Rencontre avec un dieu en palanquin et un

Transcription

Rencontre avec un dieu en palanquin et un
Rencontre
avec un dieu en palanquin
et un ministre aux pieds nus.
par Vigyânânand (Jacques Vigne)
J’ai vécu aujourd’hui une belle plongée dans la tradition de l’Inde. Je me trouve dans
une école d’environ 250 élèves que nous soutenons avec des amis français depuis sa
création il y a sept ans. Elle est à Guptakashi, littéralement « la Bénarès secrète » qui est
cachée dans les montagnes à trente km au sud de Kédarnath, une des sources du Gange
elle-même à 15 km de la frontière du Tibet. C’est un des rares endroits au monde où
quand on regarde devant soi et vers le haut, on voit des pics à moins de 15 km qui sont
6000 m plus haut, en l’occurrence le Chaukhamba, « les Quatre Colonnes » un peu audessus des 7000m d’altitude. Récemment, l’école a obtenu l’extension de sa
reconnaissance (CBSE, Central Board of Secondary Education, pour les grandes écoles
de l’Inde) pour les grandes classes de la seconde à la terminale. C’est un honneur rare
pour une école dans ces montagnes assez reculées. Ses résultats aux examens
gouvernementaux annuels sont aussi bons que ceux des grandes écoles de la capitale de
l’état, Dehra Dun, cette ville où Rajiv Gandhi et d’autres membres des grandes familles
de l’Inde sont venus étudier. L’intérêt de proposer des études en anglais dans ces régions
est un bien meilleur accès aux bonnes universités et donc un bien meilleur
positionnement sur le marché des demandeurs d’emploi. C’est la réalité de l’Inde 2013.
Nous attendions donc ce matin Monsieur le Ministre. Il avait choisi de suivre pendant
quelques jours la procession d’une statue de Shiva Vishvanath (Seigneur de l’Univers).
Dans les traditions de l’Himalaya indien, les statues sont sorties de temps à autre pour des
voyages de deux à trois semaines dans la région, sur un palanquin (le doli) porté par deux
fidèles qui marchent pied nus. Cette statue était déjà descendue d’une centaine de
kilomètres il y a dix jours de son temple en montagne pour recevoir les bénédictions à
Dehra Dun du Premier Ministre de l’état, en l’occurrence l’Uttarakhand, qui représente la
portion d’Himalaya au nord de Delhi avec en particulier les sources du Gange. Il s’agit
d’un gouvernement du parti du Congrès. La statue a ensuite remonté le Gange, parfois
accompagnée par un ministre et régulièrement par les autorités locales, maires, préfets,
etc. Aujourd’hui, il s’agissait du ministre de l’éducation, qui suivait le doli nu-pieds.
Lakhpat Rana que je connais depuis plus de vingt ans et qui a fondé l’école, a pris luimême les deux barres du palanquin pour introduire Shiva dans les lieux, pendant que le
ministre lançait les mantras traditionnels auxquels le groupe répondait avec un
enthousiasme mêlé d’excitation. C’était la première fois qu’un détenteur du portefeuille
de l’éducation de l’état venait visiter l’école, et en plus il s’agissait d’un ministre pied nu
qui marchait avec un dieu…
En fait, dans la tradition de l’Inde, il y a des précédents. Déjà, Gandhi a visité des
milliers de villages du pays en y arrivant pieds nus avec son bâton, c’était sa manière
préférée de rentrer en contact avec leurs habitants. A son époque, les politiciens
connaissaient déjà les voitures et utilisaient ce moyen pour faire leurs visites électorales
dans la campagne profonde, mais le Mahâtma, dès qu’il le pouvait, arrivait pedibus cum
jambis dans ces zones rurales. Bien avant, les Shankarâcharyas, des sortes de cardinaux
de l’hindouisme suivant leur fondateur, Adi-shankarâcharya du VIIIe siècle, eurent déjà
l’habitude d’aller à pied de village en village pour leur prédication, et ils continuent cette
tradition. Dans les régions où le jaïnisme est encore présent, les moines suivent le même
système. Le ministre lui-même a cité plusieurs fois Swami Râmatîrha. Il vivait au début
du XXe siècle et était inspiré par Swami Vivekânanda. Lors de sa première saison dans
l’Himalaya, après s’être transformé de professeur de mathématiques à l’Université de
Lahore en sannyâsi errant dans l’Himalaya, il a effectué 800 km pieds nus dans la
montagne. Il affirmait que ce n’était qu’ainsi qu’on sentait vraiment celle-ci…
Pour aller plus loin dans le temps, un flash back : les prêtres d’Héliopolis ou autres
temples d’Egypte au second ou troisième millénaire avant l’è.c. avaient aussi l’habitude
de sortir leurs statues de dieux sur un palanquin. Les fidèles posaient des questions
simples, si les officiant en transe avançaient d’un pas, la réponse était oui, s’ils reculaient
d’un pas, c’était non. Maintenant, flash forward de l’Egypte pharaonique jusqu’à ce
matin dans cette région de l’Himalaya, le Garhwal : les porteurs du palanquin sont
effectivement rentrés en transe après les discours d’usage, et dans cet état ont incliné la
statue de Shiva couverte de tissus et guirlandes vers un certain nombre de personnes de
l’assistance, dont Lakhpat et moi-même. Sur quoi le ministre, saisi d’une inspiration
diplomatico-divine, a demandé aux brahmines de me donner la guirlande qui enturbannait
le haut de la statue, en m’invitant à la garder précieusement, ce que je compte bien faire à
l’ermitage de Dhaulchina où je me rends dans les jours qui viennent.
Pour en revenir au ministre, il nous a expliqué qu’on ne pouvait pas travailler
sérieusement au développement d’une région depuis un bureau dans la capitale. Il fallait
le contact direct avec les gens et leurs problèmes là où ils étaient, et c’est ce qu’il
accomplissait à travers cette tradition du doli yatra, de ce voyage à pied à travers le pays
en compagnie de Shiva…Les indiens voient la laïcité différemment, surtout dans ces
régions de l’Himalaya où pratiquement toute la population est hindoue et pratique la
religion. Elle fait partie de la vie, et les gens ressentent sa participation à la résolution des
problèmes de société non pas comme un poids, mais comme un plus. Elle rend tout
simplement les services qu’on attend d’elle, et donne de la cohérence à notre présence
ici-bas. Dans cette compréhension, la laïcité signifie simplement que la religion ne doit
pas chercher à dominer, voire exploiter la société, mais réellement à l’aider.
Cette première visite d’un ministre de l’éducation est certainement une reconnaissance
pour l’école et tous ceux qui l’ont soutenue : François et Laure Marie-Lanoë avec la
première association Action Jacques Vigne Inde, Natalia Borek avec la seconde
Himalaya 2009, puis Monique Baudrand, Adriana Ardaléan et Marie Wintrebert avec
l’actuelle, Humanitaire Himalaya. Nous devons aussi citer tous les organisateurs de
stages dont les bénéfices sont allés pour l’école, et Stefan Krauter, qui a beaucoup
contribué à la construction après avoir visité les lieux lors d’un trek, avec sa société
autrichienne d’import-export. Mr Naithani, le ministre, a confié en fin de réunion à la
députée et aux officiels du district qui étaient pratiquement tous présents : « Quelqu’un
est venu d’au-delà des sept océans (une manière poétique en hindi de parler des étrangers
qui viennent de loin) et a réussi à accomplir pour la région ce que nous ne réussissons pas
à faire ! ». Le compliment va à tous ceux qui ont soutenu, d’une façon ou d’une autre, le
projet.
Pour pouvoir conserver la précieuse reconnaissance CBSE donnée récemment, il faut
que l’école construise trois laboratoires, un de physique, un autre de chimie et un
troisième de biologie avant octobre de cette année. J’ai apporté cette fois-ci 3000 € à
l’école pour commencer le travail, si certains d’entre vous veulent soutenir sa
continuation et son achèvement, ils sont les bienvenus. Il leur faudra alors envoyer un
chèque à l’ordre d’Humanitaire Himalaya à :
Monique Baudrand – Humanitaire Himalaya
17 rue Bonaparte
75006 Paris
01 46 33 03 92
Jacques Vigne,
Guptakashi, le 13 juin 2013