la cause des clivages politiques. Les accords d’Evian contenaient d’importantes concessions. Le FLN accepta la coopération économique, la préservation des intérêts français et reconnut de lui-même d’importants droits et garanties à la minorité européenne. Krim Belkacem LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE (9) www.memoria.dz Indépendance de l'Algérie Histoire Benyoucef Benkhedda, le président du GPRA Ces concessions furent approuvées par le CNRA et par les leaders alors emprisonnés. Après le 19 mars, tout le monde s’appliqua à respecter strictement ces accords. L’Algérie était alors un pays essentiellement rural, dont la société était très marquée par les clivages traditionnels et des archaïsmes. La prééminence des liens familiaux, villageois ou tribaux ne pesa pas devant un sentiment national très fort et même exaspéré par les années de luttes. L’Algérie connut certes des incidents armés entre combattants de l’ALN. Mais elle ne connut pas de guerre civile que beaucoup voyaient inévitable, les populations ne se replièrent pas sur une appartenance tribale ou régionale et partout elles s’opposèrent aux affrontements entre combattants. Les efforts d’union et de rapprochement menés durant la lutte mirent en avant des commandements militaires qui n’avaient pas été marqués par des rivalités régionalistes ou des regroupements sur des bases familiales ou tribales. En plus de ce fort sentiment national, de cette volonté d’union, les malheurs de la guerre de libération nationale et la participation populaire avaient renforcé une idéologie très répandue faite d’égalitarisme, de sentiment de justice, de rejet des privilèges, de refus de l’exploitation. Cela allait marquer très fortement les politiques économiques qui seront suivies par la suite. Le programme de Tripoli qui en portait l’empreinte profonde fut approuvé à l’unanimité. Boualem Touarigt La population accueille triomphalement les combattants de l'ALN dans la capitale, le 5 juillet 1962 Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 10 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Le premier juillet 1962 la parole retrouvée Par Boualem Touarigt Indépendance de l'Algérie L es accords d’Evian qui reconnaissaient au peuple algérien le droit de choisir librement son destin, prévoyaient un scrutin d’autodétermination. En fait, ces accords reconnaissaient l’indépendance de l’Algérie par la France, qui tenait à préserver des formes politiques et juridiques du passage à l’indépendance. Le FLN, qui fut toujours considéré comme une tendance, certes active et irréductible, par le général de Gaulle comprit l’importance de l’enjeu et reconnut très tôt la nécessité de compromis inévitables. Comme la souveraineté pleine et entière du nouveau gouvernement algérien était reconnue dans tous les domaines (défense comprise) et sur un territoire indivisible, le FLN accepta une présence temporaire de bases militaires et la garantie des investissements. Il proposa lui-même des textes qui accordaient de larges droits à la minorité européenne. Histoire Les combattants de l'ALN en 1962 La gestion d’une période transitoire fut confiée à un Exécutif provisoire composé de douze membres dont neuf Algériens. L’armée française n’eut plus de compétence opérationnelle et pour garantir la neutralité du scrutin, l’Exécutif mit en place une nouvelle armée de 60.000 hommes, la « force locale » composée d’Algériens auxiliaires de la gendarmerie Accords d'Evian Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . et des groupes mobiles et appelés dans l’armée française. Il eut aussi pour tâche d’accélérer l’algérianisation de l’administration. Il assura les conditions du scrutin d’autodétermination. Celui-ci fut fixé au dimanche 1er juillet 1962. L’Algérie allait connaître pendant cette courte période de trois mois et demi un déchaînement inouï de Référendum sur l'autodétermination ( 12 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Indépendance de l'Algérie Histoire Des Algériens s'exprimant le jour du référendum violences à attribuer aux commandos de l’OAS. Ce furent les massacres aveugles visant les Algériens, les destructions systématiques de maisons et des édifices publics. Cela prit fin d’une manière inattendue par un accord de cessez-me feu signé par des dirigeants de l’OAS et des représentants de l’Exécutif provisoire le 17 juin. Le scrutin eut lieu dans le calme Le scrutin eu lieu le dimanche 1er juillet 1962, dans 6.000 bureaux de vote ouverts de huit heures à dixhuit heures. Partout la population algérienne vécut ce moment historique dans l’allégresse et des manifestations de joie extraordinaires. Ce que l’on doit retenir c’est que partout l’ordre fut préservé. Les combattants de l’ALN rentrèrent dans les grandes villes et firent régner l’ordre. Les quelques cas de pillage firent sévèrement sanctionnés. Les correspondants de presse Les soldats français sur le point de quitter l'Algérie Atrocités de l'OAS LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 13 ) www.memoria.dz Indépendance de l'Algérie Histoire Photos de pieds-noirs dans le port d'Alger témoignèrent de l’attitude bienveillante des Algériens envers les étrangers et les pieds-noirs. Ceux-ci furent très souvent protégés par les combattants de l’ALN. Le cas d’Oran fut particulier. Une provocation des éléments de l’OAS restés dans la ville fit officiellement 95 morts et 163 blessés parmi les Algériens et les pieds-noirs. Le GPRA condamna et appela au calme. Une commission mixte d’enquête établit l’existence de tirs de provocation. Des soldats français stationnés à la place Foch répliquèrent aux tirs venus des terrasses. De son côté, le FLN prit des dispositions extrêmement sévères pour maintenir l’ordre et protéger les Européens. Le chef de l’ALN, le capitaine Bakhti prit alors des mesures exceptionnellement sévères envers les Algériens coupables de dépassements. Il reconnut même : « Après avoir été jugés pour assassinats, pillages ou port d’armes, plusieurs dizaines de musulmans ont été déjà condamnés à mort par des tribunaux de l’ALN et exécutés. Plusieurs autres criminels seront jugés et exécutés au cours des prochaines vingt-quatre heures. » Les Pieds noirs créèrent la surprise en allant voter nombreux. On estimait alors à 300.000 le nombre d’entre eux qui avaient quitté le pays. Les présents votèrent en masse. Ils ne furent nulle part inquiétés, le FLN ayant sévi avec la plus grande fermeté envers les cas de dépassement constatés. Tout le monde constata l’attitude conciliatrice de la population algérienne et des responsables du FLN. Les Pieds Noirs d’Alger : l’expectative avec quelques lueurs d’espoir Dans les grandes villes vers lesquelles s’étaient repliés lDans les grandes villes vers lesquelles s’étaient repliés les Européens, la situation était tendue depuis plusieurs jours. Les nouvelles autorités n’arrivaient pas à assurer la sécurité. Les pillages se multipliaient et surtout les vols de voitures. Les combattants de l’ALN en tenue et armés firent leur apparition à Alger, organisant des patrouilles même dans les quartiers européens. La presse française rapporta qu’ils sévirent fermement contre les pillards. Un journaliste déclara avoir vu un jeune Algérien se promener dans la ville portant au cou une pancarte : « Je suis un voleur. » Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 14 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Indépendance de l'Algérie Histoire Des Européens témoignèrent s’être plaints à un responsable FLN de Belcourt qui leur restitua les objets volés. Les victimes de spoliation se virent réintégrés dans leurs biens par des responsables FLN qui bastonnèrent les occupants abusifs. On note un changement d’attitude chez les pieds-noirs. Gérard Maron du Figaro note : « Les partants sont toujours nombreux mais les départs ne sont plus massifs ni surtout précipités. Ils s’échelonnent dans le temps. On ne part plus avec deux valises, tenaillé par la peur. On prend le temps de boucler les malles et de mettre ses affaires en ordre pour un éventuel retour. C’est l’expectative avec quelques lueurs d’espoir. Signe spectaculaire de cette chute soudaine de la fièvre de l’exode : on ne fait plus la queue des journées et des nuits entières devant les guichets des compagnies aériennes et maritimes. On ne patiente plus aux portes des postes et des banques. » A Bab el Oued, ancien fief des extrémistes de l’OAS, le quartier est silencieux mais a retrouvé un semblant de vie normale. A côté de la légendaire place des trois horloges, ils sont des centaines d’Européens à se presser dans l’école de filles de la rue de Normandie, faisant la queue devant les isoloirs. Un commentateur français note : « Celle qui fut la ville de tous les « non » et de toutes les passions a donc dit oui dans un calme quasi-total. » Dans les quartiers, c’est la liesse populaire. Ils sont des milliers à parcourir la ville, chantant et dansant. Les enfants sont en uniforme : pantalons (ou jupe pour les filles) en vert, chemise blanche et cravate rouge. Les haut-parleurs déversent sans discontinuer les nouveaux hymnes qui ne sont pas tous à connaître et qui sont vite appris. Les tenues sont pleines de paillettes en formes d’étoiles et de croissant. Partout on vend des calots rutilants en vert et rouge. L’envoyé d’un journal note : « J’ai vu des maquisards de l’ALN doubler la force locale à la porte des écoles, des mairies, des mosquées, aidés par les fedayin en civil. A travers toute l’Alger musulmane, c’était la marée. Partout s’allongeaient des files interminables patientant pendant des heures. Les infirmières avaient fort à faire. Il y eut de nombreux évanouissements. Cette participation monstre des musulmans était prévue, mais LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 15 ) Les Algériens exultent de joie le jour de l'Indépendance www.memoria.dz Indépendance de l'Algérie Histoire L'indépendance fêtée en Kabylie Les Français d'Algérie s'opposent à l'indépendance elle s’est déroulée dans un climat de dignité et de maturité politique qui a étonné les observateurs. » Le journaliste du Figaro apporte ce témoignage : « Nulle part en ces heures de liesse musulmane je n’ai noté le moindre acte de vengeance, le moindre geste de colère. Je me suis promené seul dans la Casbah, Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . parmi la masse exubérante et bariolée. Sans me connaître, on m’a interpellé au passage à plusieurs reprises, avec le sourire, pour m’offrir le thé à la menthe ou la kahoua de la réconciliation. » Un autre correspondant apportera son témoignage le 4 juillet : « Au cours de cette explosion de joie popu- ( 16 ) laire des musulmans, il n’y a pas eu le moindre incident, pas l’ombre d’une provocation, pas un geste de colère ou de menaces. Il faut souligner ce sang-froid des musulmans comme la sagesse et la raison dont on fait preuve les Européens noyés au milieu de cette kermesse de style castriste. Sur le visage de ces jeunes musulmans qui, aux limites du délire criaient leur joie, leur foi et leur espoir, on ne lisait ni la haine ni la vengeance. » Le même journaliste est présent dans Alger le lendemain : « Des soldats de l’ALN, des scouts, des gamins en uniforme, des chorales de jeunes filles FLN défilent au pas en chantant des chants révolutionnaires. Toute la population de cinq à soixante-dix ans apprend à marcher au pas. » Il a même remarqué un vieux notable défilant à cheval à la rue d’Isly précédant des habitants de son village qui défilent au pas. « Dans la rue Michelet, un fourgon à bestiaux déboule en trombe : une cinquantaine de femmes kabyles en longues robes bariolées s’y entassent les unes sur les autres, poussant des youyous. J’ai même vu passer un fourgon mortuaire plein à craquer de jeunes, de vieux, de grandmères et de toute une marmaille hurlant d’allégresse… » Oran : les commandos de la mort viennent à peine de partir A Oran, les Européens ont parA Oran, les Européens ont participé au scrutin plus nombreux qu’on ne l’imaginait. Un correspondant note le 1er juillet : « Les comman- Supplément N° 15 - Juillet 2013. Indépendance de l'Algérie Histoire dos armés de l’OAS sont partis et Jean Micheletti leur dernier chef irréductible aussi. Les bateaux espagnols qui ont opportunément mouillé hier dans le port ont levé l’ancre cet après-midi » Dans la ville européenne, la place des victoires et le boulevard général Leclerc, ces anciens fiefs de l’OAS, sont calmes. Aucun Algérien ne s’y est encore aventuré. La veille du scrutin, un comité de conciliation comprenant huit Européens et huit délégués FLN tient une de ses premières réunions dans un ancien dépôt de farine. Le soir, ils se retrouvent dans le bureau de préfet Thomas. L’officier de l’ALN s’adresse aux quelque trente délégués européens, en présence de l’évêque de la ville, Monseigneur Lacaste : « Pour nous, vous êtes tous des Algériens. Frères européens, nous sommes prêts à vous recevoir chez nous, comme avant. Je réponds de l’attitude des Algériens. » Ambrosini, le président des armateurs, lui répond : « Nous sommes tous des Algériens. » Le lendemain les pieds-noirs d’Oran votent en masse. Un journaliste français a ce commentaire : « Finalement, Oran vote. L’Oran européen bien sûr, tout entier dressé il y a à peine trois jours contre les autorités et contre le FLN avec ses commandos de la mort quadrillant la ville et ses « dinamiteros » qui voulaient la transformer en un monceau de décombres. » Il y a foule dans les six bureaux de vote du quartier européen. On se presse et les queues s’allongent. Ils sont des milliers à attendre leur tour. Le 3 juillet, les détachements de sept katibas de l’ALN défilent dans Oran. Elles passent devant une tribune d’honneur installée devant le palais des sports où le capitaine Bakhti Nemiche préside la cérémonie. Il a installé à côté de lui Coignard maire adjoint de la ville et Guenoun directeur du journal Oran Républicain, les deux étant membres du comité de conciliation composé d’Algériens et d’Européens. A Orléansville tout a été très calme. On a craint des dépassements qui n’eurent pas lieu. A onze heures, 13.000 des 27.000 électeurs s’étaient rendus aux urnes. Un Algérien affirme à un journaliste : « Nous avons reçu des ordres. Pas de manifestations pour l’instant. Moins il y aura du bruit et mieux ça vaudra. L’ALN elle-même est restée dans le djebel tout comme l’armée française est consignée ». A Constantine, plus de 200.000 personnes ont envahi le centre de la ville dans l’allégresse et la liesse populaire. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 17 ) www.memoria.dz Indépendance de l'Algérie Histoire Un correspondant note : « Les Français qui se trouvent au milieu de la foule ne sont en aucune façon inquiétés. Le FLN a mis en place un service d’ordre absolument remarquable. » Le 3 juillet 1962, à 12 heures 35, l’Algérie est juridiquement indépendante A 10 heures 15, dans l’immeuble administratif du Rocher Noir, les membres de l’Exécutif provisoire sont réunis autour d’une table, dans la salle de la commission de contrôle du scrutin. Il y a le président Abderrahmane Farès, Roth le vice-président et d’autres membres : Abdeslam, Hamidou ainsi que Capitant, conseiller du gouvernement français. Kaddour Sator, président de la commission de contrôle, lit le procès-verbal du référendum. Les résultats ne sont pas complets mais il y a 5.900.000 oui. Aussitôt, Fouchet, haut commissaire de la France pour la période transitoire gagne l’immeuble de l’Exécutif et remet à Farès la lettre du général de Gaulle par laquelle celui-ci prend acte des résultats et proclame l’indépendance de l’Algérie. Farès se rend aussitôt dans la cour du bâtiment. Un détachement de l’ALN se tient au pied du grand mât dressé pour l’occasion ainsi qu’un groupe de jeunes scouts. Il donne l’ordre de lever les couleurs nationales. Les scouts entonnent l’hymne national. Farès et Roth rendent alors visite au haut commissaire qui les accueille sur le perron. L’Algérie est formellement indépendante. Boualem Touarigt Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Les combattants de l'ALN défilent à Alger ( 18 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. e c n a d n e p é d n i ’ l r e t i v é t u e v e l l u a De G Il sous estime la force du l a n o i t a n t sentimen Par Boualem Touarigt Indépendance de l'Algérie E Histoire n 1958, le général de Gaulle arrive au pouvoir à la faveur d’un coup d’état. Il ne l’a pas organisé, il l’a laissé faire et s’est présenté comme le seul recours en faisant un chantage à la guerre civile. Il a laissé l’armée française d’Algérie faire le dernier pas pour éliminer un pouvoir politique qui lui avait pourtant accordé toutes les prérogatives. Celle-ci a incité à l’émeute les éléments les plus extrémistes des Français d’Algérie pour prendre la tête d’un mouvement insurrectionnel qu’elle a ensuite récupéré en se plaçant à sa tête. Les principaux mouvements politiques français, n’ayant pu avoir une position commune courageuse pour s’opposer au mouvement de sédition, cèdent au chantage et acceptent d’investir le général de Gaulle chargé former le gouvernement. Celui-ci procède habilement, ayant été rappelé dans le respect de la légalité républicaine. Il s’appuie sur l’armée qu’il sent lui échapper. Il lui confie les pleins pouvoirs civils et militaires et celle-ci le rejoint dans un but commun, celui d’obtenir une victoire militaire sur le FLN. Le général a besoin de cette victoire pour mettre en place son plan : une Algérie française où les Algériens considérés comme des citoyens à part entière et voyant leurs conditions de vie s’améliorer resteront attachés à la France. Il compte transformer le paysage politique local où le FLN, éliminé militairement, serait « domestiqué » et inclus comme mou- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . vement politique aux côtés de partis majoritairement acquis à la France. Pour y arriver, de Gaulle utilisera les mêmes recettes que les gouvernements qui l’ont précédé. Il jouera à fond sur ses capacités de séduction et de même de subjugation, usant de son prestige. Il commit certainement quelques erreurs d’appréciation. Les énormes moyens utilisés par l’armée française ne permirent pas une victoire militaire qui n’aurait eu de sens que par son résultat politique : la fin de tout acte d’hostilité et l’adhésion des populations algériennes à sa politique. Il sous estima aussi la volonté d’indépendance des Algériens qui s’était fortement ancrée même auprès de ce que lui considérait comme favorables à sa politique. Ni l’élargissement des droits, ni l’amélioration des conditions de vie de ses populations ne réduiront cette volonté. Le 13 mai 1958 : un coup d’état habilement mené La quatrième république française est tombée sur un coup d’état qui s’est déroulé en plusieurs étapes. Les éléments activistes des Français d’Algérie déclenchent en mai 1958 de violentes manifestations qui aboutissent à la prise du siège du gouvernement général par les émeutiers. Les pouvoirs publics sont absents. Le Ministre résidant Robert Lacoste avait déjà quitté précipitamment le pays. L’armée française laisse faire et ses éléments les plus extrémistes se joignent au mouvement. C’est le général Massu, commandant des parachutistes qui dirige le Comité de Salut Public, organe instauré par ( 20 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Indépendance de l'Algérie Histoire Le général Massu au centre de la photo les émeutiers pour exercer le pouvoir effectif. La suite des évènements confirme qu’il s’agit d’un plan concerté et bien mûri. Massu avait envoyé un télégramme au président Coty : « vous rendons compte création comité salut public civil et militaire à Alger sous ma présidence, moi, général Massu, en raison gravité situation et nécessité absolue maintien ordre et ce pour éviter toute effusion de sang. Exigeons création à Paris d’un gouvernement de salut public, seul capable de conserver l’Algérie partie intégrante de la métropole. » Il cherche à justifier son action tout en confirmant une volonté de l’armée de changer le gouvernement en place et d’imposer ses choix politiques. Le mercredi 14 mai à 5 heures du matin, il lance un appel diffusé par radio Alger : « Le comité de salut public supplie le général de Gaulle de bien vouloir rompre le silence en vue de la constitution d’un gouvernement de salut public, qui seul, peut sauver l’Algérie de l’abandon, et ce faisant, d’un Dien Bien Phu diplomatique évoqué à maintes reprises par monsieur Lacoste. » A 23 heures 15, le général Salan, commandant en chef de l’armée française en Algérie confirme le coup d’état militaire et déclare « prendre provisoirement en main les destinées de l’Algérie française ». Le lendemain 15 mai, il crie sur le forum : « vive le général de Gaulle ! ». LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Sollicité ouvertement par la hiérarchie militaire, le gé nale, la perte de l’indépendance. » Il tient une conférence le 19 mai où il franchit ouvertement un pas de plus et annonce même ce que serait son projet politique : « C’est un fait que le régime des partis n’a pas résolu, ne résout pas, et ne résoudra pas les énormes problèmes avec lesquels nous sommes confrontés, notamment celui de l’association de la France avec les pays d’Afrique, celui aussi de la vie en commun des diverses communautés vivant en Algérie. » Il parle de son bilan en Algérie et en Afrique quand il dirigeait le gouvernement : « la citoyenneté donnée aux musulmans d’Algérie, le début d’association dans l’Union Française des peuples qui ont été naguère sous notre dépendance. » Parlant de l’armée, il justifie l’action de celle-ci : « Je comprends parfaitement bien l’attitude et l’action du commandement militaire en Algérie ». ( 21 ) Robert Lacoste www.memoria.dz Indépendance de l'Algérie Histoire Des Algériens arrêtés par des soldats français Une société militaire s’est installée en Algérie L’armée détenait déjà tous les pouvoirs à Alger où une véritable société militaire s’était installée. Cette armée a été marquée par la guerre d’Indochine.Elle nourrissait des ressentiments très vifs à l’égard du pouvoir politique. Parlant de Dien Bien Phu, le général Navarre, ancien commandant en chef des forces françaises en Extrême Orient affirmait en janvier 1956 : « La cause déterminante de la perte de la bataille n’est pas miliaire mais politique, et est imputable au gouvernement seul : c’est l’initiative soudaine et irréfléchie, prise sans consultation du commandement d’ouvrir à Genève des négociations de paix. » Il allait plus loin en accusant les gouvernements en place de chercher une défaite en Algérie alors que les militaires étaient, selon lui, entrain de gagner la guerre. L’armée française tenait le véritable pouvoir en Algérie, militaire et civil. Elle faisait la guerre aux combattants de l’ALN et elle avait été légalement chargée de maintenir l’ordre à la place des forces de police. Elle utilisa tous les moyens, même les plus condamnables moralement. Elle mit en place des mesures qu’elle appela de « pacification » : déplacement des populations, action psychologique. Elle avait pris, à la demande des autorités légales, le destin de l’Algérie, et ce faisant, celui de la France. Elle s’est fixé un objectif en Algérie : gagner la guerre. Elle était sûre d’en connaître la méthode, et elle était convaincue de sa Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . victoire prochaine inéluctable. Elle s’estimait chargée d’une mission quasi mystique et elle ne supportait plus un gouvernement et un système qui, selon elle, l’empêchaient d’atteindre son but. On l’a vue lors des événements de Sakiet Sidi Youssef déclencher d’elle-même des attaques aériennes sur le village tunisien, faisant fi des instructions du gouvernement. Les actes de rébellion ne furent pas nombreux car le gouvernement civil lui fit appel pour restaurer la paix, l’autorisant à utiliser tous les moyens et la couvrant en chaque circonstance pour réaliser l’objectif que ce pouvoir lui avait fixé et qui était devenu le pivot de sa politique : « la pacification. » Cette armée allait utiliser les éléments activistes de la population française d’Algérie qui servirent ses plans en déclenchant de violentes émeutes. La passivité des gouvernements renforçaient les chefs ( 22 ) militaires dans l’idée qu’eux seuls étaient la solution et qu’ils pouvaient librement décider. Mais cette armée qui rêvait d’un pouvoir autoritaire (qui devait être le sien ou qu’elle devait strictement contrôler) n’avait pas d’objectifs politiques clairs et ne cherchaient pas à convaincre d’autres forces politiques à adhérer à son projet. Certains de ses colonels, marqués en Indochine par la guerre populaire et ses méthodes, s’inventèrent une mystique se proclamant même défenseurs de l’égalité des droits en Algérie. Il s’agissait pour eux, bien évidemment de considérer comme citoyens les Algériens qui appuyaient leurs actions et luttaient à leur côté. De Gaulle joua le chantage Ces militaires ont voulu aligner la France à l’Algérie, c’est-à-dire imposer à la métropole un régime de dictature. La logique de cette caste Supplément N° 15 - Juillet 2013. Indépendance de l'Algérie Histoire militaire française qu’on a laissé se développer en Algérie et à qui on a donné tous les moyens était la prise du pouvoir en France. Elle crut réaliser son objectif en demandant le retour du général de Gaulle. Celui-ci entendait revenir au pouvoir. Mais il voulait que cela se fasse dans la légalité. Il joua clairement le chantage au coup d’état et à la guerre civile. Il voulait que l’assemblée nationale accepte de l’investir, sous la menace directe des chefs de l’armée. Son plan réussit. En arrivant au pouvoir, de Gaulle se devait de gérer les contradictions des forces qui l’avaient imposé. Son problème principal était l’armée. Il sentait qu’elle lui échappait et qu’elle s’était trop autonomisée du pouvoir politique. Le général a sa vision de l’avenir de la France qui n’est pas forcément partagé par la hiérarchie militaire. Pour lui, la France doit réussir une nouvelle révolution industrielle et rattraper les grands pays du monde. Elle doit aussi être une puissance militaire faisant partie du cercle fermé des pays disposant de l’arme nucléaire. Il veut une France indépendante des deux grandes superpuissances, disposant d’une force de dissuasion autonome. Il rêve d’une France dotée d’un grand prestige dans le monde, notamment auprès des nouveaux pays indépendants. Or cette vision n’est pas possible avec un empire colonial maintenu dans la domination. Il doit régler convenablement le problème de l’Algérie et dégager une armée pléthorique embourbée dans une guerre, pour lui d’une autre époque. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Dès le 15 mai, il parle de « peuples associés » qui s’éloigneraient par la faute de la dégradation de l’Etat. Jean Lacouture qui interpréta souvent sa pensée écrivait le 23 mai : « Mais il a l’esprit trop grand pour ne pas avoir ressenti ce qu’a de vicieux la domination coloniale et il considère le déroulement de l’histoire d’un oeil trop pénétrant pour ne pas avoir découvert qu’à cette notion purement statique doit être substituée celle, beaucoup plus dynamique, d’association de peuples libres, conscients de leur propre histoire et arrachés à la résignation comme au ressentiment. » De Gaulle veut une Algérie française Pour l’Algérie, il avait donné un aperçu de sa politique entre 1943 et 1946. Il pensait que le maintien de l’Algérie dans la France ne pou- vait se faire que si l’on améliorait les conditions de vie des Algériens et que l’on arrivait à dégager une élite locale attachée à la France et disposant d’une certaine crédibilité auprès de sa population. Il chercha longtemps à constituer cette élite. Il tenta d’y contribuer en vain en promulguant l’ordonnance de mars 1944 qui visait à accorder la citoyenneté française à quelques 60.000 Algériens musulmans. Mais il maintint les privilèges de la minorité française en instaurant les deux collèges. En 1958 il avait laissé toutes les options ouvertes. Celle qu’il privilégiait était l’existence d’un territoire français où les Musulmans voyant leur sort amélioré et bénéficiant des droits de citoyens coexisteraient pacifiquement avec des Algériens d’origine européenne. Il voulait une société multi confessionnelle, en finir avec ce qu’il appela Des Français s'accrochant à une Algérie française ( 23 ) www.memoria.dz Indépendance de l'Algérie Histoire « ’Algérie de papa ». Cette politique exigeait de lui en 1958 une victoire militaire sur les combattants du FLN qui réclamait l’indépendance. Dès son arrivée au pouvoir, il offrit à ces derniers de se rendre. Il cherchait à les introduire dans le jeu politique légal. Parlant de la prochaine consultation électorale sur la nouvelle constitution il leur adresse un message : « je veux espérer qu’y prendront part également ceux-là qui ont mené par désespoir et avec courage un combat qui est cruel et fratricide. Que ceux là viennent aussi faire connaître par la voie légale quels sont leurs sentiments et quelle est leur volonté. En tout cas la porte leur est ouverte et c’est moi, général de Gaulle qui le leur dis. » Cette démarche sera longtemps une constante de sa politique : obtenir une victoire militaire sur le FLN, améliorer les conditions de vie des Algériens en espérant les voir s’attacher à la France, dégager une élite locale crédible sur laquelle il pourrait s’appuyer pour accorder une relative autonomie aux populations algériennes. L’accord avec la hiérarchie militaire sera facile à trouver. Il partagera avec elle l’objectif d’une victoire militaire. Il confie tous les pouvoirs à l’armée Le général de Gaulle se méfiait par contre des éléments activistes parmi les Français d’Algérie. Il estimait que le maintien d’une minorité européenne dotée de privilèges exorbitants ne ramènerait Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . pas la paix. Il savait que les plus activistes d’entre eux seraient difficiles à convaincre. Pour rompre l’alliance tactique du 13 mai, il joua sur l’armée qu’il voulait rallier ou du moins neutraliser en isolant ses éléments les plus proches des ultras. Sa première préoccupation semble avoir été justement de s’assurer du loyalisme des chefs militaires. Le 6 juin il confirme Salan dans ses missions de délégué du gouvernement en Algérie qu’il charge de « maintenir et éventuellement de rétablir l’exercice de l’autorité régulière. »Il demande aux Comités de Salut public qui voulaient s’imposer de limiter leur rôle : « vous n’avez pas à continuer à faire la révolution. » A Bône, il déclare : « Je considère l’armée française avec sa loyauté, son honnêteté et sa discipline comme la garantie que la parole de la France sera tenue. En terminant son discours de Mostaganem par un : « vive l’Algérie française », de Gaulle n’a pas fait une manoeuvre politicienne. Il était encore hésitant certes dans sa politique immédiate, mais sa stratégie était claire. Il ne voulait pas de l’indépendance et même, il croyait qu’il était le seul à pouvoir l’éviter. Dans ses précédents écrits et propos, il ne s’était pas clairement exprimé sur la question. Tirant des conclusions de ce que certains témoins de l’époque lui auraient rapporté, Jean Lacouture tirait un fil conducteur. En fait quand de Gaulle parlait d’indépendance il voulait dire s’il n’arrivait pas au pouvoir assez tôt, l’Algérie serait indépendante. Il estimait que cette issue ( 24 ) n’était pas inéluctable et il croyait fermement que lui seul pouvait l’éviter. Il se faisait fort d’appliquer un plan qui amènerait les Algériens à demander à rester Français. Il aurait dit : « Les insurgés croient que la libération viendra de la victoire et de l’indépendance ; il faut leur prouver qu’ils seront libérés sans la première qui est impossible et sans la seconde qui n’a pas de sens... » Pour Jean Lacouture, « c’est là que réside l’ambitieuse obsession du général. C’est là aussi que se camoufle l’impasse de sa stratégie. » Les circonstances l’obligeront à passer de l’Algérie française à l’Algérie associée, puis à l’Algérie coopérant avec la France. (Il croyait fermement qu’une Algérie indépendante ne pouvait qu’être dépendante de la France). De Gaulle fit au moins une erreur : il n’avait pas saisi ni imaginé la puissance du sentiment national algérien et de la volonté d’indépendance qui avaient touché pratiquement toutes les catégories de la population. Il avait cru que, voyant ses conditions matérielles améliorées, le peuple algérien allait exprimer ses sentiments d’attachement à la France. Comme il a certainement cru que des Algériens marqués par la culture française à laquelle ils étaient sincèrement attachés pouvaient faire fi d’un sentiment national. L’intellectuel algérien Jean Amrouche déclarait le 23 mai 1958 dans L’Express : « J’espère que de Gaulle sera assez grand pour reconnaître l’indépendance de l’Algérie ». Par Boualem Touarigt Supplément N° 15 - Juillet 2013. TOUS les chefs deS wilayas historiqueS Wil aya - i Tous les chefs des Wilayas historiques bACHIR CHIHANI MAHMOUD CHERIF MOHAMED LAMOURI AHMED NOUAOURA ALI N'MER HADJ LAKHDAR MOSTEFA MERARDA ali souaihi tahar zBIRI MOURAD DIDOUCHE yOUCEF ZIGHOUD lakhdar BENTOBAL ALI KAFI SALAH BOUBNIDER KRIM BELKACEM SAID MOHAMEDI AMIROUCHE AIT HAMOUDA ABDERAHMANE MIRA MOHAND OULHADJ Wil aya - IV Wil aya - III Wil aya - II Mostefa Benboulaid AMAR OUAMRANE SLIMANE DEHILES M'HAMED BOUGUERRA SALAH ZAMOUM DJILALI BOUNAaMA YOUCEF EL KHATIB Wil aya -V RABAH BITAT ABDELHAFID BOUSSOUF HOUARI BOUMEDIENE COLONEL LOTFI BENHADDOU BOUHADJAR Wil aya - VI Wilaya - VII LARBI BEN M'HIDI ALI MELLAH SI EL-HAOUES Tayeb El-Djoghlali COLONEL CHAABANI MOHAMED LEBDJAOUI OMAR BOUDAOUD Wilaya I Ben boulaïd et son héritage Le 30 avril 1954, Mustapha Ben Boulaïd réunissait dans sa ferme, sise à Lambèse, Adjel Adjoul, Tahar Nouichi, Messaoud Bellaggoune et Abbas Laghrour. Au cours de cette rencontre, ces militants assureront de leur engagement entier dans la lutte de libération nationale. Par Hassina Amrouni LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 27 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques A peine deux semaines plus tard, ils seront ralliés par Bachir Chihani, à l’époque, responsable de la daïra de Batna, Bachir Hadji d’El Khroub et Mohamed Khantra de Barika. Bien que la date du déclenchement armé ne soit pas encore fixée, ils conviennent de multiplier les actions de propagande afin de réunir le plus grand nombre de combattants possible. Une action psychologique qui portera ses fruits. Ce n’est que le 20 octobre 1954, lors d’une nouvelle rencontre organisée au domicile de Abdallah Oumeziti à Lokrine (Chemora), à une trentaine de kilomètres de Batna et à laquelle prennent part Adjoul, Chihani, Laghrour, Nouichi, Hadji et Khantra que la date du 1er novembre 1954 est enfin annoncée. Ben Boulaïd désigne 25 groupes Histoire Abbas Laghrour Adjel Adjoul pour les attaques du 1er novembre et place des hommes à la tête de chaque groupe. Bien que ce plan bien ficelé par le chef de la Wilaya I, Mustapha Ben Boulaïd, ne fonctionne pas comme il l’aurait voulu, l’obligeant à improviser pour parer à certaines situations, le 1er novembre marquera, bel et bien, le déclenchement de la guerre de libération nationale. C’est fort de plus de 350 hommes armés et déterminés qu’il se lance dans des opérations de déclenchement de la guerre d’Algérie. En janvier 1955, le chef de la Wilaya I doit se rendre en Libye pour approvisionner ses hommes en armes. Il confie l’intérim à Chihani et désigne Abbas et Adjoul comme premier et second adjoints, Mustapha Boucetta, Des combattants de l'Aurès-Nememchas Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 28 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire comme conseiller aux finances, Meddour Azoui au ravitaillement et Messaoud Belaggoune, en tant que troisième conseiller. Le 22 janvier, Ben Boulaïd rencontre Hadj Lakhdar et Nouichi à Ras Guedelane et leur annonce son voyage. Accompagné de Amar Mistiri, il arrive en Tunisie en février, il est repéré à Gabès. Arrêté le 11 février 1955, il est condamné à mort par le tribunal de Constantine. Il sera emprisonné à la prison centrale de Constantine, jusqu’à son évasion en novembre 1955 avec d’autres détenus. Durant cette période, la Wilaya I sera dirigée par son proche collaborateur Bachir Chihani. Intelligent et méthodique, il commence par transférer son poste de commandement à Galaa pour diverses raisons, notamment pour sa proximité de la frontière algéro-tunisienne. Chihani organise au début du mois de mars la zone des Nememcha puis vers la fin du même mois, il réunit tous les responsables à Kimmel avec, pour ordre du jour, l’extension de l’action armée jusqu’à Sétif. Chihani jouit d’une grande estime de la part de ses collaborateurs et de la population, en dépit du fait qu’il ne soit pas natif de la région. Il nomme, à cet effet, Omar Ben Boulaïd, frère de Mostefa, nouveau chef de l’Idara, ajoutant pour justifier sa décision : « La responsabilité n’est pas héréditaire ! Elle se mérite ! » La décision sera loin de faire l’unanimité. Aussi, Messaoud Belaggoune propose que Si Omar soit nommé « à titre honorifique ». Chihani et ses hommes sont aux premières loges de la Révolution, les maquis des Aurès LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Chihani Bachir Hadj Lakhdar sont gérés d’une main de maître par un Chihani qui ne laisse rien passer. Bien sûr, ses décisions ne sont pas toujours accueillies avec satisfaction, bien au contraire, certains font de la résistance, à l’image de Omar ben Boulaïd qui finira par être destitué de son poste de chef de l’Idara. Malgré tout, Chihani tient tout de même bon jusqu’à la fameuse bataille d’El Djorf qui a lieu en septembre 1955. Après avoir convoqué une grande réunion dans la région d’El Djorf, Chihani finit par être pris en étau par l’armée française et de nombreux moudjahidine y trouvent la mort. Ce sera la première grosse erreur tactique de Chihani et pour cela, on lui en tiendra rigueur. Bien qu’ils continuent à exécuter ses ordres et à suivre ses directives, Abbas et Adjoul ne sont plus en phase avec Chihani. Ce dernier meurt le 22 octobre 1955, laissant le champ libre à toutes les courses au pouvoir. C’est finalement Adjel Adjoul et Abbas Laghrour qui assurent la relève, coordonnant les activités militaires des six zones des Aurès. ( 29 ) Omar Benboulaid www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Des Moudjahidine à Kimmel, PC des Aurès Le 13 novembre 1955, Mostefa Ben Boulaïd s’évade de prison, ce qui donnera un nouveau souffle à la Révolution. A la mi-janvier 1956, il quitte la zone de Kimmel. Sur sa route vers le sud-ouest et Mchounèche, il est repéré lui et ses troupes par la soldatesque française à Ifri Lahbal. Essuyant les bombardements des hélicoptères, Mostefa et ses hommes ripostent avec courage. Une douzaine de combattants périront cette nuit. Les jours suivants et jusqu’à la première semaine du mois de mars, Mostefa prépare la réunion de Nara. Il essaye en même temps de rattraper tout le retard accusé durant son absence, en récoltant toutes sortes d’informations, en résolvant les problèmes urgents… Le 21 mars 1956, il est à Nara où a lieu la réunion. Le soir, le couvre-feu est décrété, Mostefa est dans son refuge avec une douzaine de responsables parmi lesquels Ali Baazi, Abdelhamid Lamrani, Messaoud Benakcha, Mostefa Boucetta et Ali Benchaïba. Tous trouveront la mort cette nuit-là, à la suite de l’explosion d’un poste radio piégé, à l’exception Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Tahar Zbiri des deux derniers qui seront gravement blessés. A la suite du décès de Benboulaïd, une réunion est organisée le 15 avril 1956 à Taghedda afin de discuter de celui qui remplacera Si Mostefa à la tête de l’Idara, c’est alors que Hadj Lakhdar propose le nom de Adjel Adjoul, mais il ne fera pas l’unanimité, c’est finalement Omar Benboulaïd qui prend le relais, sans recevoir lui aussi l’assentiment de tous. Le 20 août 1956, Adjoul et Abbas reçoivent des convocations pour assister au congrès de la Soummam mais ils n’y vont pas. Aussi, Amirouche, en tant que délégué du CCE, se déplace dans les Aurès pour demander des explications à Adjoul. Au terme d’un interrogatoire, il demande à voir Abbas pour connaître sa version, mais celui-ci est introuvable. C’est Adjoul seul, donc, qui devra donner les explications sur la mort de Benboulaïd et d’autres questions liées à sa gestion de la région. Dans la nuit du 30 octobre 1956, Adjoul est victime d’une tentative d’assassinat par Ahmed Azeroual, armé d’un Garand. Bien qu’il en réchappe, il fait ( 30 ) le mort puis, parvient à s’échapper et à rejoindre son groupe stationné à Djeniène vers le sud-ouest. Il finit par se rendre aux forces coloniales. A la fin du mois de décembre 1956, Mohamed Lamouri est désigné chef de la mintaka I. Il refuse au départ ce poste, puis finit par accepter. Mais il n’y restera pas longtemps puisque le CCE le choisira pour représenter la Wilaya I à Tunis. De mai 1957 à avril 1958, Hadj Lakhdar et Hihi Mekki commandent ensemble. Arrivé à Tunis, Lamouri les informe que le CCE a nommé Hadj Lakhdar et Ali Nemeur à la tête de la Wilaya I. Il partira, lui aussi, pour la Tunisie en février 1959. Ali Souaïhi est alors désigné chef de la Wilaya I, de juin 1960 à sa mort le 9 février 1961. Il tombe au champ d’honneur aux côtés de 98 combattants au cours d’une bataille contre les forces d’occupation. Après quoi, il sera remplacé par Tahar Zbiri qui sera le chef de la Wilaya I jusqu’à l’indépendance de l’Algérie en juillet 1962. Hassina Amrouni Source : Mohamed Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable, Aurès-Nememcha 1954-1959, Ed. ANEP, Alger, 2001, 249 pages. Supplément N° 15 - Juillet 2013. Le chahid Ali Souaihi, chef de la wilaya 1 historique (Aurès-Nememchas) Le vaillant guerrier et charismatique chef Les chefs historiques de la Wilaya I AHMED NOUAOURA MOHAMED LAMOURI MAHMOUD CHERIF CHIHANI BACHIR Mostefa Benboulaid 1958 1958 1957 1955 1954/1956 TAHAR ZBIRI 1961 ALI SOUAIHI 1960 Mostefa MERARDA HADJ LAKHDAR ALI N'MER 1959 1959/1958 1958 Par Zoubir Khélaifia LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 31 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques L e martyr Ali Souaihi est né le 16 mars 1932 à Tébessa, d’une famille de 16 frères et sœurs. Son père est Zine El-Abidine Ben Mohamed, sa mère Ibrahimi El-Atra Bent Ahmed. Sa famille était plutôt de condition moyenne, comparée aux autres familles algériennes de cette époque. Elle vivait de la couture et de broderie. Le chahid a commencé ses études dans la mosquée de Sidi Ben-Saïd, à Tébessa, où il a appris le Coran. Puis, il rejoint l’école de « Tahdhib » dirigée par l’autre martyr, Cheikh Larbi Tebessi, de l’association des Oulémas, où Ali Souaihi a appris les rudiments de la langue arabe. Ensuite, il intègre l’école française, où il obtint son certificat d’étude, qui lui permit de rejoindre le collège. Mais, il a vite été contraint de rompre ses études, en mars 1950, suite à l’arrestation de son frère aîné, Noureddine, dans le sillage du démantèlement de l’OS, après l’incident dit de « Tébessa » ou incident de Khiari Rahim. Ancien militant du mouvement national et de l’OS, celui-ci avait été sanctionné par la direction de l’organisation pour ses accointances avec Lamine Debaghine, exclu alors du mouvement, et d’avoir divulgué les secrets de l’organisation à la police. Noureddine Souaihi était membre de l’OS, structuré dans une cellule dirigée par le chahid Fares Yahia. Arrêté, il a été jugé et condamné à deux ans de prison, à 100 000 francs d’amende, cinq ans d’exil et à cinq ans de privation de droits civiques. Ali Souai- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Portrait Opération "Otan" de l'armée française dans les Aurès hi avait très tôt adhéré aux Scouts musulmans algériens, activant au sein d’un groupe dirigé par Ahmed Chaouch Chérif. A cette époque, il prit conscience des souffrances du peuple algérien et naquit chez lui l’esprit nationaliste, et c’est là aussi qu’il s’est imprégné des valeurs et des vertus comme l’altruisme, l’honnêteté et le dévouement. Le jeune Ali était toujours à l’avant-garde, grâce à son intelligence et à sa perspicacité, des qualités qu’il avait acquises dès son jeune âge. Aussi, a-t-il joué dans les rangs des cadets du club sportif local dénommé « Jeunesse musulmane sportive de la ville de Tébessa ». Ali Souaihi a été amené à prendre en charge sa famille, alors qu’il n’avait pas encore vingt ans, la situation sociale de la famille s’étant détériorée depuis l’arrestation de son frère Noureddine. Sous la pression du besoin, il a été contraint de vendre l’atelier familial de couture, avec son matériel, et partit à Annaba pour chercher du travail. Après un bref séjour à Annaba où il exerça ( 32 ) le métier de couturier, il se rendit à Souk-Ahras, où il retrouva son ami Hachani Ahcène, qu’il avait connu à Tébessa, où il travaillait comme menuisier. C’est par l’entremise de son ami Ahcène qu’il rejoignit la Révolution au cours de la deuxième semaine de septembre 1955, à Souk-Ahras. Sa première activité consistait à collecter des armes, et à sensibiliser la population de la ville et de ses environs Surveillance accrue le long de la ligne Morice Supplément N° 14 - Juin 2013. Tous les chefs des Wilayas historiques Portrait sur l’insurrection nationale. Recherché, il rejoint le maquis, et devient membre de l’ALN aux côtés d’Ahcène Hachani, Tayeb Bouras, Rabah Nouar et bien d’autres. Il participa à des caravanes d’acheminement d’armes et de munitions de Tunisie, et s’acquittera toujours si bien de ses missions. Ses responsables ont décelé en lui des qualités ancrées comme le dynamisme, la vivacité et le dévouement. Lors de la grève des étudiants, son frère Chérif Souaihi adhéra à l’ALN, ce qui ne manquera pas d’attirer sur sa famille les pires représailles de la part de l’ennemi. En 1958, Ali partit dans le Sud-est du pays dans une mission, avec un bataillon constitué sur ordre de Krim Belkacem, et dont le commandement a été confié au Commandent Idir. Suite à quoi, la mission s’est étendue jusqu’aux fins fond du Sahara, dans le Hoggar. Elle reviendra par Fezzane. Après le succès de cette mission, Ali Souaihi a été promu au grade de lieutenant. Pris de nostalgie pour sa famille, il se rendit à Tameghza, sur la frontière algéro-tunisienne, pour chercher des nouvelles de son frère El-Madani, qui avait, lui aussi rejoint l’ALN, et dont il n’avait plus de nouvelless depuis longtemps. Le chahid devient membre du commandement de la wilaya I, chargé du ravitaillement, sous la conduite du colonel Mohamed Lamouri, puis du colonel Ahmed Nouaoura. Aussi, a-t-il pris, pour une courte période, la responsabilité du centre d’approvisionnement de l’ALN, à Tajrouine, sur les frontières tunisiennes. Promu au grade de commandant par l’état-major de l’ALN, il devint de fait membre du CNRA. Lors de la session qui s’est tenue à Tripoli, il fut parmi ceux qui appelaient au retour de la direction de la Révolution au pays, pour partager avec le peuple ses peines et sa résistance. En juin 1960, il fut désigné à la tête de la wilaya I, dans une conjoncture extrêmement difficile. Il rentra de Tunisie à la tête d’un bataillon, secondé par Messani Laâdjal. Il brava le danger de la ligne électrifié et miné de Morice, et continua sa route jusqu’à Ras Fourar, dans la forêt de Lebradja et Béni Melloul, où se trouvait le PC de la wilaya I. Sa première action fut de visiter les zones pour s’enquérir des capacités de combativité des unités, et écouter les doléances des moudjahidine. Il était très touché par le témoignage de certains moudjahidine sur les pratiques de certains anciens responsables qui, par ignorance, avaient nui au moral des hommes. Il était aussi consterné de constater l’état de certaines régions où l’ennemi avait LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Opération héliportée dans les Aurès décimé les djounoud, dont il ne restait plus que quelques rescapés. Après une évaluation de la situation, il convoque les responsables pour une réunion où un état des lieux de toutes les zones de la wilaya devait être dressé. Puis, il leur donne des instructions de mobiliser tous leurs moyens, pour faire face à la situation. Il nomme aussitôt des contrôleurs de l’armée, et des instructeurs d’armement au niveau des compagnies et des sections. Il ordonna aux compagnie de se scinder en petits groupes ne devant pas dépasser 10 hommes, pour affronter l’opération dévastatrice de l’armée française, et donne notamment des instructions pour l’organisation du ravitaillement des djounoud et la prise en charge des blessés et des malades. Deux semaines après cette réunion, il convoqua une réunion générale ayant regroupé les chefs de zones et tous les cadres de la wilaya pour examiner la situation face à l’opération militaire baptisée « Otan » qui a été lancée par l’ennemi sur la région. Y ont assisté le commandant Tahar Z’biri, Mohamed-Salah Benabbas, Mohamed-Salah Yahiaoui, Athmane Djellali, Abdelouahed et d’autres responsables. Il fut décidé la restructuration des zones et la nomination de nouveaux chefs. Les moudjahidine de l’intérieur qui avaient tant souffert commençaient alors à reprendre espoir et la wilaya à retrouver son éclat et sa vigueur d’antan. Mais cet espoir ne dura pas longtemps, ( 33 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques Portrait Un bombardier français puisque l’ennemi lança une gigantesque armada sur les maquis de Lebradja et Béni Melloul, pour abattre le chef de wilaya et ses compagnons. Cette célèbre bataille connue sous le nom de la bataille de « Amane Ahmed Ounçer », a eu lieu le 7 février 1961. Les chasseurs bombardiers commençaient à larguer ses bombes sur le PC de wilaya, le centre de communication et la clonique de wilaya. Durant cette bataille inégale, les hommes de l’ALN, au nombre de 300, ont riposté pour défendre leurs positions. Les hélicoptères viendront alors déposer des parachutistes dans la forêt, suivie des fantassins, couverts par l’artillerie. Les chefs de l’ALN, après s’être aperçus que leurs positions étaient encerclés par des milliers de soldats, lancèrent des accrochages violents qui durèrent jusqu’à 22 heures, et parvient enfin à briser le siège. Le chahid Ali Souaihi réunit alors en pleine nuit ses collaborateurs, notamment Chérif Djellali, Ahmed Bakroune et Ferhati Mohamed. Ils décidèrent de dévaler la montagne, vers l’ouest, Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . jusqu’à Oued-Elma, pour éviter une confrontation avec l’armada française. Le 8 février au matin, l’armée ennemie lança une offensive sur les trois postes de commandement de la wilaya que les moudjahidine avaient déserté la veille, et se sont positionné sur les lieux dit Tinmer et Amane Ahmed Ounçer, à l’ouest d’Oued-Elma. A la tombée de la nuit, les moudjahidine se sont encore aperçus qu’ils n’avaient d’autres choix que d’affronter l’ennemi. Les sections de djounoud se sont alors déployées entre Oued Sidi Feth-Allah et Oued-Elma, guettant l’arrivée des djounoud. Le lendemain matin, une première section envoyée pour prospecter les lieux s’est de nouveau accrochée avec les troupes françaises. S’ensuivit une bataille rangée dans laquelle tous les moudjahidine se sont jetés. Ali Souaihi fut grièvement blessé au genou, qui l’empêcha de marcher. Il fut contraint de se rétracter dans un ravin où il succomba quelques temps plus tard, alors que sa mitraillette était pointée vers l’aviation ennemie qui n’avait pas arrêté de bombarder. Les ( 34 ) djounoud ont poursuivi le combat jusqu’à la tombée de la nuit. Les rescapés ont réussi à se retirer à Kimel et vers d’autres directions. Le bilan était très lourd : 98 chahids, dont le chef de wilaya et Ferhati Mohamed Ben Derradji, Miloud Goudjil, Said Ababsa, Brahim Kabrine, Gouaref Lakhdar, Abdelaziz Achi, Ahmed Khoucha, Lazher Goudjil, Chérif Djellali et Ahmed Chekrit, et une trentaine de blessés, dont le colonel Tahar Zbiri, Mohamed-Salah Derradji, Tayeb Bellali, Moussa Nouasri, Miloud Saraoui et bien d’autres. S’agissant des pertes ennemies, la radio Monté Carlo a parlé de 275 morts et un grand nombre de blessés. Or des témoins ont rapporté que les pertes dans les rangs de l’armée française dépassaient 500 morts, et que les hélicoptères transféraient les dépouilles et les blessés pendant plusieurs jours après la bataille. L’armée de l’occupation transféra la dépouille sainte du chahid à Tébessa, sa ville natale, et l’exposa à la population, dans le dessein d’impressionner et de dissuader les gens de poursuivre la lutte contre l’occupation, mais en vain. C’est ainsi que le ciel des Aurès-Nememchas est resté embrumé durant sept ans et demies de la fumée des combats violents, menés par des hommes déterminés de la trempe des vaillants héros et martyrs Mostefa Benboulaid, Grine Belgacem, Lazhar Cheriet ou Abbas Laghrour. Le nom d’Ali Souaihi a été choisi pour baptiser la maison de la culture de Khenchela, en hommage à ce chef de wilaya. Zoubir Khélaifia Supplément N° 15 - Juillet 2013. Wilaya II (1954-1956) Le grand élan du Nord-Constantinois Par Adel Fathi LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 35 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques L e déclenchement de la révolution du 1er Novembre 1954 a été accueilli par la population du Nord-Constantinois, à l’instar de l’ensemble du peuple algérien, avec enthousiasme et ferveur. Connue pour être un creuset du nationalisme, cette région qui va de Sétif jusqu’à Annaba fut, dès les premières heures, dirigée par un des architectes de cette révolution, cofondateur du CRUA, membre des « 22 » et ancien responsable l’OS. Didouche Mourad, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a été affecté dans cette région pour poursuivre le travail de structuration qui avait été entamé dès la fin des années 1940, dans la perspective du déclenchement de l’insurrection armée. Il réussit avec l’aide de son adjoint Youcef Zighoud à jeter les bases d’une organisation politicomilitaire solide. Malheureusement, Didouche Mourad tomba au champ d’honneur trois mois après le déclenchement de la lutte armée, alors qu’il n’avait pas encore 28 ans. Il fut ainsi le premier chef de zone à tomber au champ d’honneur. Cette période coïncidait avec l’intensification des opérations de répression de l’armée coloniale contre les maquis de l’ALN dans toute la région du NordConstantinois, dénommé alors zone 2. Après un moment de flottement, le commandement de la zone, sous la conduite de son successeur et fidèle compagnon, Youcef Zighoud, Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Histoire De g. à dr. : Youcef Zighoud, Salah Rouibah, Larbi Ben M'hidi et Amar Ouamrane reprit rapidement les choses en main et se montra encore plus offensif, en généralisant la lutte armée à tous les villages et villes de la région. C’est sous la férule du grand héros de la révolution qu’est Youcef Zighoud, que fut déclarée la grande offensive du 20 août 1955, contre les intérêts de la France coloniale. La boucherie commise par l’armée ennemie contre la population civile a internationalisé la cause algérienne et consolidé les moudjahidine dans leur conviction et dans leur foi pour l’indépendance. Des milliers de prisonniers formés d'hommes âgés de 14 à 70 ans sont capturés ( 36 ) et emmenés au stade municipal de la ville qui fut transformé en véritable camp pour interrogatoire. Ces prisonniers ont été massacrés à la mitrailleuse et enterrés dans une fosse commune. Ces événements ont révélé des qualités de grand organisateur chez Youcef Zighoud, qui représentera sa zone au congrès de la Soummam, une année plus tard. A ces assises, tout ne s’est pas passé comme les responsables de la future Wilaya II l’auraient voulu. Les résolutions adoptées par les congressistes ont laissé comme un goût d’inachevé chez certains participants. Les adjoints du Supplément N° 15 - Juillet 2013. Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Ali Kafi Mostefa Benaouda désormais colonel Zighoud, comme Ali Kafi et Mostefa Benaouda, remettront en cause jusqu’à la conduite des travaux du Congrès, en soupçonnant les initiateurs de vouloir s’emparer du pouvoir de décision et d’imposer des choix qui n’auraient pas obtenu le consensus. Ce qui n’était pas pourtant le cas des deux principaux chefs de la région, en l’occurrence Zighoud et Bentobal, qui avaient non seulement affiché un enthousiasme total pour cette rencontre, pour le succès de laquelle ils avaient activement contribué, mais avaient surtout été promus au grade de colonel et désignés membres du CNRA, à l’issue dudit congrès. Nonobstant cette adhésion de façade, cette fronde larvée engendrera une situation de quasidissidence de toute une région (Souk-Ahras), rattachée à la Wilaya II selon le nouveau découpage territorial, mais qui réclamait son autonomie par rapport aux deux wilayas limitrophes : les Aurès et le Nord-Constantinois. Les responsables de cette région, LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Lakhdar Bentobal Combattants de la Wilaya II ( 37 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire 1-Youcef Zighoud. 2-Amar Ouamrane. 3-Krim Belkacem. 4-Abane Ramdane. 5-Lakhdar Bentobal, 6-Kaci Hachaï 7-Mostefa Benaouda, 8-Rouibah. 9-Colonel Amirouche. 4 6 5 9 8 qui dirigeaient la célèbre Base de l’Est, se sentaient ainsi exclus dans la nouvelle configuration, et ils le firent savoir. Ils entreprirent une vaste opération de sensibilisation et reprirent le contact avec les responsables de l’ALN à Souk-Ahras, Sedrata, Khenchela et les Aurès qui tinrent une rencontre en décembre 1956 et tentèrent, à nouveau, de créer une wilaya indépendante des Wilayas I et II et qui s’appellerait Aïn Beïda. Ils rejetèrent les résolutions du Congrès de la Soummam en raison, selon le témoignage d’un ex-officier de cette région, « de la non-représentation de toutes les régions, de sa contradiction avec la première trajectoire de la révolution et de sa reconnaissance de la primauté du politique sur le militaire ». La chevauchée épique de la Wilaya II va se heurter à de nouveaux défis, à la mort précoce du colonel Youcef Zighoud, dans une embuscade de l'ennemi à Sidi Mezghiche (actuelle wilaya de Skikda) le 25 septembre 1956. Il n’avait alors que 35 ans. Une nouvelle période s’ouvrait pour le FLN/ALN dans cette région pionnière. Adel Fathi Des Moudjahidine à Sidi Mezghiche dans la Wilaya II Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 38 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Wilaya II (1956-1959) Le bilan contrasté des successeurs de Zighoud Par Adel Fathi LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 39 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques A Histoire la mort précoce du colonel Youcef Zighoud, le commandement de la Wilaya II s’est trouvé amputé de son principal architecte et cerveau, à un moment crucial de la lutte armée. Le commandement reviendra tout naturellement à son adjoint, Lakhdar Bentobal, qui s’était déjà imposé au congrès de la Soummam, en qualité d’adjoint de Zighoud. Mais ce dernier ne resta à la tête de cette wilaya qu’une année. Plus versé dans le politique, Bentobal a été rapidement appelé à Tunis, pour faire partie du CCE, et préparer la formation du premier GPRA en septembre 1958. Or, les plus grandes épreuves, pour la Wilaya II et pour tous les maquis de l’intérieur, commençaient à partir de cette date, avec surtout l’intensification des opérations de représailles de l’armée ennemie, et les difficultés d’organisation et de coordination qui se posaient au sein des différentes structures de l’ALN. C’est durant cette période qu’apparut, par exemple, l’épineux problème de la zone de Souk-Ahras qui voulait avoir son autonomie, en violation des résolutions du congrès de la Soummam. Succédant à Lakhdar Bentobal, le colonel Ali Kafi s’est attaché avec ses adjoints et son conseil de wilaya à poursuivre le travail de structuration et d’implantation du FLN/ALN dans la région, tout en restant à l’écoute de la direction de l’Extérieur, et plus particulièrement à son prédécesseur, bientôt nommé ministre de l’Intérieur au sein du GPRA. Et c’est peut-être à cause de cet attachement ostensible avec le GPRA que le colonel Kafi dût s’attirer les foudres de certains chefs de wilayas tels que les colonels Amirouche (Wilaya III) et Si M’hammed Bouguerra (Wilaya IV), au point que le commandant de la Wilaya II refusa de participer à une réunion au sommet qui s’est tenue sur le territoire même de sa wilaya, à Ouled Askeur, du 6 au 12 décembre 1958. Si les récits divergent sur les tenants et aboutissants de ce rendez-vous historique qui a regroupé les premiers responsables de quatre wilayas, il est établi que Kafi tenait déjà à marquer ses distances vis-à-vis d’une démarche – celles des quatre colonels : Amirouche, Bouguerra, Houès, Hadj Lakhdar – qui contestait « précipitamment » la conduite imposée par l’Extérieur, en voulant remettre au goût du jour la célèbre devise du congrès de Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . la Soummam : « Priorité de l’intérieur sur l’extérieur ». Beaucoup d’auteurs reprochent à Ali Kafi de s’être « désengagé » avec ses collègues –lors de la réunion d’Oued Askeur notamment – et d’avoir préféré, à la fin, de rejoindre la direction politique en Tunisie, à un moment où l’armée coloniale resserrait l’étau sur les maquis. Mais on lui reconnait un grand mérite, celui d’avoir épargné à sa wilaya le syndrome de la « bleuite » qui avait fait des ravages, notamment dans les Wilayas III et IV. Le Nord-Constantinois est d’ailleurs la région la moins touchée par cette vaste campagne d’intoxication orchestrée par le bureau de l’action psychologique de l’armée française, commandé par le capitaine Léger, aux ordres du colonel Godard. Grâce à son sens élevé, explique un historien français, le commandant de la Wilaya II avait très tôt décelé, lors d’une première réunion, cette « espionite » si tenace chez le colonel Amirouche qu’il a, d’ailleurs, tenté de dissuader d’abandonner, en vain. Sur le plan des opérations armées, les combattants de la Wilaya II livrèrent plusieurs batailles héroïques à l’ennemi, durant cette période charnière. La bataille de djebel Memoura, près de Guelma, le 28 mai 1958, est l’une des plus importantes et des plus retentissantes, de l’avis des moudjahidine. Selon les chiffres officiels, plus de 500 soldats ennemis y ont péri, dont une dizaine d’officiers, parmi lesquels le colonel Jean-Pierre, chef des opérations militaires. Alors que les pertes matérielles étaient tout aussi importantes. Autre moment historique vécu par les moudjahidine du Nord-Constantine, le fameux bombardement d’Oued Asker, en mai 1958. Oued Asker était alors le lieu choisi pour abriter le PC de la Wilaya II. Les récits des témoignages sont unanimes à dire que c’était le plus grand et le plus important bombardement aérien dans toute l’histoire de la révolution algérienne. Les forces coloniales qui ont eu des informations sur une réunion regroupant des cadres de la wilaya et à laquelle étaient présents le colonel Ali Kafi, ses adjoints Lamine Khène, Salah Boubnider et le Dr Toumi, ont mobilisé pour la circonstance 157 avions de chasse. Mais fort heureusement, les pertes étaient minimes et les responsables en sortirent indemnes. ( 40 ) Adel Fathi Supplément N° 15 - Juillet 2013. Wilaya II (1959-1962) Le dur passage à l’Indépendance Par Adel Fathi LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 41 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques S uccédant au colonel Ali Kafi, à la tête de la Wilaya II, après le départ de celui-ci à Tunis, le colonel Salah Boubnider dit « Sawt al-arab » fut le dernier chef de cette wilaya jusqu'à l'avènement de l'Indépendance. Cet ancien compagnon du chahid Youcef Zighoud hérita d’une situation complexe à tous les niveaux, aggravée par le déclenchement du plan Challe avec ses gigantesques opérations lancées contre les maquis algériens. C’est ainsi que la région du NordConstantinois connut la série d’opérations dénommées « Pierres précieuses» («Rubis », «Saphir», « Turquoise », « Émeraude » et « Topaze »), entre le 6 septembre et le 9 novembre 1959, jusqu'en avril 1960; puis une deuxième série d'opérations « Pierres précieuses » revint sur les mêmes régions pendant plusieurs mois, jusqu'en septembre 1960. Pour dire la férocité avec laquelle l’armée coloniale s’est démenée pour essayer d’écraser les foyers de l’ALN et de la résistance particulièrement dans cette région du pays, qui était l’un des fiefs les plus importants de la Révolution. Cette terrible pression n’a pas eu raison, malgré tout, de la détermination des moudjahidine de la Wilaya II, sous la conduite du colonel Boubnider, qui tentèrent vaille que vaille de desserrer l’étau sur la région, en ayant recours, comme c’est partout la tactique lorsque l’armée ennemie concentre ses forces sur une région bien précise, à la multiplication et à l’essaimage des actions à travers le Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Histoire vaste territoire de cette wilaya, qui va des frontières de Béjaïa jusqu’à Annaba. Cette période coïncida avec les grandioses manifestations populaires du 11 septembre 1960, qui se sont étendues à toutes les villes du pays, et qui étaient une affirmation de soutien à la cause nationale et à son porte-étendard, Le FLN/ALN. Les villes de Constantine, de Skikda et d’Annaba ont connu la même ferveur populaire qui insuffla une nouvelle force aux combattants de la Wilaya II, épuisés par six longues années de combat ininterrompu. C’est ainsi que l’ALN se lança dans de nouvelles actions d’envergure pour affirmer son invincibilité et son omniprésence, menées par commandos aguerris à travers toutes les zones et régions de la wilaya. Parmi les batailles les plus connues et les plus citées par les survivants, celle du 5 janvier 1961 : le fameux commando de la région de Sétif, en Zone I, tendit une embuscade à un convoi militaire français. Outre les pertes humaines et matérielles infligées à l’ennemi, le commando récupéra un FM de type BAR, deux fusils Garant, un PM Mat 49, un PM Thomson, onze fusils MAS 36 ainsi qu’un transceiver (émetteurrécepteur) SCR 300. Des dizaines d’autres actions allaient être entreprises, avec pour objectif principal, la récupération d’armes et de munitions, par tous les moyens. C’était le mot d’ordre donné à tous les djounoud pour tenter d’entamer le moral des troupes françaises, prises de court par l’ampleur qu’a prise cette guerre, à l’approche des pour- ( 42 ) parlers qui allaient débattre, pour la première fois dans l’histoire, de l’autodétermination du peuple algérien, avant d’aboutir aux accords du cessez-le feu, du 19 mars 1962. A la veille de la proclamation de l’Indépendance, le chef de la Xilaya II sortit de sa carapace de chef militaire pour jouer un rôle plus politique, au sein du CNRA dont il était membre. Sa présence au fameux congrès de Tripoli, de juin 1962, est décrite par des historiens et dans de nombreux témoignages, comme un acte de bravoure qui traduit la forte personnalité de « Sawt al-arab » et de son engagement inébranlable. Sa riposte à Ahmed Benbella, qui présidait alors la séance d’ouverture, sur un écart de langage dont ce dernier s’était rendu coupable contre le président du GPRA, Benyoucef Benkhedda, a cause de cette altercation, la réunion fut suspendue et la direction qui se voulait jusque-là collégiale et consensuelle, explosa. Ce fut la crise de l’été 1962. Une dernière rencontre a réuni les principaux responsables de Wilaya à Chlef, le 20 juillet 1962 : Tahar Zbiri pour les Aurès, Salah Boubnider (le Nord-Constantinois) Mohand Oulhadj (la Kabylie), Youcef El-Khatib (l’Algérois) le colonel Othmane (l’Oranie) et Mohamed Chabani (le Sahara), pour tenter de créer un contrepoids au groupe de Tlemcen, soutenu par l’état-major de l’armée. Les choses ne se sont pas déroulées comme les chefs de l’intérieur auraient voulu. Mais cela est une autre histoire. Adel Fathi Supplément N° 15 - Juillet 2013. Wilaya III (1954-1956) Krim Belkacem : un politique à la tête du maquis 3 4 1 2 1- Krim Belkacem . 2- Amirouche Ait Hamouda. 3- Mohamedi Said dit Si Nacer. 4- Slimane Dehilès dit Si Sadek. Par Adel Fathi LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 43 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques A vant même le déclenchement de la Révolution, la Wilaya III historique avait déjà son chef politico-militaire tout désigné, et avait une organisation bien huilée, prête à relever le défi. Et ce n’est pas un hasard que les principaux représentants de la Kabylie, Krim Belkacem et Amar Ouamrane, avaient pris part à tous les rendez-vous ayant présidé au déclenchement de l’insurrection ; à savoir notamment la fameuse réunion des « 22 », la création du CRUA par les « six historiques », en juin 1954, Histoire qui a désigné les responsables des futures wilayas. Le passage de Krim Belkacem à la tête de la zone III, sera court, mais marqué de son empreinte indélébile. Sa double vocation d’homme d’action et de politicien a été un atout qui aidera l’organisation à se développer rapidement jusqu’à devenir un modèle de lutte et d’efficacité. Profitant de la concentration de l’armée coloniale sur la région des Aurès-Nemamchas (zone I) durant les premiers mois de la révolution, les dirigeants de la zone III se sont déployés dans toute la Kabylie pour poursuivre le travail de sensibilisation et de mo- bilisation. Et c’est là que Krim va encore s’affirmer en tant que chef charismatique, grand organisateur et surtout comme un visionnaire. C’est lui, qui, le premier, eut l’idée de réunir tous les dirigeants de la Révolution pour relancer la lutte et tracer une stratégie d’action. Les difficultés et obstacles commençaient à surgir. Les deux années passées à la tête de la zone de Kabylie furent des plus éprouvantes à plus d’un titre. Il fallait affronter l’ennemi sur deux fronts : lutter contre les groupes messalistes du MNA, qui étaient encore très présents, en Kabylie, et ses régions limitrophes, et poursuivre les De g. à dr.: Youcef Zighoud, Abane Ramdane, Larbi Ben M'hidi, Krim Belkacem et Amar Ouamrane. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 44 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire actions de sabotage et de guérillas. Mais le plus dur, pour Krim et ses collaborateurs, s’avéra être le danger des traquenards qui leur étaient posés par l’ennemi. L’affaire dite de «l’oiseau bleu », œuvre, pitoyable, des services secrets français, est illustrative de cette bataille de renseignement qui sera déterminante. Ce fut la plus grande épreuve pour toute la Wilaya III, mais qui, grâce au génie de son chef, en sortira plus forte. Les services français avaient monté cette opération qui dura dix mois (de novembre 1955 à septembre 1956). Le principe était de monter des Kabyles contre d’autres Kabyles, en instrumentalisant les conflits tribaux et les animosités avec les messalistes, afin de créer la zizanie et laisser les djounoud s’entredéchirer. Le plan diabolique visait à créer des sortes de « contremaquis », ce qui était appelé la « force K », en recrutant au sein de la population ceux qui n’appartenaient pas au FLN. Mais le piège s’est vite refermé contre ceux-là mêmes qui l’avaient posé. Ainsi, les services ennemis, mal renseignés, ne savaient pas qu’un grand nombre de ceux qu’ils comptaient comme leurs agents étaient des activistes FLN, sous les ordres de Krim. Celui-ci tria les plus sincères de ses militants pour les faire passer à des membres de la « force K ». Le comble dans cette affaire est que l’armée française les avait dotés des armes les plus sophistiqués, au grand bonheur des moudjahidine et de Krim Belkacem. Celui-ci a écrivit une lettre qui mémorable au LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Mohamedi Said et Krim Belkacem gouverneur général : « Monsieur le Ministre, Vous avez cru introduire, avec la « force K » un cheval de Troie au sein de la résistance algérienne. Vous vous êtes trompé. Ceux que vous avez pris pour des traîtres à la patrie algérienne étaient de purs patriotes qui n'ont jamais cessé de lutter pour l'indépendance de leur pays et contre le colonialisme. Nous vous remercions de ( 45 ) nous avoir procuré des armes qui nous serviront à libérer notre pays. » Malheureusement, les services de renseignement français tenteront un autre coup visant à déstabiliser la Wilaya III, qui eut un effet dévastateur : la triste affaire de la bleuite. Mais à cette époque, Krim n’était déjà plus chef de la Kabylie. Durant cette période, la Kabylie connut d’autres épisodes peu glo- www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Krim Belkacem et Abdelhafid Boussouf avec le Président Mao Tsé-toung rieux, qui étaient autant d’épreuves pour les chefs de maquis. Ce fut le cas de la « nuit rouge de la Soummam », où Krim Belkacem dut intervenir pour stopper la machine infernale qui avait provoqué des tueries en avril 1956, dans la région d’Amizour, en Basse-Kabylie, contre des villageois soupçonnés de collaboration avec l’ennemi. Le nom d’Amirouche sera de nouveau cité dans cette affaire. L’apport de Krim Belkacem ne se limita pas à sa seule région. Il s’engagea très tôt à doter d’autres zones du pays (la future Wilaya IV) d’hommes et d’officiers, dont ses proches collaborateurs Amar Ouamarane, qui sera plus tard rejoint par Salah Zammoum, Ali Mellah, Amar Oussedik, et bien d’autres illustres cadres issus de la Wilaya III. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Cela dit, la grande prouesse de Krim Belkacem durant son passage à la tête de la Kabylie fut incontestablement le rôle de moteur qu’il eut à jour dans les travaux du congrès de la Soummam. Mais avant tout, l’honneur sera pour lui qu’une réunion à un tel niveau fût organisée sur le territoire de sa zone. Et c’est à cette date qu’il passa le relais à un autre chef, le colonel Mohammedi Saïd, pour se consacrer aux grandes tâches nationales et autrement plus politiques, qui lui étaient confiées par le CCE nouvellement créé, qui le prédestinait à des postes de responsabilités encore plus importants. ( 46 ) Adel Fathi Supplément N° 15 - Juillet 2013. Wilaya III (1956-1957) Mohammedi Saïd Le pieuX combattant Par Adel Fathi LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 47 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques 1 Histoire 956 fut une année charnière pour toute la révolution algérienne : le congrès de la Soummam, tenu le 20 août, donnera un nouveau souffle à la lutte armée, après deux ans de tâtonnements. Pour la Kabylie, cela coïncida avec la nomination d’un nouveau chef, en remplacement de Krim Belkacem, appelé à d’autres missions. Mohammedi Said était le mieux placé pour assurer cette succession à un moment de grand redéploiement des unités de l’ALN. Il avait toutes les De g.à dr.: Si Nacer, Ouamrane, Kechaï qualités d’organisaet Amirouche teur et d’homme de poigne. Repéré par Krim dès sa sortie de prison en 1952, il était resté en contact avec lui et d'autres responsables qui activaient dans la clandestinité, avant de le rejoindre le maquis dès le déclenchement de l’insurrection, le 1er novembre 1954. Le 20 août en 1956, il assurera la sécurité et le bon déroulement du congrès de la Soummam tout en y participant. Il sera alors promu colonel, commandant de la Wilaya III et membre suppléant du CNRA. Grâce à son dynamisme, à son savoir-faire militaire, qu’il avait acquis au sein de l’armée allemande dans laquelle il avait servi et au travail de structuration et de mobilisation ininterrompu qu’il effectuait auprès des populations, il a réussi à rendre la Wilaya III la plus active et la mieux organisée de toutes les wilayas. Certains témoignages reprochent au successeur de Krim Belkacem une certaine nonchalance de sa part vers la fin de son règne et Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . sa religiosité excessive qui l’aurait quelque peu éloigné de ses cadres (Lire à ce propos les ouvrages de Djoudi Attoumi sur la guerre de libération en wilaya III). Le nouveau colonel devrait faire face à plusieurs épreuves, dont celle de la guerre des positions avec les messalistes du MNA. La plus dure fut le massacre de Mellouza. Cette affaire, qui continue à susciter débats et controverses, a sérieusement ébranlé le crédit du chef de la Wilaya III et de toute la Révolution, et a sans doute précipité son départ pour Tunis dès l’été 1957. Là encore, des auteurs et des historiens, des deux rives, accusent le chef de la Wilaya III de n’avoir pas su agir avec discernement pour avoir autorisé ses lieutenants à commettre un carnage dans ce village isolé de Mellouza, situé aux confins de la Wilaya III. La version la plus répandue, mais néanmoins contestée par tant de maquisards de l’ALN, indique que, le 18 mai 1957, les troupes de l’ALN, commandées par le capitaine Arab Ouddak et le lieutenant Abdelkader El-Bariki, et sur ordre du colonel Mohammedi Sïd, dit Si Nacer, s’en sont pris aux villages dit Mellouza, tenus par les troupes du MNA commandées par le « général » Bellounis, pour mener une expédition punitive. Selon des comptes-rendus de la presse française de l’époque, les hommes de l’ALN auraient massacré toute la population mâle du village et auraient laissé 315 cadavres dans les ruelles et ravins. ( 48 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Or cette version des faits a été démentie par le FLN à l’époque même, en publiant des déclarations de nouveaux témoignages qui semblent plus proches de la vérité. Il s’agirait en fait d’une opération de vengeance commanditée par le commandement de la Wilaya III, sous la houlette du colonel Si Nacer, en réponse au massacre perpétré par l’armée française et ses supplétifs dans le village de Mellouza, qui, d’après certains auteurs, étaient en réalité acquis à la cause nationale. L’opération exécutée par l’ALN visait plutôt un village voisin, qui s’appelle Béni-Ilmane, dont la population, était, elle, inféodées au « général » Bellounis, avec des dégâts « tout à fait disproportionnés ». Les auteurs français, et même beaucoup d’Algériens, n’auraient fait que reprendre une propagande de l’armée française qui tentait d’intoxiquer l’opinion internationale en vue de discréditer la lutte des Algériens pour leur indépendance. Dépassé par les événements, Si Nacer n’a pu prendre aucune mesure pour restaurer la confiance et surtout la discipline dans les rangs de ses troupes, s’accordent à dire aujourd’hui tous les récits publiés sur cet épisode obscur de l’histoire de la Révolution. Cela lui vaudra d’être aussitôt rappelé par le CCE qui était installé à Tunis, pour lui confier d’autres tâches, au niveau notamment du Comité des opéra- De g. à dr. : Mohand Oulhadj et Abdelkader El-Bariki Bellounis au milieu de ses troupes LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 49 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Krim Belkacem et le Colonel Amirouche Mohamedi Said Amirouche en compagnie de quelques Moudjahidine tions militaires (COM), puis à la tête de l’état-major de l’ALN. Un nouveau chef sera aussitôt nommé pour redynamiser cette importante wilaya et relever les nouveaux défis –colossaux et redoutables – qui s’annonçaient, avec les grandes offensives militaires qui allaient s’abattre sur la région. A l’avènement du colonel Amirouche, une nouvelle ère s’ouvrait pour la Kabylie, pleine de belles épopées et d’épreuves atroces. Adel Fathi Des éléments de l'ALN de la Wilaya III Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 50 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Wilaya III (1957-1959) Colonel Amirouche à la croisée des chemins Par Adel Fathi LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 51 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques L Histoire a nomination d’Aït-Hamouda Amirouche à la tête de la Wilaya III, en juillet 1957, a été accueillie avec un immense soulagement par les moudjahidine. Connu pour sa rigueur et son inflexibilité, le comandant Amirouche, promu à cette même occasion au grade de colonel, avait fait ses preuves dans la vallée de la Soummam, où il a été affecté par Krim Belkacem dès 1955, pour structurer la région et contrer la poussée messaliste. Amirouche devait rapidement pallier les lacunes de son prédécesseur, relever le moral des troupes et réorganiser les structures de l’ALN au niveau de cette wilaya qui est considérée comme l’une des plus importantes. Il fallait ensuite se préparer à Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . faire face aux opérations militaires d’envergure lancées par l’ennemi contre la wilaya III, dont l’opération « Jumelle » (22 juillet 1959), à travers laquelle l’état-major de l’armée française a mobilisé 60 000 hommes, pour tenter de neutraliser « la rébellion » dans cette wilaya réputée imprenable. Cette opération, qui restera dans les annales de l’histoire comme étant un crime de guerre, a fait des milliers de victimes dans les rangs des moudjahidine et de la population. Amirouche et ses adjoints n’arrêtaient pas de sillonner les quatre coins de la wilaya, pour instruire les djounoud et sensibiliser la population sur les enjeux du combat libérateur. Grace à sa personnalité et à ses qualités d’organisateur, l’ALN s’est revigorée et s’est renforcée. Son rayonnement s’est même étendu jusqu’au-delà des frontières de la Wilaya III, après sa première mission en Wilaya I, où il a été désigné par le CCE pour tenter de trouver une solution aux luttes fratricides dans la région des Aurès ; une autre fois, en se réunissant avec d’autres chefs de wilaya à OuedLaasker, près de Skikda, et aussi lors de son premier voyage en Tunisie. Mais, dès 1958, Amirouche commençait à se plaindre du manque d’armes et de munitions. Les caravanes d’acheminements se faisaient de plus en plus rares, depuis que la double ligne électrifiée sur les frontières avec la Tunisie a été renforcée. Beaucoup d’auteurs estiment aujourd’hui que le colonel de la Wilaya III aurait cultivé un ressentiment tenace envers les dirigeants de l’Extérieur qu’il aurait accusés de laxisme et d’avoir « abandonné le maquis ». Cela dit, sous sa houlette, les combattants de la Wilaya III continuaient à réaliser des exploits sur le terrain de la lutte armée. La prise d’El-Hourane, en février 1958, où un groupe de moudjahidine a pris d’assaut une caserne militaire française et récupéré des centaines d’armes de guerre, après avoir fait prisonnier le commandant de cette unité importante de l’armée française, est un exemple illustratif de ce niveau de performance atteint par la Wilaya III du temps d’Amirouche. Mais tous ces succès ont été ternis par l’affaire ( 52 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire De dr. à g. : Colonel Amirouche, Commandant Si Abdellah, Commandant Yazourene, Capitaine Mehlal said, Commandant Akli Mohand, Capitaine Oudek Arab. dite de la bleuite, dont le colonel Amirouche porte la responsabilité morale et politique. Même s’il est établi que le chef de la Wilaya III et ses adjoints ont agi dans l’esprit de l’intérêt de la Révolution. Des centaines de djounoud (420 selon des statistiques algériennes, et plus de 3500 d’après des auteurs français), dont plusieurs étudiants qui avaient rejoint le maquis à la suite de la célèbre grève des étudiants du 19 mais 1956, ont été exécutés, après une extravagante campagne d’intoxication. Les purges ont duré plusieurs mois, avec son lot d’interrogatoires, de tortures et d’exécutions sommaires. Le capitaine Léger aux ordres de Godard, qui a monté ce plan démonique, a réussi à déstabiliser les maquis de la Wilaya III, mais n’est pas parvenu à briser l’ALN dans cette région. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE On sait aujourd’hui que le CCE, et plusieurs états-majors de wilayas ont essayé par divers moyens d’entrer en contact avec la Wilaya III, pour tenter de raisonner son commandement et de le mettre en garde contre ce traquenard mortel qui lui a été tendu par l’ennemi. Mais toutes leurs démarches se sont avérées vaines. Ce triste épisode vécu par les moudjahidine de la Wilaya III, doit-il pour autant faire ombre aux nombreuses gloires, et au rôle immense qu’a joué Amirouche durant la période où il eut la charge de présider aux destinées de cette wilaya ? Face à autant d’épreuves, l’ALN n’avait d’autre choix que de poursuivre la lutte. Les événements vont alors s’accélérer : la mort subite du colonel dans la célèbre ( 53 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Le colonel Amirouche avec le capitaine Maghni Mohamed Salah dit Si Abdellah Ibeskriene chef de la zone 3 de la wilaya III. photo prise en octobre 1957 dans la zone 3 Le Colonel Amirouche à droite bataille de Djebel Thameur, le 29 mars 1959, en compagnie du chef de la Wilaya VI, le colonel Ahmed Benabderezak, dit Si Houès, va mettre de nouveau la Wilaya III à la croisée des chemins. L’opération « Jumelles » venait d’être enclenchée, les moudjahidine étaient exténués par cinq années de combats intenses et ininterrompus. Après l’annonce de la mort du « loup de la Soummam », les médias colonialistes prédisaient la fin de la « guérilla » en Algérie. C’était loin d’être acquis. Adel Fathi Colonel Amirouche mort Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Si El-Haouès mort ( 54 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. La Wilaya III, sous le règne d’Abderrahmane Mira Face à l’opération « Jumelles » Par Adel Fathi LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 55 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques L Histoire a mort du colonel Amirouche au champ d’honneur, le 29 mars 1959, laissa le commandement de la Wilaya III dans le désarroi le plus total, tant l’homme était irremplaçable, et surtout tout le monde attendait les nouvelles orientations à son retour de Tunisie. Sa succession ne s’est pas faite sans quelque rififis, puisque, le colonel Amirouche avait, au départ, laissé l’intérim au commandant Akli MohandOulhadj, mais d’après les historiens s’appuyant sur des archives, le chef de wilaya, apprenant en chemin la nouvelle de l’arrivée inopinée de Abderrahmane Mira en Kabylie, appelé pour renforcer le maquis, adresse, le 22 mars 1959, deux lettres, l’une au conseil de la Wilaya III et l’autre à destination de Mira lui-même pour le designer intérimaire à la tête de la Wilaya. Alors qu’une autre version soutient que la direction de la Révolution à Tunis aurait décidé d’envoyer Mira pour prendre la place d’Amirouche après le scandale de la bleuite. Grâce à son parcours, à ses hauts faites d’armes et à ses qualité de meneur d’homme, Abderrahmane Mira, promu commandant au congrès de la Soummam, dont il a eu à assurer la sécurité avec Amirouche, était naturellement le mieux placé pour prendre la place d’Amirouche à la tête de cette importante wilaya, au confluent avec plusieurs wilayas. D’un tempérament fougueux, il n’en était pas moins opposé au style de l’homme, en dénonçant les excès qui caractérisaient le traitement qui avait été réservé aux personnes soupçonnées dans le cadre de la « bleuite ». Ainsi, dès son arrivée au PC de la Wilaya III, vers la fin de mars 1959, Abderrahmane Mira, promu automatiquement colonel, condamna l’usage de la torture et décida de libérer tous les combattants injustement poursuivis dans cette affaire d’intoxication et de manipulation des services spéciaux de l’armée française, sous la houlette du colonel Godart et du capitaine Léger. Mieux, il libéra les prisonniers français, civils et militaires, au nom de la grandeur et de la justesse de la lutte de libération nationale. Mais rares sont les auteurs qui ont signalé ces faits, y compris certains spécialistes de l’histoire de la Wilaya III. Des faits qui attestent d’un esprit chevaleresque rare chez ce chef hors pair quelque peu lésé par l’historiographie, et dont l’histoire reste à écrire. Pourtant, durant la Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . même période, la Wilaya III faisait face à la plus grande offensive militaire de l’histoire de la colonisation de l’Algérie, l’opération « Jumelles », lancée le 22 juillet 1959, et qui avait comme objectif d’anéantir les maquis de l’ALN dans la Wilaya III, alors que les armes et les munitions manquaient cruellement. Les trois compagnies envoyées en Tunisie pour se ravitailler en armes en Tunisie, n’ont pas réussi à franchir la ligne Morice. A cela s’ajoutait l’apparition d’une fronde interne, menée par un groupe d’officiers et de sous-officiers, qui se regroupèrent dans ce qui était appelé « le Comité des officiers libres », qui a voulu contester le commandement de leur wilaya. C’est dans ces conditions particulièrement hostiles que le colonel Mira tenta de redéployer l’ALN, de relever le moral des moudjahidine et des populations, après le passage de ce rouleau compresseur que fut l’opération « Jumelles », et enfin de desserrer l’étau sur sa wilaya cernée par d’autres opération militaires lancées dans toutes les wilayas limitrophes. Un rapport de du CNRA avait même signé au GPRA, à cette époque, un affaiblissement général des forces de l’intérieur. Mais la situation en Kabylie était, de l’avis de tous les historiens et témoin qui ont écrit sur cet épisode, particulièrement intenable. Pour eux, le grand mérite de la Wilaya III, et de ses vaillants combattants, était d’avoir survécu à ce déluge de feu qui s’était abattu sur elle. Fin 1959, la guerre fait encore rage, et aucune perspective de négociation n’est encore envisagée. Il a fallu plusieurs mois pour que les maquis de l’intérieur reprennent contact avec l’extérieur, et reçoivent de nouvelles cargaisons d’armes pour poursuivre la lutte. Abderrahmane Mira et ses hommes ne manquaient pas de bravoure pour faire face aux épreuves les plus difficiles et réorganiser l’ALN ; mais le destin ne lui a pas permis d’achever cette mission. Après sept mois seulement à la tête de la Wilaya III, le 6 novembre 1959, le colonel Abderrahmane Mira, surnommé « le Tigre de la Soummam », tombe au champ d'honneur dans une embuscade tendue par le 2e Régiment d’infanterie marine aéroportée (RIMA), près du col de Chellata au nord d'Akbou, alors qu'il est en partance pour le conseil de la Wilaya III. Une page se tourne dans l’histoire tumultueuse et épique de la Wilaya III, et une autre s’ouvre. Adel Fathi ( 56 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. La Wilaya III (1959-1962) La sagesse comme stratégie de guerre Colonel Akli Mohand Oulhadj Par Adel Fathi LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 57 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques D epuis l’arrivée du général Charles de Gaulle au pouvoir, par le coup d’Etat du 13 mai 1958, les opérations militaires destinées à écraser la révolution algérienne se sont multipliées et renforcées, tant du point de vue matériel qu’humain – 40 000 soldats du contingent ont été rappelés. Venu avec cet esprit de « pacificateur », de Gaulle décida de remanier tout Histoire l’état-major de l’armée coloniale, en nommant le général Challe en qualité de commandant en chef des armées en Algérie. Celui-ci échauda le célèbre plan portant son nom, qui se donna comme objectif de mener une politique de la terre brûlée. Quatre grandes offensives ont été lancées, : opération « Courroie », du 18 avril au 19 juin, dans l’Algérois et l’Ouresenis, suivie de l’opération « l’Étincelle », du 8 au 20 juillet, sur le massif du Hodna, reliant la Wilaya III à la Wilaya I, puis l'opération « Jumelles » s'ap- pesantit sur la Wilaya III, du 22 juillet 1959 à la fin de mars 1960. Peu après, les opérations « Pierres précieuses » s'abattent sur la Wilaya II, entre le 6 septembre et le 9 novembre 1959, jusqu'en avril 1960. Mais les contradictions qui caractérisaient la nouvelle politique du gouvernement français finirent pas déteindre sur la cohésion de cette armée française, en poussant des officiers supérieurs à la sédition pour créer l’OAS, dès 1960, et fomenter même une tentative de coup d’Etat. Mohand Oulhadj debout au centre de la photo Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 58 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Mohand Oulhadj en médaillon en réunion en novembre 1961 Les maquis suivaient l’évolution de la situation avec appréhension. Après avoir survécu au « rouleau compresseur » de l’opération « Jumelles », lancée en juillet 1959, la Wilaya III devait se réorganiser et adapter sa stratégie aux nouvelles réalités. Cette période coïncidait avec la mort précoce du colonel Abderrahmane Mira, successeur du colonel Amirouche à la tête de la wilaya, et son remplacement par Mohand-Oulhadj. Celui-ci a dû user de son intelligence et de sa sagesse (il était surnommé LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE « Amghar », en kabyle : le Sage) pour redresser une situation quasi chaotique qu’avait provoquée le déluge de feu du plan Challe sur la Kabylie, et sur toute l’Algérie. Mohand Oulhadj se voit ainsi confier cette tâche en été 1959. Il innove en ordonnant de scinder les gros bataillons et compagnies en petits groupes et de s’organiser pour mener des combats de guérillas, avec des embuscades, des harcèlements, etc. Seul moyen à la fois pour s’épargner les face-à-face mortels avec l’ennemi, qui avait ( 59 ) déployé une armada invincible, et pour desserrer l’étau qui se refermait de plus en plus contre l’ALN, de toute part. La tâche était loin d’être une sinécure. A ces difficultés objectives, s’ajoutaient des tentatives de dissidence au sein même des unités de la Wilaya III, avec l’apparition du comité dit des « officiers libres », qui contesta le commandement de la wilaya et jugeant Mohand Oulhadj et Abderrahmane Mira, incapables de faire face à la situation que vivait la Wilaya III depuis l'opération Jumelles. www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Mohand Oulhadj avec le Che à sa gauche De nombreux témoignages rendant hommage au colonel Mohand Oulhadj, affirment que c’est grâce à son autorité morale et à son esprit de dialogue que ce conflit a été résolu. Le vieux sage a consenti à toutes les revendications des officiers mécontents (des promotions collectives, une augmentation de budgets pour certaines zones, etc.), tout en restant ferme sur le principe de la lutte et le règlement de l’ALN. Car cette dissidence aurait pu prendre une autre tournure, si le commandement de la wilaya n’avait pas eu la sagesse de réagir rapidement et efficacement. Mohand-Oulhadj craignait surtout une réédition du syndrome de la « paix des braves » qu’avait connue, Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . à la même période, la wilaya IV, avec laquelle la Kabylie avait des relations très étroites. Le colonel Mohand-Oulhadj eut également à présider presque seul aux destinées de sa wilaya. Tous les anciens dirigeants militaires et politiques de la Wilaya III s’étaient installés en Tunisie. Des historiens ont fait remarquer que depuis la mort d’Abderrahmane Mira, la Wilaya III connut une situation anormale, voire illégale, en ce sens que le commandement qui s’était retrouvé sans aucun commandant – tous les officiers supérieurs étaient à cette époque soit morts, soit en Tunisie – ne pouvait de ce fait tenir des conseils de wilaya. Un conseil de wilaya est représenté par ( 60 ) le colonel de la wilaya et ses trois adjoints qui sont au grade de commandant (opérations militaires, politique et enfin renseignement et liaisons). Le colonel Mohand Oulhadj réussira toutes les épreuves, dont la dernière fut la mise en œuvre des accords du cessez-le feu signés le 19 mars 1962, à travers tout le territoire de la Wilaya III, avec les commissions mixtes composées, à nombre égal, d’officiers de l’armée française et d’officiers de l’ALN, pour veiller au strict respect du cessez-le-feu. Tous les grands baroudeurs de l’ALN furent mobilisés pour gagner cette ultime bataille, la bataille de la paix. Adel Fathi Supplément N° 15 - Juillet 2013. Les légendaires chefs de la wilaya IV Amar Ouamrane Slimane Dehiles Rabah Bitat Mhamed Bouguerra Mohamed Zamoum Djillali Bounâama Youcef El-Khatib Par Djamel Belbey LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 61 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques L Histoire a Wilaya IV, qui incluait Alger, était non seulement la plus durement surveillée et la plus difficile à approvisionner en armes, mais aussi le théâtre des plus grandes opérations de contre-révolution, de contre-maquis et d’expérimentation de techniques de la contre-guérilla. Malgré cela, la Wilaya IV a remporté sur le terrain plusieurs batailles, grâce à la détermination et à la sagacité de ses chefs dont l'ennemi lui-même a reconnu la valeur. La zone quatre, devenue Wilaya IV après le congrès de la Soummam d’août 1956, d’abord faible en encadrement à son déclenchement le 1er novembre 1954 – elle comptait environ 50 hommes, presque tous arrêtés –, s’est consolidée à partir de 1955 par un renfort massif, a telle enseigne que l’ALN y compte 5.000 hommes dès 1955, 9.000 au milieu de 1958. Ce sont sept commandants, en effet, qui se sont succédé à la tête de cette wilaya, en sept années de guerre. Rabah Bitat (1954-1955), Amar Ouamrane dit Si Rezki (19551956), Slimane Dehiles dit Si Sadek (1956-1957,) Ahmed Benlarbi Bouguerra dit Si M’hamed (1957-1959), Ben Rabeh Mohamed Zamoum dit Si Salah (1959-1960), Djillali Bounaâma dit Si Tayeb (1960-1961) et Youcef El Khatib, dit Si Hassen (1961). Quatre, Amar Ouamrane, Ahmed Benlarbi Bouguerra, Djillali Bounâama et Ben Rabeh Mohamed Zamoum sont tombés au champ d’honneur et trois, Rabah Bitat, Slimane Dehiles dit Si Sadek et Youcef Khatib dit Si Hassan, ont survécu après l’indépendance. Au déclenchement de la révolution : Combattants de la Wilaya IV Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 62 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Rabah Bitat Rabah Bitat : un combattant prêt au sacrifice suprême Premier dirigeant de la Wilaya IV, Rabah Bitat était aussi, l'un des pionniers du FLN. Ce natif de Aïn Kerma dans le Constantinois, le 19 décembre 1925, était la cheville ouvrière de la réunion des 22 historiques, qui décidèrent de lancer la lutte armée, pour avoir mis en place toute la logistique, grâce à Zoubir Bouadjadj. Activement recherché par la police française depuis le démantèlement de l’OS, il entre dans la clandestinité en 1950, et est condamné par contumace en 1951 à cinq ans de prison. Permanent du MTLD, il participe au CRUA en 1954 et est désigné premier responsable du FLN pour l'Algérois. Dès le début de la révolution, il est désigné en qualité de premier responsable du FLN pour l’Algérois, de premier chef de la zone 4 et de premier dirigeant de la Wilaya IV historique à laquelle a donné naissance la zone 4. Il organise la guérilla urbaine à Alger et dans la banlieue algéroise. Rabah Bitat était de ces combattants parfaitement prêts au sacrifice suprême pour la noble cause de la libération de l’Algérie ; les missions auxquelles il prenait part étaient souvent qualifiées de « missionssuicide », tant elles comportaient de risques inouïs pour lui et ses compagnons d’armes. Rabah Bitat réussit à organiser une série d’opérations militaires contre les forces françaises à Alger et dans la Mitidja le 1er novembre 1954 ; ces opérations eurent lieu notamment à Blida où il a mené l’attaque en compagnie d’Ahmed Bouchaïb contre la caserne Bizot, perdit trois hommes de son commando et se replia dans les montagnes de Chréa. Ces mêmes montagnes de Chréa où devait se faire, plus tard, la jonction avec le groupe d’Ouamrane et de Souidani Boudjemaa, groupe chargé de donner l’assaut à la caserne de Boufarik en vue de répartir les armes récupérées entre la zone trois (Kabylie) et la zone 4 (Algérois). Des maquis bien structurés et très actifs naissent aussitôt dans les monts de Lakhdaria et de l'Atlas blidéen, compensant la déstructuration des réseaux de lutte qui a suivi les arrestations massives opérées par le pouvoir colonial français au lendemain du Les six historiques LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 63 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire déclenchement du combat libérateur le 1er novembre 1954. De nombreuses rencontres avec les autres courants et entre responsables de différentes Wilayas ont eu lieu également sous son commandement. Rabah Bitat ne dirige cependant la Wilaya IV qu'un peu plus de quatre mois ; cinq mois après le début de la guerre de libération il est arrêté le 16 mars 1955 au café Ben Nouhi, rue de La Lyre dans le quartier de la Casbah, à Alger, alors qu’il avait rendez-vous avec un « contact » dans ce café, et qu’il sortait d’une réunion avec Krim Belkacem et Abane Ramdane en prenant toutes les précautions d’usage pour ne pas révéler le lieu où il s’est réuni. Des témoins racontent que Rabah Bitat a tenté de se donner la mort, lors de son arrestation par la police française en 1955, en avalant un comprimé de cyanure pour s’empêcher de parler pendant la torture. Mais il laisse en place des commandos qui vont s'implanter dans la Casbah sous la direction de Yacef Saadi. Il passe le 16 avril 1956 devant un tribunal militaire et se trouve condamné aux travaux forcés à perpétuité. Son emprisonnement n’empêche pas sa désignation en qualité de membre du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) le 20 août 1956 lors du Congrès de la Soummam. Amar Ouamrane, était précurseur de la lutte armée A partir de 1955, il fut remplacé par Amar Ouamrane dit Si Rezki (1955-1956). Cet ancien responsable de la Kasma du PPA, puis adjoint du responsable régional Krim Belkacem, est celui qui donna un sens à la lutte armée bien avant le déclenchement de la révolution en novembre 1954. Né le 19 janvier 1919 au douar Frikat, près de Draa-El-Mizan, il a été condamne à mort par un tribunal militaire à Alger dès novembre 1946, alors qu’il préparait « la prise de la caserne de Cherchell ». Amnistié, puis arrêté à nouveau. Au cours de sa fuite, il tire sur un gendarme, et à partir de ce moment, plonge dans la clandestinité car condamné à mort par contumace. Lors de la crise de l'organisation nationaliste, il prend d'abord position pour Messali en février 1954 contre les centralistes, puis adopte le point de vue sur le pas- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Amar Ouamrane sage à l’action armée. Amar Ouamrane opère à partir du 1er novembre dans la région de Mirabeau, actuellement Draâ Ben Khedda, puis dans la vallée du Haut-Sebaou. Il quitte ce terrain pour prendre, à la place de Rabat Bitat, le commandement de la Wilaya IV. Il déplace en conséquence son PC vers le secteur Palestro Bouzegza. Ouamrane réussira une embuscade contre les éléments du 9e régiment d'infanterie coloniale (RIC) dans les gorges de Palestro. L'embuscade de Palestro, qui restera comme la plus célèbre de la guerre de libération nationale, est une bataille qui s'est déroulée le 18 mai 1956, durant la guerre d'Algérie, à Ouled Djerrah dans la région de Palestro (aujourd'hui Lakhdaria).Cette opération qui s’est soldée par la mort de 21 militaires de l’armée coloniale était l’œuvre d’une katiba dirigée par Ali Khodja, qui était le meilleur lieutenant de Ouamrane, qu’il avait affecté à la zone 4 de la Willaya III, la plus difficile, tant par le relief que par le climat. Ouamrane fut remplacé par Sadek Déhiles, dit « si Sadek ». Il a été envoyé en Tunisie en mission pour superviser la logistique et l'armement, fin 1959. ( 64 ) Djamel Belbey Supplément N° 15 - Juillet 2013. Wilaya IV Le temps des grandes manœuvres coloniales Par Djamel Belbey LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 65 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques L e congrès de la Soummam donna une véritable structuration à la Wilaya IV, qui y était représentée par quatre dirigeants : Amar Ouamrane, chef de wilaya, Sadek Dehilès, Si M’hamed Bouguerra, Ali Mellah. Histoire M'hamed Bouguerra en médaillon au milieu des combattants de la Wilaya IV Colonel Slimane Dehilès, dit Si Sadek : gérer l’afflux des étudiants Le colonel Si Sadek (de son vrai nom Slimane Dehilès) né aux Ouadhias en Grande Kabylie, est désigné par Abane Ramdane vers la deuxième moitié de 1956 à la tête de la Wilaya IV en remplacement de Amar Ouamrane qui était parti pour Tunis en mission pour y installer le CCE. Durant cette période les maquis ont reçu un véritable renfort d'intellectuels, de chefs de réseau d'étudiants, qui avait permis un encadrement de Slimane Dehiles dit Si Sadek Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . qualité à cette wilaya historique, qui en avait besoin en ces premières années de guerre d’indépendance. La Wilaya IV était devenue « une wilaya intellectuelle », avec tous les étudiants qui y affluaient », disait--il quelques années plus tard, en parlant de l’afflux massif des étudiants enregistré dans les maquis à la suite de la grève des étudiants de 1956. Au mois d'avril 1957, la Wilaya IV, qui groupait tout l'Algérois, y compris Alger, comptait 5 000 hommes. De plus, cette wilaya avait bénéficié d’un appui inestimable des populations, organisées dans un réseau de moussebline, et dont les tâches étaient multiples : sabotages, transport des munitions et des blessés, renseignements, etc. En outre, la Wilaya IV faisait fonctionner en permanence des écoles de cadres, des services sanitaires, des services sociaux pour les veuves et les orphelins, en plus des services de propagande, d'information, de logistique ( 66 ) et de politique, dont avait la charge le colonel Si Sadek en sa qualité de commissaire politique. Si Sadek est ensuite désigné membre du CNRA de 1957 à 1962 Ahmed Benlarbi Bougara dit Si M’hamed : une maitrise exceptionnelle de la wilaya Si M'hamed Bougara, commandant de la Wilaya IV historique de 1957 à 1959, a dirigé la région la plus difficile du pays pendant une des périodes les plus dures de la guerre de libération. Ouvert, montrant un esprit démocratique, extrêmement populaire, ce géant connu pour son sens de l'humour a aussi su allier des qualités de stratège militaire et de fin politique, en participant à des opérations majeures, comme l'accueil des étudiants qui rejoignaient le FLN en 1956 ou l'élimination de Kobus l'année suivante. Supplément N° 15 - Juillet 2013. Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire M'hamed Bouguerra nLa période qui a fait suite au congrès de la Soummam a été certes marquée par une lutte armée intensive, avec la multiplication des actions menées par l’ALN, mais aussi par la politique de « la main de fer » appliquée à la révolution par de Gaulle, dès son arrivée au pouvoir en 1958. Cette politique, basée sur des plans diaboliques visant à étouffer la révolution et qui a consisté à dresser les lignes Challe et Morice, à multiplier les opérations de ratissage de grande envergue et à créer des centres de d’internement et de geôles, a été durement ressentie par la révolution. Mais face à ces difficultés, Si M'Hamed a montré une maîtrise exceptionnelle dans la direction de la wilaya. Il s’est employé, ce faisant, à contourner ce handicap par des contacts avec les autres Wilayas de l’intérieur. C’est ainsi qu’il a rencontré d’autres dirigeants des Wilayas historiques, I, III et VI, lors d’une réunion dont le but était de procéder à l'examen de la situation et de prendre les décisions idoines pour faire face à cette politique dangereuse de de Gaulle. La réunion des colonels, à laquelle a pris part Si M’hamed Bougara en tant que commandant de la Wilaya IV, eut lieu le 6 décembre à El-Milia sur le territoire de la Wilaya II historique dans le Nord Constantinois. Lakhdar Bouregaâ officier de l'ALN de la Wilaya IV LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 67 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Commandant Mokrane Saïd dit Si Lakhdar Commandant Azzedine lors de son arrestation Le colonel Si M’hamed a maintenu une pression continue sur l’armée coloniale, en imposant de véritables zones libérées dans l'Ouarsenis, le Zaccar, l'Atlas blidéen et les monts de Médéa, tout comme il a dirigé de grandes batailles à Amrouna, Theniet El-Had, dans l'Ouarsenis, à Bouzegza, dans le Zaccar et aussi à Oued El-Maleh, Oued Fodda. 2 1 Le 30 décembre 1958, il a dirigé une bataille de grande envergure sur les montagnes qui entourent Berrouaghia et Médéa, au mont Mongorno plus précisément. Ce fait d’armes des katibate de l’Armée de libération nationale (ALN), notamment celles dénommées Zoubiria, Hamdania et Omaria, a anéanti le moral des troupes françaises stationnées dans cette région et fut sans conteste l’un des faits marquants de cette guerre d’usure livrée contre l’occupant français par les combattants de l’ALN de la Wilaya IV. En 1959, Si M’hamed, qui venait d’enregistrer le départ à l’étranger de deux prestigieux commandants, Azzedine et Omar Oussedik, dut faire face à la machine coloniale. Si M’hamed Bougara est tombé les armes à la main, en compagnie de plusieurs dizaines de moudjahidine, le 5 mai 1959, lors de la bataille de Ouled Bouachra (Médéa). Son corps ne sera jamais retrouvé. Par Djamel Belbey 1 - M'hamed Bouguerra.2- Commandant Si Lakhdar. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 68 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Wilaya IV l’assainissement des dossiers épineux Par Djamel Belbey LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 69 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire A Commandant Mohamed Zamoum dit, Si de mandater Si Salah pour rencontrer le général de Gaulle. Le 9 juin 1960 à 22 heures, trois dirigeants de Salah : « l’affaire si salah » sa mort au combat, en 1959, si M’hamed (le colonel Bouguerra) est remplacé à la tête de la Wilaya IV par le commandant Mohamed Zamoum dit Si Salah, membre du Conseil de wilaya, puis nommé adjoint du colonel Boumediene à l'état-major de l'ouest. Il est ensuite membre du CNRA et en mai 1959, et accède au poste de chef politico-militaire de la Wilaya IV. Son nom est lié à un événement singulier, durant la révolution. Il s’agit de la rencontre à l’Elysée avec de Gaulle qui avait pour objet l’autodétermination et qui a fait polémique. Ce qui lui a valu d’être accusé de traîtrise et d’être destitué le 20 juillet 1960. Il est tué au combat le 20 juillet 1961. C’était durant les «années difficiles» que subissait la Révolution, notamment après l’avènement de de Gaulle en 1958. Dépité de l'isolement dans lequel le GPRA laisse les combattants de l'intérieur, le conseil de wilaya décide à l'unanimité Salah Zamoum Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . la Wilaya IV, Si Salah (Salah Zamoum), commandant de wilaya, son adjoint militaire Si Mohamed (Djillali Bounaâma) et son adjoint politique Lakhdhar Bouchemaâ ont rencontré, au palais de l’Elysée à Paris, le général de Gaulle, entouré de deux collaborateurs, Bernard Tricot et le général Mathon. La rencontre de l'Elysée en elle-même ne déboucha sur rien de concret. De Gaulle y affirma son intention d'aller à un référendum, et les dirigeants de la Wilaya IV affirmèrent leur volonté d'aboutir à l'arrêt de l'effusion de sang si les conditions sont réunies. Les deux parties se séparèrent sans accord précis, sans rendez-vous fixé et les dirigeants de la Wilaya IV se contentèrent de dire à de Gaulle que si son intention d'aller au référendum était fondée, il n'y aurait même plus besoin de prendre contact avec eux, mais directement avec le GPRA. Les trois participants à la rencontre, du côté algérien, sont morts. Si Salah, destitué, a été envoyé en Tunisie pour être jugé par le GPRA. Il meurt dans une embuscade en cours de route avec son escorte le 20 juillet 1961, au lieu dit Assif imezdurar, sur les hauteurs du Djurdjura, dans la commune de Saharidj (daïra de M’chedallah). A sa mort, le colonel Si Salah n’avait que 33 ans. Lakhdar Bouchemaâ, arrêté et jugé, est exécuté. Si Mohamed, qui succède à Si Salah à la tête de la wilaya, meurt lui aussi le 8 août 1961 dans un accrochage avec un corps d’élite de l’armée française au cœur de la ville de Blida. Sont également exécutés pour leur participation à l’organisation de la rencontre Abdellatif, un ancien du commando Ali Khodja, et Halim, responsable des liaisons et renseignements. Un demi-siècle après, la Fondation de la Wilaya IV historique revient à la charge, lors d’une conférencedébat au sujet de l’affaire dite de l’Elysée, pour expliquer que le but recherché par ces officiers, conduits par le commandant Si Salah, de son vrai nom Mohamed Zamoum, était de «desserrer» l’étau qui étranglait à l’époque la Révolution. Quelques jours après la fameuse rencontre, soit le 20 juin 1960, le GPRA accepta de négocier avec le général de Gaulle. Les négociations ont précipité l’indépendance de l’Algérie. ( 70 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Djilali Bounaâma Djillali Bounâama, dit « Si Mohamed » : régler les dossiers épineux de la wilaya IV Mohamed Bounâama, dit si Mohamed, qui a assumé le commandement de la Wilaya IV à la suite de l’affaire Si Salah est un brillant chef politique et militaire. Doté d’une forte personnalité, il a participé de manière directe au règlement de la plupart des dossiers épineux de la Wilaya IV. Ce valeureux combattant, ayant côtoyé les prestigieux chefs, était très respecté par ses djounouds dont il était proche. Il possédait des qualités militaires qui en faisaient un grand stratège de guérilla, d’où les nombreuses opérations de lutte qu’il mena contre l’ennemi. Membre du Conseil de zone en fin 1956, d'après les nouvelles structures décidées par le Congrès de la Soummam, avec le grade de lieutenant, il mit sur pied des unités aguerries, qui allaient se lancer à l'attaque des unités françaises, harceler les cantonnements, les convois motorisés dans le Dahra, sur les Monts du Zaccar, de Ténès, Theniet El-Had à l'Ouarsenis. L'insécurité était totale pour les colons dans la plaine du Cheliff, aux abords des villes comme Chlef, El-Khemis, Miliana, AinDefla. Au printemps 1956, il prit la tête du commando qui attaqua le cantonnement de Kobus, qui venait de créer une milice dans la région de Zeddine. Il affronta aussi les hommes du bachagha Boualem. Alors qu’il est promu aux fonctions de chef de la zone 3 durant l'été 1957, de grandes opérations furent préparées et exécutées sous ses ordres directs, comme la destruction d'une unité motorisée près de Narbot, l’anéantissement d'une compagnie de cavalerie au nord-ouest de Theniet El-Had et la capture de son chef, l’occupation du village Souk El-Had, un coup de main à Lamartine (Karimia) où une trentaine de militaires furent faits prisonniers. Il dirigea lui-même le bataillon opérationnel de l'Ouarsenis qui tendit une embuscade au convoi circulant sur la route Chlef – Bordj Bounaama, durant lequel deux avions furent abattus. A la mort de Bougara, le 5 mai 1959, il était l’adjoint de Si Salah qui avait pris la direction de la wilaya jusqu’à l’affaire de l’Elysée. En fait, la Wilaya était dirigée de manière collégiale, les hommes ayant fini par former une équipe qui se complétait. Ils faisaient face, dans les années 1959 et 1960, à des LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE épreuves difficiles, qu’ils contournèrent en faisant éclater les troupes en petites unités et en lançant une offensive politique remarquable dans les villes, avec distribution de tracts, de bulletins d’information et de mobilisation. Si Mohamed prit le commandement de la Wilaya IV, en 1960, quand Alger fut confiée à la Wilaya. Il dota la capitale d'un Conseil de zone, la six, qui s’étendait sur une partie du Sahel et de la Mitidja, et y intensifiait le travail politique qui aboutit aux manifestations de décembre 1960. Si Zoubir, de son vrai nom Boualem Rouchaï, officier de la Wilaya IV, mourut lors de ces manifestations. Si Mohamed installa les services de transmissions, de propagande et d'information en plein cœur de la Mitidja, avec un PC à Blida. C'est à partir de là que les grèves et les manifestations de juillet furent préparées et organisées. Du 1er juillet au 5 juillet, des manifestations se déroulèrent de Chlef au Sahel. C’est de là aussi qu’il organisa un transport d'armes de guerre en provenance de l'extérieur, et mit sur pied un réseau de boîtes aux lettres avec le GPRA, via l’Europe. Le 8 août 1961, Si Mohamed et trois compagnons se trouvent dans un ( 71 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Youcef Khatib PC à Blida, dans la ferme des Naïmi, quand ils sont encerclés par des unités d’élite de l’armée française. Quatre hommes de la Wilaya IV tombent dont Si Mohamed. Mohamed Teguia, responsable du service propagande et information, blessé grièvement, est fait prisonnier, avec deux autres militants, membres de la famille qui hébergeait le PC. Youcef Khatib , dit « Si Hassan » : un chirurgien au service de la révolution Il a dirigé la Wilaya IV d'août 1961, date de la mort du commandant Si Mohamed (Djillali Bounaâma), à l'indépendance, en 1962. Ce natif de Chlef, né en 1932, avait rejoint l'ALN en 1956 à la suite de la grève des étudiants décidée par l'Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA), abandonnant ses études de médecine. Youcef Khatib était devenu Si Hassan. Le maquis, il le prit dans sa région, autour d'Orléansville, sur les montagnes boisées de l'Ouarsenis. La Wilaya IV cherchait alors à utiliser les compétences : «Vous faites de la médecine ? Très bien, vous serez médecin.» Brusquement, le jeune étudiant de 22 ans, qui avait à peine observé, de loin, quelques malades à l'hôpital Mustapha derrière ses maîtres, fut appelé à traiter les blessures les plus graves. Sur le tas, il apprit à faire des amputations, à extraire d'une chair meurtrie les balles de l’ennemi. De temps en temps, lorsqu’il avait le temps, il jetait des coups d’œil hâtifs sur les manuels, mais le plus souvent, il travaillait d’instinct, muni de quelques règles qu’on lui avait enseignées et d’un bon sens qu’on acquiert lorsqu’on est obligé de se battre dix, vingt fois par jour pour sauver la vie des autres. Rapidement, Si Hassan monta dans la hiérarchie de la section sanitaire de la Wilaya IV. Responsable d'infirmerie, d'hôpital, chef des services sanitaires de la région, puis de la zone d'Orléansville, actuellement Chlef, enfin, avec le titre de responsable sanitaire de la Wilaya IV qu'il obtint en 1959. Durant cette période marquée par l’opération « Couronne », il a côtoyé les premiers médecins avec lesquels il a mis sur pied le service de santé de la Wilaya IV, dont il devait, plus tard, prendre le commandement avec le grade de colonel pour la diriger d'août 1961 à juillet 1962 à l'indépendance. Devenu commandant, Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . membre du conseil de wilaya, il se lie d'amitié avec Djillali Bounaama (commandant Si Mohamed), dont il assure la succession après son décès le 8 août 1961. Si Hassan a accompli toute sa carrière au sein de l'ALN à l'intérieur du pays. Il a passé six années dans les maquis, faisant le coup de feu, échappant à la mort à de très nombreuses occasions. Blessé plusieurs fois, il en a gardé quelques séquelles, dont la plus visible à l'oreille droite. Il reprend ses études de médecine et se spécialise en chirurgie. Après l’indépendance de l’Algérie, il dira : « Gouverner des hommes ne m'intéresse pas. J'avais un devoir, je l'ai fait en y mettant le meilleur de ce que je possède. Aujourd'hui, nous sommes arrivés au but que nous nous étions fixé. L'Algérie est indépendante. Qu'elle prenne en mains ses responsabilités. Moi, je retourne à ma médecine. » Le focteur Youcef Khatib, préside l’association Mémorial de la Wilaya IV. Une fondation Youcef Khattib a été créée et compte plus de 6000 adhérents. ( 72 ) Par Djamel Belbey Supplément N° 15 - Juillet 2013. Commandement de la Wilaya V historique entre diversité et complexité De g.à dr. : Amar Benaouda, Rachid Mosteghanemi, Colonel Lotfi, Hadj Mohamed Allahoum, Abderrahmane Berouane dit Si Saphar, Colonel Houari Boumediene, Abdelhafid Boussouf Par Imad Kenzi LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 73 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques P lusieurs historiens s’accordent à dire que la gestion militaire et politique de la Wilaya V historique était complexe. Sa grande étendue, selon Mohammed Téguia, ne facilite pas une organisation intérieure forte. Cette Wilaya est la plus vaste d’un point de vue géographique : « Ses frontières Sud au Sahara ne sont pas limitées. Elle partage avec la Wilaya VI le grand désert. Au sud, elle occupe l’Atlas tellien occidental émergeant d’Ouest en Est, les monts des Trara, de Tlemcen, du Tessala, de Draïa ou de Saida, des Béni Chougrane et la partie occidentale des massifs du Dahra et de l’Ouarsenis. Histoire Entre deux atlas, elle contrôle la plus vaste étendue des hautes plaines d’Algérie, constituées d’une vaste nappe alfatière et de la dépression remplie d’eau salée de Chott ech Chergui. Ses villes sont aussi importantes que nombreuses : Oran, capitale de l’ouest, Tlemcen, Mascara, Tiaret, Saida, Frenda, Mecheria, Ain Sefra, El Bayadh (Geryville), Aflou. Son étendue fait qu’elle possède huit zones, après cession d’une partie de son territoire sud à la Wilaya VI. Notons qu’une partie de son territoire frontalier relèvera du commandement des frontières avec la création de la base Ouest et la construction du barrage électrifié. Cette wilaya aura pour elle seule le contact avec le Maroc et les avantages que pro- curent les bases de l’ALN qui y sont installées. » (1) Le premier dirigeant révolutionnaire qui allait donner une assise politico-militaire à cette wilaya fut incontestablement Larbi Ben M’Hidi. En effet, après la décision prise par les « Six historiques » de répartir le territoire algérien en six zones lors de la réunion de la Pointe Pescade à Alger, le 24 octobre 1954, Larbi Ben M’Hidi à qui revenait la responsabilité de la Zone V (l’Oranie) future Wilaya V avait vite formé un groupe autour de lui pour déclencher et organiser les opérations et les actions dans cette région. Il avait comme adjoints Abdelhafid Boussouf, (1) Mohamed Téguia, L’Algérie en guerre, OPU, 2007 4 5 2 6 1 3 Debout de g. à dr.: Si Saleh Nehari, Colonel Abdelhamid Latréche, Si Saphar Berrouane Abderrahmene, Capitaine Si Zoubir, Rachid Mosteghanemi, Boudaoud Mansour, Colonel Si Amar Benaouda, Si Hocine Kadiri, Abdelhafid Boussouf dit si mebrouk, Abdelmadjid Benkedadra, Tebal Hadjadj Mahfoud, Si Boulfouateh, Chengueriha Abdelkader. Accroupis : 1- Abdelaziz Bouteflika dit Commandant Abdelkader. 2- Colonel Ali Kkafi. 3- Houari Boumediene. 4- Nacer Bouizem. 5- Commandant Mohamed Rouai dit El-Hadj Tewfik. 6- El-Hadj Mohamed Allahoum. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 74 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Ramdane Benabdelmalek et El Hadj Benalla. Natif d’Ain M’lila, Ben M’Hidi avait forgé son militantisme au sein du PPA/MTLD. Cadre de l’organisation paramilitaire de ce parti, l’OS, il avait pratiquement précédé tous ses compagnons sur la scène politique. Son sang-froid et sa ferme conviction dans la nécessité de passer à la lutte armée ont fait de lui un dirigeant hors pair. Lorsqu’il avait pris la tête de la Zone V, il était confronté dès le départ à l’épineux problème d’armement. Lui-même, en tant que responsable de zone, n’avait à l’époque qu’un 7,65. L’Oranie d’une manière générale ne disposait en tout au début de la guerre de libération nationale que d’une dizaine d’armes de guerre. Durant les premières heures de la révolution, Larbi Ben M’Hidi avait perdu un adjoint de poids en la personne de Ramdane Benabdelmalek, tué près de Cassaigne, à Bosquet, qui prendra son nom après l’Indépendance, devenant ainsi le premier martyr militaire de la révolution. Benabdelmalek était un ancien membre de l’OS, et il avait participé à Clos Salembier à la réunion des « 22 », avant de devenir adjoint de Larbi Ben M’Hidi. Ramdane Benabdelmalek n’avait pas d’arme de guerre comme d’ailleurs la majorité des combattants qui s’étaient engagés dans cette région dès le 1er Novembre 1954. Ainsi, le manque d’armes de guerre qui pénalisait l’action des combattants de l’ALN dans l’Oranie, fut dès le départ la préoccupation majeure de Ben M’Hidi qui n’avait pas néanmoins abandonné sa mission d’étendre le dispositif militaire de cette région à travers des LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE opérations de structuration, d’encadrement et de coordination. Il faut dire que le premier PC ou base organique et logistique du FLN/ALN de l’Ouest algérien, Zone V (Wilaya V), était installé à Nador, région marocaine sous souveraineté espagnole. Parmi les membres d’état-major politico-militaire de l’Oranie installés au PC de Nador, on peut citer : Larbi Ben M’Hidi, Hocine Gadiri, Abdelhafid Boussouf, Missoum El Hansali, Ahmed Mestghanemi, Hocine Fertas, Hadj Ben Alla et Lotfi. Cette base avait été mise en place avant l’indépendance du Maroc. En 1957, le PC du FLN/ALN de l’Oranie fut transféré à Oujda. Par ailleurs, pour répondre à l’exigence des nouvelles forces combattantes de cette Wilaya dont les besoins de la logistique étaient précis et urgents, Ben M’Hidi et Mohamed Boudiaf se déplaçaient entre Nador, Madrid et Le Caire à la recherche des armes pour alimenter les maquis naissants. Toujours dans le cadre de cette quête incessante d’armes, Larbi Ben M’Hidi envoya un émissaire, Si Mustapha, à Madrid pour justement organiser et structurer le service d’achat et de récupération d’armes et de munitions. Un service qui ne tarda pas à élargir les canaux d’approvisionnement de la Wilaya V. En juillet 1955, cet émissaire avait été mis en contact, par l’entremise d’Ahmed Ben Bella, avec l’attaché militaire d’Egypte à Madrid. Cette rencontre était fructueuse dans la mesure où Si Mustapha avait pris connaissance d’une livraison d’armes et de munitions destinées à l’Oranie. Un navire de plaisance appartenant à la reine ( 75 ) de Jordanie, le « Dina », fut mobilisé le 1er octobre 1955, pour l’acheminement de cette marchandise. C’était à Capo Agua que les armes furent réceptionnées, en présence de Mohamed Boudiaf et de Hadj Ben Alla, adjoint de Ben M’hidi. En tout, une quantité de treize tonnes de pièces de guerre furent remises aux combattants de l’ALN. Le « Dina » transporta également un groupe d’étudiants algériens qui étaient au Caire, venus renforcer ainsi les rangs de l’ALN. Parmi ces volontaires du groupe un certain Mohamed Boukharouba, devenu plus tard le colonel Houari Boumediene qui avait eu d’ailleurs à assumer la responsabilité du commandement de la Wilaya V. Les armes du « Dina » ont permis d’ouvrir d’une manière effective un front de lutte dans l’Oranie. Après le congrès de la Soummam, la Wilaya V avait connu une importante restructuration. Selon Mohamed Guentari, cette wilaya avait été repartie en sept secteurs distincts qu’il énumère comme suit : Secteur 1 : il englobe les régions de Ghazaouet, de Port-Say, de Fella Ousen jusqu’à la côte marocaine. Ahmed Mestghanemi dit Rachid était désigné responsable de ce secteur. Secteur 2 : il regroupe les régions de Sidi Ouchaa, Honaine, Souk Larbaa. Il était commandé par Abdelkader Chennoufi. Secteur 3 : Sidi Sofiane, Oualhassa Souk El-Khmis, Arima. Ce secteur était sous la responsabilité de Boussif. Secteur 4 : ce secteur s’étendait de la ligne frontalière marocaine jusqu’à www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire l’Aricha, englobant ainsi Béni-Ouassine, Béni-Boussaid, Béni-Snouss et Ouled Nehar. Son responsable était Maatache Mohamed dit Jabeur. Secteur 5 : Hammam Boughrara, Laourit, Sidi-Abdelli, Ben Sakran et Remchi. Il était commandé par Mokhtar. Secteur 6 : Il comprenait une partie de Sbdou, la route liant Laricha à Sebdou, Mechria, Aricha, Sidi Snoussi jusqu’au nord de Sidi-Bel-Abbès. Il était sous la responsabilité de Feradj. Secteur 7 : Ain Sefra, Bechar, Adrar, Tindouf, jusqu’aux frontières mauritaniennes. Il était commandé par Ben Joudi Cheikh puis Belaid Ahmed dit Ferhat. A partir de 1956, Larbi Ben M’Hidi confia l’intérim de la Wilaya V, à Abdelhafid Boussouf avant de rentrer à Alger où il avait été arrêté par les parachutistes du colonel Bigeard en février 1957. Le 3 mars 1957, Larbi Ben M’Hidi est assassiné. Les officiers de l’armée coloniale avaient alors tenté de maquiller son assassinat par un suicide. Larbi Ben M’Hidi décède sans avoir donné de renseignements à l’adversaire dont il force l’admiration. Après la mort brutale de Larbi Ben M’Hidi, Abdelhafid Boussouf avec le grade de colonel lui succéda à la tête de la Wilaya V. Le PC de cette Wilaya sous la responsabilité de Boussouf fut installé à Oujda. Il regroupait autour de Boussouf, Houari Boumediene, Si Djillali, Mestghanemi Ahmed, Mustapha Fertas, Mataachi Mohamed et Hocine Gadiri. Natif de Mila, Abdelhafid Boussouf avait adhéré dès son jeune âge au PPA/MTLD où il avait connu d’ailleurs Boudiaf, Ben M’Hidi et Bentobal. Membre actif de l’OS, Boussouf entra dans la clandestinité après le démantèlement de cette organisation paramilitaire au printemps 1950. Membre fondateur du CRUA, il avait été parmi ceux qui avaient organisé la réunion des « 22 ». Il fut l’un des artisans de la création du réseau des transmissions et renseignements dans cette Wilaya qu’il dirigea dans une conjoncture très difficile. Conjoncture qui était marquée notamment par la construction des lignes électrifiées et minées le long des frontières Est et Ouest. La longueur de la ligne ouest atteint 750 km de barbelés, c’est en fait, non pas une seule ligne, mais trois ou quatre lignes parallèles, selon le cas. Ces lignes étaient renforcées considérablement dans les points névralgiques des Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . deux atlas tellien et saharien. Cette ligne de la mort a considérablement entravé les mouvements des unités de l’ALN de l’Oranie. Néanmoins, les responsables de cette Wilaya n’étaient nullement découragés. Ils organisaient des opérations militaires après avoir ouvert des brèches dans ces lignes électrifiées. En 1958, appelé à occuper le poste de ministre de l’Armement et Liaisons générales (MALG) au sein du GPRA, Boussouf céda le commandement de la Wilaya V à son adjoint Houari Boumediene, nommé colonel en avril 1958. Incontestablement, le nom de Boussouf est associé à la création de l’appareil de renseignement et de communication ainsi que la formation des cadres dans le domaine. Avant d’occuper le poste de commandant de la Wilaya V, Houari Boumediene s’était fait remarquer comme un militant assidu de la base d’Oujda. Il avait d’abord travaillé avec Boussouf du temps où ce dernier était lieutenant de Ben M’hidi. Houari Boumediene avait poursuivi le travail de structuration et d’organisation de la Wilaya V à partir du PC d’Oujda avant d’être nommé chef du Commandement opérationnel de l’Ouest (COM) en 1959. Très vite, Boumediene avait de nouveau été promu pour être à la tête de l’Etat-major de l’ALN nouvellement créé. Et à son tour, il quitta le commandement de la Wilaya V que dirigea ensuite son adjoint le colonel Benali Deghine Boudghane, connu sous son nom de guerre Lotfi. Ce natif de Tlemcen avait rejoint les rangs de l’ALN en 1955 à Maghnia. Il avait eu à collaborer d’abord, en tant que secrétaire, avec le capitaine Djaber, chef de la section 4, avant d’être affecté par Boussouf à la section 3 de la ville de Tlemcen. Mais c’était dans la région de Bechar que Lotfi s’imposa comme un dirigeant de la révolution. Une région qu’il dirigea d’ailleurs en 1957 avec le grade de capitaine. Ensuite, il fut nommé membre du commandement de la Wilaya V avant de devenir commandant de cette Wilaya avec le grade de colonel. Le colonel Lotfi fut tué au combat dans la région de Bechar le 29 mars 1960 alors qu’il tentait de traverser la frontière avec un groupe de djounoud de l’ALN. Et à partir de cette date, le commandement Wilaya V avait été dirigé par le colonel Benhaddou Bouhadjar dit Si Othmane et ce jusqu’à l’indépendance de l’Algérie. ( 76 ) Imad Kenzi Supplément N° 15 - Juillet 2013. Wilaya VI D’Ali Mellah à Si El-Haouès : batailles sur tous les fronts Par Djamel Belbey LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 77 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques L a Wilaya VI a connu de prestigieux chefs militaires. Ce fut d’abord le colonel Ali Mellah (Si-Chérif), puis, remplacé en 1957 à la suite de son assassinat, par le colonel Ahmed Benabderrazak, (Si El-Haouès), tombé au champ d’honneur en compagnie du colonel Amirouche, le 29 mars 1959 à Djebel Thameur près de Bou Saâda et enfin le jeune colonel Mohamed Chaâbani. Cette région a aussi connu l’ouverture d’un autre front militaire sous le nom de « Front du Mali », confié à un groupe d’officiers parmi les plus compétents à l’instar de Abdallah Belhouchet, Mohamed Chérif Messaâdia, Ahmed Draia et Abdelaziz Bouteflika dit « Si Abdelkader ». Ces chefs historiques, dont la qualité est reconnue y compris par l’ennemi, ont dû faire face, en sus des difficultés géographiques et topographiques de la région, constituée de vaste étendues désertiques au climat rigoureux, en comparaison avec un faible peuplement et Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Histoire Combattants de la Wilaya VI de financement, aux maquis des traîtres à la nation Kobus et Bellounis et aux manœuvres et complots coloniaux pour séparer le Sahara du reste de l’Algérie. Dans cette wilaya, les tentatives d’organiser la révolution remontent ( 78 ) à mars 1956, lorsque sur ordre des responsables du FLN, notamment Mustapha Benboulaïd et Si Ziane Achour, Mohamed Djeghaba et Meziane Sandel ont entrepris des contacts avec les populations du sud, de Oued M’Zab, jusqu’à Ain Supplément N° 15 - Juillet 2013. Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Salah en vue d’organiser la population, de rassembler des armes et de former des commandos. Un autre groupe, sous le commandement de Mohamed Rouina, envoyé dans la région, a réussi à mettre sur pied une compagnie de combattants qui a eu recours aux actions de commandos pour venir à bout des problèmes qui ont limité l’implantation des unités de l’ALN dans cette région. Mellah Ali (dit, Si-Chérif) Le premier chef historique désigné lors du congrès de la Soummam 1956 est Ali Mellah. Natif de Kabylie, ce militant du PPA a d’abord, en tant que responsable de la basse Kabylie, participé au déclenchement de la guerre de libération du 1er novembre 1954. Il dirigea les troupes de l'ALN, au printemps 1955 dans la région Bou Saâda-Djelfa. Délégué de la zone Sud au congrès de la Soummam, Ali Mellah est désigné membre du CNRA chargé de la Wilaya VI (Sahara) sous le nom de « Si Cherif » dans le Sud algérien en mars 1957. Cela eut lieu dans une conjoncture marquée par d’importants changements pour les régions sahariennes. Ainsi, le 10 janvier 1957 vit la création d’une Organisation commune des régions sahariennes (OCRS), ayant pour mission de réglementer, de diriger et de contrôler les politiques tendant à « la mise en valeur, au développement économique et à la promotion sociale » de ces zones désertiques. Le 13 juin, un ministère du Sahara, fut créé et confié à un ministre en l’occurrence Max Lejeune, qui exerçait en outre les fonctions de délégué général de l’OCRS. Puis le 7 août 1957, les quatre « Territoires du Sud Algérien », jusque-là toujours considérés « territoires militaires », furent érigés en deux départements sahariens des « Oasis » et de la « Saoura », entités administratives identiques aux départements métropolitains. Cette institutionnalisation du Sahara visait à assurer l’intégration du Sahara à la suite du déclenchement de la révolution armée. En août 1957, Ali Mellah est assassiné sur ordre de Cherif Saïdi, un ancien sergent de l'armée française en Indochine, qu’il a luimême nommé pour combattre sous ses ordres, et qui refusait tout responsable non originaire du Sud. Un meurtre qui traduit « les résurgences d'attitudes régionalistes ou tribales liées à ce manque de liaison et d'échanges entre wilayas de l'intérieur », comme le décrit M. Téguia. Abderrahmane Mira est alors envoyé en Wilaya VI après la mort de Si Cherif et nommé commandant, mais pour une courte durée. Ab- Ali Mellah LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE derrahmane Mira dut faire face au cours de l'été 1959 à une réaction de jeunes officiers au moment où s'abat sur la Kabylie le plan Challe. Infatigable, dur pour lui-même comme pour ses hommes, Abderrahmane Mira est tué au combat le 6 novembre 1959, au nord d'Akbou, à la tête de ses commandos. Ahmed Ben Abderrazak, dit « Si El-Haouès » Au début de l’année 1958, le CCE a décidé la réorganisation de la Wilaya VI, dont la responsabilité a été confiée à si El-Haouès, de son vrai nom Ahmed Ben Abderrazak. Le nouveau commandement de la Wilaya VI, avait pour mission de contrecarrer les manœuvres et complots coloniaux pour séparer le Sahara du reste de l’Algérie. Un objectif qui avait été largement atteint. L’état-major de la Wilaya VI était constitué d’hommes de valeurs, dont Amor Driss, qui commandait déjà en 1956 2000 hommes dans les régions de Djelfa et de Laghouat. L’adoption de la méthode de guérilla a ainsi porté ses fruits Si El-Haouès ( 79 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire comme le montrent les batailles à l’instar de celle de Metlili, ou les nombreuses attaques menées par l’ALN à djebel Maimouna au sud de Bou-Saâda, ou encore celle de Gerdache dans les environs de Touggourt, le 28 octobre 1958. Il y eut également les batailles des monts d’El Gaada, d’el Karma et Geuribaâ, les 17 et 18 septembre 1961, batailles qui se sont étendues jusqu’aux monts de l’atlas saharien, sans omettre de citer la bataille de djebel Thameur, durant laquelle les colonels Amirouche et Si El Houes tombèrent au champ d’honneur. D’autres batailles et accrochages, ayant causé d’énormes pertes à l’ennemi, ont également eu lieu à djebel Menaâ entre Djelfa et Bou Saâda. Nommé en avril 1958 commandant de la Wilaya VI (Sahara), Si ElHaouès, originaire de Khenchela, installe son PC dans la région des oasis, qui comprend Ouled Djellal, Touggourt, Ghardaïa, Ouargla. Il s’est vu confier en même temps l’ouverture d’un autre front militaire sous le nom de « Front du Mali », confié à un groupe d’officiers parmi les plus compétents à l’instar de Abdallah Belhouchet, Mohamed Chérif Messaâdia, Ahmed Draia et Abdelaziz Bouteflika dit « Si Abdelkader ». Il avait été chargé d’organiser l’action militaire contre les intérêts militaires dans cette zone. Il s'attaque avec succès, à l'aide des wilayas limitrophes, aux troupes de Bellounis. Ce sont les commandos de la Wilaya IV qui ont réussi à noyau- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Colonel Chaâbani ter son armée et fini par l’exécuter. Il étend ensuite l'implantation du FLN de Biskra aux Ouled Nail, puis au djebel Amor et aux Monts Ksour. Si El-Haouès réussit à réaliser la jonction avec les groupes installés à la frontière marocaine. Il participe à la rencontre interwilayas « dite des colonels de l’intérieur », convoquée par Ami- ( 80 ) rouche du 6 au 12 décembre 1958 dans la région d'El Milia. Il proteste contre l’isolement, le manque d'armes et décide avec Amirouche de se rendre à Tunis. Ils meurent tous deux dans une embuscade tendue par les troupes françaises à Bou-Saada le 28 mars 1959. Djamel Belbey Supplément N° 15 - Juillet 2013. Bougacemi, dit Tayeb El-Djoghlali le maître d’école coranique devenu chef de guerre Par Djamel Belbey LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 81 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques L e chahid ElDjoughlali était un maître d’école coranique devenu chef de guerre dans la Wilaya IV. Il est né en 1916 à Ouled Torki, dans la fraction des Beni Bouyagoub, relevant de l’ex-commune de Champlain, devenue aujourd’hui El Omaria. Il est aussi l’un des pionniers du FLN-ALN dans l'Atlas blidéen et le Titteri. Il intégra le Mouvement national, en 1937, pour se voir confier des responsabilités au niveau local : créer et animer des sections dans la région de Médéa, Omaria, Berrouaghia et toute la région à l’est de la capitale du Titteri. Cet engagement politique ne tarda pas à lui valoir des démêlés avec l’administration coloniale qui l’emprisonna, en 1947, pendant quatre ans. Mais à peine libéré, il renoua avec l’action politique avant d’être emprisonné de nouveau dans les geôles coloniales où il dut subir les pires atrocités. Au déclenchement de la guerre de Libération nationale, le FLN le chargea de collecter de l’argent et des armes et d’organiser des opérations de mobilisation des citoyens pour la cause nationale. Au lendemain du congrès de la Soummam, en août 1956, Si Tayeb El-Djoughlali est désigné à la tête de la zone deux de la Wilaya IV. Ses qualités lui ont valu d’être l'un des hommes sur lesquels comptera plus tard Si M'Hamed Bougara, pour Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Histoire prendre en charge la réorganisation de la Wilaya VI, qui connaît de sérieux problèmes à la suite de l'affaire Bensaïdi. Avec la présence des troupes de Bellounis, la région connaît de sérieux remous. Si Tayeb s'y rend, en compagnie d’Abderrahmane Menguellati. En route pour la Wilaya VI, pour rejoindre le lieu de sa nouvelle affectation, il fut pris dans une embuscade près de la commune de Had s’Hari (wilaya de Djelfa), dans le djebel Ghaïgaa dans la Wilaya IV, au cours de laquelle il trouva la mort le 29 juillet 1959 en compagnie du commandant Si Mahmoud Bachène et treize autres moudjahidine. Colonel El-Djoghlali dans l'armée de libération nationale (ALN) auprès d’Ahmed Ben Abderezzak Hamouda (Si El-Haouès). En 1958, il devient chef de la région III de la Wilaya VI. En 1961, le gouvernement provisoire (GPRA) le confirme dans son grade de colonel et lui confie après l'indépendance la responsabilité de la 4e région militaire de Biskra. Colonel Chaâbani : le Mohamed Chaâbani prend posiplus jeune colonel de la tion contre le régime de Ben Bella et participe à une révolte des Wilayas. révolution En 1964 Ben Bella l’accuse alors de C’est incontestablement le plus complot contre le FLN. Le colojeune colonel qu'a connu l'Algérie nel Chaâbani est arrêté le 8 juillet durant et après la guerre de libéra1964, à Bou-Saâda, conduit à Alger tion. Il remplace, en juillet 1959, Si puis transféré à la prison militaire El-Haouès (mort 3 mois plus tôt d'Oran. Une cour martiale est spéface à l’ennemi) à la tête de la Wi- cialement créée par Ben Bella le 28 laya VI, pendant les trois dernières juillet 1964. Le colonel Chaâbani est années de la guerre de Libération. Il jugé le 2 septembre 1964, condamné n’a jamais voulu, sans doute par mo- à mort et exécuté le 3 septembre destie naturelle, arborer l’insigne du 1964. grade de colonel que lui confère le Le 24 octobre 1984, le colonel GPRA en 1961. Il mène des actions Mohamed Chaâbani est réhabilité contre l'armée française dans le sud par décret présidentiel. Son nom est de l'Algérie. Ce natif de Biskra, le 4 inscrit sur le fronton de l'université septembre 1934, s’est vu contraint, et est donné à une artère principale après la grève des étudiants de 1956, de la ville de Biskra. Par Djamel Belbey d’arrêter ses études pour s'engager ( 82 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Wilaya VII LA REVOLUTION S'IMPLANTE AU COEUR DE LA FRANCE Par Boualem Touarigt LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 83 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques L ’émigration algérienne a joué un rôle décisif dans le mouvement national algérien. C’est en son sein qu’est née la revendication politique à l’indépendance dans ses formes modernes. Jusqu’au début du XXe siècle, la lutte anticoloniale avait pris des formes souvent violentes est spontanées, avec le plus souvent un caractère paysan et insurrectionnel. Après la Première Guerre mondiale, les élites algériennes locales s’engagent dans les luttes politiques. Le mouvement national indépendantiste à base populaire prend forme au sein de l’émigration algérienne en France. Contrairement au mouvement des élites algériennes, tel le « Mouvement Jeune algérien », qui réclamait l’égalité des droits au sein d’une France multiconfessionnelle, l’émigration est très tôt sensibilisée à la revendication indépendantiste. En 1919, l’émir Khaled, petit-fils de Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Histoire Manifestations du 17 octobre 1961 l’émir Abdelkader saisit le président américain Wodrow Wilson qui avait affirmé le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et il adresse une requête à la Société des Nations. Ces conférences de juillet 1924 furent largement suivies et eurent un grand écho au sein de l’émigration. En 1919, il fonda le journal Ikdam et dont il fut le directeur politique. ( 84 ) Il est définitivement exilé en Syrie en 1926 où il décéda dix années plus tard. C’est lui qui influença la création de l’Etoile Nord Africaine, née dans la mouvance communiste, et qui affirma progressivement une revendication nationale autonome. Elle publia un organe qui reprit le nom utilisé par l’émir Khaled : Iqdam en 1926 puis Iqdam nord Supplément N° 15 - Juillet 2013. Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire africain en 1927. L’Etoile Nord Africaine est dissoute une première fois le 20 novembre 1929 par le tribunal de la Seine et définitivement le 26 janvier 1937 à cause de se positions radicales condamnant les propositions du Front populaire sur l’Algérie. Le 11 mars 1937, est créé par Messali Hadj le Parti du peuple algérien (PPA). Le 20 octobre 1946, les militants de ce mouvement qui avait été interdit constituèrent le Mouvement pour le Triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Le mouvement national indépendantiste à caractère populaire s’installa en Algérie. L’émigration a été un lieu de bouillonnement des idées révolutionnaires et un creuset d’où sortirent beaucoup de militants de la cause de l’indépendance. Quand le mouvement de libération nationale prit ses formes modernes de lutte et entra dans la révolte armée, l’organisation politique de l’émigration joua un rôle décisif. Les militants du FLN organisèrent le soutien politique et matériel à la révolution et se lancèrent aussi dans l’action armée directe. Ils se heurtèrent à des opposants issus aussi du MTLD et attachés à la personne de l’ancien leader du mouvement, Messali Hadj. La scission du MTLD entre fidèles de Messali et partisans du comité central laissa de profondes traces et fut à l’origine d’affrontements parfois meurtriers. A la veille de la scission, la direction du comité fédéral dirigé par Moussa Boulekaroua comprenait Mohamed Boudiaf chargé de l’organisation avec Mourad Didouche comme adjoint, et aussi M’hamed Mohamed Lebjaoui Yazid, dit Zoubir, et Tayeb Boulahrouf. La scission est consommée définitivement par le congrès organisé par les militants messa- listes le 13 juillet 1954 à Hornu en Belgique. Les partisans du comité central répondent par le congrès de Belcourt d’août 1954. La révolution était en marche et Boudiaf et Didouche s’occupaient avec d’autres révolutionnaires à lancer le FLN. Messali récupéra la grande majorité des militants du MTLD de France. Une minorité restreinte suivit les radicaux et constitua les premiers groupes FLN au sein de l’émigration. C’est à Mourad Terbouche, alors responsable local à Nancy, que Boudiaf confia le soin d’organiser le FLN en France. Des groupes se constituent dans différentes régions de France. Autour de Terbouche il y a Ali Mahsas qui quitta la France pour fuir les recherches policières, Ahmed Doum et Abderrahmane En haut, à gauche : Omar Boudaoud, au centre : Abdelkrim Souici, à droite : Ali Haroun ci-dessous à gauche : Kaddour Ladlani, à droite : Said Bouaziz. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 85 ) www.memoria.dz Tous les chefs des Wilayas historiques Histoire Guerras. Mourad Terbouche est arrêté en avril 1955. En mai 1955, se met en place une direction collective de quatre membres, coiffant les quatre grandes régions : Mohamed Mechati, qui participa à la réunion dite « des vingt-deux » au Clos Salembier, s’occupa de la région Est, Ahmed Doum de la région parisienne, Abderrahmane Guerras de Lyon et Marseille, Nouredine Bensalem du Nord. La direction est collégiale, chaque région disposant d’une quasi-totale autonomie, sans instance centrale unique. Chaque responsable va s’attacher au début de 1955 à mener, souvent au péril de sa vie, un long travail d’explication pour faire connaître le FLN au sein des milieux de l’émigration algérienne. Ils se heurtent à l’opposition violente des éléments restés fidèles à Messali. Progressivement, les militants du FLN élargissent leur audience, prouvant patiemment que c’est leur tendance qui a engagé la guerre de libération. Ce groupe de quatre dirigeants restera de longs mois sans contact avec la direction du FLN, représentée par ses deux instances : la Délégation extérieure du Caire, représentée par Khider, Aït Ahmed et Ben Bella, et le groupe d’Alger dirigé par Abane Ramdane qui désigna Salah Louanchi comme représentant à Paris. Celui-ci rejoint le comité des quatre au sein de la direction collégiale, prenant en charge la propagande et l’information. La direction passe alors à huit membres avec la cooptation de Tayeb Boulahrouf, Ahmed Taleb et Hocine Moundji. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Durant l’été 1956, la fédération est décapitée : Mechati, Bensalem et Guerras sont arrêtés. Ahmed Doum, le dernier de quatre premiers chefs assume la coordination, aidé dans sa tâche par des cadres locaux qui tiennent bien en mains l’organisation dans les provinces et mettent fin à quelques tentatives isolées de coups de force locaux. Après le détournement de l’avion transportant les dirigeants extérieurs du FLN, le CCE, mis en place par le congrès de la Soummam, est le seul organe de direction. Abdelmalek Temmam est envoyé à Paris pour expliquer les textes de la Soummam qui deviennent la seule référence idéologique. Après l’arrestation de Doum le 17 novembre 1956, Salah Louanchi est le seul à assumer la coordination des activités de la fédération. A la fin du mois de décembre 1956, le CCE désigne un nouveau responsable, Mohamed Lebjaoui. La direction de la fédération se charge d’organiser la grève des huit jours qui aura un succès retentissant. Les dirigeants sont la cible des services de sécurité. A la fin du mois de février 1957, sont arrêtés Mohamed Lebjaoui, Ahmed Taleb, Sid Ali Mebarek, Salah Louanchi. Tayeb Boulahrouf prend alors la tête d’un comité provisoire comprenant notamment Ahmed Boumendjel, Kaddour Ladlani, Abdelkrim Souici. Cette structure continuera le travail entamé. Désormais, le FLN a affirmé sa position au sein de l’émigration et dirige une organisation de plus de vingt mille militants qui assurent un important soutien financier à la révolution. ( 86 ) Lors de sa réunion du 10 juin 1957, le CCE désigne Omar Boudaoud, alors en charge d’importantes responsabilités dans les services de logistique du FLN au Maroc, à la tête de la fédération de France. En même temp,s Tayeb Boulahrouf, en charge du comité provisoire, et Ahmed Boumendjel, membre du comité, sont appelés par la délégation extérieure dirigée par Lamine Debaghine. D’autres cadres les suivront dont Messaoud Guerroudj et Mohamed Harbi. Omar Boudaoud constitue le nouveau comité fédéral. Saïd Bouaziz, ancien officier de l’ALN dans la Wilaya IV, prend l’action directe, l’organisation spéciale et le renseignement. Kaddour Ladlani, ancien des cellules du MTLD de Belcourt, s’occupera de l’organisation, tâche à laquelle il a été désigné par Lebjaoui en décembre 1956. Abdelkrim Souici, ancien du MTLD de Annaba, est, en avril 1955, responsable adjoint de la région parisienne. Il réussit la première opération d’acquisition d’armes au profit de la fédération de France où se fit remarquer Mohamed Slim Ryad dans un service où exerça aussi Bachir Boumaza. Omar Boudaoud lui confie la charge d’assurer la collecte et l’acheminement des finances. Ali Haroun, lui aussi venant de l’organisation FLN du Maroc, se voit confier la presse et le soutien aux détenus. Le CCE ratifie la composition de ce comité fédéral qui conduira les affaires de la Fédération de France jusqu’à l’indépendance. Boualem Tourigt Supplément N° 15 - Juillet 2013. Moment de grande émotion à travers l’Algérie en ce mois de juin Ahmed Zabana et Abdelk ader Ferradj revisités Abdelkader Ferradj Ahmed Zabana Par Leila Boukli Guerre de libération I Histoire l y a 57 ans, étaient guillotinés Ahmed Zabana et Abdelkader Farradj à quelques minutes d’intervalle. Ils seront les premiers d’une liste de quelque 218 noms, à tomber face à l’ignominie et à la sauvagerie, dont à fait montre l’administration française durant la guerre de libération. Cette date du 19 juin 1956, consacrée par l’Association nationale des anciens condamnés à mort 1954-1962, comme journée nationale des 218 condamnés à mort guillotinés par la France coloniale, a été l’occasion d’émouvantes retrouvailles à la prison de Serkadji d’Alger le 18 juin, mais aussi la veille à Bouira, le 19 à Oran , le 20 à Tlemcen… Il s’agit de se souvenir de ceux qui ont perdu la vie de cette manière atroce mais aussi de faire sortir de l’anonymat, les condamnés qui ont échappé à la guillotine qui dépasserait le chiffre de 1.800 et dont hélas beaucoup ne sont plus là, dira Mostefa Boudina, président de l’Association nationale des anciens condamnés à mort, dont il a fait parti. L’émotion était forte parmi les présents à cette commémoration. Nombreux étaient ceux qui n’ont pu retenir leurs larmes, se remémorant les moments passés dans ce lieu sinistre et plein de symboles glorieux à la fois. Djamila Bouhired, présente, n’y a pas mis les pieds depuis plus de 50 ans ; Mustapha Fettal, trois fois condamné, élu par ses pairs, responsable du groupe en cellule, ou encore de Aït Oudia Ali, dit Ali l’allemani et de tant d’autres, Ahmed Zabana qui ont vécu dans le couloir de la mort et qui gardent encore et pour toujours en mémoire les cris de « Allah Ou Akbar » et de « Tahia el Djazair » des suppliciés. Les familles, épouses, sœurs, enfants et parfois petits-fils étaient là, tout comme plus tard dans la mati- L'ancienne prison civile dite Serkadji ou Barberousse Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 88 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Guerre de libération Histoire Badji Mohamed à Serkadji devant la guillotine année 1970 née au cercle des Moudjahidine où face à une assemblée de jeunes venu(e)s spécialement de Médéa, une conférence ayant pour thème : « Message des martyrs aux nouvelles générations » a été donnée par le président de l’Association. Après quoi, certaines familles de condamnés ont été honorées. Celles des martyrs : Abderrahmane Kab, Abderrahmane Gherbi, Saïd Badji, Mokhtar Bouchafa.A noter que Mustapha Bettal et Djamila Bouazza ont aussi été honorés ce jour. Pour beaucoup, cette prison est une terre sacrée, devenue à leur corps défendant, prison Sarkadji pour détenues de droits communs. Un musée national, au nom d’Ahmed Zabana, serait pour eux une bénédiction, un hymne au courage, au symbole de l’abnégation envers la patrie, pour le plus prémédité des meurtres, l’exécution capitale par guillotine. Sachez pour la petite histoire que cette prison, construite entre 1849 ou 1852, appelée « Prison civile » par les Français puis Barberousse et Serkadji pour les musulmans, porte ce nom pour avoir été mitoyenne à Dar Sirkedji, maison du Vinaigrier : fabricant et marchand de vinaigre en raison de l’existence dans un bâtiment attenant d’un entrepôt de vinaigre appartenant au beylik, dans une rue qui devient plus tard la rue Salluste. Sans commentaire ! Leila Boukli LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE La prison de Serkadji aujourd'hui ( 89 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Une liste partielle des Algériens condamnés à mort Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 92 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Lorsque le remodelage du passé à l’image du présent devient chose courante Les raisons qui ont poussé, en novembre 1974, Mohamed Boudiaf, alors président du Parti de la révolution socialiste (PRS), à sortir de sa réserve pour vouer aux gémonies ceux-là mêmes qui ont écrit, et continuent de le faire en déformant par intérêt ou par ignorance les faits, en attribuant à des gens des rôles qu’ils n’ont pas joués, idéalisant certaines situations, et passant d’autres sous silence, refaisant l’Histoire après coup, sont multiples. Par Abdelhakim Meziani Guerre de libération L a réaction de l’un des principaux artisans de la Révolution nationale du 1er Novembre 1954 était des plus justifiées. Elle faisait remarquer, non sans pertinence, que le résultat le plus clair de ces manipulations est d’entraîner une méconnaissance d’un passé pourtant récent chez les millions de jeunes Algériens qui n’ont pas vécu cette période et qui sont pourtant avides d’en connaître les moindres détails. Sans réaction aucune de la famille révolutionnaire, certaines déclarations et/ ou publications continuent de donner dans l’approximation et de contribuer à la falsification de l’Histoire, donnant même l’impression de régler de vieux comptes avec ceux qui n’ont jamais cru en un avenir de l’Algérie dans Histoire le cadre d’une union avec la France, en d’autres termes avec ceux qui ont été les artisans de l’étincelle qui mit le feu, le 1er Novembre 1954 sous la direction du FLN, à toute la plaine. Mais là où le bât blesse douloureusement, c’est lorsque quelques planqués de l’Histoire utilisent des martyrs de la cause nationale pour s’attaquer aux fondements mêmes du raffermissement du sentiment national, je veux parler de l’Islam et du rôle mobilisateur qu’il a joué dans l’émancipation plurielle de tout un peuple. Utilisant la mémoire du chahid Taleb Abderrahmane, à l’occasion de la commémoration de l’anniversaire de sa mort, certains esprits chagrins, allant vite en besogne, avaient soutenu que le défunt aurait invité l’imam qui venait lui lire la Fatiha d’aller plutôt prendre les armes pour libérer son pays… Taleb Abderahmane C’était le 24 février 1958 alors que l’imam dont il est question, cheikh Tahar Meziani, est tombé au champ d’honneur… le 4 juin 1957... Après un séjour incroyable à la morgue de Saint-Eugène, il ne sera enterré que huit jours après au cimetière d’El Kettar à 10 heures du matin, sans que Les dirigeants du FLN Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 94 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Guerre de libération Histoire Cheikh Tahar Meziani pas faire l’impasse sur la Fatiha, militant qu’il était du FLN dont il partageait les idées émancipatrices de progrès et ce merveilleux héritage qu’est l’Islam insurgé. Des exterminateurs systématiques du culte musulman et des populations qui le professent sa dépouille soit rendue à sa famille… en présence d’un dispositif sécuritaire indescriptible et d’un quadrillage de la Casbah particulièrement sévère… Cela n’a pas empêché pour autant une grève générale décrétée par les commerçants de la médina dont les magasins ont été saccagés par la soldatesque coloniale et une grève de la faim scrupuleusement suivie par les condamnés à mort. Défenestré du 2e étage du Palais Klein, lieu sinistre particulièrement connu à la Casbah d’Alger, cheikh Tahar avait sur instruction du FLN succédé, en 1955, au muphti Baba Amer dans sa mission de diriger, à la prison de Serkadji, les prières du vendredi et des fêtes religieuses. Vénérablement respecté par les condamnés à mort – ils étaient nombreux à avoir suivi ses cours de langue nationale et de théologie dans son école de la rue des Frères Racim à la Casbah –, il servait de trait d’union entre les révolutionnaires incarcérés et le FLN. C’était à lui d’ailleurs qu’échurent l’insigne honneur et le privilège de lire la Fatiha à Fernand Iveton qui, dans une sorte de reconnaissance et d’appartenance au peuple algérien, son peuple, avait préféré rendre l’âme en tant que musulman que d’accepter le réconfort, comme proposé par ses bourreaux, d’un prêtre ou d’un rabbin. Merveilleux, les gestes de l’imam et du condamné à mort traduisent, bien loin des turpitudes des tenants de l’intégrisme religieux et/ou politique, le caractère sacré d’une révolution qui a su mobiliser toutes les composantes de la nation algérienne, au-delà de leurs appartenances religieuse et politique. Taleb Abderrahmane ne pouvait donc LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Un Islam, du reste, brillamment porté par cheikh Tahar Meziani grâce ses ancêtres Idrissides venus de Cadix l’Andalouse qui portait alors le nom des Banou-Meziani. Descendant du vénérable cheikh M’Hamed Benali, il s’était inscrit très tôt, avant de rejoindre le PPA de Messali Hadj, dans la dynamique impulsée par l’Association des oulémas sunna (créée par des dissidents de l’Association des oulémas) et de cette lignée d’imams soufis qui ont donné à notre pays un Islam porté par la tolérance et la conception altruiste du bonheur. Des imams qui ont combattu les armes à la main l’envahisseur français et payé chèrement leur engagement. Les uns, à l’image des muphtis algérois Al Qbabati et tlemcénien, cheikh Tchalabi, sans oublier cheikh Ben Yelles, ont été contraints à l’exil. Bien d’autres ont été victimes de purges et d’assassinats à l’intérieur même des mosquées comme ce fut le cas, à la mosquée Ketchaoua, où muphtis et fidèles s’opposant à la transformation de cet espace en église ont été froidement exécutés. Le haro continuel orchestré le plus souvent contre des mosquées et des espaces cultuels fera l’objet de sévères réquisitoires du baron Pichon qui n’hésitera pas à assimiler ses compatriotes à des exterminateurs systématiques du culte musulman et des populations qui le professent. A ce propos, il y a lieu de se référer utilement aux Feuillets d’El-Djezaïr, réédités en 2003 par les éditions du Tell, pour se faire une idée précise de l’apocalypse imposée à toute une ville. Une liste exhaustive nous apprend, par exemple qu’en plus de la mosquée es-Sayyida détruite en 1831, la chapelle de Sidi Abdelkader el-Djilani (ex-rue Waisse à proximité de l’hôtel Safir ex-Aletti), les mosquées Mezzo- Morto construite vers 1685 (rues Bab-Azoun et de Chartres) par el-Hadj Hossaïn, renégat italien, et Khédar-Pacha (rues Scipion et Bab-Azoun), la zaouïa Ketchaoua (rue du Lézard) édifiée en 1786 par elHadj Mohammed Khodja Makatadji, ont été détruites. Les mosquées ech-Chemaïn (à l’aile des rues Cléopâtre et Bab-el-Oued), d’Aïn al-Hamra (rue Philippe Ben Négro à ( 95 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire l’angle des rues Bab-el- Oued et Sidi Ferruch), d’el-Mocella sur l’emplacement de laquelle se trouve, présentement, le lycée Emir Abdelkader, la zaouïa de Sidi- Amar et-Tennessi construite au XVe siècle à proximité du mausolée de Sidi Abderrahmane et-Thaâlibi, connurent le même sort. Pour de nombreux observateurs, le mouvement mystique qui tirait ses aspirations de la mobilisation populaire, en dehors du cadre des idéologies dominantes, n’était pas uniquement un mouvement de lutte et de sédition. Cette façon d’être, relevant plus d’une démarche doctrinaire que d’un quelconque opportunisme, n’a pas été perçue concrètement par ceux-là mêmes que le pluralisme politique rendait taciturnes. Contrairement à l’idée répandue alors, et dès les lendemains de l’indépendance, par les milieux qui s’attelaient, sur des bases dogmatiques, à la construction du socialisme spécifique, le mouvement spirituel à l’honneur était prêt à toutes les adaptations possibles. Alors que l’argumentaire imaginé à l’effet d’actionner une trappe réductrice a fonctionné de telle façon qu’un vide cultuel se soit lourdement installé dans un pays où, pourtant, la conception maghrébine de l’Islam a servi de rempart contre le double asservissement spirituel et culturel imposé à tout un peuple au nom de la suprématie de la civilisation de la caste coloniale. Dans sa propre logique interne de piété, d’exaltation ésotérique et de capacités supranaturelles, soutient maître Kamel Filali, se cachait le vrai pouvoir de sa stratégie qui apparaît au carrefour du religieux et du profane. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . influencés qu’ils étaient par les théories marxistes, à ramener les causes les plus nobles à seulement des jeux d’intérêts où l’économie détient une part décisive. Pour l’auteur des Origines du 1er Novembre 1954, l’Histoire n’a d’intérêt que dans la mesure où l’on sait en tirer les leçons : « Autant alors puiser ces leçons dans notre patrimoine et dans les enseignements de notre passé, plutôt que d’aller les chercher ailleurs dans l’expérience d’autres pays. » Cependant, il n’hésite pas à reconnaître que l’écriture de l’Histoire, « une histoire qu’on a vécue soi-même », n’est pas chose aisée. Elle peut donner lieu, et c’est lui qui souligne, à des règlements de compte, comme elle peut être faussée par le subjectivisme et quelquefois la mythomanie. Les présentes références ont été empruntées à l’effet de rappeler aux bons souvenirs des planqués de l’Histoire que si nous avons tourné la page, nous n’avons pas pour autant oublié. C’est du reste le sentiment qui s’est dégagé à l’occasion de la commémoration du 54e anniversaire de l’exécution des frères Ahmed Zabana et Abdelkader Ferradj, le 19 juin 1956. L’hommage rendu aux Lorsque les causes les familles des militants fauchés par la plus nobles sont ramenées à guillotine du Président René Coty a seulement des jeux d’intérêt été émouvant à bien des égards. Au Témoin d’abord, et acteur ensuite même titre que de nombreux témoidu processus révolutionnaire déclen- gnages rapportés par les intervenants ché le 1er Novembre 1954 par le dont celui de la famille Meziani. ProFLN, Benyoucef Ben Khedda, pré- posant un éclairage édifiant sur la sident du Gouvernement provisoire nature abominable de l’impérialisme de la République algérienne (GPRA français, le témoignage en ques1961-1962), n’a pas manqué, dans tion a le mérite de battre en brèche une de ses publications, de fustiger les déclarations de quelques esprits ceux-là mêmes qui se sont évertués, chagrins qui continuent à relayer les Ce que ne semblent pas avoir assimilé les réformistes algériens au cours des années trente, date à laquelle une lutte sans merci est initiée par les successeurs de cheikh Abdelhamid Ibn Badis contre des forces cataloguées de maraboutiques. Une lutte qui fut particulièrement violente et qui ne profita, en désespoir de cause, qu’à l’administration coloniale et à ses laquais locaux. Dans cette offensive considérée par les uns, comme une atteinte au droit à la différence et par les autres comme une légitime lutte contre le maraboutisme et l’obscurantisme, les oulémas algériens, en général, et leur tendance wahhabite, en particulier, donnaient plutôt l’amère impression de vouloir jeter le bébé avec l’eau du bain. Comme pour le Congrès musulman, ils semblaient confondre tactique et stratégie tant ils ne savaient point faire la distinction entre ce qui est secondaire et ce qui est fondamental, entre une tradition spirituelle authentique, sacralisée par des soulèvements contre les forces ottomanes (la confrérie des Derkaouas) et françaises, et les tenants du charlatanisme, appendice s’il en est de la caste coloniale. ( 96 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Guerre de libération Histoire Les frères Ferradj Fernand Iveton aveux des bourreaux de Zabana, de Ferradj et de bien d’autres militants de la cause nationale soutenant que le couperet de plus de 70 kg lancé, d'une hauteur de 3,5 mètres, n’a fonctionné qu’une seule fois et que la tête de Zabana avait roulé par terre... Alors que l’imam et chahid cheikh Tahar Meziani, tombé au champ d’honneur le 4 juin 1957, avait confié à sa femme que non seulement la machine criminelle n’avait été décisive qu’à la troisième tentative, la lame s’étant arrêtée lors des deux précédents essais à quelques centimètres du cou du supplicié, mais, pire, la tête de Zabana, Ahmed Zabana LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE n’étant pas tombée, avait dû être sauvagement arrachée par le bourreau pour être jetée dans le panier en osier. Des démarches ont certes été entreprises après les deux tentatives infructueuses auprès de l’administration coloniale mais en vain. René Coty, le président de la République française de l’époque, restera de marbre, en effet, et donnera l’ordre à l’équipe de bourreaux de poursuivre jusqu’à ce que mort s’ensuive. Alors que maître Benbraham relève, à ce niveau, un autre déni de justice, une première là aussi dans les annales judiciaires dans le monde, maître Zertal fait observer que cette réaction du chef de l’Etat français était contraire aux attendus du jugement condamnant Ahmed Zabana où il n’était mentionné nulle part que l’exécution de la sentence devait se poursuivre jusqu’à ce que mort s’ensuive. Pour autant, l’exécution brutale du chahid n’a pas eu raison de ses idéaux immortalisés du reste par une lettre adressée à sa famille. Surtout lorsqu’il y souligne : « S’il m’arrive quoi que ce soit, il ne faut pas croire que c’est fini, parce que mourir ( 97 ) pour la cause Dieu, c’est croire à la vie éternelle et mourir pour sa patrie, ce n’est qu’un devoir. » Et Taleb Abderrahmane a dû mourir, n’en déplaise à ceux qui font diversion, dans le même contexte, une année après la disparition tragique de cheikh Tahar Meziani, l’imam de Serkadji. Un éducateur issu de la Zitouna de Tunis et de la Qarawiyyoune de Fès mais dont, pourtant, aucune école, aucun collège, aucun lycée et aucune mosquée ne porte le nom. En cela, il est à l’image de cheikh Abdelhalim Bensmaïa, un érudit et mutassawaf qui eut le courage, en son temps, de proclamer à la face de l’Egyptien cheikh Mohammed Abdou, invité en 1903 par la France pour prendre une fatwa, que les Algériens n’avaient pas à mourir pour un pays, la France en l’occurrence, qui les colonise, les dépersonnalise et les avilisse. La criminalisation des actes génocidaires est une revendication légitime Le président de l’Association nationale des anciens condamnés à www.memoria.dz Guerre de libération Histoire mort a eu justement, à l’occasion de cette émouvante cérémonie dédiée à ceux qui ont été emportés par la bestialité de la caste coloniale, le mérite singulier de stigmatiser certaines publications donnant dans l’approximation et la falsification de l’Histoire. L’orateur n’hésite pas à reconnaître que l’écriture de l’Histoire peut donner lieu à des déformations et à des falsifications qui, à force de se répéter sans essuyer le moindre démenti, finissent par s’ériger en vérité officielle. « Même si nous avons tourné la page, nous n’avons pas pour autant oublié », avait-il déclaré en substance. La criminalisation des actes génocidaires, soulignera Mostefa Boudina, est une revendication légitime car elle contribue à apporter un éclairage qui n’ira pas sans rapprocher les peuples français et algérien. Ce faisant, elle a le mérite de battre en brèche, s’agissant de l’acte génocidaire du 8 mai 1945, l’idée d’actes isolés, et de poser alors la question de la responsabilité en dernière analyse, fera remarquer l’orateur. En effet, si le sous-préfet de Sétif, Butterlin a pu réquisitionner l’armée, autoriser puis réprimer la manifestation de Sétif, si celui de Guelma, Achiary, a pu organiser à l’avance les milices de colons pour se livrer aux multiples exécutions sommaires, extrajudiciaires, individuelles et collectives, qui a pu ordonner à la marine nationale et à l’aviation de guerre de bombarder, pendant plusieurs jours, des dizaines de mechtas et de douars, sinon la pouvoir politique central à Alger et à Paris ? C’est, à juste titre, que l’historien Mohammed Harbi avait déclaré un jour que la production historique, idéologique et sociologique relative au mouvement national est, à bien des égards, une anthologie de la falsification et de la dissimulation. Des pans entiers de l’Histoire, souligne la même source, ont été effacés ou voués au silence alors que militants et mouvements politiques ne sont pas appréciés en fonction de la place qu’ils ont occupée, mais en fonction de ce qu’ils sont devenus : « Le remodelage du passé à l’image du présent devient alors chose courante. » Dans Aux sources du nationalisme algérien, Kamel Bouguessa fait remarquer que les attitudes de certains chercheurs et celles de témoins oculaires convergent pour alourdir ce climat. Au cours des enquêtes et de collectes de témoignages réalisés par ses soins, les réactions d’un certain nombre de militants et de dirigeants nationalistes ont bien montré l’impor- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . tance des discontinuités et des silences qu’ils ont opposés à ses questions. Un seul exemple, édifiant à bien des égards, est avancé par l’universitaire algérien comme pour mieux étayer sa thèse : « Sur une vingtaine d’entre eux, interrogés ou contactés à propos des événements de 1945, nous avons pu noter que le dénominateur commun de leurs réactions a été la démission, tandis que l’un des leaders les plus en vue durant cette période, le docteur Lamine Debaghine, principal dirigeant de la tentative insurrectionnelle de mai 1945, nous a donné pour seule réponse, sur un ton gêné et balbutiant derrière une porte ouverte, j’ai définitivement tourné la page sur le passé ! » Pour l’auteur de Aux sources du nationalisme algérien, ces difficultés, où les silences convergent avec l’absence de nouvelles sources, ne sont pas sans effet sur les analyses, sur le choix et sur la délimitation de l’objet d’étude. De son point de vue, l’occultation des discontinuités réduit du coup toute prétention à l’analyse théorique. Et c’est d’autant plus grave que certains écrits, irrigués certainement par les nostalgiques de l’Algérie française, risquent de contribuer dangereusement à saper les fondements de l’Unité nationale. Moment que choisira l’idéologie dominante française pour lancer une idée machiavélique, celle consistant à mettre sur pied une fondation française pour « apaiser » l’Histoire. Financée par l’Etat français à hauteur de 7,2 millions d’euros, cette institution a été conçue pour regrouper, tenez-vous bien, les membres du FLN et de l’OAS. Une initiative qui ne saurait tromper personne, à plus forte raison à un moment où le recentrage patriotique est en train de réconcilier les Algériens avec eux-mêmes et de s’opposer avec détermination à la traduction de l’une des dispositions de la loi tragi-comique du 23 février 2005 dont un article appelait à la glorification « des aspects positifs du colonialisme français ». Enfin, pendant qu’il est encore temps et pendant que les artisans de la Révolution nationale et du recouvrement de la souveraineté sont encore vivants, grâce à Dieu, que l’Algérie crée l’école dédiée à l’écriture de l’Histoire, comme annoncé par le président de la République, et qu’elle mette en scène à travers tout le pays des historiens aux pieds nus susceptibles de ravir aux discontinuités et d’immortaliser des pans importants de la mémoire collective. ( 98 ) Abdelhakim Meziani Supplément N° 15 - Juillet 2013. Jijel La perle de la Méditerr anée Par Hassina Amrouni Jijel Histoire d'une ville Igilgilis, Ighil Ighil, Gigeri ou encore Gilgil, pour ce citer que ces quelques noms, sont les différentes appellations données à Jijel par les différents conquérants qui se sont succédé sur cette terre hautement touristique, réputée pour la beauté de ses plages, de ses criques, de son parc naturel, de ses grottes merveilleuses mais aussi de ses vestiges phéniciens, romains, byzantins et arabo-musulmans. S ituée le long de la côte est, à quelque 350 km d’Alger, Jijel s’étend sur une superficie de 2.398,69 km² et compte plus de 600 000 habitants. Les plaines côtières de la région sont entourées, au sud, par les reliefs de la petite Kabylie. La plaine de l'oued Mencha est située au nord, le long de la bande littorale allant des petites plaines de Jijel, jusqu’aux plaines d'El-Aouana, le bassin de Jijel, les vallées de Oued Kébir, Oued Boussiaba et les petites plaines de Oued Z'hour. Dans cette région, la montagne tombe souvent à pic dans la mer et forme une côte très découpée, appelée corniche jijelienne, où l'on admire caps, falaises, presqu'îles et promontoires. Un lieu privilégié par les très nombreux touristes visitant la région. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 100 ) Comptant 28 communes dont 11 chefslieux, la wilaya de Jijel est indéniablement l’une des plus belles régions touristiques d’Algérie. Le bassin versant culmine à 1589 m d’altitude avec une altitude moyenne de 406 m. Les principales cimes montagneuses sont Tamezguida, Tababort, Seddat et Bouazza. La végétation du bassin versant se distingue par une couverture forestière peu abondante, constituée essentiellement de chênes -lièges.. L’histoire tumultueuse de la ville La région de Jijel a été peuplée depuis l’ère préhistorique par les Berbères sédentaires et agriculteurs, du rameau Baranis, parmi lesquels les Kutama. Vers Xe siècle avant l’ère chrétienne, les Phéniciens s’y installent. Etant à la re- Supplément N° 15 - Juillet 2013. Histoire d'une ville Arrivée des Ottomans christianisme et imposent l’arianisme. Les Byzantins (533) occupent la ville pour l’intérêt stratégique qu’elle offre. Au VIIe siècle, Jijel devient dépendante de Kairouan, dominée par la dynastie des Aghlabides. Au Xe siècle, les Kotama, puissante tribu berbère du sud de Jijel, s’allient aux Fatimides et renversent le pouvoir de Kairouan (913) avant de s’installer au Caire. Jijel cherche d’un lieu sûr où établir leur commerces, ces marins et marchands, voient en cette région l’endroit idéal pour fonder un comptoir. A partir du Ve siècle av. J.-C., Carthage impose son hégémonie sur les cités phéniciennes de la côte africaine, dont Igilgili. Cette dernière sera un territoire carthaginois jusqu'à la défaite de Carthage face à Rome lors de la première guerre punique en 264 av. J.-C., suite à quoi elle sera rattachée au royaume unifié de Numidie sous le roi Massinissa, avant de passer sous le règne de son fils Micipsa, puis de son petit-fils Jugurtha. Lorsque ce dernier est défait face aux Romains en 105 av. J.-C., la ville se retrouve sous la domination du royaume de Maurétanie, royaume berbère vassal de Rome dont la capitale est Volubilis (Maroc) puis Iol (Cherchell) sous le règne de Juba II, avant de passer entre les mains des Romains qui la transformeront en colonie sous Octave Auguste en 33 av. J.C. Les habitants jouissent de la citoyenneté romaine et Rome est présente sur toute l’Afrique du nord. Igilgili est d’abord rattachée administrativement à la province romaine de Maurétanie césarienne, puis à la Maurétanie sétifienne. A partir du IVe siècle, la population d’Igilgili se convertit au christianisme. En 429, la ville subit l’attaque des Vandales, ces derniers combattent le Monument Barberousse LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 101 ) www.memoria.dz Jijel Histoire d'une ville Jijel tombe ensuite sous le contrôle des Zirides de Kairouan (973) puis des Hammadides de Béjaïa (1007) et enfin des Almohades en 1120. En 1145, les Normands débarquent, ils sont chassés en 1155, mais la ville ne cesse de recevoir le flux occidental. Les trois grandes républiques italiennes de l’époque (Venise-Gênes-Pise) amorcent leur renaissance maritime et commercent avec le port. Arrivée des Ottomans Suite à l’appel des habitants d’Alger, Aroudj et Kheir-Eddine Barberousse débarquent à Jijel en 1514. Ils y établissent leur quartier général et leur base arrière pour organiser la lutte contre les Espagnols, déjà occupants de plusieurs autres villes de la côte algérienne. Les soldats recrutés, les munitions et les armes réunies, ils libèrent Béjaia en 1516, Alger en 1518 et toutes les autres villes occupées par les Espagnols comme Cherchell et Mostaganem, à l'exception d'Oran. Suite à ces victoires, les Jijélis se voient accorder des privilèges en récompense de l’aide qu’ils ont apportée pour permettre l’installation des Ottomans en Algérie. Parmi ces privilèges, le droit de porter des armes en ville, alors que cela n’était permis qu’aux janissaires. Jijel devient un port très important enregistrant une activité corsaire intense. Elle deviendra même la ville de nombreux corsaires connus dans toute la régence d’Alger. Rattachée au beylik de Constantine, Jijel compte un grand nombre de janissaires. Aujourd’hui, nombre de leurs descendants vivent encore à Jijel. Au XVIe et au début du XVIIe siècle, la ville reçoit de nombreux réfugiés musulmans d’Espagne. En juillet 1664, une expédition française dirigée par le Duc de Beaufort y débarque. La résistance s'organise sous la direction de l'agha Chabane et les Français sont chassés en octobre de la même année. Le 13 mai 1839, les troupes françaises descendent à Jijel. Une forte résistance s’en suit. Les troupes françaises débarquent à Jijel Neuf ans après la prise d’Alger, plus exactement le 13 mai 1839, les troupes françaises débarquent à Jijel. La population se soulève et cette lutte populaire durera jusqu’en 1842. Après quelques années d’accalmie, les insurrections armées reprennent en 1845-1847-1851. Celle de 1851 sera la plus meurtrière. En 1856, un terrible tremblement de terre secoue la région de Jijel. La cité, vieille de plus de 20 siècles d'histoire, est détruite et, c’est sur ses ruines que sera construit un port militaire. En 1848, la ville de Jijel est intégrée au département de Constantine. En 1860, elle est érigée en commune et voit l’installation de nombreux colons européens. Elle est élevée en 1958 au rang de sous-préfecture des départements de Bougie puis de Constantine. Hassina Amrouni Vue générale de la ville de Jijel Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 102 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Patrimoine archéologique et culturel de Jijel Villes romaines, lieux de mémoire Histoire d'une ville A ce jour, il a été recensé à Jijel 25 sites archéologiques. Face au pillage et à la déperdition dont fait l’objet notre patrimoine matériel, le recensement, le classement et la protection de ce dernier sont devenus une priorité des autorités concernées. Par Hassina Amrouni LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 103 ) www.memoria.dz Jijel Histoire d'une ville Les sites archéologiques et historiques tels Rabta, mosaïque de Dar Bateh, la citadelle, Ford Duquesne (Jijel), Chobae (Ziama-Mansouriah), Tissillil (Settara), PC de la Wilaya II (Ouled Askeur), maison de feu Ferhat Abbas (Oudjana) et bien d’autres figurent parmi ces richesses héritées du passé qu’il est nécessaire de préserver pour les léguer aux générations futures.. Les ruines de Aïn Tissillil, "Settara El Milia" Villes romaines de Jijel La région de Jijel compte plusieurs cités romaines. Si Igilgili est la plus connue, il faut savoir qu’elle n’est pas de datation romaine. Cette cité berbère fut, d’abord, une colonie marchande punique, avant de devenir une cité romaine et de connaître un développement conséquent. D’ailleurs, toutes les villes érigées par les Romains lors de siècles d’occupation étaient dotées de toutes les commodités nécessaires à une vie sociale et communautaire et ce, afin Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 104 ) d’assurer à leurs concitoyens une vie confortable. Malheureusement, aujourd’hui, seules subsistent les ruines, le temps ayant fait son effet. Située sur la presqu’île s’avançant sur la mer, Igilgili comptait villas, aqueduc et, en dehors de la cité, de petites nécropoles suivaient la voie romaine menant à Saldae. En raison de son importance, Igilgili a même été citée par Ptolémée. Au lendemain de la colonisation française, des vestiges tels que des mosaïques, des inscriptions et divers objets ont été retrouvés, ils ont été donnés à divers musées français, y compris à ceux de Cirta à Constantine, de Skikda (Philippeville) et du Bardo à Alger... Chobaemunicipium est située à 40 km à l'ouest d'Igilgili, dans la localité d'Azirou, proche de Ziama. Bien qu’il ne subsiste de cette petite ville qu’un long mur, une tour et une entrée, on imagine qu’elle fut une ville vivante. C’est d’ailleurs à Chobaemunicipium qu’a été retrouvé le plus grand nombre d’objets et d’inscriptions de l’époque romaine. Concernant Tissillil, elle se trouve dans la contrée des Ouled M’Barek, son nom lui a été attribué en raison de la source jaillissant au-dessus de Chaâbet Besbess ‘Aïn Tissillil. Ce site, complètement enseveli par les amoncellements de terre est, pourtant, parmi les plus préservés et les plus Supplément N° 15 - Juillet 2013. Ruines de Aïn Tissillil Jijel riches puisqu’on y a retrouvé des tessons de poterie, des fragments de mosaïques et quelques pierres gravées d'inscriptions… Pacianis Matidae (Panchariana-Pacciana) fut, quant à elle, une station de la grande voie romaine du littoral, entre Igilgili et Chullu (Collo). On ne connaît pas son emplacement exact mais on la situe près de l'embouchure de l'Oued Z'hor, probablement à Mers el Zitoune, par contre, d’autres pensent qu’elle se trouvait à Henchir el Merdja. Mais au jour d’aujourd’hui, il n’y a nulle trace de cette cité pour accréditer telle description ou approuver tel emplacement. Tout comme Tissillil, le site d’Ad Basilicam gagnerait à être réhabilité car s’il l’était, il pourrait s’avérer un véritable pôle touristique pour les visiteurs et touristes qui se rendent chaque année par milliers dans la wilaya de Jijel. Cette cité qui a été mentionnée dans la table de Peuntinger et l'itinéraire d'Antonin, Ad Basilicam était le lieu de passage des voies romaines de Sitifis (Sétif) et Saldae (Béjaïa) dans leur route vers Igilgili notamment. Autre ville à avoir été évoquée par Peutinger, Assarath. Située à l’est de Jijel, dans les environs de Sidi Abdelaziz ou d'El Kennar, la ville aurait, malheureusement, été entièrement ensevelie sous les sables. Idem pour Iarsath qui fait, aussi, partie du passé archéologique et mémoriel de Jijel. Toujours selon Peutinger, cette cité a vu le jour à l'ouest d'Igilgili, sans doute du côté d’El Aouana (Cavallo). A l’arrivée des Français, il aurait subsisté des restes d'un poste romain en face de la grande île, dans les Ouled Bel Afou, aujourd’hui, rien pour rappeler la grandeur de cette ville. C’est également le cas pour Cedamusa et Castellum Victoriae qui n’ont aucune existence matérielle mais qui restent réelles à travers des récits ou témoignages rescapés du passé. Histoire d'une ville Hassina Amrouni Ruines de Aïn Tissillil LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 105 ) www.memoria.dz Histoire d'une ville Jijel Vue sur la mer à partir de Chobae Nécropoles menacé puniques, patrimoine Eu égard à son riche passé historique, Jijel et toutes ses régions environnantes renferment des trésors inépuisables et incommensurables. Partout où l’on peut se balader, l’on peut trouver des vestiges constitué de restes de sépultures phéniciennes, comme des fosses forées dans les roches, des caveaux familiaux… Toute la côte jijélienne est parsemée de fosses. Malheureusement, au fil des siècles, elles ont fini par disparaître dans leur plus grande majorité et ce, en raison d’une urbanisation galopante. C’est un peu le cas de la fosse de Hdjiret Ghoula ou celle entre Mers Chara et le cimetière musulman. Si une part importante de ce patrimoine a aujourd’hui disparu, ce qui en reste est souvent la proie de pilleurs, qui n’hésitent pas à profaner et à voler ce qui peut encore l’être. Le peu d’intérêt manifesté à cet héritage du passé constitue une autre menace. Hassina Amrouni Source : Jijel-info et Jijel-archeo Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 106 ) La nécropole punique de «Marsa Charaâ», tombe du type arrondi à l'extrémité (tête) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Grottes paléolithiques de Taza Fenêtre sur un passé millénaire Histoire d'une ville Entrée de la grotte de Taza-1 Outre son parc naturel, la région de Taza est aussi connue pour ses grottes paléolithiques, situées sur la route nationale reliant les villes de Bejaia et Jijel. Quatre grottes sont recensées. Les trois premières sont proches l'une de l'autre, tandis que la quatrième se trouve à plusieurs mètres à l'est. L'abri sous roche des Aftis, renfermant également des restes préhistoriques, est situé au pied d'une falaise rocheuse à quelque 300 mètres de la route nationale. Par Hassina Amrouni LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 107 ) www.memoria.dz Jijel Histoire d'une ville Vue panoramique deTaza A nciennement appelée grotte de la Madelaine, la grotte de Taza (I) a été découverte par le professeur C. Arambourg et ses collègues en 1926, alors qu’ils effectuaient une prospection archéologique dans la région est de Béjaïa. D’ailleurs, ils mirent au jour des restes archéologiques qui seront assignés au Paléolithique supérieur. Au lendemain de l’indépendance, des chercheurs algériens, notamment C. Brahimi en 1971 puis Mohamed Medig en 1983, initièrent Grottes de Taza Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 108 ) de nouvelles recherches au niveau de cette grotte. Ce dernier fut d’ailleurs rejoint en 1987 par une équipe d'archéologues de l'Université d'Alger. Un riche matériel archéologique sera également recueilli. Ce n’est qu’en 1990, à la suite d’un programme de recherche dans la région que furent découvertes les trois autres grottes préhistorique ainsi qu’un abri sous roche, baptisé Abris des Aftis. Les fouilles effectuées par l’équipe d'archéologues de l'Université d'Alger, en collaboration avec des collègues étrangers, ont révélé des informations sur le mode de vie de ses habitants, il y a quelque 16000 ans. Les trois autres grottes ressemblent à la première et reflètent deux différentes périodes d'occupation humaine et de systèmes d'habitat ayant eu lieu durant le Pléistocène supérieur sur la côte est algérienne. A l’intérieur des grottes ont été retrouvés des restes d’ossements d'animaux provenant des domaines paléarctique et éthiopien. Les espèces identifiées sont en majorité de grands mammifères tels le mouflon à manchettes (Ammolragus lervia), l'aurochs (Bos pnmigenus), l'ours (Ursus), l'antilope chevaline (Hippotragus equinus), le sanglier (Sus scrofa), le cerf mégacérin d'Algérie (Megaceroides algericus) et le macaque (Macaca innus). Ont été également récupérés des restes osseux attribués à des individus juvéniles. Le crâne le plus complet appartient à une Supplément N° 15 - Juillet 2013. Histoire d'une ville Le fond des grottes de Taza Jijel femme adulte. Afin de mieux le visualiser, le chercheur Djilali Hadjouis a effectué, en 2003, une reconstitution faciale numérisée. Et il en est ressorti que les millénaires qui nous séparent ne sont pas aussi importants qu'on ne le pense. Selon les périodes, ces ancêtres s'approvisionnaient de matériaux comme le silex – ces instruments de travail de base – soit aux alentours, dans les proches oueds, soit dans des contrées relativement lointaines de Kharata. Par ailleurs, des débris de foyers de feu bien conservés furent également mis au jour. D’autre part, on a découvert que ces lointains parents avaient un certain sens du beau et se paraient de colliers, de bracelets, de pendentifs en coquillages, de même qu’ils utilisaient de la peinture ocre. Outre les fameuses grottes de Taza, d’autres cavités préhistoriques ont été découvertes au début des années 1990. Leur exploration permettra sans doute de dévoiler d’autres pans de la vie et du quotidien de nos prédécesseurs.. Hassina Amrouni A l'intérieur des grottes de Taza LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 109 ) www.memoria.dz Histoire d'une ville Parc naturel de Taza Réserve de biosphère de l’Unesco Situé au nord-est de l'Algérie au cœur du massif forestier du Guerrouche à 30 km de la ville de Jijel, le parc national de Taza s'étend sur une superficie de 3807 ha et est considéré comme unique dans le bassin méditerranéen de par sa diversité d’où sa classification en 2004 par l’Unesco comme réserve mondiale de la biosphère. Le parc naturel de Taza comprend plusieurs ensembles naturels comme le massif forestier du Guerrouche, 9 km de plages et corniche, de multiples grottes, des falaises et des gouffres... Le point culminant du parc est le mont Koudiet El Kern avec 1121 m d’altitude. Sa flore est diversifiée, la partie maritime est constituée de chênes kermès, d’oliviers, de bruyère et de pistachier, à l’intérieur, on retrouve d’autres variétés comme l’arbousier, le sorbier, le houx ou encore le laurier noble. Concernant la faune, près d’une trentaine de mammifères s’y côtoient tels le renard roux, l’hyène rayé, le lièvre, le singe magot, le sanglier, le porc-épic, la belette, l’hérisson d’Algérie, la genette, le chacal doré ou encore la mangouste. Ceux-ci, aux côtés de l’avifaune (chouette hulotte, l’aigle bonellie, la mésange, les aigrettes, le grand cormoran, la tadorne de belon…). Hassina Amrouni Source : www.jijel-archeo Parc national de Taza Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 110 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Grotte merveilleuse de Ziama Mansouriah Histoire d'une ville Une attraction touristique Mise au jour en 1917, lors des travaux pour l’ouverture du tronçon routier Jijel-Bejaia, la « Grotte merveilleuse » de Ziama Mansouriah est située à 35 km à l’ouest de Jijel, sur la route nationale 43. Par Hassina Amrouni LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 111 ) www.memoria.dz Histoire d'une ville L ’intérieur de cette grotte spacieuse baigne dans une température constante de 18°, quant au taux d’humidité, il varie entre 60 et 80%. La grotte est riche en stalactites et stalagmites (concrétions calcaires). Ces dernières représentent différentes formes et le visiteur se plaît à y deviner une « Tour de Pise », un « Bouddha », une mère allaitant son bébé et toutes sortes d’animaux. En fait, c’est le ruissellement continu de l’eau, sur les façades rocheuses qui est, avec le temps, à l’origine de la formation des stalactites et des stalagmites. Il faut savoir qu’une première disposition législative pour son classement a été prise le 12 avril 1948. Au lendemain de l’indépendance, une ordonnance relative aux fouilles et à la protection des sites et monuments historiques l’a intégré comme « monument naturel à protéger ». Cette grotte est, depuis 2004, classée réserve de biosphère par le Conseil international de Coordination du MAB (programme sur l’Homme et la biosphère) et constitue une « pièce maîtresse » et le « symbole par excellence » du parc. Par ailleurs, des géologues notent que ce « site exceptionnel » appartient au système karstique du Parc naturel de Taza, selon une décision ministérielle du 18 novembre 2008 qui « l’exclut de toute forme d’exploitation ou occupation incompatible avec les objectifs de sa désignation ». A l'intérieur des grottes Hassina Amrouni Les grottes à l'extérieur Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 112 ) Supplément N° 15 - Juillet 2013. Ferhat Abbas et Mohamed Seddik Benyahia Histoire d'une ville Dignes fils de Jijel Ferhat Abbas mohamed Seddik Benyahia Figures historiques dont le destin fut indissociable du long cheminement de l’Algérie vers son indépendance, Ferhat Abbas et Mohamed Seddik Benyahia sont tous deux natifs de Jijel. Par Hassina Amrouni LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 113 ) www.memoria.dz Jijel Histoire d'une ville O riginaire du hameau de Bouafroune, au douar de Chahna, à 12 km au sud de Taher (dans l'actuelle commune d'Ouadjana, dans la wilaya de Jijel), Ferhat Abbas a vu le jour le 24 août 1899 au sein d’une famille paysanne de 12 enfants. Rejoignant les bancs de l’école à l’âge de 10 ans, il fait ses études primaires à Jijel. Bon élève, il obtient une bourse à l’âge de 15 ans, il part alors pour Philippeville (Skikda) pour y poursuivre ses études secondaires. Étudiant en pharmacie à la faculté d’Alger de 1924 à 1933, il devient le promoteur de l’Amicale des étudiants musulmans d’Afrique du Nord (AEMAN), dont il est vice-président en 1926-1927, puis président de 1927 à 1931. Leader nationaliste, il est le fondateur de l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) et membre du Front de libération nationale durant la guerre de libération nationale qu’il rejoint en secret en 1955 après plusieurs rencontres avec Abane Ramdane et Amar Ouamrane. A l'issue du congrès de la Soummam le 20 août 1956, il devient membre titulaire du CNRA (Conseil national de la révolution algérienne), puis entre au CCE (Comité de coordination et d'exécution) en 1957. Il est ensuite premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) entre 1958 et 1961. Au lendemain de l’indépendance, il est élu président de l’Assemblée nationale constituante, devenant ainsi le premier chef d’Etat de la République algérienne démocratique et populaire. Ferhat Abbas meurt à Alger le 24 décembre 1985. Il est enterré au Carré des martyrs du cimetière El Alia d'Alger. Mohamed Seddik Benyahia est également natif de Jijel. Né le 30 janvier 1932, il fréquente le collège durant quatre ans à Sétif avant de retrouver la capitale pour s’inscrire au lycée Emir-Abdelkader et poursuivre ses études de droit. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 114 ) Diplômé de l'université d'Alger, il est jeune avocat, lorsqu’il décide de prendre une part active dans la lutte pour l'indépendance de l’Algérie. Aussitôt diplômé, il s’inscrit en 1953 au barreau d’Alger, avant d’assurer, deux années plus tard, la défense de Rabah Bitat, détenu à la prison de Barberousse. Il en profitera pour établir des liens avec Abane Ramdane qui venait d’être élargi. Mohamed Seddik Benyahia rejoint, ensuite les rangs du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) dont il se détachera après le conflit qui a opposé les centralistes avec Messali Hadj. Recherché par les forces coloniales, il rejoint les instances du FLN et participe à la création de l’UGEMA en 1955 avec Ahmed Taleb Ibrahimi, Lamine Khene, et est parmi les organisateurs de la grève des étudiants algériens, le 19 mai 1956. Militant au sein du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), il rejoint, en 1955, l’organisation de la section de l’UGEMA, à Alger, et participe avec la délégation algérienne, à la première Conférence afro-asiatique, à Bandoeng. Membre du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA), désigné par le Congrès de la Soummam, en août 1956, Mohamed Seddik Benyahia accède au poste de secrétaire général du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) de 1958 à 1962. Collaborateur du président du GPRA, Ferhat Abbas en 1958, il fait partie des négociateurs du FLN à Melun en 1960 et Evian en 1961 et 1962, en faveur de la signature des accords d’Evian. Après l’indépendance, il est nommé ambassadeur à Moscou puis à Londres. En 1967, Houari Boumediene le nomme à la tête du ministère de l’Information en 1967 à 1970. Benyahia aura, par la suite, la charge d’autres portefeuilles ministériels (Enseignement supérieur et Recherche scientifique de 1970 jusqu’à avril 1977, Finances de 1977 jusqu’à 1979, et Affaires étrangères de 1979) jusqu’à sa mort tragique en 1982. Hassina Amrouni Supplément N° 15 - Juillet 2013.