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BIANCHI Pierre-Emmanuel 1ère Année Conférence de M. Jean Ruhlmann HISTOIRE La conquête de l'Ouest, enjeux, mythes et réalités Entre 1791 (création du Vermont) et 1853 (convention de Gadsden), les États-Unis se lancent dans une politique d'expansion territoriale vers l'ouest du continent américain. Ils étendent rapidement leur territoire, avec la création de quatre nouveaux États entre 1791 et 1803 (Ohio, Kentucky, Tennessee, Vermont) puis avec l'achat de l'immense domaine de la Louisiane occidentale (1803) et de la Floride espagnole (1819). Suite à l'expédition Lewis et Clark (1804-1806), ils obtiennent la possession, en 1846, du vaste territoire de l'Oregon (actuels Oregon, Washington, Idaho). Enfin, la victoire des États-Unis dans la guerre américano-mexicaine (1846-1848) leur assure tout le sud-ouest américain (Californie, Nevada, Utah, Arizona, Nouveau-Mexique). Les Amérindiens, refoulés à l'ouest du Mississippi, sont exterminés ou parqués dans des réserves. Le gouvernement américain encourage la colonisation des terres nouvelles, découpées en parcelles égales, en les vendant à bas prix (1 dollar l'acre). Il s'ensuit un vaste mouvement de migration vers l'ouest, devenu un rêve accessible pour des millions d'Américains et d'immigrants. En quelle mesure le mythe qui s'est crée autour de cette conquête de l'Ouest, imprégné tant d'une lecture pieuse de la Bible hébraïque que d'une forme de volonté rousseauiste de retour à l'état de nature, a-t-elle détourné de la vérité jusqu'aux historiens, normalement objectif et porteur d'une éthique scientifique? En un mot, la réalisation mentale de la conquête de l'Ouest n'a-t-elle pas tout simplement devancé sa réalisation empirique, berçant cette dernière d'illusions d'une "insoutenable légèreté"1? I- Le mythe de l'Ouest A) L'Ouest vu, inventé et rêvé 1) Le rêve pastoral du Jardin de l'Eden "Nulle imagination humaine, même nourrie de toutes sortes de description, ne peut se représenter la beauté et le caractère et le caractère sauvage des scènes qui se présentent quotidiennement sous nos yeux dans ces contrées romantiques". Ces quelques lignes du peintre George Catlin dans les années 1830 traduisent le sentiment d'une majorité d'Américains à l'encontre de l'autre Amérique, un monde nouveau imaginé avant d'être conquis. 1 Cf. Milan Kundera, L'Insoutenable Légèreté de l'être, 1984. 1 De nombreux peintres, à l'instar d'Eastman, représentent souvent des indiens en train de jouer à des jeux de société, aux cartes ou à des jeux de balle comme la crosse. Les toiles sont alors fortement empreintes de romantisme, avec des scènes d'action très théâtrales. On retrouve par ailleurs très souvent une vision proche de celle du "bon sauvage" cher à JeanJacques Rousseau, notamment quand George Catlin parle dans ses correspondances de "royaume fier et chevaleresque de la société primitive dans son état de nature, hors d'atteinte de la contamination du monde civilisé". Il constate chez les Indiens "les plus nobles manifestations de l'honneur et de la clémence". "Voilà des hommes qui vivent, jouissent de la vie et de ses plaisirs, pratiquent ses vertus"2 affirme-t-il. Il existe un autre sujet important dans l'art de l'Ouest et la culture américaine d'une façon plus générale: la terre. Dans un mélange de théologie, de philosophie et de nationalisme, de nombreux Américains du milieu du XIXe siècle croient que leur continent est un nouvel Eden3 et qu'ils sont donc eux-mêmes un peuple élu. C'est pourquoi il y a au XIXe siècle une recrudescence de prénoms issus de la Bible, comme Abraham, Isaac, Jacob ou David, et ce n'est pas un hasard si le personnage allégorique des Etats-Unis s'appelle "Oncle Sam". Même s'ils n'ont pas derrière eux des siècles d'art et de culture, la richesse des ressources naturelles du continent, ses vastes étendues qui paraissent illimitées, ses paysages spectaculaires, particulièrement dans l'Ouest, compensent plus que largement ce handicap. C'est pourquoi, en peinture, les paysages prennent tant d'importance, à l'instar des peintres paysagistes de la Hudson River School, appelés parfois les Réalistes Romantiques (Romantic Realists), qui combinent détail de la composition (avec un souci de précision quasiscientifique) et message moral, comme la mise en valeur de la Destinée Manifeste4 des EtatsUnis (politique expansionniste américaine). 2) L'Homme de la Frontière, ou l'idéal jeffersonien L'Amérique démocratique aime s'identifier à ce nouveau héros qui, apparemment, ne doit rien à Ulysse ni à Siegfried, mais qui emprunte des caractéristiques au bon sauvage rousseauiste, à l'être providentiel investi d'une mission divine, à l'instar de Moïse, et à l'érudit des Lumières. Il est un valeureux chasseur, qui tel Daniel Boone, peut réaliser des sauts de quarante mètres dans une rivière, depuis une falaise où il est assiégé par une bande d'Indiens sanguinaires. Mais pour autant, l'homme de la frontière n'est pas vulgaire; il s'exprime dans un langage châtié. Il se caractérise par ailleurs par son humilité. Ainsi, par exemple, la chronique de Davy Crockett, ni hagiographie, ni galéjade, diffuse une vision de la démocratie où l'homme du peuple devient héroïque sans être dupe de lui-même. On y voit notamment Davy Crockett provoquer la chute d'un raton laveur en le faisant mourir de rire, ou tuer trois ours en enfilade. Mais dans tous les cas, l'homme de la frontière a une vraie fascination pour la "wilderness", la nature sauvage, et sont prêts à adopter, à l'aide d'un mimétisme incroyable, les mœurs des Indiens: port de mocassins, de vestes en daim, etc. En outre, l'homme de la frontière est un home armé, tant pour se défendre des Indiens ou des bêtes sauvages, que, plus symboliquement, pour empêcher tout retour du roi d'Angleterre. Le deuxième Amendement à la Constitution américaine, ratifié en 1791, 2 Neuvième lettre de George Catlin, écrite en 1832 au confluent de la Yellowstone, cours supérieur du Missouri. L'artiste Thomas Cole associe l'histoire de la Bible à celle "providentielle" des Etats-Unis par l'intermédiaire de deux tableaux: The Garden of Eden, 1828 et Expulsion from the Garden Eden, 1828. Le peintre témoigne ainsi des transformations industrielles que subit l'Amérique, celle-ci passant subitement du Sublime à l'industrialisation massive. 3 Expression utilisée pour la première fois en 1845 par John Louis O'Sullivan, éditorialiste du New York Morning News, à propos de l'annexion duTexas: "It is by the right of our manifest destiny to overspread and possess the whole of the continent which Providence has given us" (O'Sullivan in The Origin of Manifest Destiny, Weinberg p. 145). 3 2 proclame d'ailleurs: "A well regulated Militia, being necessary to the security of a free State, the right of the people to keep and bear Arms, shall not be infringed"5. Enfin, l'homme de la frontière, en particulier le cow-boy et le cattle baron, développe toute une culture de l'Ouest. Les transhumances durent très longtemps et, en dehors des jeux de cartes et des dés, la seule distraction des cow-boys est de raconter des histoires en les chantonnant, créant des mélodies influencés d'une part du folklore anglo-irlandais, et d'autre part, de chansons composées au XIXe siècle dans l'Est des Etats-Unis, lesquelles étant souvent adaptées aux préoccupations des cow-boys. Le rodéo naît également dans l'Ouest: il consiste à simuler l'expérience de la frontière en exaltant ses valeurs d'audace, de courage et d'esprit d'équipe. B) La Thèse de Turner 1) La Théorie de la Frontière… Né en 1861, Turner grandit à Portage, petite ville frontalière de l'Ouest, dans le Wisconsin. Etudiant à l'université du Wisconsin, il en sort diplômé d'une maîtrise de lettres. Il devient par la suite professeur d'université. En 1893, au cours d'une réunion de l'American Historical Association, lors de la World's Columbian Exhibition qui se tient à Chicago, Turner lit son essai désormais célèbre, The Significance of Frontier in American History, qui sera à l'origine d'un succès tel qu'il deviendra professeur à Harvard. Selon Turner, le déplacement des populations vers l'Ouest offre une clé indispensable à la compréhension de leur histoire, et que toute interprétation de cette même histoire, ignorant ce facteur, tend à simplifier exagérément le passé. L'un des avantages de sa théorie de la frontière est qu'elle peut s'appliquer à une multitude d'évènements et de développements de l'histoire américaine, de la période coloniale à l'époque de Franklin D. Roosevelt et même jusqu'à nos jours. 2) … paradigme justifiant la Destinée Manifeste des Etats-Unis. Pendant tout le XIXème siècle, les Américains ont vécu avec l'idée que le continent offrait des possibilités illimitées d'extension aux énergies, au fur et à mesure de la repoussée de la Frontière. Or en publiant les résultats du recensement de 1890, le commissaire annonçait la fin de cette Frontière ("There can hardly be said to be a frontier line"). Ce n'était pas exact, car il y avait encore de nombreux vides, les derniers États continentaux ne rejoignant l'Union que plus tard (l'Utah en 1896, l'Oklahoma en 1907, l'Arizona et le Nouveau Mexique en 1912, et d'immenses espaces sont encore inoccupés. Mais cette annonce crée un choc psychologique, donnant l'impression que, la colonisation du continent une fois achevée il fallait orienter les énergies vers d'autres horizons, et ce ne pouvait être qu'outremer. Et ce d'autant plus qu'au même moment la notion de Frontière était reprise par l'historien Frederick Jackson Turner, qui y voyait l'originalité de l'histoire américaine et sa différence par rapport à l'Europe. La phase continentale en principe close, restait à tourner ses regards vers l'extérieur. D'où une concomitance frappante entre cette fin supposée de la Frontière et les premières interventions diplomatiques ou militaires en dehors du territoire continental. Ainsi, en 1895, Cleveland clame la doctrine Monroe dans le conflit frontalier opposant la GrandeBretagne au Venezuela pour réaffirmer son hégémonie sur le Continent. Les Républicains au 5 John R. VILE: Encyclopedia of Constitutional Amendments, 1789-1995. ABC-CLIO, 1996 ; texte p. 356, étude pp. 269-270. 3 pouvoir annexent Hawaï en 1898, et concluent une première étape d’expansion : les Américains avaient un pied à terre en Asie6. II- La Frontière: Eden ou Enfer? A) Le revers de la médaille 1) La ruée vers l'or, un Eldorado? Avec la découverte d'or en Californie en 1848, les gens peuvent s'imaginer que, une fois dans leur vie, ils auraient la chance d'amasser une fortune sans le moindre effort. Le mythe de l'argent facile, si cher aux Américains est né. Mais les populations sont tellement survoltées qu'elles en oublient la remarque pleine de bon sens d'un vieux prospecteur qui affirmait la chose suivante: "Je n'ai jamais autant travaillé de ma vie pour m'enrichir sans travailler"7. La nouvelle de cette découverte se répand alors vers l'Est des Etats-Unis, et même dans le monde entier: environ cent mille personnes en provenance des Etats de l'Est américain, ou bien de France, d'Allemagne, d'Australie, de Chine, se rassemblent sur les emplacements aurifères. Les rêves dorés multiplient les valeurs des mineurs: là où ils se seraient contentés dans leur pays d'origine de 75 cents par jour comme simple laboureurs ou de 200 dollars par an comme fermiers, ceux-ci refusent souvent de travailler dans les mines où l'on ne peut extraire qu'une once d'or par jour, soit 20 dollars, et préfèrent tenter leur chance ailleurs. Toutefois, s'il est vrai que l'extraction d'or a contribué indirectement au développement de certaines villes (comme Denver, San Francisco, Salt Lake City ou Sacramento), des transports, de l'agriculture, force est de constater que la ruée vers l'or n'est vraiment qu'un mythe. Premièrement, au-delà du rêve se cache une sombre réalité. Souvent, les prospecteurs qui, d'Est en Ouest, se précipitent vers les champs aurifères meurent en chemin ou voient leur santé se détériorer en raison des rigueurs du voyage. La dysenterie, les diarrhées, le scorbut et les fièvres exercent des ravages non seulement pendant le trajet, mais aussi sur place, en Californie. Ces d'ailleurs tous ces points négatifs qui pousseront certains à quitter ce secteur, soit pour exercer à nouveau leurs professions originelles dans les villes florissantes, soit pour profiter de la ruée vers l'or pour faire des ventes liées: des pelles, des pioches, et même… des jeans (cf. Lévi Strauss, inventeur du blue jean). Deuxièmement, bien que l'on parle constamment de la ruée vers l'or, l'exploitation du cuivre, du tungstène, du charbon, de l'uranium, du pétrole et du molybdène, quelques temps après, rapporteront infiniment plus. 2) Le choc des civilisations, ou l'histoire d'un ethnocide organisé par le "peuple élu" En plus de l’impact des épidémies importées d’Europe (variole, infections pulmonaires, troubles gastro-intestinaux), qui est particulièrement fort dans l'histoire des Amérindiens, la politique des États-Unis envers ces dernier est, dans les faits, impitoyable : guerres indiennes, déportations, massacres, dévastations des territoires et de leurs ressources, 6 Histoire des États-Unis, sous la dir. de Bernard Vincent, Flammarion, 1997, page 155. Philippe Jacquin & Daniel Royot (dir.), Le Mythe de l'Ouest, éd. Autrement, série Monde, hors série n° 71, 1993, page 71. 7 4 spoliation (Indian Removal Act de mai 1830, Homestead Act de 1862), alliances non respectées (l’Oklahoma, officiellement territoire des "Cinq Nations" en 1834, est ouvert aux colons en 1889 et devint un État de l’Union en 1907). Les populations indiennes atteignent leurs taux les plus bas au début du XXe siècle. Cet ethnocide est entre autres rendu possible par des représentations d'Indiens mettant en exergue des thèmes plus menaçants: danses guerrières, enlèvements, attaques des colons blancs. Et ce sont ces images-là qui marquent le plus volontiers l'imagination collective. Notons par ailleurs que cet ethnocide est réalisé en conséquence d'une mauvaise interprétation de la Bible Hébraïque, ou Ancien Testament, puisqu'ils qu'ils privilégient dans leur lecture les passages dans lesquels sont décrits l'art et la manière d'égorger des femmes et des enfants8, non les passages des Saintes Écritures où par exemple "David et toute la maison d'Israël jouaient devant Jéhovah de toute sorte d'instruments, et David, au milieu des réjouissances, dansait de toute sa force devant le Dieu d'Israël"9. De nombreux intellectuels et artistes, toutefois, permettront de représenter la culture des Indiens avant qu'elle ne soit totalement détruite par l'influence blanche. Ceux-ci sont en effet les premiers à comprendre qu'il y a incompatibilité entre la culture indienne et la culture blanche, qui va entraîner l'inféodation de la première à la seconde. Cf. toile de George Catlin, Pigeon's Head (The Light), Wi-Jun-John, Assiniboine, Going and Coming from Wasington (1837-1839), où l'on voit notamment un Indien fumant une cigarette, un éventail et un parapluie dans les mains et des bouteilles de Whisky dépassant des poches, ou celle de Fanny Palmer, de 1868, au titre éloquent: "Accross the Continent: Westward the Course of Empire Takes its Way" (A travers le continent: la course de l'empire avance vers l'ouest), qui représente l'expansion blanche dans les territoires sauvages, face à des Indiens n'ayant d'autres choix que de reculer. Ces artistes se veulent les représentants d'une cause, qu'il diffusent pour atteindre l'opinion publique et infléchir l'action du gouvernement. Catlin proposera par ailleurs son travail au grand public, à travers une exposition itinérante, la "galerie indienne", qui sera présente jusqu'à Paris où d'illustres personnages la verront: Louis-Philippe, Charles Baudelaire, Eugène Delacroix, Rosa Bonheur, George Sand et bien d'autres. B) La Nouvelle Histoire de l'Ouest 1) Son fondement Les Américains ont souvent eu le sentiment d'être uniques et d'échapper à l'histoire générale. On retrouve cette idée dans le mythe de l'Ouest, qui a l'avantage de pallier l'absence d'investigation rigoureuse, de raisonnement logique et d'interprétation critique, idée largement diffusée par Turner. Toutefois, depuis une décennie au moins, l'Ouest américain est la cible d'interprétations alternatives et révisionnistes10 qui divergent spectaculairement du paradigme turnerien, à commencer par la "Nouvelle Histoire de l'Ouest"11. 2) Ses conséquences 8 Par exemple 2Samuel XV-3 et Nombres XXXI-17/18. 2Samuel VI-5 et 15-14. 10 Ce terme désigne traditionnellement les nouvelles tendances de l'histoire de l'Ouest américain et n'a bien entendu aucun lien avec "relecture" falsificatrice de la période nazie. 11 L'exposition de la Smithsonian Institution, "The West in America: Reinterpreting Images of the Frontier, 1820-1920, présentée au Musée national d'art américain de mars à juin 1991, puis éditée sous forme de livre, est très certainement la première apparition de cette dialectique. 9 5 William Truetner, le responsable de l'exposition West in America, évoque la manière dont le mythe sert à "contrôler l'Histoire et à la façonner […] en une séquence ordonnée d'évènements". Sa remarque rappelle l'une des dernières répliques de L'homme qui tua Liberty Valance, western de 1962: "Quand la légende entre dans les faits […], il faut diffuser la légende". Or, la tâche de l'historien consiste justement à se faufiler à travers ce voile de légendes et de mythes afin d'en examiner les complexités et les nuances, les distorsions et les excès. Ainsi, des évènements aussi bien internationaux qu'intérieurs -guerre du Vietnam, assassinats et conflits sociaux des années 60- ont débouché sur l'abandon de l'illusion turnerienne et sur une nouvelle interprétation du passé. Les intellectuels optent pour une vision plus critique, moins optimiste, voire tragique, de l'histoire américaine. William Howarth, professeur à l'université de Princeton, explique combien les circonstances ont influencé l'interprétation historique: "Après l'assassinat de JFK à Dallas et le Vietnam, on pouvait difficilement continuer à vénérer les as du revolver ou les nouvelles frontières…"12. La nouvelle histoire indique que l'histoire de l'Amérique, et plus généralement de l'Amérique de l'Ouest, s'est accompagné d'un génocide culturel, de perturbation de l'équilibre naturel, de violences, et de conflits raciaux et ethniques, de l'extermination des Amérindiens à la création sanglante de New York, particulièrement bien décrite par Gangs of New York de Martin Sorcese. Conclusion Au moment même où elle remet en cause ses propres valeurs, l'Amérique célèbre le centenaire de la théorie de la Frontière. Accordant au mouvement de migration vers l'Ouest une place primordiale dans l'évolution du pays, l'idée de Frontière s'est inscrite d'emblée au cœur du patrimoine culturel des Etats-Unis, au point d'en former aujourd'hui l'une des composantes essentielles. Il est vrai que le libéralisme économique, le messianisme ou le pragmatisme ne sauraient à eux seuls rendre compte d'une identité nationale sans passer par cette confrontation entre l'individu et l'environnement, entre civilisation et état sauvage, confrontation qui remonte à la conquête de l'Ouest. De la débâcle des Indiens aux chercheurs d'or des villes champignons, les pionniers d'autrefois ont posé une fois pour toutes les fondations d'un univers paradisiaque et ambigu: le mythe de l'expansion territoriale, au confluent de l'Eden et de l'Eldorado. Etaient-ils donc si peu innocents, les héros de cette aventure-là? Car l'Amérique actuelle se ressent plus que jamais de ses contradictions initiales, celles d'une région imaginée avant d'être conquise, entrée dans la légende avant même que son histoire n'imprègne la mémoire collective. Quant au mythe stricto sensu de l'Ouest, le cow-boy est moins présent dans les ranchs mais demeure une valeur sûre dans les domaines de l'art, de la mode et de la publicité. Ainsi, des générations d'adolescents ont par exemple fumé cette célèbre marque de cigarettes mettant en scène le mythe du cow-boy solitaire, viril et courageux chevauchant un mustang. Notons néanmoins que le cancer, quant à lui, n'est malheureusement pas un mythe… 12 Philippe Jacquin & Daniel Royot (dir.), Le Mythe de l'Ouest, éd. Autrement, série Monde, hors série n° 71, 1993, page 59. 6