la gestion des ressources en eau douce en droit international
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la gestion des ressources en eau douce en droit international
Université de Lyon Université lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Droit international de l’eau et gestion des ressources transfrontalières MONDANGE Adrien Mémoire de séminaire Droit international public Sous la direction de : M. Moncef Kdhir Septembre 2009 Table des matières Remerciements . . Introduction . . Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre . . Chapitre 1 : un droit évolutif aux multiples facettes . . Section 1 L’émergence progressive de normes internationales : une approche d’abord limitée . . Section 2 un élargissement juridique nécessaire . . Chapitre 2 : l’affirmation de la nécessité de gestion commune . . Section 1 des doctrines stato centrées incompatibles avec la gestion de ressources internationales en eau douce . . Section 2 La souveraineté remise en cause . . Chapitre 3 Aujourd’hui : eau et partage . . Section 1 : un long fleuve…pas tranquille du tout : l’édification d’une convention internationale . . Section 2 les travaux de la CDI : antagonismes et concessions . . Section 3 des principes généraux généreux ? . . Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce . . 5 6 18 18 19 25 29 30 34 38 39 42 46 Annexe 1 : Les aquifères transfrontaliers dans le monde . . 53 53 54 60 65 65 69 76 81 82 87 93 96 96 99 100 102 102 Annexe 2 : Convention sur le droit relatif aux utilisations descours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, 14 mai 1997 (sélection d’articles) .. 103 Annexe 3 : Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau . . 112 Annexe 4 : Carte « Water sources », distribution des ressources en eau douce en Israël et dans les Territoires Occupés . . 116 Chapitre 1 la Convention du 21 mai 1997 : une convention imparfaite . . Section 1 un apport somme toute limité . . Section 2 une convention peu novatrice ? . . Chapitre 2 des vides juridiques criants . . Section 1 l’absence d’un système de règlement contraignant . . Section 2 des préoccupations environnementales qui semblent lointaines . . Section 3 : Le droit à l’eau . . Chapitre 3 utilité du droit international des ressources en eau douce : études de cas . . Section 1 l’eau enjeu de pouvoir : quelle place pour le droit international ? . . Section 2 L’eau et la paix au Proche Orient . . Conclusion . . Bibliographie . . Ouvrages et articles de périodiques . . Documents officiels et juridiques . . Principaux sites Internet consultés . . ANNEXES . . Resume . . Mots-clefs . . 118 119 Remerciements Remerciements Je tiens à remercier M. Moncef KDHIR, professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, responsable du séminaire droit international public, pour son accompagnement dans les différentes étapes de ce travail de recherche ainsi que ses conseils. Merci à Mme Raya Marina Stephan, Raya Marina Stephan, spécialiste en droit de l'eau, consultante pour l'UNESCO Programme Hydrologique International, pour ses conseils et sa consciencieuse relecture. Merci à Thibaut Magnan, un ami étudiant à l’ESC Lyon, pour son soutien logistique et ses relectures. Merci à tous ceux qui m’ont aidé à faire avancer ma réflexion et ont accepté de répondre à mes questions ponctuelles, et notamment : Alice Aureli (UNESCO Water division) pour les documents qu’elle m’a fait parvenir, Emilie Casper, auteur d’une thèse sur le droit de l’eau, Jochen Sohnle, Maître de conférence en Droit Public, spécialiste en droit de l’eau. Mondange Adrien - 2009 5 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Introduction L’eau est source de vie et elle est indispensable à son maintien. Elle est nécessaire à toute forme de vie sur la planète, utilisée par les êtres humains comme par les écosystèmes dans l’ensemble de leurs cycles. Un être humain est composé de plus de deux tiers d’eau, et une perte de plus de 15% de notre eau peut entraîner la déshydratation et la mort. Partant de ce constat, l’eau est même recherchée jusque sur Mars, et à travers ses explorations l’Homme cherche à savoir s’il est seul dans l’univers. Ce n’est peut être pas le cas, mais ce qui reste sûr actuellement, c’est que l’Homme est seul face à ses responsabilités. L’eau recouvre plus de 70% de la Terre, que nous appelons « Planète Bleue » depuis qu’elle est apparue ainsi aux premiers astronautes qui l’ont observée. Cependant une infime quantité de cette eau peut être utilisée pour les besoins humains. En effet, 98% de cette eau a une teneur en sel trop élevée. L’eau douce accessible représente à peine 0,3% du total, le reste est enfermé dans les glaces, ou réside dans des nappes souterraines trop profondes pour être aisément exploitées. L’eau peut parfois être un élément complexe à appréhender, de par son caractère changeant, de par les traditions qui y sont attachées, de par les questions que la gestion de cette ressource soulève. Le cycle hydrologique est constitué d’échanges d’eau sous différentes formes entre les mers et océans, les eaux continentales (superficielles et souterraines), l’atmosphère et la biosphère. Le cycle externe de l’eau se fait en deux parties, intimement liées : une partie atmosphérique et une partie terrestre qui concerne l’écoulement de l’eau sur les continents. Différents mécanismes participent à la formation du cycle, parmi lesquels l’évaporation et la transpiration, les précipitations, le ruissellement, l’infiltration… 6 Mondange Adrien - 2009 Introduction Le cycle de l’eau Dans l’introduction de son ouvrage sur l’eau et ses enjeux, François Actil justifie l’intérêt du rappel du cycle de l’eau dans son étude de la façon suivante : « Nous connaissons tous le cycle de l’eau et le caractère perpétuel de ce mouvement. Quel est alors l’intérêt de revenir encore une fois sur cette question ? En fait, les choses ont beaucoup changé depuis le début de l’industrialisation. Il manque au schéma classique du cycle de l’eau les 1 quelque six milliards d’individus qui s’abreuvent continuellement à cette source […] » . Le cycle global de l’eau est équilibré, c'est-à-dire que les océans et les continents reçoivent par les précipitations une quantité d’eau égale à celle qui s’en évapore. Les précipitations sur les océans étant inférieures à l’évaporation, les continents réduisent l’écart en déversant chaque année une certaine quantité d’eau dans les océans. Durant ce cycle, l’eau se retrouve sous trois phases : liquide, solide et gazeuse, et ce sont les trois formes de sa présence sur la planète. L’eau présente dans la nature se retrouve essentiellement sous forme liquide. Les ressources utilisées par l’homme proviennent principalement des eaux de surface, les fleuves, rivières et lacs car elles sont directement accessibles et peuvent faire l’objet d’aménagements. Quant aux eaux souterraines, elles correspondent à l’eau, sous quelle que forme que ce soit, contenue dans l’écorce terrestre. Ces réservoirs naturels sont appelés aquifères. Les eaux superficielles et les eaux souterraines ne sont cependant pas deux éléments complètement distincts, et la communauté scientifique a montré que leur sort est en fait étroitement lié. Les eaux de surface peuvent être à l’origine de la recharge naturelle des aquifères, alors que les eaux souterraines alimentent fleuves et lacs. L’eau est une ressource mobile, et elle est inégalement répartie sur l’ensemble de la planète. « Elle constitue par ailleurs une ressource limitée- non pas rare- et recyclable- non 1 François Anctil, l’eau et ses enjeux, 2008, les Presses de l’Université de Laval, p.1. Mondange Adrien - 2009 7 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL 2 pas renouvelable » . Il est incorrect d’affirmer que l’eau est rare sans autre précision. L’eau est présente sur la Terre en quantité suffisante, et selon certaines prévisions l’eau douce 3 disponible pourrait satisfaire « au moins le double de la population mondiale actuelle » . Il y a assez d’eau pour satisfaire les besoins de la population actuelle et des populations à venir. Des estimations de la banque mondiale et de la commission pour l’eau nous rappellent que les hommes consomment en moyenne à l’échelle mondiale 3800 km3 d’eau par an pour leurs besoins, alors que les ressources disponibles s’élèvent à environ 41 000 km3 ! Ce qui pose problème dans la gestion de l’eau douce, c’est son inégale répartition. En ce sens, on peut parler de la « raréfaction de l’eau douce en tant que ressource naturelle de 4 par sa répartition inégale dans l’espace et l’accroissement des demandes » . Une étude réalisée dans le cadre du programme des Nations Unies pour l’eau définit la rareté en eau comme de la sorte : « water scarcity [is] the point at which the aggregate impact of all users impinges on the supply or quality of water under prevailing institutional arrangements to the extent that the demand by all sectors, including the environment, cannot be satisfied 5 fully » Le Moyen Orient, région du monde abritant 5% de la population mondiale totale, ne dispose que de 1% des ressources en eau douce. La « tranche critique », voilà où se trouvent deux pays sans cesse au cœur de l’actualité, Israël et la Jordanie. Dans cette région, le déficit hydrique est d’au moins 300 millions de m3 par an. Le problème de l’eau au Proche Orient est relativement récent. Il est dû à une explosion des besoins sous la pression démographique (et donc des besoins croissants pour l’irrigation) depuis les années 80. On 6 a pu parler alors d’ «hydropolitique » . Dans la plupart des pays d’Afrique Subsaharienne la survie des populations nécessite des efforts constants de chacun pour s’approvisionner en eau douce. Le « Nord », avec seulement 20% de la population mondiale, utilise ainsi jusqu’à 80% des ressources en eau. Au-delà de la dimension écologique présentée en quelques traits plus haut, l’eau présente une dimension sociale. Elle est à la base de la vie humaine, et à la base par là-même du développement des sociétés. L’eau est un « facteur 7 social » Une gestion saine de l’eau permet d’éviter la propagation de maladies. Comme l’a dit l’ancien Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Lee Jong-Wook, « l’eau et l’assainissement sont indispensables à la santé publique. […] lorsqu’on aura garanti à tout un chacun, quelles que soient ses conditions de vie, l’accès à une eau salubre et à un assainissement correct, la lutte contre un grand nombre de maladies aura fait un bond énorme ». Certains chiffres ressortent régulièrement des différentes études réalisées par les Nations Unies et différentes ONG. Ainsi, chaque année 1,8 millions de personnes, dont 90% sont des enfants de moins de cinq ans, vivant pour la plupart dans des pays en développement, meurent de maladies diarrhéiques (y compris du choléra). 88% de ces maladies sont dues à une mauvaise qualité de l’eau, à un assainissement insuffisant et à une hygiène défectueuse. En 2025, 1800 millions de personnes vivront dans des régions dans lesquelles l’eau sera rare, au sens défini plus haut, et les deux tiers de la population mondiale pourraient connaître des situations de « stress hydrique », ce qui signifie qu’environ 3,5 2 3 4 Sylvie Paquerot, Eau douce, la nécessaire refondation du droit international, Presses de l’Université du Québec, 2005, p.2 M. De Villiers, l’eau, Toronto/Paris/Montréal, Solin/Actes Sud/Léméac, 1999, p.31, in Sylvie Paquerot, op. cit., p.3. Jochen Sohnle, le droit international des ressources en eau douce : solidarité contre souveraineté, la documentation française, Paris, 2002, p.23. 5 6 UN-Water, coping with water scarcity. A strategic issue and priority for system-wide action, August 2006. De nombreux articles traitent aujourd’hui de ces questions. Bien que le terme n’apparaisse pas encore dans les dictionnaires courants, en revanche il fait partie du lexique géopolitique. 7 8 Jochen Sohnle, le droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.23-33 Mondange Adrien - 2009 Introduction milliards de personnes devraient connaître des difficultés quant à l’approvisionnement en eau. Source : I.A. Shiklomanov, Comprehensive Assesment of the Freshwater Ressources of the World Mondange Adrien - 2009 9 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Source : I.A. Shiklomanov, Comprehensive Assesment of the Freshwater Ressources of the World Disponibilité en eau douce 10 Mondange Adrien - 2009 Introduction La pénurie d’eau en 2025 (Source : World Water Forum 2000) Il est important, même dans un travail qui doit se focaliser avant tout sur le droit, de prendre conscience des questions liées à l’eau. Nous l’avons dit, les paramètres devant être pris en compte pour la gestion de l’eau sont non seulement quantitatifs mais aussi qualitatifs. Alors que la population mondiale a triplé au cours du XXe siècle, l’utilisation de l’eau a été multipliée par six. Ces besoins croissants sont attribuables non seulement à la croissance de la population mais aussi au fait que les populations consomment de plus en plus d’eau. 70% des ressources en eau douce disponibles sont utilisés pour les besoins de l’irrigation, 20% pour l’industrie et 6% pour les ménages. L’Agenda 21, qui est le rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement (Rio de Janeiro, juin 1992), consacre son chapitre 18 à la gestion des ressources en eau douce. Il y est dit que : « La rareté généralisée des ressources en eau douce, leur destruction progressive et leur pollution croissante que l’on constate dans de nombreuses régions du monde, ainsi que l’intrusion graduelle d’activités incompatibles, exigent une intégration de la planification Mondange Adrien - 2009 11 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL et de la gestion des ressources en eau. Cette opération doit couvrir toutes les étendues d’eau douce interdépendantes, notamment les eaux de surface et les eaux souterraines, et tenir dûment compte des aspects quantitatifs et qualitatifs. Il est nécessaire de reconnaître la dimension multisectorielle de la mise en valeur des ressources en eau dans le contexte du développement socio-économique ainsi que les utilisations multiples de l’eau : approvisionnement et assainissement, agriculture, industrie, urbanification, hydroélectricité […]. Des plans rationnels de mise en valeur des eaux de surface, des eaux souterraines et d’autres sources possibles doivent être appuyés en même temps par des mesures de mise 8 en valeur des eaux de surface, des eaux souterraines […] » . L’eau semble être aujourd’hui un sujet de préoccupation majeur. L’année 2003 avait été proclamée « année internationale de l’eau douce », et nous vivons actuellement e dans la « décennie internationale d’action : l’eau, source de vie ». Lors du 4 Forum mondial de l’eau en mars 2006 à Mexico, les ministres réaffirment un certain nombre de positions, et notamment « le rôle crucial de l’eau douce dans tous les domaines liés au développement durable, soit, entre autres, l’éradication de la pauvreté et de la faim, la santé, le développement de l’agriculture […] ainsi que de l’atteinte des objectifs de durabilité et de protection de l’environnement ». Depuis des temps anciens l’homme a cherché à utiliser au mieux les ressources en eau douce. Les sociétés de l’Egypte pharaonique, l’Empire Inca du Pérou, l’empire chinois ou encore l’Inde, ont basé leur développement sur la maîtrise de l’eau, créant ainsi ce 9 que Wittfogel a appelé les « sociétés hydrauliques » (« hydraulic societies ») . Aujourd’hui encore, l’eau ressort comme un facteur déterminant dans de nombreux programmes de développement, concernant notamment la réduction de la pauvreté, la prise en compte des objectifs de développement durables… « L’eau coule toujours vers les sources de moindre résistance ». 8 10 Les populations ont cherché, et cherchent aujourd’hui encore, à s’assurer de la pérennité de leurs intérêts quant aux ressources en eau douce. Certains auteurs aujourd’hui parlent de « guerre de l’eau ». C’est une expression frappante que la presse a contribué à populariser. Cependant, aucun de ces conflits n’a jusqu’à ce jour été enregistré, et le terme est difficile à saisir. En effet, si l’eau peut être un facteur aggravant lors d’un conflit armé, la possession de cette ressource n’a pas été la revendication centrale de l’une ou l’autre des parties au conflit. L’eau peut être utilisée comme une ressource stratégique, voire comme une arme, exacerber des tensions déjà existantes…Ainsi, Nina Graeger affirme que : « when environmental degradation is a consequence of international acts of warfare, it often exacerbates the conflict. Environmental degradation may also exacerbate a conflict 11 that originated for other reasons […] » . Ceux qui défendent la thèse de la guerre de l’eau partent du principe que les hommes, toujours plus nombreux, se disputent une eau de plus en plus rare. Or, nous l’avons dit, l’eau n’est pas de plus de plus en plus rare, elle est par contre très inégalement répartie. Toutefois cette thèse a été largement médiatisée, et Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (Rio de Janeiro, 3-14 juin 1992), chapitre 18, para.3. 9 Cité par Eyal Benvenisti, collective action in the utilization of shared freshwater : the challenges of international resources law, the American Journal of International Law, Vol.90, N°3 (Jul.1996), p.385. Source originale Karl. A. Wittfogel, Oriental Despotism: A comparative study of total power 8 (1957). 10 11 12 Moses Isegawa, écrivain ougandais, dans le courrier de l’UNESCO, octobre 2001, p.30. Nina Græger. Environmental Security? Journal of Peace Research, Vol. 33, No. 1. (Feb., 1996), p. 110 Mondange Adrien - 2009 Introduction ce à travers des déclarations au caractère prédictif parfois trop appuyé. Ainsi, en 1992 Dr Boutros Boutros Ghali, ancien ministre des affaires étrangères d’Egypte et alors Secrétaire Général des Nations Unies déclarait que « le prochain conflit au Moyen Orient portera sur la 12 question de l’eau » . Aaron Wolf, directeur d’un projet de base de données sur les conflits transfrontaliers et maître de conférence à l’Oregon State University, estime quant à lui que « la seule vraie guerre de l’eau connue remonte à 4500 ans. Elle a opposé deux cités mésopotamiennes à propos du Tigre et de l’Euphrate, dans le sud de l’Irak actuel. Depuis, l’eau a parfois envenimé les relations internationales. Mais on voit souvent des nations ennemies- comme l’Inde et le Pakistan ou Israël et les Palestiniens- régler leurs conflits sur 13 l’eau même s’ils se déchirent pour d’autres raisons » . La plupart des incidents sérieux se sont limités à des menaces verbales de chefs d’Etat. Ainsi Sadat déclarait il en 1979 que « l’eau était le seul mobile qui pourrait conduire l’Egypte à entrer de nouveau en guerre ». En fait, et toujours selon Aaron Wolf, les théories de la guerre de l’eau seraient apparues à la fin de la guerre froide afin de venir combler le vide crée par la fin de l’affrontement des deux « supergrands ». C’est à cette époque que sont apparues de nouvelles approches dans les études des relations internationales, et notamment celles consacrant l’idée de « sécurité 14 environnementale » . Le programme mondial pour l’évaluation des ressources en eau (World Water Assessment Programme WWAP) a été crée en 2000 pour tenter de trouver des solutions durables à ce problème de développement humain. De plus, ce programme comporte un autre volet, à savoir casser le mythe selon lequel un stress hydrique accru provoquera inévitablement des conflits internationaux. Si l’on réfléchit encore un peu à cette problématique de la « guerre de l’eau », on s’aperçoit que ce serait une erreur et une catastrophe. Plutôt que de tenter de négocier, approche qui a toujours été privilégiée, un Etat chercherait à accroître ses réserves en faisant la guerre à son voisin, ce qui semble absurde, à moins de s’emparer du bassin hydrographique dans l’ensemble et de le vider de ses habitants, situation qui serait certainement condamnée par la communauté internationale. Des estimations considèrent que 40% de la population mondiale vit dans les quelques 260 bassins internationaux qui traversent les frontières de deux ou plusieurs pays, ce qui correspond à environ 60% des ressources en eau douce disponibles. L’eau est une ressource partagée par nature, et son partage est une nécessité. Si ce partage est aujourd’hui l’œuvre du droit international de l’eau, en revanche les premiers préceptes normatifs ont souvent résulté de considérations religieuses, symboliques, de données scientifiques (naturelles ou sociales). De tout temps des populations vivant dans des zones arides ont su partager cette ressource et vivre dans un environnement qui nous apparaît, à nous qui n’avons qu’à ouvrir le robinet pour que l’eau abonde, très austère. Pensons par exemple à Petra, qui au premier siècle avant notre ère était un carrefour commercial abritant jusqu’à 30 000 caravaniers et commerçants, les Nabatéens. Et pourtant, cette ville est en plein désert…A l’inverse, songeons à une ville comme Las Vegas et ses 600 000 habitants, ville elle aussi en plein milieu d’un désert, et qui s’offre pourtant le luxe de consommer plus du double de la consommation moyenne aux Etats Unis, soit plus de 1000 litres par jour et par personne… 12 13 14 El-Ahram Weekly, 19-25 mars 1992, cité par C. Chesnot, La Bataille de l’eau au Moyen-Orient, Paris, L'Harmattan, 1993, p. 9. Aaron Wolf, propos recueillis par Amy Otchet, le courrier de l’UNESCO, octobre 2001, p.18. Sur ce sujet, voir par exemple : Norman Myers. Ultimate Security, The Environmental Basis of Political Stability, 1993, W.W Norton and Company, first edition ; Thomas Homer-Dixon. The Myth of Global Water Wars, Toronto Globe and Mail, November 9, 1995 ; Peter H.Gleick. Water and Conflict: Fresh Water Resources and International Security. International Security, Vol. 18, No. 1. (Summer, 1993) ; Nina Græger. Environmental Security? Journal of Peace Research, Vol. 33, No. 1. (Feb., 1996)... Mondange Adrien - 2009 13 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL On peut dire aujourd’hui que l’eau est un bien économique, peut être pas tout à fait comme les autres, mais un bien qui semble répondre à la confrontation de l’offre et de la demande. « La demande en eau est déterminée par le niveau de développement économique et technologique atteint ou à atteindre dans une société ainsi que par le niveau démographique », tandis que « l’offre de la ressource en eau est un ensemble de potentialités conjuguant quantités (flux, stock) et qualités, de facilités et de difficultés de 15 maîtrise et d’accès […] » . Cependant, la considération et le traitement de l’eau comme un simple bien économique ne vont pas sans poser un certain nombre de problèmes. Avant 1998, 90 millions de personnes avaient recours à des eaux produites par de grandes multinationales. Ce chiffre est ensuite passé à plus de 250, et on ne peut qu’extrapoler ce chiffre à la hausse depuis. Le marché n’est pas anodin dans cette situation. Les installations nécessaires à l’exploitation de l’eau sont toujours plus coûteuses, et par conséquent les firmes répercutent ces coûts d’exploitation sur les prix de l’eau. Ainsi, si les firmes continuent à traiter l’eau comme une ressource lucrative, cela remet en cause la distribution publique assurée par les Etats ou les pouvoirs locaux, et risque de priver d’eau les populations qui n’ont pas les moyens de se l’offrir. D’un point de vue éthique, une telle situation est également critiquable. Danièle Mitterrand, dont la fondation « France Libertés » a pour slogan « les vraies richesses n’ont pas de prix », rappelle que « l’eau c’est la vie. Or on 16 ne vend pas la vie » . Selon les théories économiques, faire de l’eau un bien économique permettrait d’assurer une gestion équilibrée de l’eau, fonction de l’offre et de la demande. Cependant une telle approche laisse de côté la nature même de l’eau ainsi que les questions sociales et environnementales. Il est en effet impossible de répartir les ressources en eau disponibles en parts de marché. Les externalités négatives inhérentes à la production d’un bien économique ne peuvent être compensées dans le cas de l’exploitation de ressources en eau. Dans le cas du dessalement de l’eau par exemple, non seulement ce procédé est extrêmement gourmand en énergie, mais de plus il tend à contrarier le cycle naturel de l’eau en prélevant et en dessalant une eau qui aurait dû s’évaporer et participer au cycle externe. L’eau est une ressource qui ignore les frontières, elle est un élément supranational et pose donc de ce fait d’importantes questions relatives au droit international. Jochen Sohnle exprime d’ailleurs l’importance de ces questions dans le titre de sa thèse : le droit international des ressources en eau douce : solidarité contre souveraineté. Ceci amène l’auteur à présenter l’eau comme une « ressource solidaire [qui] remet en cause le concept 17 de souveraineté » . La souveraineté est un concept essentiel de droit international public. Tout Etat est souverain et par conséquent il existe une égalité entre Etats souverains, de même qu’il existe une égalité en droit interne entre les sujets de l’Etat. Les Etats sont égaux en tant qu’ils sont souverains, ce qui signifie qu’ils n’ont pas en droit de supérieur. Ainsi, 18 la notion de souveraineté renvoie à la puissance de l’Etat, mais aussi à sa liberté . La souveraineté dans l’ordre international se définit négativement comme le fait de ne pas être soumis à une autorité supérieure, elle ne comporte en elle-même aucun pouvoir, et permet de qualifier les droits d’un Etat, ses prérogatives et ses compétences sur la scène internationale. Comment dès lors concilier la souveraineté de l’Etat et le partage d’une 15 16 Jochen Sohnle, op.cit., p 26-27. Danièle Mitterrand, reportage « protéger l’eau, c’est défendre la vie », présenté par Yann-Arthus Bertrand, réalisé par Xavier Lefebvre, 2006. 17 Jochen Sohnle, op.cit., p.33 18 Pour plus de précisions, voir Jean Combacau, Pas une puissance, une liberté : la souveraineté internationale de l’Etat, e Pouvoirs, 1993, numéro 67 ; Jean Combacau, Serge Sur, Droit international public, 2005 (5 édition). 14 Mondange Adrien - 2009 Introduction ressource « solidaire » ? C’est l’une des questions auxquelles les sociétés ont cherché à répondre, et cela s’est traduit par une inflation juridique. Ainsi, de 805- date à laquelle l’empereur Charlemagne octroie à un monastère la liberté de naviguer sur le Rhin- à nos jours, de nombreux traités concernant l’utilisation des ressources en eau internationales se sont succédés. J. Sironneau évalue à environ 3800 le nombre de ces traités. Ce sont des traités bi ou multilatéraux, qui se rapportent à l’utilisation des eaux d’un bassin en particulier. Les auteurs retraçant la formalisation des règles applicables aux cours d’eau internationaux se réfèrent au terme « d’internationalisation » des règles, soulignant par ailleurs le fait que le caractère international d’un cours d’eau n’était pas fondé sur sa nature mais plutôt sur des observations relatives à la navigabilité du fleuve. Dès le XIXe siècle en effet, les fleuves internationaux ont fait l’objet de formes de coopération internationale, et ont donné naissance aux premières organisations internationales, chargés de gérer des fleuves internationaux tels que le Rhin, le Danube ou encore l’Escaut. Durant tout le XIXe siècle, seuls deux éléments seront considérés pour définir le caractère international d’un cours d’eau : la navigabilité naturelle sur tout ou partie du cours d’eau, qui doit de plus traverser ou séparer deux ou plusieurs Etats. L’article 108 de l’Acte final du Congrès de Vienne de 1815 est ainsi libellé : « Les puissances dont les Etats sont séparés ou traversés par une même rivière navigable, s’engagent à régler d’un commun accord tout ce qui a 19 rapport à la navigation de cette rivière » . Dans son arrêt du 10 septembre 1929 portant sur l’affaire de la compétence de la Commission internationale de l’Oder, la Cour Pénale de Justice Internationale (CPJI) a considéré que la qualification de fleuve international ne pouvait être conférée qu’à une voie d’eau navigable au moins sur une partie de son cours 20 et qui serve « naturellement d’accès à la mer à plusieurs Etats » Cependant, compte tenu des caractéristiques de l’eau, cette condition de navigabilité ne pouvait pas rester la seule. Si c’était le cas, elle aurait des effets pervers et destructifs, empêchant les aménagements nécessaires à l’être humain, et laissant de côté par exemple la notion de souveraineté. Il s’agirait d’une internationalisation bien limitée au vue d’un élément pourtant unique en son genre. Le droit international doit donc prendre en compte des éléments écologiques et sociaux afin de réguler l’utilisation des ressources en eau douce. Des considérations liées aux caractéristiques inhérentes à l’eau, aux différentes utilisations qui peuvent en être faites, sont nécessaires. Il est important pour dégager des règles juridiques de bien comprendre la nature de l’eau. M. Schwebel, l’un des rapporteurs de la Commission de Droit International chargée de travailler sur « l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation », avait dès 1979 souligné trois éléments essentiels. Il s’agit du cycle hydrologique, du pouvoir auto-épurateur de l’eau, et de la variation de la quantité d’eau et 21 de son écoulement . Dans le cas de l’eau, des impératifs extra juridiques appellent à la création de normes juridiques. Jochen Sohnle exprime parfaitement cette problématique en écrivant que : « le caractère naturel et partagé des ressources en eau, leurs dimensions écologique et sociale induisent une finalisation du droit international qui s’en occupe. L’impératif de solidarité est la résultante de ces vecteurs extra juridiques. Ce constat rejoint l’existence 19 Martens (G.F. de), Nouveau Recueil des traités, vol. II (1814-1815), 1887, p.424, cité par El Hassane Maghfour, Hydropolitique et droit international au Proche-Orient, l’Harmattan, 2008, p.187. 20 21 Recueil CPJI série A, p25, §23, cité par JP Pancracio, droit international des espaces, Armand Colin, 1997, p. 112. Scwebel, premier rapport, 1979, pp.153 à 158. Mondange Adrien - 2009 15 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL d’un principe général juridique de solidarité, déduit, quant à lui, de l’observation empirique 22 du droit positif international des ressources en eau douce » . Ainsi, considérant que l’eau est difficilement réductible à une simple ressource naturelle, à laquelle s’appliquent les principes de souveraineté et de libre échange, une évolution du droit international de l’eau s’est produite, le dernier acte juridique produit étant la Convention de New York de 1997 relative à « l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation ». Cette convention n’est pas encore en vigueur. Il existe donc aujourd’hui ce que l’on peut appeler un droit international de l’eau. Arrêtons-nous un instant sur les termes employés. Il semble en effet étrange de parler de droit « de » l’eau. Dans un article publié en 1985, Martine Rémond-Gouillud se propose de réfléchir sur les relations entre la nature et le droit. La nature redevient elle un sujet de droit ? Pour l’auteur, on ne peut pas dire que ce soit réellement le cas. Martine Rémond Gouilloud propose ensuite une relecture du droit romain en fonction des réalités contemporaines. Les rapports entre l’homme et son droit, et la nature ont toujours existé. Pensons aux différentes divinités de la nature qui participaient à la vie de la cité. Pensons également aux procès faits aux animaux et notamment durant le Moyen Age. De tels procès n’étaient pas organisés de façon régulière, cependant « les sources convergent et font remonter à 1120 la première excommunication prononcée contre les chenilles et les mulots. Par 23 contre, c’est au XIIIe siècle […] que l’on a trace d’un jugement rendu contre un porc » . Au Moyen Age on soumettait à l’action de la justice tous les faits condamnables, même ceux des animaux. Il existait donc un droit applicable aux animaux, avec des procédures décrites précisément, des sanctions prévues (la relaxe, la mort par pendaison etc…) selon les animaux et les crimes commis. Les rapports de l’homme à la nature sont en constante évolution. Il semble que l’anthropocentrisme s’efface progressivement devant des considérations plus globales. Le droit des animaux désigne effectivement les droits accordés aux animaux, ceux d’être protégés, bien traités…C’est aujourd’hui l’homme que l’on condamne, pour une faute commise par son animal, ou pour un rapport condamnable entretenu avec un animal. De même, le droit de l’environnement, pris dans un sens large, évolue. Selon Martine Rémond Gouilloud, « le droit de l’environnement semble appelé à 24 prendre ici le relais du droit des biens » . A partir de l’étude des significations classiques de res nullius et res communis, l’auteur montre qu’ « une analyse classique du droit de propriété contribue encore à expliquer l’insertion difficile du droit de l’environnement dans 25 notre système juridique » . Ainsi, les notions de res nullius et res communis se seraient éloignées de leur signification classique, ceci témoignant d’un état d’esprit nouveau. Il existe des limites à l’utilisation des ressources en eau douce, et selon Martine Rémond Gouilloud, c’est la prudence qui s’institutionnalise, et permettrait d’opérer « l’adéquation de la ressource 26 à l’homme » . Le droit semble pouvoir répondre à des problématiques toujours plus complexes et à des attentes toujours plus précises. L’eau est un enjeu de codification, elle est un objet de réflexion juridique, et ce à tous les niveaux. En droit interne, cette préoccupation se traduit par la multiplication de mesures législatives destinées à assurer la conservation 22 23 24 25 26 16 Jochen Sohnle, op.cit., p.34. Benjamin, Jacques, Claude Daboval, les animaux dans les procès du Moyen Age à nos jours (thèse), 2003. REMOND-GOUILLOUD, Martine, Ressources naturelles et choses sans maître, Recueil Dalloz, 31 janvier 1985, p. 28 Idem. REMOND-GOUILLOUD, Martine, ressources naturelles et choses sans maître, op.cit, p. 34. Mondange Adrien - 2009 Introduction 27 des eaux, leur protection, leur gestion . Au niveau communautaire, la directive 2000/60/ CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établit « un cadre 28 pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau » En droit international, les efforts se multiplient également. Les doctrines, les textes juridiques élaborés à des échelles internationales pourraient permettre de soutenir une coopération internationale indispensable aujourd’hui pour assurer une gestion équitable des ressources en eau douce. Le droit n’empêche pas forcément les individus ou les Etats d’agir contrairement aux intérêts de la société qui ont été fixés, cependant il a l’avantage de fixer un cadre juridique nécessaire et qui fixe en théorie les limites de certains agissements. Si la littérature de l’immédiate après guerre froide concernait principalement le risque de conflits, aujourd’hui les textes prônent un partage et une gestion à l’échelle de bassins fluviaux internationaux, le dépassement de cadres simplement bilatéraux. Les maîtres mots autour desquels s’articulent les nouvelles réflexions sur le droit international de l’eau sont « solidarité », « coopération », « concertation », « utilisation équitable et raisonnable », et d’autres encore. La Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau à des fins autres que la navigation adoptée à la suite des travaux de la Commission du Droit International le 21 mai 1997, cherche à établir un équilibre entre les différents intérêts des Etats quant aux ressources en eau disponibles. Cette Convention énonce trois principes fondamentaux : le principe de l’utilisation équitable et raisonnable et l’interdiction de causer un dommage significatif, l’obligation de coopérer entre les Etats du cours d’eau, l’obligation de protection des cours d’eau. Nous serons amenés à analyser cette Convention tout au long de notre travail. D’autres législations seront étudiées. A travers ce travail il s’agira de voir comment le droit international cherche à gérer les ressources en eau douce, et de s’attarder sur la pertinence de ce droit en matière de gestion d’eau douce. Malgré la prise de conscience croissante de la nécessité d’utiliser le droit international pour gérer les ressources en eau douce, le droit n’est pas toujours à la hauteur. S’il constitue un cadre de valeurs incitant les Etats à partager une ressource nécessaire à tous, et s’il est établi dans une perspective de paix, d’équité et de justice, pourtant il est aujourd’hui encore nécessaire d’évaluer son apport. Pour ce faire, il s’agira de présenter l’édification du droit international de l’eau. Ce droit a été construit progressivement, et a abouti à la mise en place de principes qui semblent être les piliers d’une nouvelle compréhension des ressources en eau douce. Il est nécessaire de se pencher sur la construction de ce droit afin de mieux faire ressortir les problèmes et les conflits qui peuvent être soulevés. En effet, la suite de notre réflexion sera consacrée à l’apport et à la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce. 27 En France, la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et milieux aquatiques vise, entre autres, à améliorer les conditions d’accès à l’eau de tous et à rendre plus transparent le service public de l’eau douce, à reconnaître le droit à l’eau pour tous, à mettre en place les objectifs établis par la directive cadre européenne sur l’eau d’octobre 2000… 28 Parmi les mesures de protection et de gestion figurent des arguments économiques : « à partir de 2010, les Etats membres doivent assurer que la politique de tarification incite les consommateurs à utiliser les ressources de façon efficace et que les différents secteurs économiques contribuent à la récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau, y compris pour l’environnement et les ressources ». Mondange Adrien - 2009 17 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre Chapitre 1 : un droit évolutif aux multiples facettes Le droit international de l’eau est, à l’image de son objet, sans cesse en mouvement. C’est un droit qui évolue fortement, et ce pour différentes raisons. D’une part, les usages qui sont faits de l’eau n’ont pas toujours été les mêmes, le progrès technologique par exemple a amené de nouvelles utilisations de cette ressource. Cependant, ce qui contribue également à faire de l’eau un sujet permanent du droit, et une source d’intérêt constante, voire croissante, est la permanence des enjeux liés à l’eau. Dès l’Antiquité se manifeste la valeur géostratégique de cette ressource, qui est à la fois un instrument de défense du territoire car elle peut constituer un obstacle naturel ou un obstacle artificiel. L’eau a souvent constitué une barricade naturelle pour repousser l’assaillant, le franchissement des fleuves ayant toujours posé problème aux armées. Christelle Dressayre montre cependant que l’eau a constitué et reste aujourd’hui un moyen offensif, et peut être utilisée comme une arme. Ainsi, l’auteur nous rappelle que « les moyens de transport par voie d’eau, si précieux déjà en temps de paix, si utiles aussi pour la défense du territoire, sont également très efficaces pour aider une offensive et préparer une armée 29 en campagne » . De plus, la destruction des approvisionnements en eau peut également constituer un facteur offensif. Rappelons le, nous ne sommes pas partisan de la théorie des « guerres de l’eau ». Toutefois cette position n’empêche pas de soutenir que l’eau peut constituer une arme comme les autres, et même une arme redoutable. La privation d’eau ou encore l’empoisonnement des eaux d’une nappe peuvent constituer des moyens de pression importants - bien que non conventionnels. Jacques Sironneau relate d’ailleurs l’évènement de la bataille de Platées, qui eut lieu en 479 avant Jésus Christ en Béotie, et 30 durant laquelle les assaillants ont rendu l’eau impropre à la consommation . Il n’est nul besoin de rappeler que l’eau est aujourd’hui encore un enjeu dans beaucoup de régions du monde. Le développement du droit international de l’eau s’est étendu sur une longue période, les deux derniers siècles étant particulièrement riches en traités. Bien que le droit actuel soit bien plus complexe qu’il ne l’était auparavant, et que son champ d’application ait été élargi (section 2), il est important de s’attarder sur les évolutions de cette matière (section 1), ce 29 Christelle Dressayre, la mise en place du droit international de l’eau : mythe ou réalité ?, thèse présentée le 20 décembre 2002, Université Montpellier I. 30 18 Jacques Sironneau, l’eau, nouvel enjeu stratégique mondial, Paris, 1996, Economica, p.13. Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre qui nous permettra de mieux comprendre les enjeux contemporains, mais également de 31 voir quelles ont été les constantes. L’eau fait partie intégrante de l’histoire des sociétés , et il semble important de restituer son cheminement afin de comprendre comment les sociétés ont évolué dans leur relation avec cette ressource. Section 1 L’émergence progressive de normes internationales : une approche d’abord limitée Le développement du droit international de l’eau a d’abord manifesté un intérêt très pragmatique, cherchant essentiellement à résoudre des problèmes liés à la navigation et aux frontières. Ce droit prend un essor important durant le XIXe siècle, et les Etats vont organiser leurs relations en veillant tour particulièrement à sauvegarder leurs intérêts de navigation (sous section 1) et de frontière (sous section 2). Sous-section 1 La primauté de la navigation, et la prise en compte de l’hydroélectricité La navigation n’a jamais été le seul objet de l’utilisation des fleuves internationaux. En effet, l’utilisation de l’eau à des fins de production d’énergie est ancienne. Les Romains utilisaient l’eau pour fournir de l’énergie à leur industrie. De plus, les industries européennes e e utilisent l’eau dès les 12 et 13 siècles. Toutefois, l’utilisation la plus fréquente et la plus importante qui est faite des cours d’eau internationaux reste au départ la navigation. Ainsi, Stephen McCaffrey considère : « That the use of rivers for transport and commerce was the principal concern of states until that period is manifest in their treaty practice in relation to the 32 utilization of international watercourses, which are overwhelmingly devoted to navigation » . Une définition restreinte d’un cours d’eau international Il est ici nécessaire de rappeler au lecteur quelle définition a pu être donnée à l’adjectif « international ». « Dans le domaine classique du droit des fleuves partagés, le critère 33 de la frontière étatique permet l’attribution du qualificatif « international » .Au départ, les deux critères définissant traditionnellement le fleuve international sont la frontière et la navigabilité. Ainsi, la conception traditionnelle pourrait remonter à l’Acte final du Congrès de Vienne de 1815. L’article 108 énonce en effet que : « Les Puissances, dont les Etats sont séparés ou traversés par une même rivière navigable, s’engagent à régler d’un commun accord tout ce qui a rapport à la navigation de cette rivière ». Les cours d’eau sont qualifiés de contigus lorsqu’ils forment une frontière séparant deux ou plusieurs Etats, et de successifs lorsqu’ils traversent deux ou plusieurs Etats. Certains fleuves peuvent par ailleurs combiner les deux caractéristiques, c’est par exemple le cas du Jourdain et de son affluent le Yarmouk qui sont successifs à certains endroits et contigus à d’autres (Jordanie-Israël), ou encore du Rhin. Charles Rousseau donne lui aussi une définition du fleuve international qui inclut l’élément de navigabilité. L’auteur considère que les fleuves internationaux sont les « cours d’eau qui, dans leur cours naturellement navigable, séparent ou traversent le 31 Voir par exemple Stephen C. McCaffrey, The Law of international watercourses, Oxford University Press, 2007 (Second Edition) : « The law of international watercourses has developed in tandem with the evolution of human social organization and the intensification of use by human societies of fresh water » (p.58). 32 33 Stephen C. McCaffrey, the Law of international watercourses, op.cit., p.63. Jochen Sohnle, le droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.98. Mondange Adrien - 2009 19 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL 34 territoire de plusieurs Etats » . Un arrêt de la Cour Permanente de Justice Internationale renforce cette vision classique qui aujourd’hui peut nous paraître restrictive. Dans son arrêt du 10 septembre 1929 portant sur l’affaire de la compétence de la Commission Internationale de l’Oder, la CPJI a considéré que la qualification de fleuve internationale ne pouvait être conférée qu’à une voie d’eau navigable au moins sur une partie de son cours et 35 qui serve « naturellement d’accès à la mer de plusieurs Etats » . Toutefois, le critère de la navigation sera rapidement abandonné, et on parlera alors de « cours d’eau international », constitué du fleuve principal transfrontalier et de ses eaux de surface. Bien qu’étant un élément majeur de l’attribution de l’adjectif « international » à un cours d’eau, la notion de navigabilité s’en est progressivement détachée. Cette notion est toutefois suffisante quand elle existe, mais elle n’est plus nécessaire à la qualification. La liberté de navigation La navigation constitue le premier domaine d’intervention des traités. La plupart des traités concernant l’utilisation des voies d’eau internationales sont des traités bilatéraux qui accordent la liberté de navigation aux parties contractantes. Le fameux traité de Westphalie de 1648, qui met fin à la guerre de Trente Ans ainsi qu’à la guerre entre les Provinces Unies et l’Espagne et redessine par là même les frontières européennes, prend déjà en compte la navigation en tant que problème international. La majorité de ces traités concernaient également la liberté de commerce et l’égalité de traitement des usagers des cours d’eau internationaux concernés. L’internationalisation de la navigation a donc été une source importante du développement du droit international fluvial. La Révolution française constitue un tournant pour le développement d’une approche libérale de la navigation. Un décret de la Convention du 16 novembre 1792 établit le principe de la liberté de navigation sur la Meuse, l’Escaut et le Rhin. Il s’agit ici d’une approche libérale de développement sans entrave des échanges commerciaux. Le principe de la libre navigation sur le Niger et le Congo est posé par l’acte général de Berlin de février 1885. D’autres traités suivront, permettant un élargissement du nombre de cours d’eau dits internationaux. La primauté de la navigation sur les autres utilisations est consacrée par la Résolution sur les régulations internationales relatives à l’utilisation des cours d’eau internationaux, rendue à Madrid par l’Institut de Droit International en 1911. La Conférence de Barcelone du 20 avril 1921 élabore quant à elle une Convention sur le régime des voies navigables d’intérêt international. Seront considérées comme telles, d’après l’article 1 de la Convention : « toutes parties naturellement navigables vers et depuis la mer, d’une voie d’eau qui, dans son cours naturellement navigable vers et depuis la mer, sépare ou traverse différents Etats, ainsi que toute partie d’une autre voie d’eau naturellement navigable vers et depuis la mer reliant à la mer une voie d’eau naturellement navigable qui sépare ou 36 traverse différents Etats » . Celles-ci correspondent donc aux voies séparant ou traversant le territoire de plusieurs Etats et qui sont navigables vers et depuis la mer. En outre, la liberté de navigation s’applique à toutes les parties à la Convention. Cette définition reste donc dans le cadre traditionnel de l’utilisation des cours d’eau comme voies navigables et ne tend à considérer le caractère international des cours d’eau qu’en tant que conséquence de cette fonction spécifique. Une avancée peut être distinguée dans l’arrêt de la CPJI de 1929 portant sur l’affaire de la compétence de la Commission Internationale de l’Oder, dans 34 35 Charles Rousseau, p.485, cité par JP. Pancracio, Droit international des espaces, Armand Colin, 1997, p.112. Rec. CPJI série A, p.25, para 3, cité par JP. Pancracio, Droit international des espaces, Armand Colin, 1997, p.112. 36 20 Recuei SdN, vol.7, p.50, cité par El Hassane Maghfour, hydropolitique et droit international au Proche Orient, op.cit., p.189. Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre la mesure où la Cour affirme le principe de la « communauté d’intérêt ». Cependant cette décision ne porte que sur la navigation et non sur l’ensemble des usages qui n’apparaîtront que plus tard. Ainsi, il ressort des définitions qui précèdent que la définition juridique classique d’un fleuve international ne prend nullement en compte la géographie et les caractéristiques physiques notamment attachées à l’eau. Pour être internationalisé, un fleuve doit être navigable. Il s’agit d’un concept purement conventionnel, qui peut s’expliquer par la prépondérance de la navigation dans les faits, et qui est donc consacrée dans le droit. De plus, aucune règle générale en droit international ne permettait à l’époque de garantir pour tout Etat la liberté de navigation sur des cours d’eau transfrontaliers. Toutefois l’apport des règles de droit international liées à la navigation n’est pas négligeable. Nous aurions pu multiplier les exemples concernant l’histoire du développement de ce droit. Cela n’est pas 37 notre objectif, et cet exercice a déjà été traité . Il s’agit de souligner l’importance d’un droit international naissant et qui, bien que consacrant la primauté de la navigation sur les autres utilisations, n’en traduit pas moins une première prise de conscience de la nécessité de légiférer dans ce domaine. Une approche économique De nombreux traités prennent également en compte l’utilisation des eaux à des fins d’hydroélectricité, ceci rejoignant par ailleurs l’approche économique sur laquelle est en 38 grande partie basé le principe de la liberté de navigation . Deux ans après la Convention de Barcelone, la Convention de Genève du 9 décembre 1923 relative à l’aménagement des forces hydrauliques intéressant plusieurs Etats permet de réglementer strictement les aménagements hydroélectriques. Cette convention consacre une fois de plus la primauté de la navigation sur les autres intérêts, puisqu’elle se réserve la possibilité d’interdire certains aménagements hydroélectriques qui pourraient être de nature à porter atteinte à la navigabilité. La Convention de Genève marque tout de même un progrès dans la mesure où elle est la première convention générale qui porte sur des utilisations autres que la seule navigation. La navigation a longtemps constitué l’un des éléments clefs à l’origine du droit international s’appliquant aux voies d’eau navigables seulement. Les ressources en eau douce ne sont considérées dans un cadre international que lorsqu’elles sont navigables. D’autres intérêts ne sont pas, dans le premier quart du XXe siècle, pris en compte. On peut ainsi déplorer l’échec de la mise en place d’un régime général d’utilisation des eaux internationales. Aucune règle coutumière ne se dégage, et de plus les Etats restent réticents 37 Pour plus de précisions, voir S.C. McCaffrey, The Law of International Watercourses, op.cit., p.171 à 197, « The contribution of the Law of Navigation ». L’auteur montre de façon détaillée l’évolution des traités à travers une sélection des plus importants, et se réfère aux contributions des Cours et des Tribunaux également. 38 Voir par exemple l’article 2 de la Résolution adoptée le 14 octobre 1934 lors de la session de Paris par l’Institut de Droit International. La liberté de navigation y est définie comme étant « le droit pour tous les navires, bâteaux, trains de bois et autres moyens de transport par l’eau, de circuler librement sur toute l’étendue navigable de la voie, à charge de se conformer aux stipulations du présent règlement, et, le cas échéant, aux prescriptions supplémentaires ou d’exécution qui seront établies par les riverains ». De plus, les règles d’Helsinki adoptées en 1966 par l’Association de droit international considèrent à l’article XIV la liberté de navigation comme étant la « liberté de mouvement sur l’ensemble de la section navigable du cours d’eau ou du lac ; droit de pénétrer dans les ports et d’utiliser les installations portuaires et les quais ; et, droit de transporter cargaisons et passagers, soit directement, soit par transbordement, entre le territoire d’un des Etats riverains et le territoire d’un autre Etat riverain […]. Mondange Adrien - 2009 21 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL à la mise en place de règles générales, et ce principalement dans un souci « d’impérialisme 39 économique et politique » . Une autre question fondamentale du droit international des ressources en eau est celle concernant la délimitation des frontières qui traversent ou séparent le territoire d’un ou de plusieurs Etats souverains. Sous section 2 les intérêts de frontière La question de la délimitation des frontières est l’une des premières questions à s’être posée à l’origine du développement du droit international des eaux. C’est non seulement une question fondamentale dans ce domaine, mais dans le domaine des relations internationales de façon plus générale. La terre est désormais partagée en Etats souverains, et la mise en place de frontières permet de délimiter le domaine dans lequel s’exerce le pouvoir souverain de l’Etat. Les frontières délimitant les Etats ont la plupart du temps été modelées par les accidents historiques. Bien que différents discours affirment aujourd’hui que les frontières ne constituent plus un cadre essentiel des relations internationales dans un monde où la globalisation règne, nous tendons pour notre part à penser que le monde contemporain est justement caractérisé par une certaine consolidation des frontières. L’inviolabilité des frontières, l’interdiction du recours à la force pour les modifier sont par exemple des principes fondamentaux du droit international. De plus, les affrontements territoriaux ne sont pas terminés. Il suffit par exemple de considérer les revendications territoriales de certains pays sur l’Antarctique et la façon dont ces pays cherchent à étendre leurs frontières afin de justifier leurs revendications. En ce qui concerne le droit international de l’eau, la recherche et la mise en place de frontières naturelles a été un vecteur de l’affirmation du concept de souveraineté. Lorsque cela était possible, les cours d’eau étaient pris comme référence pour fixer les limites territoriales d’un Etat. Il est donc nécessaire de passer en revue certains des modes de délimitation des frontières, dans la mesure où les règles applicables relèvent du droit international de l’eau. La frontière dans les cours d’eau successifs Dans le cas d’un cours d’eau successif (c'est-à-dire qui traverse les territoires de deux ou plusieurs Etats), la solution retenue est le morcellement du cours d’eau en tronçons successifs, et dont les limites territoriales sont définies par la ligne droite entre les frontières terrestres situées sur les rives. Le cours d’eau est donc coupé en autant de tronçons qu’il y a d’Etas traversés par ledit cours d’eau. Cependant, un tel « découpage » n’est pas sans poser certains problèmes juridiques, concernant par exemple la liberté de navigation, ou encore de la quantité et la qualité des eaux qui traversent la frontière. Ces questions, bien que ne concernant pas directement la délimitation de la frontière, se rapportent à l’utilisation qui peut être faite de l’eau traversant la frontière. Cela implique notamment des divergences entre Etats d’amont et Etats d’aval, que nous serons amenés à considérer plus bas. La frontière dans les cours d’eau contigus L’exercice de délimitation est plus complexe dans ce cas. En effet, il s’agit de déterminer le point où s’arrête la souveraineté. Cela pose un certain nombre de problèmes, qui peuvent être physiques, géographiques (ces deux aspects étant généralement liées lorsqu’on considère un cours d’eau), ou encore juridiques, la question nécessitant un accord 39 22 Christelle Dressayre, la mise en place du droit international de l’eau, op.cit., p.89. Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre international. Nous nous bornerons ici à relever certains exemples qui ont pu être utilisés lors de la délimitation d’une frontière dans de tels cas. 1. Dans le cas d’un condominium, la frontière longe les rives. Cette doctrine médiévale plaçait la frontière sur les rives respectives du cours d’eau, de sorte que le fleuve en luimême n’appartenait à aucun des deux Etats riverains. Il était alors généralement considéré comme une res nullius. 2. Parfois, la frontière était à la rive, ce qui signifie qu’elle passait par l’une des rives du fleuve. Par conséquent, l’un des deux Etats a la souveraineté sur le fleuve, alors que l’autre n’y a pas accès. La juridiction territoriale de l’un des deux Etats englobe la totalité du cours d’eau. 3. La frontière peut également suivre la ligne médiane. Elle est alors fixée au milieu du cours d’eau. Ce type de délimitation n’a pourtant pas persisté, et notamment parce que la dans le cas des fleuves et cours d’eau navigables la navigation n’est pas toujours possible le long de la ligne médiane. De plus, la ligne médiane peut être amenée à fluctuer en fonction des aléas climatiques ou encore géologiques. 4. Le « thalweg » est un terme allemand qui désigne « la ligne suivant le chenal le 40 plus profond » . Cette délimitation a été fréquemment utilisée dans de nombreux accords internationaux, en particulier pour faciliter la navigation sur les fleuves et cours d’eau internationaux. Pour certains, le critère du « thalweg » devrait être élevé au rang de règle de droit international positif, d’autres auteurs considèrent pourtant qu’il ne reste qu’un principe 41 parmi d’autres, et qui recouvre de plus différentes notions distinctes . L’étude des différentes formes de délimitation de la frontière à l’aide d’un cours d’eau internationale nous enseigne la deuxième importante fonction attachée à l’utilisation des cours d’eau (l’autre étant, nous l’avons dit, la navigation). Les intérêts attachés à l’eau, même s’ils sont certainement nécessaires, laissent de côté certaines caractéristiques de l’eau et ne prennent pas en compte les variations qui peuvent y être attachées. Par conséquent, les doctrines et jurisprudences du droit international en ce qui concerne la gestion des ressources en eau, quand elles ne concernent pas la navigation ou la délimitation d’une frontière, restent limitées. Sous section 3 un régime juridique initial peu clair L’une de ces règles est issue du droit international et en constitue un principe général. Celuici traite des relations de voisinage, et interdit aux Etats d’utiliser ou de permettre d’utiliser leur territoire pour causer des dommages à d’autres Etats. Cette règle, issue du droit interne, ne concerne pas directement la gestion des ressources en eau mais constitue toute de même, de par le caractère transfrontalier de l’eau, une règle applicable en la matière. La jurisprudence viendra confirmer ce constat. Par exemple, la sentence arbitrale Grover Cleveland du 22 mars 1888 décide que le Costa Rica ne pouvait légitimement empêcher le Nicaragua d’exécuter à ses frais et sur son territoire des ouvrages, sous réserve toutefois de ne provoquer ni inondation ni dommage sur le territoire costaricain sauf à 40 Dante A. Caponera, les principes du droit de l’administration des eaux, droit interne et droit international, Editions Johanet, 2000, p.273. 41 Pour une discussion quant à la pertinence de ces nuances, voir Christelle Dressayre, la mise en place du droit international de l’eau, op.cit., p.79. Mondange Adrien - 2009 23 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL 42 l’indemniser . A l’occasion d’un litige opposant la Belgique aux Pays Bas à propos de prises d’eau en vue de l’alimentation de canaux de navigation et d’irrigation, la Cour Permanente 43 de Justice Internationale, dans un arrêt du 28 juin 1937 , avait mis en évidence le principe de non modification du régime des eaux. Le régime juridique de L’Escaut et la Meuse a traditionnellement fait l’objet d’accords entre la Belgique et les Pays Bas. En ce qui concerne la navigation, l’Escaut et la Meuse ont été soumis, dès 1815, aux règles applicables au Rhin. Cependant, en ce qui concerne les utilisations autres que la navigation, les règles étaient restées vagues. Dans l’affaire dite des « prises d’eau de la Meuse » de 1937, la Cour affirme que « chaque Etat [est] libre d’en modifier le cours, de l’élargir ou de le transformer et même d’en augmenter le débit à l’aide de nouvelles adductions pourvu que la dérivation des eaux, l’affluent visé par le traité et son débit n’en soient pas modifiés ». Des décisions judiciaires portant sur d’autres sujets sont également venues influencer le droit international de l’eau et confirmer l’interdiction de causer un dommage. Il s’agit notamment des décisions portant sur l’affaire du détroit de Corfou, et l’affaire de la fonderie du Trail. L’arrêt rendu dans l’affaire de la fonderie du Trail est considéré par certains auteurs comme étant le point de départ du droit international de l’environnement. Dans cette affaire il est question de fumées de plomb émanant d’une usine basée au Canada, et ayant causé des dommages aux agriculteurs américains. Le Canada fut jugé coupable, la Cour affirmant que : « aucun Etat n’a le droit de faire usage, ou de permettre qu’il soit fait usage de son territoire, de manière à causer des dommages, par des émanations de fumées sur le 44 territoire d’un Etat voisin, à ce territoire ou aux biens se trouvant sur ce territoire… » .Cette affaire concerne principalement la pollution transfrontalière et montre certaines similitudes avec les questions concernant le principe d’interdiction de dommage appréciable. L’affaire du détroit de Corfou, bien que concernant surtout la notion de responsabilité pour faute, peut cependant être intéressante à relever. Le litige a opposé la Grande Bretagne à l’Albanie concernant des contre-torpilleurs britanniques qui avaient explosé sous les mines dans les eaux territoriales du détroit de Corfou, alors que celui-ci était censé être navigable. L’arrêt rendu repose sur des principes généraux de droit international. “Such obligations are based…on certain general and well recognized principles, namely : elementary considerations of humanity, even more exacting in peace than in war ; the principle of the freedom of maritime communication ; and every State’s obligation not to 45 allow knowingly its territory to be used for acts contrary to the rights of other states” . Toutefois les droits des Etats en question ne sont pas définis dans le cadre de l’utilisation à de cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation. L’obligation générale de ne pas porter atteinte aux droits d’autres Etats du même cours d’eau est clairement dégagée, et résumée par McCaffrey lorsqu’il dit : « it may therefore be concluded that the general obligation identified by the Court would make it internationally wrongful for one State « to allow knowingly its territory », including portions of international watercourses situated 42 Recueil des sentences arbitrales, affaires relatives à la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua, Nations Unies, 2007, volume XXVIII, p.189-213. 43 C.P.J.I., série A/B, n° 70, arrêt du 28 juin 1937, p. 50., cité dans Extrait de l'Annuaire de la Commission du droit international, 1992, Vol.I, p. 168. 44 Extrait du jugement rendu par la Cour Internationale de Justice le 11/04/1941, cité dans Anna Poydenot, le droit international, état des lieux, les notes d’analyse du CIHEAM, n°29, février 2008, p.6. 45 24 1949 ICJ, p.22, cité par S.C.McCaffrey, The Law of International Watercourses, op.cit., p.209. Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre 46 thereon, « to be used for acts contrary to the rights of other states » . Ce principe devient avec le temps une règle coutumière, interdisant aux Etats d’un cours d’eau international de porter une atteinte sérieuse aux droits d’autres Etats du même cours d’eau. Les droits des Etats d’un cours d’eau sont restreints dans leur champ d’application en ce qu’ils se doivent de respecter les droits - vaguement définis- des autres Etats du même cours d’eau. L’approche du droit international en matière de cours d’eau est restée assez limitée jusqu’à récemment. Toutefois, certains facteurs vont amener des considérations nouvelles et favoriser un élargissement progressif, et notamment une multiplication des usages ainsi qu’une extension géographique. Section 2 un élargissement juridique nécessaire Le développement des utilisations autres que la navigation a rendu le postulat du Congrès de Vienne peu satisfaisant. En effet, si la navigation a une dimension purement aquatique, les utilisations à des fins autres que la navigation, pour des besoins énergétiques ou pour la consommation humaine, font appel à une dimension plus large qui suppose un aménagement du territoire. Les utilisations à des fins autres que la navigation ont de plus des effets qui dépassent la frontière internationale, et une utilisation dans un Etat peut avoir des répercussions dans d’autres Etats. Ainsi, la multiplication des usages des ressources en eau douce (sous section 1) appelle également une extension géographique des règles et effets juridiques (sous section 2). Sous section 1 des usages qui se multiplient La navigation, la pêche, l’irrigation ou encore l’utilisation de l’eau à des fins de production d’énergie sont des usages de l’eau anciens. Parallèlement au développement des sociétés et du progrès technologique, les usages de l’eau se multiplient, ce qui signifie une modification quantitative et qualitative des eaux concernées (en effet une baisse de la quantité entraîne nécessairement une baisse de la concentration des substances contenues dans l’eau). L’activité économique La quantité totale d’eau utilisée pour subvenir aux besoins des hommes croît de façon exponentielle, à cause de la croissance démographique et du développement économique. L’évolution des utilisations de l’eau au XXe siècle fait état d’une stagnation des volumes d’eau consacrés au domaine agricole, alors que dans le même temps les volumes d’eau utilisés pour les besoins industriels et domestiques ont augmenté de façon significative. L’agriculture reste de loin l’activité la plus consommatrice d’eau du fait de la croissance de la population mondiale. Ses procédés sont cependant moins gourmands en eau que ceux de l’industrie. Il faut environ 1000 litres d’eau pour produire un kilogramme de blé, alors que 47 8 fois plus sont utilisés pout la fabrication d’une carte mémoire pour ordinateur . 46 47 S.C. McCaffrey, The Law of International Watercourses, op.cit., p.210. Janine et Samuel Assouline, géopolitique de l’eau nature et enjeux, studyrama perspectives, 2007, p.47. Mondange Adrien - 2009 25 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Les différents besoins en eau (source : géopolitique de l’eau, nature et enjeux, Assouline, p.47, adapté d’après Dooge, 2002) L’industrie et l’agriculture sont deux milieux influençant la quantité et la qualité de l’eau de par leurs activités. Dans les années 70, le droit international a pris conscience de l’importance qu’il fallait attacher non seulement à la règlementation des prélèvements, mais aussi à la mise en place d’une règlementation concernant la qualité de l’eau. La pollution continue aujourd’hui à faire l’objet de définitions diverses et les textes conventionnels sont variables dans les obligations qu’ils édictent. Certains engagent les parties à obligations de résultat, tandis que d’autres se limitent à des obligations de comportement. Mentionnons entre autres l’Accord de 1978 entre les Etats-Unis et le Canada, qui vise à restaurer et maintenir l’équilibre chimique, physique et biologique des eaux de l’écosytème des Grands Lacs, ou encore la Convention de 1976 relative à la protection du Rhin. Celles-ci engagent les parties à des obligations de résultat. En Amérique latine et en Afrique, les accords se contentent généralement d’énoncer des principes généraux. Il existe également des règlementations concernent l’injection d’eaux chimiquement modifiées dans des nappes 48 souterraines profondes, acte qui a des répercussions sur le plan international . Quant à l’irrigation pour usage agricole, elle est elle aussi règlementée et encadrée par des traités internationaux et des accords. L’Accord sur l’utilisation des eaux du Nil du 8 novembre 1959 traite de la construction de barrages dont l’objectif est d’améliorer l’utilisation des eaux à des fins d’irrigation. Il faut ici souligner l’importance du droit international dans la règlementation du prélèvement des eaux. Le prélèvement massif d’eau s’entend des prélèvements d’envergure au moyen de mécanismes anthropiques comme les canaux, les navires, les camions citernes ou les pipelines. Le Canada a annoncé en 1999 la mise en place d’une 48 26 Jochen Sohnle, droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.124. Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre stratégie pour prévenir le prélèvement massif d’eau douce dans ce pays. La Commission Mixte Internationale, en se penchant sur la question des Grands Lacs, avait considéré que les prélèvements devaient se faire dans le cadre d’un bilan de bassin nul, c'est-à-dire que tous les prélèvements doivent retourner aux lacs, sans affecter la qualité des eaux. Il s’agit d’un exemple précis, mais de façon générale des accords régionaux bi ou multilatéraux concernant l’utilisation de ressources en eau douce qui ne mentionneraient pas la question du prélèvement seraient à nos yeux incomplets. En effet, les activités nécessitant une captation des eaux permettent non seulement le développement économique des Etats mais également l’approvisionnement des populations en eau douce ou en tout autre bien issu de l’agriculture ou de l’industrie. La production énergétique Le droit international se préoccupe d’autres usages, tels que la production énergétique, que nous avons déjà évoquée plus haut. La coopération internationale s’applique notamment dans ce domaine aux barrages, la construction d’un barrage en amont d’un fleuve pouvant avoir des conséquences néfastes sur les pays situés en aval. L’hydroélectricité est l’une des principales sources d’énergie dans le monde ayant déterminé l’aménagement des grands fleuves, la construction de barrages et de bassins de rétention permettant l’installation de centrales hydroélectriques. Il existe environ 45 000 barrages dans le monde. Mentionnons à ce sujet l’affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros. Dans cette affaire le projet d’aménagement du cours d’eau (à l’origine de ce projet un traité signé le 16 septembre 1977 entre la Hongrie et la Tchécoslovaquie prévoyant la construction d’un système d’écluses sur le Danube entre Bratislava et Budapest) avait différents objectifs, dont la protection contre les inondations, l’amélioration des conditions de navigation et la production d’électricité. Cette affaire montre en partie que les relations interétatiques peuvent mettre en place une coopération concernant des changements quantitatifs (de débit du fleuve dans ce cas précis), cependant les dommages écologiques sont laissés de côté dans le traité et il aura fallu attendre le jugement de la Cour Internationale de Justice pour que les considérations écologiques apparaissent. La protection de la faune et de la biodiversité La protection de la biodiversité ainsi que de la faune et la flore évoluant dans le milieu aquatique sont également des éléments pris en compte par le droit international, preuve supplémentaire du fait que la multiplication des usages entraîne une évolution du droit international. L’homme, de par les modifications de son comportement liés à l’évolution de ses modes de consommation, de sa société, est sans cesse appelé à modifier par là même d’autres milieux. La préservation de la biodiversité attachée au cours d’eau est cependant nécessaire. Ainsi, dans l’affaire du Lac Lanoux dont la sentence arbitrale a été rendue le 16 novembre 1957, la Cour a pris en compte des enjeux environnementaux et humains liés aux conflits des ressources en eau internationales. Ainsi, « tout en refusant d’admettre l’obligation stricte de respecter l’unité naturelle d’un bassin fluvial allégé par l’Espagne, le tribunal reconnaît une obligation correspondante mais limitée et souple, celle de ne pas apporter à l’unité naturelle d’un bassin fluvial des modifications nuisibles à la satisfaction 49 des besoins humains » . 49 A. Gervais (1960). « l’affaire du Lac Lanoux », AFDI, VI, p407-408, cité par S. Paquerot, eau douce la nécessaire refondation du droit international, op.cit., p.29. Mondange Adrien - 2009 27 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL En 1979 l’Institut de Droit International a adopté à Athènes la Résolution sur la pollution des fleuves et des lacs et le droit international, et ce afin de mettre l’accent sur la nécessité de s’intéresser aux conséquences de l’utilisation des cours d’eau internationaux. Cette résolution n’engage que ceux qui l’estiment favorable dans la mesure où elle est une conception doctrinaire, et en ce sens pas forcément représentative de l’état du droit international. Il s’agit bien ici de renforcer la protection de l’environnement, et cette résolution est la preuve d’une véritable préoccupation concernant la pollution en tant que conséquence de l’utilisation des cours d’eau internationaux. Sous section 2 une extension géographique Nous l’avons vu, l’objet territorial du droit international des ressources en eau douce s’est longtemps focalisé sur la notion de fleuve international, et la frontière jouait alors un rôle important. Seul le fleuve était considéré, ses affluents notamment étant laissés de côté. Pourtant, les définitions traditionnelles vont peu à peu laisser la place à des approches en réseau, qui élargissent l’objet du droit international. L’expression « droit fluvial » est peu à peu laissée de côté, la distinction en termes juridiques entre lac et fleuve se faisant de plus en plus floue. Finalement, « le droit international tend désormais à assimiler eaux courantes et eaux stagnantes, soit en les réunissant sous un terme générique, cours d’eau, soit en les 50 traitant sous un même régime » . De plus, la condition d’accès à la mer perd également de son importance et n’est plus systématiquement exigée pour qu’un cours d’eau devienne international. Les affluents sont également pris en compte, même s’ils ne concernent que le territoire national d’un seul Etat. Aujourd’hui, le droit international s’intéresse à un champ géographique plus large, ce qui témoigne en particulier de la prise de conscience du caractère cyclique des ressources en eau, qui sont interdépendantes et doivent être compris non comme différentes unités considérées séparément (fleuve, lac, nappes souterraines) mais bien comme un « système » cohérent dont chaque partie communique avec les autres. La modification de la qualité ou de la quantité d’une des parties risque d’affecter l’ensemble du système. Le droit international consacre actuellement des approches unitaires, en termes de bassin hydrographique international ou de système de cours d’eau international. Cette notion a évolué et apparaît de façon plus ou moins restreinte selon les conventions. Ainsi, la Convention d’Helsinki sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux de 1992 s’attache à « toutes les eaux superficielles et souterraines qui marquent les frontières entre deux Etats ou plus, les traversent ou sont situées sur ces frontières » (art.1 alinéa). Ici, la notion de frontière est encore présente, seules les eaux « transfrontières » sont prises en compte. Toutefois, la Convention de New York de 1997 sur le droit relatif à l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation définit un cours d’eau comme étant « un système d’eau de surface et d’eaux souterraines constituant, du fait de leurs relations physiques, un ensemble unitaire et aboutissant normalement à un point d’arrivée commun » (art 2 (a)). La notion de bassin hydrographique est encore plus large et désigne « une région drainée par un fleuve et 51 ses affluents » . Les approches par système ou par bassin peuvent faire l’objet d’une appréhension plus ou moins large, mais elles sont de toute façon moins restrictives que les approches évoquées précédemment qui s’attachent surtout aux notions de frontière et de navigabilité. Une telle évolution n’allait pas de soi. En effet les Etats sont restés longtemps hostiles à toute conception trop large, et ceci peut se remarquer dans les travaux de la CDI 50 Jochen Sohnle, droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.101. 51 28 D’après la définition du Petit Larousse, édition 2000. Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre au sujet de l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation. La CDI a donc basé son travail sur la notion de « système de cours d’eau », et ce afin de ne pas partir sur des définitions qui seraient trop larges (bassin hydrographique par exemple), mais afin de dépasser les limites traditionnelles tout de même. Notons encore le fait que le droit international s’intéresse progressivement aux eaux souterraines, comme le montre la définition du cours d’eau par la Convention de New York citée plus haut. Cependant cette considération reste encore limitée. De plus, la quatrième partie de la convention de New York s’attache à la protection et la préservation des écosystèmes, une notion relativement large qui désigne « l’association d’une communauté d’espèces vivantes et d’un environnement physique en constante 52 interaction » . Progressivement, le champ d’application du droit international en matière de gestion des ressources en eau douce s’est élargi. Les usages se sont multipliés, et de plus des considérations plus larges ont été nécessaires, pour prendre en compte des dimensions environnementales, des eaux souterraines et mieux appréhender les caractéristiques naturelles de l’eau. Les concepts traditionnels attachés à l’importance des frontières ou de la navigabilité entre autres semblent remis en question. Chapitre 2 : l’affirmation de la nécessité de gestion commune Si les usages et par là même la législation attachée à la gestion des ressources en eau douce ont quelque peu évolué, de plus en plus la nécessité d’une gestion commune des ressources en eau douce va s’affirmer. La coopération a toujours été nécessaire afin d’éviter des conflits. Nous parlerons ici de la gestion commune comme d’une notion encore plus globalisante que la simple coopération, il s’agit d’une gestion qui semblerait plus adaptée aux caractéristiques physiques de l’eau. Même si la particularité attachée à chaque cours d’eau international, à chaque aquifère rend difficile l’édification de règles générales, quelques principes généraux se sont pourtant dégagés de la pratique des Etats ou encore de la jurisprudence de certaines cours. Bien que les cours d’eau relèvent en théorie de la souveraineté territoriale des Etats qu’ils traversent, il est cependant difficile d’envisager de pousser à l’extrême le principe de l’autonomie de cette souveraineté. Comme le rappelle Christelle Dressayre, « admettre une telle approche extensive aboutirait à reconnaître à l’Etat d’amont le droit d’utilisation exclusive des ressources en eau des cours d’eau se trouvant sur son territoire, au détriment 53 de l’Etat d’aval » . La nécessité de gérer les ressources en eau douce de façon commune a donc toujours prévalu, le bon sens nous montre que seule une telle gestion serait à même d’éviter des conflits liés à la répartition ou à l’utilisation des cours d’eau internationaux ou d’autres ressources. La pratique des Etats est cependant différente, et fait parfois fi du bon sens. « Au-delà des efforts de certains Etats pour tenter de résoudre les différends et d’établir une réelle coopération, la représentation fondamentale des gouvernements est que l’eau 52 53 D’après la définition du Petit Larousse, édition 2000. Christelle Dressayre, la mise en place du droit international de l’eau : mythe ou réalité ?, op.cit., p.128. Mondange Adrien - 2009 29 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL est une ressource du territoire, et donc que la souveraineté territoriale doit s’exercer sur elle en toute indépendance : à l’instar des gisements de minerais, elle fait partie du patrimoine 54 du territoire, qu’elle structure et dont elle en dessine certains des contours […] » . Longtemps des doctrines stato-centrées ont prédominé dans la gestion des ressources en eau douce (section 1) mais petit à petit la notion de souveraineté s’est vue remise en cause (section 2). Section 1 des doctrines stato centrées incompatibles avec la gestion de ressources internationales en eau douce Jacques Sironneau le rappelle, « l’exercice de la souveraineté d’un Etat au droit des eaux coulant sur son territoire ne doit pas priver les autres Etats riverains du même droit car l’eau est une ressource naturelle partagée (Res communis) dans la mesure où son utilisation dans un Etat a des effets sur son utilisation dans un autre Etat. Il s’agit dès lors de concilier les exigences qui peuvent être contradictoires de l’exercice des souverainetés étatiques respectives. En effet, les considérations de souveraineté nationale constituent l’un des 55 obstacles majeurs à une approche intégrée » Nous essaierons dans cette section de passer en revue les différentes doctrines qui régissent ou plutôt ont régi l’usage des cours d’eau notamment. Ces doctrines favorisent systématiquement le pays concepteur de chaque théorie. L’Egypte préfère ainsi se référer aux doctrines de l’intégrité territoriale qui favorisent les pays d’aval. Bien que différentes, toutes ces doctrines tentent de définir l’utilisation d’une ressource sans cesse en déplacement. Sous section 1 la souveraineté territoriale absolue Cette doctrine ne représente plus l’état actuel du droit international. Elle est en quelque sorte synonyme de la doctrine dite « Harmon », du nom du juge Judson Harmon, « Attorney –General » (avocat général des Etats Unis), qui défendit son opinion au sujet d’un partage des eaux du Rio Grande entre les Etats Unis et le Mexique, à la fin du XIXe siècle. Une création répondant à un besoin La controverse éclata à la fin du XIXe siècle, lorsque les Etats Unis commencèrent la mise en valeur agricole du sud-ouest. Pour cela, les eaux du Colorado furent dérivées afin d’irriguer les terres. Après quelques échanges diplomatiques, et des alertes répétées sur l’épuisement des ressources en eau, le Mexique décida de protester officiellement en 1895, le débit du cours d’eau étant tellement réduit qu’il devenait impossible pour les agriculteurs mexicains de continuer à irriguer leurs terres. En 1891 déjà, le Congrès avait adopté une résolution qui soulignait la gravité de la situation, mentionnant le fait que : “by means of irrigating ditches and canals taking the water from said river and other causes, the usual supply of water therefore has been exhausted before it reaches the point where it divides the United States of America from the Republic of Mexico, thereby rendering the lands in its valley arid and unproductive, to the great detriment of the citizens of the two countries living along its 54 Frédéric Lasserre, Annabelle Boutet, le droit international règlera-t-il les litiges du partage de l’eau ? Le bassin du Nil et e autres cas, Etudes internationales, Vol. XXXIII, 3 , sept. 2002. 55 30 Jacques Sironneau, le droit international de l’eau existe-t-il, évolutions et perspectives, op.cit., p 10. Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre 56 course […]” . Le litige a été porté plusieurs fois devant les cours, et finalement, n’ayant pas trouvé de texte applicable à une telle situation et qui ferait prévaloir une utilisation raisonnable, Harmon se référa à des principes généraux du droit. Il considéra que le Rio Grande ne possédait pas un volume d’eau suffisant pour être utilisé par les habitants des deux pays, ce qui n’autorisait pas pour autant le Mexique à imposer aux Etats Unis des restrictions qui freineraient le développement de leur territoire. Il énonça son opinion de la façon suivante : « le principe fondamental du droit international est la souveraineté absolue de chaque Etat, par opposition à tous les autres, sur son territoire. La juridiction de l’Etat sur son propre territoire est nécessairement exclusive et absolue. Ses seules limites sont celles 57 qu’il s’impose lui-même ». L’Etat est donc libre d’employer l’eau qui se trouve sur son 58 territoire comme bon lui semble : la ressource n’est pas du tout conçue comme commune . Une doctrine contraire à un partage des eaux Dans cette perspective aucune coopération n’est envisageable, puisque chaque Etat agit finalement sans tenir compte des éventuels effets susceptibles de se faire sentir en dehors de ses frontières. Les ressources en eau ne sont pas du tout envisagées dans une perspective de partage, et l’eau est considérée comme n’importe quelle autre ressource composant le territoire d’un Etat. Tout partage, ou toute prise en compte par un Etat d’amont des conséquences subies par un Etat d’aval, sont refusés car considérés comme contraires à la souveraineté de l’Etat sur lequel se trouvent les « ressources ». « The jurisdiction of the nation within its own territory is necessarily exclusive and absolute. It is susceptible of no limitation not imposed by itself. Any restriction upon it, deriving validly from an external source, would imply a diminution of its sovereignty to the extent of the restriction , and an investment of that sovereignty to the same extent in that power which could impose such 59 restriction” . Cette doctrine n’a été suivie ni dans la pratique ni dans la jurisprudence nordaméricaines. Dans la pratique internationale, les Etats Unis n’ont pas non plus retenu la doctrine Harmon, qui sera finalement abandonnée au début du XXe siècle. Elle a toutefois pu être utilisée dans les différends entre pays latino-américains (par exemple les différents ayant opposé le Chili à la Bolivie, rio Mauri en 1921, rio Lauca en 1939). En 1976, le professeur Maurice Bouvier-Ajam affirmait dans son ouvrage que « le sol et le sous sol sont composants du territoire national, passibles de la souveraineté nationale, 60 qui n’est juridiquement pas concevable sans la propriété nationale du territoire » . Avoir des droits de propriété sur un territoire et ses ressources ne doit toutefois pas empêcher de considérer l’intérêt général, et un Etat ne saurait laisser ses voisins dans le besoin seulement 56 Concurrent Resolution of 29 April 1890, « concerning the irrigation of arid lands in the valley of the Rio Grande River, the construction of a dam across said river at or near El Paso, Tex., for the storage of of its waste waters, and for other purposes”, Con.Rec.- Senate, p.3963, cité par S.C. McCaffrey, the law of international watercourses, op.cit.,p.81. 57 Mutoy Mubiala, l’évolution du droit des cours d’eau internationaux à la lumière de l’expérience africaine, notamment dans le bassin du Congo/Zaïre, Paris, Presses Universitaires de France, 1995, p.19, cité par Frédéric Lasserre, le droit international règlera-t-il les litiges du partage de l’eau ?...op.cit., p.501. 58 David Lazerwitz, « the flow of international water law : the international Law Commission’s Law of the non-Navigational Uses of International Watercourses », Indiana Journal of Global Legal Studies, vol.1, n°1, 1993, p.15, cite par Frédéric Lasserre, le droit international règlera-t-il les litiges du partage de l’eau ?...op.cit., p.501 59 Judson Harmon, Attorney-General, to Richard Olney, Secretary of State, to 12.December 1895, 21 Op.Att’y Gen. 274 (1895), reproduced in U.S Appendix, p.281-2, cite par S.C.McCaffrey, the law of international watercourses, op.cit., p.89. 60 Maurice Bouvier-Ajam, matières premières et coopération internationale, librairie générale de droit et de jurisprudence, 1976, p.61. Mondange Adrien - 2009 31 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL au nom d’un principe de souveraineté. Une telle division internationale de l’environnement en territoires appartenant à des Etats souverains est inadaptée à une maîtrise rationnelle des problèmes de l’eau. Il s’agit donc de reconnaître que la souveraineté des Etats sur l’utilisation de leurs ressources, si elle s’inscrit bien dans le cadre de l’exercice de leur souveraineté, ne saurait être absolue mais doit être limitée. Certains Etats font encore aujourd’hui implicitement appel à la doctrine Harmon. Il s’agit par exemple de la Turquie ou encore du Tadjikistan. Le gouvernement turc cherche en effet à contrôler l’usage de l’eau fait par les autres riverains, tandis que le gouvernement tadjik fait payer un usage qui est justifié par le fait que la source des cours d’eau se trouve sur son territoire. D’autres pays d’amont se réfèrent encore à la doctrine Harmon, sur la base de la défense de leurs intérêts (il s’agit par exemple de l’Autriche, du Chili, des Etats unis, de l’Ethiopie ou encore de l’Inde). Sous section 2 L’intégrité territoriale absolue A l’image de la souveraineté territoriale absolue, cette doctrine ne représente pas non plus l’état actuel du droit international. Elle continue pourtant à être revendiquée. La défense des intérêts des Etats d’aval A l’inverse de la théorie de la souveraineté territoriale absolue, l’intégrité territoriale absolue est soutenue d’abord par les Etats riverains d’aval. Le concept principal pris en considération est celui de « débit naturel ». L’idée est qu’un Etat est en droit de s’attendre à ce que le même débit, ininterrompu en quantité et dont la qualité n’est pas altérée, s’écoule vers son territoire. Chaque Etat riverain doit permettre au cours d’eau de poursuivre son cours, et aucun Etat ne peut en interrompre le flot, ni en augmenter ou en réduire le débit. Cette théorie est aussi appelée « théorie des droits riverains » par le juriste Sauser-Hall, qui la définit comme étant « [l’affirmation] que les Etats d’aval, notamment ceux contrôlant le dernier segment du cours d’eau, peuvent exiger de leurs voisins d’amont la transmission d’une quantité d’eau égale 61 à celle qu’ils ont eux même reçue » . Cette doctrine confère à l’Etat riverain d’aval un droit de veto contre les utilisations qui, en amont, sont susceptibles d’affecter le débit naturel du cours d’eau. Quelques exemples d’application L’Espagne a défendu cette théorie dans le différend qui l’a opposée à la France en 1958 dans l’affaire du Lac Lanoux. Ce lac pyrénéen, entièrement situé sur le territoire français, déverse ses eaux dans la rivière Carol qui s’écoule en Espagne. De nombreux projets d’aménagement de ce lac à des fins de production d’hydroélectricité avaient été envisagés par la France depuis le début du XXe siècle. Il s’agissait de détourner les eaux de ce lac qui s’écoulent normalement vers la Méditerranée, en les transférant dans le bassin versant de l’Atlantique. Les différents projets, bien que n’affectant pas au final la quantité d’eau s’écoulant sur le territoire espagnol (un système de pompage était prévu afin de restituer les quantités d’eau détournées) se sont heurtés à l’opposition systématique des espagnols. La Cour d’arbitrage de la Haye a estimé que « l’Etat d’amont a, d’après les règles de bonne foi, l’obligation de prendre en considération les différends intérêts en présence, de chercher à 61 G. Sauser-Hall, l’utilisation industrielle des fleuves internationaux, recueil des cours de l’académie de droit international de La Haye, t.83, 1959-II, p.541 cité par Lucius Caflisch, Convention du 21 mai 1997 sur l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation, Annuaire Français de Droit International, XLIII, 1997, CNRS éditions, Paris, 1997, p.751-798. 32 Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre 62 leur donner toutes les satisfactions compatibles avec la poursuite de ses intérêts propres » . La Cour ayant insisté sur le respect des intérêts relatifs de chacune des parties, la position de l’Espagne fut rejetée. Cette théorie a également été avancée par d’autres Etats. L’Egypte, pays d’aval, réclame un droit de regard et d’intervention vis-à-vis des utilisations soudanaises et éthiopiennes des eaux du Nil. Le pays est en effet, du fait de sa situation géographique (à l’extrémité du Nil) dans une situation de dépendance à l’égard des pays d’amont. Le gouvernement égyptien n’aurait donc que peu de recours si les autres gouvernements optaient pour des politiques hydrauliques ayant d’importantes conséquences sur le débit ou la qualité des eaux du Nil. D’autres pays ont milité pour la reconnaissance du principe d’intégrité territoriale absolue, comme la Bolivie, le Bangladesh ou encore le Pakistan. Toutefois cette théorie n’a jamais été reçue en droit international ou dans la pratique des Etats, car sa conception semble impraticable. Il est probable que peu d’Etats d’amont acceptent un contrôle de leurs utilisations par des Etats d’aval, et un tel contrôle donnerait certainement lieu à des pratiques abusives. De plus, une telle pratique nécessiterait des observations précises et objectives de la quantité et de la qualité des eaux s’écoulant. Sous section 3 la première appropriation Cette doctrine, invoquée par certains Etats, est très contestée sur la scène internationale et n’est pas reprise formellement dans les textes négociés sous l’égide des Nations Unies. Elle a toutefois été utilisée dans les Etats de l’Ouest américain, où elle fait même force de loi malgré le fait qu’elle n’ait pas reçu de considération internationale. Comme le rappelle Frédéric Lasserre, cette doctrine juridique « faisait valoir le droit de propriété sur la ressource du premier à avoir mis en valeur l’eau. La propriété ne dépendait ainsi non pas de la position 63 géographique, mais de la chronologie de la mise en valeur » . Le critère géographique s’efface ainsi devant le critère chronologique. Elle ne reflète pas l’état actuel du droit international. L’Egypte se réfère fréquemment à cette doctrine, et évoque une utilisation historique des eaux du Nil, au nom d’une très ancienne mise en valeur de ces eaux. Cette idée est avancée par l’Egypte afin de contrer la doctrine éthiopienne de la souveraineté territoriale absolue, cependant cela revient à créer sur le Nil une autre forme de souveraineté, une souveraineté basée sur de prétendus droits historiques. L’Egypte n’hésite pas à se référer à la note E/ECE/L.36 de la Commission économique pour l’Europe de 1952, faisant référence à des droits historiques pour écarter l’application de la doctrine Harmon et préserver les « droits des autres Etats sur les fleuves internationaux ». Il s’agit cependant d’une note relativement ancienne et dont on peut se permettre de douter de la portée actuelle. Cette doctrine pose également d’autres interrogations. Il s’agit d’une part de savoir comment définir la première appropriation, mais également de voir quelles sont ses limites. Nous avons dit que cette doctrine faisait loi dans l’ouest américain. Toutefois des villes comme Las Vegas ou encore Phoenix connaissent des croissances très rapides depuis les années 70. Las Vegas, une ville au milieu du désert, est passée de 40 000 habitants en 1950 à 1,7 millions en 2005, alors que cette ville ne reçoit que 11cm d’eau par an, et accueille de plus de nombreux touristes. Malgré la sécheresse permanente, l’eau est 62 Serge Pannetier, la protection des eaux douces, le droit international face à l’éthique et à la politique de l’environnement, Georg éditeur, Genève, 1996, cité par Hélène Willart, le droit international de l’eau et son rôle dans l’élaboration de la paix, l’exemple du partage des ressources en eau de l’Oronte et du Jourdain, mémoire de recherche, IEP de Toulouse, avril 2004. 63 Frédéric Lasserre, l’eau, enjeu mondial, géopolitique du partage de l’eau, le serpent à plumes, 2003, p.121. Mondange Adrien - 2009 33 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL partout, et les casinos installent des fontaines géantes qui consomment énormément d’eau. Quant aux plaines alentours, les éleveurs ont de plus en plus de mal à exercer leur métier et se plaignent d’un potentiel projet d’aqueduc (long de 500km !) qui viendrait pomper l’eau d’un aquifère. Les politiques de sécurité hydraulique locale de Las Vegas sont inefficaces et témoignent de l’absence totale de gestion de l’eau par bassin versant, corollaire de la prépondérance du droit de la première appropriation dans l’Ouest Américain. Les politiques locales restent encore inefficaces car elles reposent uniquement sur la construction cloisonnée de la sécurité d’approvisionnement des usagers. Un tel exemple peut aider à réfléchir sur les limites de la doctrine juridique de la première appropriation. Les trois doctrines énoncées ci-dessus semblent présenter de grandes faiblesses et laissent à l’Etat, au nom d’une vision limitée, arbitraire et bien souvent opposée à une autre doctrine elle aussi radicale, la possibilité de s’approprier des ressources en eau internationales sans même établir une concertation. Dans le cas de l’intégrité territoriale absolue, ce sont les Etats d’aval qui ont le pouvoir, ce sont ceux d’amont dans le cas de la souveraineté territoriale absolue. De telles doctrines ne sont pas recevables dans un monde qui cherche à dépasser le stato centrisme pour aller vers la coopération organisée. Ainsi, la nécessité d’agir en collaboration pour tenter de mieux résoudre les problèmes de gestion des ressources en eau douce a-t-elle permis une remise en cause de la notion de souveraineté. Section 2 La souveraineté remise en cause Sous section 1 : la souveraineté territoriale limitée : une approche conciliante ? Une unité physique et juridique La théorie de la souveraineté territoriale limitée est basée sur l’affirmation du principe que chaque Etat riverain est en droit, sur son territoire, d’utiliser les eaux d’un cours d’eau partagé pour autant que les droits et intérêts de tous les autres Etats riverains du même cours d’eau sont pris en compte. Cette théorie offre l’avantage de proposer une approche conciliatrice. Le postulat de départ est que le droit de bon voisinage impose aux Etats riverains de se comporter les uns vis-à-vis des autres avec égard. Ainsi, un Etat peut librement faire usage des eaux du segment du cours d’eau international coulant sur son territoire, par contre il ne peut pas par cette utilisation porter atteinte aux intérêts d’autres Etats du même cours d’eau. On parlera ici de dommage « appréciable ». Les co-riverains ont donc des droits et des devoirs réciproques à l’utilisation des eaux communes. Cette unité physique créé une unité juridique qui conduit à une « communauté d’intérêts ». Cette règle se rapproche de celle de l’utilisation équitable et raisonnable, qui représente l’état actuel du droit international. Cette théorie est bien acceptée en droit international, aussi bien en pratique que dans la jurisprudence. En 1929, dans son jugement sur la compétence territoriale de la Commission de l’Oder, la Cour Pénale de Justice Internationale affirme que « les Etats ont un droit commun sur les ressources d’un cours d’eau partagé, et non un droit unique de passage, les caractéristiques essentielles d’un tel droit commun étant la communauté d’intérêt de toutes les parties utilisatrices à l’exclusion de tout privilège en faveur d’un Etat riverain par rapport 64 aux autres Etats riverains » . Rappelons toutefois qu’à cette époque cette décision porte 64 34 Dante A. Caponera, les principes du droit de l’administration des eaux, droit interne et droit international, op.cit., p.287. Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre surtout sur la navigation, cependant la Cour accordait indirectement son crédit à la théorie de la souveraineté territoriale limitée. En 1995 Brierly explique que « chaque Etat intéressé a droit à la considération dans son ensemble du cours d’eau et à la mise en balance de ses propres intérêts avec ceux d’autres Etats ; et aucun Etat ne peut prétendre faire un usage des eaux tel qu’il cause un dommage matériel à l’intérêt d’un autre Etat ou s’opposer à leur usage par un autre Etat à 65 moins qu’il n’en résulte préjudice pour lui-même » . La difficile évaluation du préjudice causé Cette théorie pose cependant le problème de l’évaluation du préjudice causé. En effet, il n’y a pas de violation de l’intégrité territoriale d’un Etat si le préjudice subi par lui ne correspond pas à un dommage appréciable. Il faut donc que la qualification du dommage repose sur des données objectives. En fait, ce n’est pas le cas et il n’y a en tout cas pas de règle 66 absolue. Rappelons l’affaire du Lac Lanoux et la sentence arbitrale qui reste importante en ce qu’elle recherche un équilibre entre les avantages de l’utilisation d’un cours d’eau et les préjudices subis, en indiquant que « chaque Etat doit tenir compte des droits légitimes de son voisin ». Le principe de la balance des intérêts est également rappelé, et ces intérêts doivent être pris en compte non seulement dans le cadre des négociations entre les parties mais aussi, si nécessaire, dans la mise en œuvre si la négociation n’a pas permis la mise en place d’un accord. Sous section 2 : la fin des théories absolutistes, la consécration du principe de souveraineté limitée Alors que les doctrines juridiques absolutistes sont rattachées à des théories des relations internationales réalistes et néoréalistes, les doctrines limitatives se rapportent aux théories internationalistes des relations internationales. Ces théories et doctrines ont progressivement évolué et on peut aujourd’hui parler de souveraineté limitée, principe affirmé dans des textes internationaux également. Nous l’avons rappelé, à l’origine la souveraineté des Etats sur leurs ressources naturelles est pleinement reconnue. Ainsi, une résolution adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies durant la période de décolonisation, en 1962, proclame « la souveraineté permanente des Etats sur leurs ressources naturelles », et le droit des peuples à disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. Cette résolution précise cependant, dans le but d’éviter tout abus qui pourrait conduire à de graves préjudices, que l’exercice de cette souveraineté nationale doit être réalisé « sans préjudice des obligations 67 qui découlent de la coopération internationale » . Afin d’aménager des rapports de bon voisinage entre les Etats, il est nécessaire de mettre en place des restrictions ou des empiètements de souveraineté. Une nécessaire coopération Le principe de la communauté d’intérêts, c'est-à-dire l’abandon de l’exercice de certains attributs de la souveraineté territoriale, a été considéré comme une sorte d’anomalie du 65 J.L Brierly, the law of nations, 5th edition, Oxford, Clarendon Press, 1955, p.204, cité par El Hassane Maghfour, hydropolitique et droit international au Proche Orient, op.cit., p.200. 66 Affaire du Lac Lanoux (France/Espagne) 16 novembre 1957. 67 Résolution de l’Assemblée Générale 1103 (XVII), 14 décembre 1962 Mondange Adrien - 2009 35 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL droit international. Ce principe, présent dans certains instruments récents rapprochant les principes d’intérêt commun et de ressources partagées, a pu être mis en place notamment dans des cadres régionaux, donnant ainsi naissance à l’institution de commissions fluviales. Ce principe a été consacré très tôt par l’arrêt de la Cour d’Etat allemande dans l’affaire 68 de l’infiltration du Danube . Il s’agit selon nous d’un cadre nécessaire pour une bonne gestion des ressources en eau douce internationales, qui prend en compte à la fois des intérêts économiques, des intérêts environnementaux et des intérêts écologiques. En effet ce principe semble aller plus loin que le simple principe de gestion intégrée, résumé par Jochen Sohnle comme suit : « fusionnant objet matériel du droit international des ressources en eau douce, les activités s’exerçant dans le domaine aquatique, et objet territorial, l’espace naturel à conserver, les acteurs internationaux se voient dans l’obligation de gérer 69 l’écosystème aquatique intégré dans une approche d’ensemble » . Ce n’est pourtant pas un principe facile à affirmer, à mettre en œuvre et à reconnaître. En quelque sorte, tous les traités internationaux concernant la gestion des ressources en eau douce constituent par définition une limitation à la souveraineté des Etats, qui acceptent de respecter certains principes confinés dans un engagement international. Cependant, accepter le fait qu’il y ait certaines limites à la souveraineté d’un Etat, ce n’est pas forcément reconnaître une communauté d’intérêts. En 1972 par exemple, lors de la Conférence de Stockholm, qui est la première Conférence internationale sur l’environnement et le développement, la limitation de la souveraineté nationale est affirmée dans le principe 21 : « les Etats ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction et sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l’environnement dans d’autres Etats ou dans des régions ne relevant d’aucune juridiction nationale ». La souveraineté est donc limitée, cela confirme le droit des Etats à exploiter les ressources naturelles sur leur territoire, mais dans la mesure où cette exploitation ne cause pas de préjudices aux Etats voisins. Ce principe a été confirmé comme faisant partie intégrante du droit coutumier international relatif à l’eau lors de la décision concernant l’affaire Gabcikovo-Nagymaros (1997). Le principe de la souveraineté limitée est le corollaire de la coopération interétatique. Le principe 24 de la Déclaration de Stockholm invite les Etats à coopérer afin d’instaurer une utilisation équitable et durable des ressources en eau partagées. En 1992, lors du Sommet de la Terre à Rio, la Déclaration prévoit que « les Etats doivent coopérer dans un esprit de partenariat en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre ». Au confluent du droit et du politique Alors que les théories réalistes et néoréalistes des relations internationales ont, notamment après la fin de la guerre froide, connu un déclin relatif, les théories internationalistes des relations internationales ont pu refaire surface et insister sur la nécessité de la coopération entre les Etats. Pour les réalistes la coopération entre Etats n’est pas nécessaire et a donc peu de chance de se développer (voir la doctrine Harmon). Les théories internationalistes insistent au contraire sur la mise en place d’organes de coopération à l’échelle internationale ou régionale qui réduiront les risques de conflits entre les Etats. Un parallèle peut être dessiné avec l’évolution de la considération des ressources en eau douce. L’antagonisme classique entre les deux grands principes du droit international, la souveraineté des Etats ou au contraire la coopération et la coordination à l’échelle internationale. Finalement, et 68 Affaire de l’infiltration des eaux du Danube, 17 et 18 juin 1927. Le principe de communauté s’applique également à la gestion des eaux souterraines. 69 36 Jochen Sohnle, droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.182. Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre on peut toujours dresser le parallèle avec les théories des relations internationales, la seconde vision tend à s’imposer, et résulte du constat que la première n’est pas efficace. La souveraineté nationale limitée est à même de constituer un facteur d’incitation à la coopération entre plusieurs Etats autour d’un problème commun. Toutefois les questions de souveraineté restent encore très présentes. Même si tous les textes relatifs à l’utilisation et la gestion des ressources en eau douce affirment aujourd’hui la nécessité de coopérer, d’échanger des informations, et ce par exemple à l’échelle d’un bassin international en mettant en place des commissions et autres organismes, les rapports de force sont encore bien souvent inégaux. Des rapports de force inéquitables peuvent donner lieu à la production de droit qui avantage par ses dispositions un Etat plutôt qu’un autre. C’est ici que le droit international et la politique se rejoignent. Dans bien des cas, la signature d’un traité, qui s’appliquerait à une échelle régionale comme internationale, ne garantit pas en soi un partage équitable des ressources en eau. Le rapport de force politique se reflète bien souvent dans la mise en place de règles de partage, et la coopération reste subordonnée aux relations politiques qu’entretiennent les Etats entre eux. « L’avantage de l’Etat le plus puissant est d’autant plus sensible que la législation internationale pour le partage des ressources en eau n’est doté 70 d’aucune force obligataire et qu’aucune juridiction ne contrôle son respect » . Pensons par exemple à des pays comme l’Inde, la Chine, la Turquie ou encore l’Egypte, qui ont su par leur position dominante sur un plan politique, économique ou militaire, protéger leurs intérêts au détriment de leurs voisins. De tels accords déséquilibrés peuvent tout aussi bien conduire à des situations conflictuelles que l’absence d’accord. Cette subordination du droit aux rapports de force entre les Etats se retrouve dans les doctrines qui ont inspiré et justifié les règles en matière de gestion des eaux transfrontalières. Les travaux de codification ayant abouti à la Convention de New York de 1997 montrent également que les Etats ont cherché à protéger avant tout leurs intérêts, malgré les discours officiels mettant généralement en avant les notions de partage, de coopération et d’échange. Nous l’avons dit, la communauté d’intérêt est à notre sens un concept plus large que la simple notion de souveraineté limitée. La théorie selon laquelle il existerait une communauté d’intérêts entre les Etats riverains n’est pas une invention moderne. Cette théorie a des antécédents en droit romain et apparaît dans des traités et actes officiels anciens. L’idée est qu’il existe une communauté d’intérêts créée par l’unité naturelle et physique d’un cours d’eau. Dans son travail de codification, la CDI a tenté une certaine ouverture vers une conception plus globale des ressources en eau internationales, et a mis en avant cette notion de communauté d’intérêts à l’échelle d’un bassin hydrographique. Les rapporteurs de la CDI s’appuieront principalement sur des textes africains contemporains afin de tenter de donner au droit international des cours d’eau une dimension correspondant à l’unité naturelle de la ressource considérée. Cette idée avait été émise par la Cour permanente de justice en 1929 dans l’affaire de la juridiction territoriale de la Commission internationale de la rivière Oder : « [La] communauté d’intérêts sur un fleuve navigable devient la base d’une communauté de droit, dont les traits essentiels sont la parfaite égalité de tous les Etats riverains dans l’usage de tout le parcours du fleuve et l’exclusion de tout privilège d’un riverain quelconque 71 par rapport aux autres » Le récent arrêt Gabcikovo-Nagymaros a démontré que cette communauté d’intérêts s’applique également à l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation. 70 71 Hélène Willart, le droit international de l’eau et son rôle dans l’élaboration de la paix, op.cit., p.51. Juridiction territoriale de la Commission internationale de I'Oder. arrêt no 16, 1929, C.P.J.I. série A no 23, p. 27, cité dans le jugement de la CIJ sur l’affaire relative au projet Gabcikovo Nagymaros, 25 septembre 1997, para.85, p.56. Mondange Adrien - 2009 37 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Cela est mentionné dans l’arrêt du 25 septembre 1997 : « Le développement moderne du droit international a renforcé ce principe également pour les utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, comme en témoigne l'adoption par 1'Assemblée générale des Nations Unies, le 21 mai 1997, de la convention sur le droit relatif 72 aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation » . La communauté d’intérêt s’étend à des préoccupations environnementales, par exemples à tous les éléments terrestres du cycle hydrologique. Si un cadre juridique est nécessaire pour mettre en place la coopération, un principe commence à se dessiner et à rentrer progressivement dans les considérations juridiques : le principe de solidarité. Chapitre 3 Aujourd’hui : eau et partage Nous l’avons vu, les difficultés liées à la gestion des ressources en eau douce sont nombreuses et portent sur des points particulièrement difficiles à traiter dans le contexte des relations internationales. Si tout Etat d’un cours d’eau international doit pouvoir utiliser les eaux coulant sur son territoire, et que ce droit reste un attribut de sa souveraineté, et donc attaché à une conception classique du droit international, cependant ce principe ne doit pas priver les autres Etats riverains de l’exercice du même droit. Le bon sens nous indique que l’eau est une ressource naturelle dont tous devraient pouvoir bénéficier, et par là même « une coopération devrait obliger les Etats riverains à respecter et protéger 73 leur droit commun d’exploiter cette ressource naturelle commune » .La multiplication des acteurs et des besoins en eau à la fois rend nécessaire l’intervention d’un droit international supposé résoudre les questions de partage en prenant en compte les aspects quantitatifs comme qualitatifs. Le droit international semble être un instrument qui peut tenter d’apporter des solutions. Dans le domaine, le droit international n’est pas novice et, nous l’avons vu, des doctrines et jurisprudences avaient déjà vu le jour avant que l’on considère la nécessité de partage et les notions d’utilisation équitable et raisonnable. Il s’agit désormais de procéder à un partage global des ressources en eau, dont les enjeux géopolitiques, économiques et sociaux sont devenus considérables, et ce dans un cadre interétatique de plus en plus complexe. Les cadres bilatéral ou multilatéral semblent à l’heure actuelle les plus appropriés pour résoudre les questions de partage des eaux, même si cette méthode n’est pas forcément aujourd’hui la plus appliquée par les Etats. C’est la raison pour laquelle l’Assemblée Générale des Nations Unies recommande à travers la résolution 2669 (XXV) à la Commission du droit international d’entreprendre « l’étude du droit relatif aux utilisations des voies d’eau internationales à des fins autres que la navigation, en vue du développement progressif de la codification du droit ». En réponse à cette demande, la CDI a inscrit cette question dans son programme de travail en 1971 et a procédé à l’analyse et à la collecte de la documentation sur la pratique des Etats. Rappelons que cette décision de l’Assemblée Générale faisait suite à un processus entamé dès 1959 sur le sujet, qui avait abouti en 1963 à un rapport du Secrétaire Général des Nations Unies, intitulé « problèmes juridiques posés par l’exploitation et l’utilisation des 74 fleuves internationaux » . Le travail de codification de la CDI, complexe, fait appel à une 72 73 Patricia Buirette, Genèse d’un droit fluvial général, op.cit., p.29. 74 38 Jugement de la CIJ sur l’affaire relative au projet Gabcikovo Nagymaros, 25 septembre 1997, para.85, p.56. Doc. A/5409, du 15 avril 1963 Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre réflexion doctrinale antérieure menée par des sociétés scientifiques telles que l’Association du droit international et l’Institut de droit international notamment. Loin d’être un long fleuve tranquille (section 1), l’édification de ce qui deviendra une Convention internationale met en avant de réelles difficultés sur les solutions à apporter à la question du partage des ressources en eau (section 2). L’apport de la Convention de New York de 1997 relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation n’est toutefois pas négligeable, et met en avant des principes généraux favorables à une gestion globale (section 3). Section 1 : un long fleuve…pas tranquille du tout : l’édification d’une convention internationale L’édification de la Convention de New York s’appuie sur des éléments de droit international préexistants. Il s’agit en grande partie d’un travail de codification (sous section 1), qui s’appuie notamment sur la coutume et les principes généraux du droit (sous section 2). L’intérêt de cette section qui reste par certains aspects descriptive est de rappeler au lecteur les intérêts de la codification en droit international et les principes antérieurs sur lesquels s’est appuyée la Commission du droit international pour travailler et parvenir finalement à un compromis entre les Etats. Sous section 1 la codification L’objectif de la codification en droit international est d’aboutir à une convention destinée à être signée et ratifiée. C’est en tout cas l’objectif qu’a toujours cherché à atteindre la Commission de Droit International (la CDI), qui considère que le succès de son travail est couronné par l’adoption d’une convention de codification par l’Assemblée Générale des Nations Unies. C’est le stade que cherchait à atteindre la CDI dans ce cas précis. La CDI se contente parfois d’adopter de « simples » lignes directrices. La CDI a été créée en 1947 par la résolution 174 (II) de l’Assemblée générale et conformément à la mission qui lui est assignée à l’article 13 alinéa 1 de la Charte des Nations Unies : « L’Assemblée générale provoque des études et fait des recommandations en vue de développer la coopération internationale dans le domaine politique et encourager le développement progressif du droit international et sa codification ». La Commission du droit international n’a pas le monopole de l’entreprise de codification et cette tâche peut être confiée à d’autres organes des Nations Unies. Toutefois l’essentiel de l’œuvre de codification a été accompli par cette Commission. En droit international, la codification repose en partie sur des normes coutumières. La coutume en droit international est plus développée qu’en droit interne français (la codification existe naturellement en droit interne comme en droit international), étant donné le stade moins avancé du droit international par rapport au droit interne. La codification se déroule en plusieurs étapes, et dans le cas de la Convention étudiée, l’entreprise de codification a duré plus de vingt ans. Celle-ci comporte cependant des risques. A première vue, on pourrait se dire qu’en en cherchant à préciser une règle grâce à son inscription dans un texte qui serait accepté par un nombre d’Etats considéré comme suffisant, le risque est d’amoindrir la portée de cette règle puisque celle-ci ne devient plus applicable qu’à l’égard du cercle restreint des Etats parties au traité de codification. La nécessité de la codification pourrait alors se trouver remise en question. La Cour Internationale de Justice, dans un arrêt Nicaragua du 26 novembre 1984, donne pourtant une réponse à ce problème, en affirmant que « les principes du droit international général et coutumier sont codifiés ou Mondange Adrien - 2009 39 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL incorporés dans des conventions multilatérales ne veut pas dire qu’ils cessent d’exister ou de s’appliquer en tant que principes de droit coutumier, même à l’égard des pays qui sont parties auxdites conventions [ …] [ces] principes conservent un caractère obligatoire en tant qu’éléments du droit international coutumier, bien que les dispositions du droit conventionnel 75 auxquelles ils ont été incorporés soient applicables » . Ainsi la codification ne substitue pas une règle préexistante à une autre, tout du moins la règle préexistante reste-t-elle applicable sous forme de coutume pour l’ensemble des Etats, même ceux qui ne sont pas concernés par les dispositions de la convention mise en place. La situation inverse doit cependant être commentée. En effet, si une convention modifie profondément la règle dans un sens qui ne convient pas aux Etats, ceux-ci peuvent refuser de ratifier et ainsi faire échouer le travail de la Commission du droit international. La codification présente l’avantage majeur d’ancrer la coutume dans la pratique des Etats à travers une acceptation générale et son incorporation 76 dans une convention . Il s’agit donc de renforcer la règle applicable. La codification doit par ailleurs permettre un développement progressif du droit international. Le statut de la C.D.I précise le sens de l’expression de « développement progressif » dans l’article 15. Celui-ci « fait une distinction « pour la commodité » entre l’expression « développement progressif du droit international », employée «pour couvrir les cas où il s’agit de rédiger des conventions sur des sujets qui ne sont pas encore réglés par le droit international ou relativement auxquels le droit n’est pas encore suffisamment développé dans la pratique des Etats », et l’expression « codification du droit international », employée « pour couvrir les cas où il s’agit de formuler avec plus de précision et de systématiser les règles du droit international dans des domaines dans lesquels il existe 77 déjà une pratique étatique considérable, des précédents et des opinions doctrinales » . La codification est logiquement synonyme de création de droit positif, par exemple lorsqu’il s’agit de préciser les modalités d’application d’un principe coutumier qui fait l’objet d’une codification. Si les auteurs du statut pensaient au départ que les méthodes de codification et de développement progressif seraient différentes, ils ont toutefois confié les deux tâches à la même commission. Dans la pratique, la distinction entre les deux principes reste artificielle et difficile à opérer. Les deux aspects restent en effet étroitement imbriqués. Sous section 2 de la coutume et des principes généraux du droit Nous l’avons dit, la nécessité de partager les ressources en eau internationales en utilisant un moyen autre que la frontière est devenue de plus en plus impérieuse au fur et à mesure de la diversification des usages. Les faits précédant généralement le droit, les règles existantes se sont montrées inadaptées aux situations nouvelles qui se développent, ce qui a amené cette volonté de systématisation et l’entreprise de codification par la Commission du droit international. Le travail de celle-ci s’annonçait complexe car les bases théoriques sur lesquelles elle a du s’appuyer étaient contradictoires. Nous avons déjà mentionné certaines doctrines extrêmes, dont la doctrine Harmon et celle de l’intégrité territoriale absolue. La théorie de la communauté d’intérêts, bien qu’évoquée parfois par la Cour internationale de Justice, n’a pas été largement acceptée par les Etats dont l’objectif dans les relations 75 Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua (Nicaragua contre Etats Unis), Arrêt du 26 novembre 1984, Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la C.I.J, 1984, p.424. 76 Considération de la Cour internationale de Justice dans un arrêt du 20 février 1969, affaires du plateau continental de la Mer du Nord. La Cour estime que le droit coutumier en formation concernant le plateau continental s’est « cristallisé du fait de l’adoption de la convention sur le plateau continental ». 77 40 Extrait de La Commission du droit international et son oeuvre, 5ed, 1996, et ABC des Nations Unies, 1995 Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre internationales est avant tout de protéger leur souveraineté, dût elle être une souveraineté restreinte ou limitée. C’est sur cette base que se fondent les travaux de la Commission de droit international. Le mandat donné à la Commission ne visait pas à ce qu’elle examine l’ensemble des problématiques relatives aux ressources en eau au plan international, mais uniquement le droit des cours d’eau internationaux. Toutefois, inspirée par la systématisation dans la même période du droit de la mer, la Commission tentera dans un premier temps d’élaborer un cadre juridique prenant en compte la complexité de la ressource : « […] la manière d’aborder la question doit être à peu près semblable, c'est-à-dire que, pour le droit de la mer, il a fallu, et pour les voies d’eau internationales, il faudra conceptualiser et formuler des principes juridiques qui soient adaptés à la nature de l’eau et aux réalités physiques qui 78 lui sont liées » . Nous le verrons, cette convention reste par certains aspects limitée car la Commission de droit international se heurtera encore à la volonté des Etats souverains qui souhaitaient notamment que la convention adoptée ne soit pas trop contraignante au regard de leur souveraineté. Si l’on ajoute à cela le fait que la Commission a cherché à concilier au maximum les Etats dans l’espoir d’obtenir une ratification assez large, on comprend mieux pourquoi la convention adoptée a pu être l’objet de vives critiques. Les principes généraux du droit et la coutume avaient déjà été appliqués dans les décisions judiciaires plus anciennes. Ayant déjà rappelé et commenté les décisions utiles à notre étude, nous ne reviendrons pas dessus. Il faut simplement se rappeler ici les concepts de communauté d’intérêts, d’utilisation équitable et raisonnable qui supposent une balance des intérêts. Des décisions intervenant dans d’autres domaines (affaire du détroit de Corfou, affaire de la Fonderie du Trail) ont également élaboré une jurisprudence utile à la Commission de droit international. Notons également les importants travaux précurseurs. Les spécialistes du droit international des cours d’eau ont en effet pris très tôt la mesure de l’ampleur des défis soulevés par la multiplication des usages et par la hausse de la pollution. Leurs travaux ont permis d’alimenter la réflexion au sein des Nations Unies et à la Commission du droit international. En 1961, l’Institut de droit international réuni à Salzbourg a adopté une résolution sur « l’utilisation des ressources en eaux internationales non maritimes (en 79 dehors de la navigation) » . Dans cette résolution, l’Institut ne se contente pas de confirmer l’interdiction de causer des dommages mais souligne également l’idée des avantages que peut présenter l’utilisation rationnelle d’un cours d’eau. Les principes adoptés allant dans ce sens sont les suivants : un principe de souveraineté limitée, un principe d’équité, un principe d’accord préalable, un principe de recours à la négociation, un principe de recours au règlement judiciaire et un principe d’établissement de structures de collaboration. De plus, l’article 3 de la résolution impose qu’en cas de désaccord, la question des droits d’utilisation sera réglée « sur la base de l’équité, en tenant compte notamment [des] besoins de chaque Etat concerné, ainsi que des autres circonstances propres au cas d’espèce ». Cet article renforce en quelque sorte le principe d’utilisation équitable et raisonnable. En 1979, une résolution intitulée « La pollution des fleuves et des lacs et le droit international », dite résolution d’Athènes, implique que la préséance de l’utilisation équitable est maintenue, 78 S.M. Schwebel, rapporteur spécial, premier rapport sur le droit relatif aux utilisations des voies d’eau internationales à des ère fins autres que la navigation, Doc. A/CN.4/320, Annuaire de la CDI, vol.II, 1 partie, p.154, cité par S. Paquerot, eau douce la nécessaire refondation du droit international, op.cit., p.34. 79 Annuaire de l’Institut de droit international, 1961, vol. 49-II, p.381, cité par L. Caflisch, la Convention du 21 mai 1997 sur l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation, AFDI, XLIII, 1997, CNRS éditions, Paris. Mondange Adrien - 2009 41 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL sauf dans les cas de pollution. C’est la balance de différents facteurs qui doit être prise en compte pour déterminer l’équité : « la Résolution de 1979 semble indiquer que le principe de l’utilisation équitable trouve une limite dans la prohibition de polluer ; ainsi l’interdiction de 80 causer un dommage serait absolue dans le domaine de la protection de l’environnement » . La question des ressources en eau a également donné lieu à des travaux au sein de l’International Law Association (ILA), qui a créé un comité spécial chargé de l’utilisation des eaux internationales. On doit à cette association une doctrine célèbre, plus connue sous le nom de règles d’Helsinki, à laquelle de nombreux textes se sont ensuite référés. Les Règles, applicables aux bassins de drainage, prévoient l’attribution d’un droit de participation équitable et raisonnable à chaque Etat du bassin, l’utilisation équitable étant placée au dessus de la simple interdiction de dommages appréciables. C’est la première fois qu’est utilisée la notion d’ « unité de bassin » en matière de gestion de l’eau. Cette gestion cherche à respecter l’unité physique du bassin, en prenant en compte tous les secteurs et les institutions concernés. Toutefois les Règles semblent peu contraignantes en ce qui concerne la pollution. Contrairement à l’Institut de droit international, elles établissent une distinction entre la pollution existante et les pollutions nouvelles, distinction qui ne sera retenue ni par la C.D.I ni par la Convention de New York. En 1986, l’ILA adoptera les règles de Séoul qui avaient notamment pour objectif d’étendre l’application des règles d’Helsinki aux eaux souterraines, jetant ainsi les bases d’un droit qui restera longtemps marginalisé. Notons toutefois que l’Association de droit international a adopté en 2004 les Règles de Berlin sur les ressources en eau douce, signe que ce droit continue de progresser. Ces règles ne font pas l’unanimité comme les précédentes. La C.D.I dispose déjà de « modèles » et de pistes à explorer lorsqu’elle débute ses travaux dans les années 70. Certains principes déjà soulevés à l’époque restent aujourd’hui encore en vigueur. Les travaux de la Commission ont été complexes et il paraît intéressant de relever quelques uns des problèmes rencontrés au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Ceci nous permettra en effet de comprendre dans quel état d’esprit la Convention de New York a été édifiée. Section 2 les travaux de la CDI : antagonismes et concessions Les travaux de la CDI sur le droit relatif à l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation ont duré environ 20 ans, de 1974 à 1994. Durant cette période, la Commission a fait appel à cinq rapporteurs spéciaux qui ont été en place pendant des durées variables. En 1991, un premier projet d’articles fut approuvé par la CDI et transmis à la Commission de l’Assemblée générale et aux gouvernements afin d’obtenir leurs avis respectifs. Le texte définitif du projet d’articles fut produit en 1994, suite aux propositions du nouveau Rapporteur spécial Robert Rosenstock. La codification a été longue et particulièrement difficile, conséquence logique de l’évolution rapide de la matière et des attentes divergentes des Etats. Sous section 1 les principales controverses Nous essaierons dans cette section de retracer quelques unes des controverses qui ont pu être soulevées lors des discussions entre Etats au sujet du texte à adopter. En effet, et ce malgré les défauts que comportait le second projet de 1994 de la C.D.I, l’Assemblée adopta une résolution invitant la Sixième Commission à se constituer groupe de travail plénier pour 80 42 L. Caflisch, la Convention du 21 mai 1997 sur l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation, op.cit., p.757. Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre étudier le projet et préparer son adoption et son ouverture à la signature. Ce groupe de travail, ouvert à tous les Etats, s’est appuyé sur le projet de 1994 pour établir l’actuelle Convention de New York. Rapport entre les accords de cours d’eau existants et futurs et les dispositions de la Convention Différents points font débat dans ce groupe de travail. Tout d’abord, le rapport entre les accords de cours d’eau existants et futurs et les dispositions de la Convention. Quel doit être le degré de conformité des accords existants avec la Convention ? Une telle question est importante en droit international puisqu’elle permet de déterminer le statut des normes proposées et adoptées par certains Etats. Ces normes sont elles supplétives ou bien indérogeables, c'est-à-dire que ce sont des normes de jus cogens ? Bien que la Convention soit une convention dite cadre, celle-ci ne fournit pas de standards minimaux ou de règles impératives comme c’est généralement le cas de ce type de convention. De plus, lorsqu’une nouvelle norme impérative en droit international est reconnue comme telle, les accords ou traités existants qui y dérogent deviennent nuls. Sur cette question les positions défendues par les Etats ne dépendaient pas de leur situation géographique (amont ou aval) mais plutôt de leur considération des accords existants. A ce niveau une mise en balance des intérêts a été opérée par chacun des Etats, laissant ainsi les intérêts collectifs de côté. Précisons que dans son projet d’articles, la CDI n’avait pas développé la question concernant le devenir des accords de cours d’eau existants. Certains Etats se sont toutefois permis de soulever la question, s’estimant mal servis par les accords existants, et espérant obtenir la reconnaissance des règles contenues dans la Convention comme règles de droit impératif (jus cogens). Ainsi, « dans un premier temps, le Portugal alla jusqu’à qualifier les dispositions de celle-ci [la Convention] de règles indérogeables, donc de jus cogens, peut être parce que cet Etat d’aval s’attendait à ce que 81 la Convention consacre la primauté de l’interdiction de causer un dommage » . D’autres Etats considéraient que le nouvel instrument devait pouvoir permettre, une fois entré en vigueur, la révision des accords existants à la lumière des nouvelles règles mises en avant. Enfin, un autre groupe d’Etats considérait que la convention ne devait en rien modifier le statu quo juridique des cours d’eau particuliers. Finalement, la Convention adopte, après rappel de l’existence d’accords bilatéraux ou multilatéraux concernant des cours d’eau particuliers, une solution consensuelle, critiquée par certains pays (et notamment par la France qui regrette une clarification plus poussée des relations entre la Convention et les accords existants). L’article 3, paragraphe premier, dispose en effet que « la présente Convention ne modifie en rien les droits et obligations résultant pour [les Etats du cours d’eau] d’accords en vigueur à la date à laquelle ils sont devenues parties à la présente Convention ». Sauf volonté expresse, la Convention ne modifie en rien les droits et obligations résultants pour ces Etats d’accords existants lors de l’entrée en vigueur de la Convention. Le paragraphe 2 précise en effet que « nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les Parties à des accords visés au paragraphe 1 peuvent, si besoin est, envisager de mettre lesdits accords en harmonie avec les principes fondamentaux de la présente Convention ». Soulignons ici l’extraordinaire effort de vocabulaire aboutissant à un article qui finalement semble perdre toute sa valeur impérative. Les Etats restent finalement libres d’agir comme ils le souhaitent et cette Convention paraît somme toute assez peu contraignante à cet égard. Une telle concession a 81 Lucius Caflisch, la convention du 21 mai 1997 sur l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation, op.cit., p.769. Mondange Adrien - 2009 43 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL 82 été qualifiée par L. Caflisch de « largement cosmétique » , un tel accord existant ne pouvant être modifié qu’avec le consentement de tous les Etats parties, fait qui semble utopique étant donnés les intérêts extrêmement divergents qui peuvent opposer des Etats parties à un accord concernant l’utilisation d’un cours d’eau dont ils sont les riverains par exemple. Aucune disposition de la Convention, à la suite des travaux de la Sixième Commission, ne peut être considérée comme ayant une nature impérative, « survenant » au sens de l’article 64 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969. Les Etats sont simplement invités à mettre les accords auxquels ils sont parties en harmonie avec la Convention. Concernant les futurs accords de cours d’eau, la controverse portait sur la possibilité de déroger aux dispositions de la nouvelle Convention pour la conclusion de nouveaux. Il est surprenant qu’une telle question, bien que légitime, puisse être soulevée dans une Commission censée créer du droit international à destination des relations interétatiques. En effet, quel serait l’intérêt de créer une Convention, qui après plus de vingt ans de travaux ne serait de toute façon pas contraignante et n’obligerait pas les Etats ? Pourquoi créer des règles de droit international que les Etats peuvent tout à fait ne pas appliquer ? Une Convention est un instrument qui doit être formel, sinon elle risque de revêtir le caractère d’une simple déclaration et dans ce cas le développement progressif risque fort d’être limité. La thèse suivant laquelle la nouvelle Convention contiendrait des règles de jus cogens ayant été abandonnée pour les accords de cours d’eau existants, il ne fallait pourtant pas donner l’impression que la Convention serait inutile et n’aurait aucun effet sur les accords futurs (il s’agit tout de même d’une Convention-cadre, qui par définition doit donc « encadrer » la matière). Deux groupes d’Etats se sont affrontés sur cette question. Finalement la Convention de New York respecte pleinement la liberté conventionnelle des Etats et se limite à leur offrir des directives facultatives. Les Etats de cours d’eau « peuvent conclure » de nouveaux accords « qui appliquent et adaptent les dispositions de la présente Convention aux caractéristiques et aux utilisations d’un cours d’eau international particulier ou d’une partie d’un tel cours d’eau » (article 3 paragraphe 3). Les Etats peuvent donc décider de conclure des accords conformes à la Convention (l’utilisation du présent « appliquent » pourrait même laisser entendre que les Etats y sont contraints), cependant ils n’y sont pas contraints (ils « adaptent » s’ils le souhaitent). La force obligatoire de la Convention Les désaccords au sujet de la force obligatoire accordée à la Convention de 1997 ont également posé des questions concernant le mode de règlement de litiges qui pourraient donner lieu à l’interprétation de la Convention. Sur ce point encore la distinction entre les Etats d’amont et les Etats d’aval ne jouait plus. La thématique du règlement pacifique des différends relatifs à l’interprétation ou l’application de la nouvelle Convention fut l’objet de débats et d’alliances diverses. La question de la valeur de normes internationales en matière de gestion des ressources en eau douce est encore une fois posée indirectement à travers ce débat. Ce type de débat et les idées qui y sont apportés reflètent une fois de plus les attitudes générales des Etats en matière de règlement des conflits et leur désir de voir un litige spécifique lié à l’interprétation de la Convention réglé ou non par l’intervention d’une tierce partie. La Suisse, qui milite depuis longtemps en faveur du règlement pacifique, proposa un mécanisme de règlement des différends pouvant aboutir à des mécanismes juridictionnels obligatoires. A l’inverse, des Etats comme la Chine, la Colombie, la Turquie 82 44 Idem, p.772 Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre ou encore la France s’allièrent avec des Etats d’aval pour empêcher l’établissement de mécanismes obligatoires faisant appel à une tierce partie. Etats d’amont/Etats d’aval L’une des difficultés principales rencontrée par le groupe de travail concerna les désaccords survenant entre les Etats d’amont et les Etats d’aval. Les Etats d’aval, de loin les plus nombreux, se prévalaient de la théorie de l’intégrité territoriale, ainsi que d’impératifs liés à la protection de l’environnement et à la conservation des ressources naturelles. Les Etats d’amont quant à eux, n’ont pas osé invoquer la doctrine Harmon de la souveraineté territoriale absolue mais ont cherché à affirmer la suprématie du principe de l’utilisation équitable et raisonnable par rapport à l’interdiction de causer un dommage. Ce conflit reflète une profonde difficulté à négocier, et montre encore que les Etats ont cherché à camper sur leur position, aucun d’eux n’étant prêt à faire de réelle concession pour assurer une gestion plus équitable des ressources. Ce conflit met en jeu deux groupes d’Etats qui cherchent chacun à assurer la prééminence d’un article de la Convention sur un autre. Il est difficile d’aller contre la souveraineté des Etats en droit international. Ceci prouve l’attachement des Etats aux ressources en eau douce et montre en partie que ceux-ci ont pris conscience de l’importance de cette ressource. Le fait que les Etats s’affrontent montre que l’eau est un facteur géopolitique et économique important à leurs yeux. Sylvie Paquerot souligne toutefois « l’affirmation agressive de la souveraineté et les difficultés de codification 83 du droit international des cours d’eau » , et rappelle avec H. Ruiz Fabri que « le droit fluvial 84 est précisément là pour montrer à quel point il est difficile d’aller contre les souverainetés » . Sous section 2 une bonne volonté limitée ? On pourrait être tenté de considérer, au vue des débats complexes et portant sur des notions importantes du droit international de l’eau, que le travail de la CDI est resté limité et n’a cherché qu’à codifier le droit existant, faisant fi de sa mission de développement progressif. Ce constat serait pourtant restrictif car cela reviendrait à fermer les yeux sur les tentatives opérées par les rapporteurs spéciaux pour faire évoluer le droit. Au début de ses travaux, la Commission de droit international a en effet cherché à prendre en compte la nature de la ressource. Ainsi, dès 1979 le rapporteur Schwebel affirmera, après une étude des propriétés de l’eau, que la notion de souveraineté permanente sur les ressources naturelles est loin d’être adaptée. L’année suivante, dans son projet d’article 5, ce même rapporteur introduit la notion de ressource naturelle partagée, considérant que l’eau d’un système de cours d’eau international est la ressource naturelle partagée par excellence. Il s’agit d’une notion ancienne qui n’a pourtant pas été acceptée en tant que telle comme un principe du droit international. Toutefois, dans la pratique des Etats cette notion est de plus en plus couramment admise. Le rapporteur fait également allusion à la Charte des droits et devoirs économiques des Etats de 1974, du Plan d’action de Mar del Plata adopté par la Conférence des Nations Unies sur l’eau de 1977, et d’autres textes encore adoptés pour la plupart dans les années 70, décennie durant laquelle s’affirme une prise de conscience écologique. Dans le Plan d’action de Mar del Plata de 1977, l’expression « ressources en eau partagées » est adoptée et utilisée à propos des cours d’eau internationaux. L’importance des commissions fluviales est également soulignée comme moyen de coopération. 83 84 Sylvie Paquerot, eau douce la nécessaire refondation du droit international, op.cit., p.88 H. Ruiz Fabri (1990). « Règles coutumières générales et droit international fluvial », AFDI, XXXVI, p.821, cité par Sylvie Paquerot, eau douce la nécessaire refondation du droit international, op.cit., p.88. Mondange Adrien - 2009 45 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL L’article du rapporteur Schwebel consacre l’idée selon laquelle les eaux d’un cours d’eau international sont considérées comme une ressource naturelle partagée seulement dans la mesure où leur utilisation par Etat a un effet sur leur utilisation d’un autre Etat. Ainsi, la CDI note dans le commentaire que la notion de ressource naturelle partagée peut entraîner certaines obligations juridiques, à savoir l’obligation de traiter ces ressources dans un esprit de coopération. La notion de ressource naturelle partagée a cependant été critiquée dès le premier rapport. Comme le souligne d’ailleurs A. Fenet, « les rapporteurs se sont trouvés contrariés par les réticences, voire l’hostilité montrées par de nombreux Etats face à leurs tentatives d’introduire dans le droit international des concepts dits modernes : concepts de gestion rationnelle de l’eau, de solidarité des usagers, d’unité de la ressources considérée dans le cadre du bassin hydrographique comme une ressource 85 naturelle partagée » . Il s’agissait en 1980 lors de sa première introduction d’une notion nouvelle qui risquait de provoquer une incertitude quant aux conséquences juridiques effectives qu’elle pouvait emporter. En 1984 le Rapporteur a donc présenté une version totalement révisée de cet article, en cherchant à préciser son contenu juridique. L’objectif était de souligner le principe selon lequel « un Etat a, à l’intérieur de son territoire, le droit de bénéficier d’une part équitable des utilisations des eaux d’un cours d’eau international ». Ainsi, la notion de partage était maintenue mais de façon plus souple, et cela sembla mieux convenir aux Etats. Comme le souligne Patricia Buirette, finalement « la notion de ressource naturelle partagée n’était acceptable que pour mettre en évidence les droits et les devoirs respectifs des Etats ; mais elle ne pouvait pas être à la base de nouveaux droits 86 et de nouvelles obligations » .Les Etats ont préféré à la notion de partage la notion de souveraineté, et les dispositions contraignantes correspondant à une mise en œuvre du principe de partage équitable ont été progressivement évincées. Notons que le concept de bassin hydrographique a lui aussi subi un sort similaire. Les Etats refusent de manière générale de se soumettre à l’obligation d’un accord ou, à défaut, au jugement d’un tiers. La CDI, devant le refus des Etats de prendre en compte, pour l’élaboration de la norme, la nature physique de la ressource considérée, a dû se replier sur les concepts traditionnels à ce champ du droit international. Toutefois tout n’est pas négatif, et la CDI semble d’ores et déjà être parvenue à poser les bases d’un droit international de l’eau assignant aux Etats des obligations particulières, à travers la mise en place de principes généraux qui semblent favorables à une gestion globale. Section 3 des principes généraux généreux ? L’objectif du travail de la CDI étant de définir des règles précises en droit international s’appliquant aux utilisations des ressources en eau douce à des fins autres que la navigation, les différentes doctrines, contradictoires et radicales, doivent être mises à mal et des principes clairs doivent être retenus. L’objectif d’une telle Convention cadre est de répondre de façon équitable et durable aux attentes des différents protagonistes, dans le but de parvenir à une meilleure gestion de l’eau et d’éviter par là même sa surexploitation. Les principes généraux sont exposés dans la deuxième partie de la Convention, articles 5 à 10. Deux obligations substantielles constituent traditionnellement les piliers du droit des ressources aquatiques, et c’est leur relation qui a été prise en compte pour la mise en place de la Convention de New York de 1997 relative aux utilisations des cours d’eau 85 A. Fenet (1991), « droit de la mer, droit des cours d’eau internationaux : similitudes et convergences », ADMA, T.11, p.90, cité par Sylvie Paquerot, op.cit., p. 40. 86 46 Patricia Buirette, genèse d’un droit fluvial général, op.cit., p.33. Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre internationaux à des fins autres que la navigation. Ces deux obligations sont d’un côté l’interdiction pour un Etat de causer un dommage significatif aux ressources aquatiques qui ne sont pas situées sur son territoire. Cette obligation est principalement défendue par les Etats d’aval. D’un autre côté, un Etat se voit obligé de gérer les ressources aquatiques partagées d’une manière équitable et rationnelle. Cette idée est plutôt défendue par les Etats d’amont. Sous section 1 l’ « utilisation équitable et raisonnable » Ce principe général constitue un des éléments les plus importants concernant le droit international des ressources aquatiques. La C.D.I, dans son effort pour concilier le droit souverain des Etats d’utiliser les eaux situées sur leur territoire et l’obligation de ne pas exercer cette souveraineté de manière préjudiciable à un autre Etat a dégagé dans l’article 5 de la Convention du 21 mai 1997 la règle de l’ « utilisation et la participation équitables et raisonnables » d’un cours d’eau international. L’article 5 est rédigé comme suit : « 1. Les Etats du cours d’eau utilisent sur leurs territoires respectifs le cours d’eau international de manière équitable et raisonnable. En particulier, un cours d’eau international sera utilisé et mis en valeur par les Etats du cours d’eau en vue de parvenir à l’utilisation et aux avantages optimaux et durables- compte tenu des intérêts des Etats du cours d’eau concernés- compatibles avec les exigences d’une protection adéquate du cours d’eau. 2. Les Etats du cours d’eau participent à l’utilisation, à la mise en valeur et à la protection d’un cours d’eau international de manière équitable et raisonnable. Cette participation comporte à la fois le droit d’utiliser le cours d’eau et le devoir de coopérer à sa protection et à sa mise en valeur, comme prévu dans les présents articles ». La notion de « raisonnable » en droit international mériterait à elle seule une analyse approfondie. Si le bon sens d’une personne consciente de l’urgence à coopérer et à mieux répartir les ressources en eau douce permet de comprendre l’essence même de ce concept, en revanche la notion est plus difficile à définir dans le cas d’Etats souverains qui poursuivent des intérêts divergents et pour lesquels les ressources en eau peuvent prendre une dimension sécuritaire ou géopolitique. Toute tentative de définition de la notion de « raisonnable » en droit international public se heurte à une profonde ambiguïté, reflétée dans cette citation issue d’une décision de la Cour Internationale de Justice : « what is 87 reasonnable and equitable in any given case must depend on its circumstances » . Ainsi, on considère en droit international qu’il est possible de dégager un principe général basé sur une utilisation « équitable et raisonnable », mais de l’autre côté cette notion n’est pas définie en des termes clairs puisqu’elle prend des sens différents selon les « circonstances ». Cette règle trouve ses origines dans le droit anglo-saxon et en particulier dans la jurisprudence fédérale américaine (on en trouve aussi des traces dans la jurisprudence d’autres Etats fédéraux comme par exemple l’Allemagne), à propos de problèmes de répartition des eaux. La règle exprime la solidarité interétatique dans la gestion des ressources en eau. Elle est fondée sur l’égalité souveraine des Etats ainsi que sur le principe de souveraineté territoriale et d’intégrité territoriale limitées. Dans un arrêt Kansas Vs Colorado, la Cour Suprême des Etats Unis a déclaré concernant le rôle que devait jouer le principe d’égalité dans le règlement du litige entre les deux Etats : « One cardinal rule, underlying all the relations of the States to each other, is that of equality of right. Each State 87 Continental Shelf (Tunisia/Lybia Arab Jamahiriya) I.C.J. Rep. 1982, 18, para.60, cite par Oliver Corton, The Notion of “reasonable” in International Law: Legal Discourse, Reason and Contradictions, The International and Comparative Law Quaterly, Vol. 48, No. 3 (Jul., 1999), p. 613 Mondange Adrien - 2009 47 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL stands at the same level with all the rest. I can impose its legislation on no one of the others, 88 and is bound to yield its own views to none” . La mise en place de ce concept n’a pas été évidente et la C.D.I a parfois eu du mal à concilier les points de vue des Etats à ce sujet. L’article 5 du projet de 1991 consacrait en effet, comme l’avait fait auparavant l’article IV des Règles d’Helsinki de 1966, le principe de l’utilisation équitable et raisonnable. Cette utilisation devait alors être « optimale » et assurer une « protection adéquate » du cours d’eau. L’article 6 contenait lui une liste non exhaustive de facteurs à prendre en compte pour déterminer l’équité de l’utilisation d’un cours d’eau international. En 1994, le second projet essaiera de discerner la notion d’utilisation optimale. La C.D.I constatera qu’il ne s’agit ni de « l’utilisation techniquement la plus rationnelle » ou « financièrement la plus avantageuse », ni de celle « permettant de s’assurer des profits immédiats au prix de pertes à long terme », ni enfin de l’utilisation prioritaire par l’Etat « qui a les moyens de pratiquer l’utilisation la plus rationnelle ». Ainsi, la C.D.I conclura sur ce point que l’utilisation optimale « signifie que les Etats du cours d’eau s’assurent tous les maximum d’avantages possible et répondent le mieux possible à tous leurs besoins tout en réduisant au minimum les dommages causés à chacun d’entre eux et la part non satisfaite 89 de tous besoins » . A l’heure actuelle le principe de l’utilisation équitable et raisonnable semble être communément admis parmi les Etats. Il est d’ailleurs appuyé par une doctrine internationale importante et consacrée par la pratique, conventionnelle et déclaratoire des Etats. Dès 1929 le jugement de la rivière Oder énonçait ce principe. Il a pu être énoncé plus tôt encore lors de conflits tranchés par la Cour Suprême des Etats Unis au début du XXe siècle. Cette règle semble aujourd’hui faire partie des règles coutumières. Quelques mois seulement après l’adoption de la Convention de New York de 1997 (en mai), la Cour internationale de Justice, se prononçant sur l’affaire Gabcikovo-Nagymaros, a insisté sur ce principe, et y a 90 fait directement allusion dans plusieurs paragraphes de l’arrêt . Le succès initial de la règle tient à son degré de généralité, à sa souplesse et à la multitude de paramètres dont elle est composée. Il s’agit de faire en sorte que chaque Etat fasse le maximum d’efforts, dans les limites de ses capacités, pour atteindre l’objectif fixé. Cette obligation met ainsi tous les Etats sur un pied d’égalité, ce qui pour le droit international est un accomplissement important. L’utilisation équitable ne signifie pas l’existence d’égalité des droits, mais plutôt l’idée que dans l’hypothèse d’un conflit entre utilisations, il convient de procéder à des ajustements sur une base équitable et raisonnable. Dans son deuxième rapport, le Rapporteur Schwebel souligne que « la principale règle juridique est que les droits d’un Etat sont limités par les droits des autres Etats. C’est un postulat du droit international tellement fondamental qu’il en est incontestable ». L’article 6, alinéa 1 expose sept paramètres afin d’aider à cerner le concept d’utilisation équitable et raisonnable, « par la prise en considération de tous les facteurs et circonstances pertinents », parmi lesquels figurent « les facteurs géographiques, hydrographiques, hydrologiques, climatiques, écologiques […] les besoins économiques et sociaux […] la population tributaire du cours d’eau dans chaque Etat du cours d’eau […]. 88 89 Kansas v Colorado, 206 U.S 46, at p.97 (1907), cité par S.C. McCaffrey, the law of international watercourses, op.cit., p.390. Commentaire 3 de l’article 5 du projet de 1994, cité par Lucius Caflisch, La Convention du 21 mai 1997 sur l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, op.cit., p.761, note 46. 90 Voir par exemple le paragraphe 78, dans lequel la Cour affirme le droit fondamental de la Hongrie à une telle part équitable et raisonnable « mais il ne saurait s’ensuivre que la Hongrie aurait perdu son droit fondamental à une part équitable et raisonnable des ressources d’un cours d’eau international » ; paragraphe 85 la Cour considère que la Tchéchoslovaquie, en prenant unilatéralement le contrôle d’une ressource partagée, et en privant ainsi la Hongrie de son droit à une utilisation équitable et raisonnable des ressources naturelles du Danube […] n’a pas respecté la proportionnalité exigée par le droit international ; article 150… 48 Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre Rappelons encore que la Convention de New York complète la définition de l’utilisation optimale consacrée au Projet de la C.D.I de 1994. L’utilisation et les avantages doivent être « durables ». Cette adjonction introduit une dimension temporelle dans la dimension générale. De plus, cette utilisation doit tenir compte des « intérêts des Etats du cours d’eau concernés », ceci générant des droits réciproques vis-à-vis des autres Etats dont les intérêts doivent être protégés. Toutefois, la règle fondamentale reste ambivalente. En effet, elle énonce d’une part le droit pour chaque Etat du cours d’eau, sur son territoire, à une part équitable des utilisations et des avantages du cours d’eau international, et d’autre part chaque Etat du cours d’eau a l’obligation de ne pas outrepasser son droit d’utiliser le cours d’eau de manière équitable et raisonnable, c'est-à-dire de ne pas priver les autres Etats du cours d’eau de leur droit d’utilisation équitable et raisonnable. Malgré la reconnaissance du caractère coutumier et son inscription dans la Convention, les Etats restent réticents à l’appliquer dans certains domaines spécifiques, notamment la distribution du potentiel électrique, les ressources vivantes (qui sont explicitement exclues du domaine d’application de la Convention), et les eaux souterraines qui ne sont pas reliées aux eaux de surface. L’interprétation de la notion d’usage équitable et raisonnable reste donc variable, même si cette norme fondamentale introduite par la Convention de New York, issue des Règles d’Helsinki, introduit l’idée de gestion globale. Un usage- même ancien- d’un cours d’eau peut être abandonné au profit d’un usage plus équitable. Sous section 2 l’obligation de coopérer L’article 8 de la Convention énonce l’obligation générale de coopérer, et ce sur la base « de l’égalité souveraine, de l’intégrité territoriale, de l’avantage mutuel et de la bonne foi », et « en vue de parvenir à l’utilisation optimale et à la protection adéquate du cours d’eau international ». Cette dernière partie de l’article nous rappelle que l’obligation de coopération entretient des liens étroits avec l’utilisation équitable et raisonnable. De plus, l’article vise à souligner l’importance de la coopération internationale dans la résolution de situations litigieuses, et laisse sous-entendre que des Etats du cours d’eau, partageant une même ressource, devraient tendre à entretenir entre eux des relations sur un pied d’égalité, formant ainsi ce que l’on pourrait appeler une « communauté d’intérêts ». Soulignons cependant que l’eau n’est jamais la cause unique d’une situation conflictuelle mais peut constituer un enjeu. Même si les Etats venaient réellement à constituer une communauté d’intérêts sur la base de leur utilisation d’un cours d’eau, d’autres facteurs pourraient de toute façon exacerber la situation et viendraient renforcer par exemple l’influence d’un Etat sur ses voisins. La considération de la nécessité d’un partage de l’eau n’est pas le seul facteur rentrant dans le calcul stratégique d’un Etat, même s’il peut être un facteur déterminant dans certains cas. Les travaux au sein du Groupe de travail ont montré des intérêts divergents, opposant à nouveau Etats d’amont et Etats d’aval notamment. La Syrie a par exemple cherché à introduire un paragraphe additionnel dans lequel serait précisé que l’obligation de coopération devait se réaliser au moyen d’accords entre les pays concernés, sur la part équitable et raisonnable des utilisations revenant à chacun. De manière générale, alors que les Etats d’aval se prévalaient de la théorie des droits riverains et d’impératifs liés à la protection de l’environnement, les Etats d’amont se prévalaient plutôt du principe d’utilisation équitable et raisonnable, dont ils cherchaient à assurer la prédominance sur l’interdiction de causer un dommage. Mondange Adrien - 2009 49 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL La coopération doit s’établir sur la base d’un échange d’informations et de données, échange que l’article 9 de la Convention cherche à mettre en place. L’information et l’échange de données concrétisent la règle générale de coopération. Il s’agit d’une mesure bien ancrée dans les relations internationales. Les études doctrinales et jurisprudentielles relèvent une pratique constante, qui prend différentes formes, de la 91 coopération internationale . L’obligation de coopérer n’est en effet pas une obligation nouvelle en droit international, et sur ce point le Groupe de travail n’a fait que réaffirmer 92 une pratique déjà existante . Il s’agit d’une pratique ancienne, qui a été confirmée à de nombreuses reprises récemment. La coopération est en effet censée être à la base du règlement d’un litige surgissant entre Etats. L’article 9 concernant l’échange régulier de données et d’informations paraît toutefois décevant, dans la mesure où il précise que ces informations doivent être transmises à partir du moment où elles sont « aisément disponibles », et compte tenu du travail et des frais à engager, mais leur élaboration ne peut être engagée qu’en vertu d’un traité spécial. Le caractère contraignant des modalités de mise en œuvre de l’obligation générale de coopérer est donc relativement faible… Si les auteurs s’entendent assez largement pour conférer un caractère coutumier à l’obligation générale de coopérer, toutefois il est intéressant de s’interroger sur sa réelle mise en pratique, dans le droit international de manière générale et dans le droit des ressources en eau douce. Bien que l’idée d’une « administration internationale » des ressources en eau 93 douce soit soulignée et rappelée fréquemment , insistant sur la mise en place d’agences de coopération au niveau régional, toutefois les intérêts géostratégiques peuvent ici venir concurrencer le droit international et mettre à mal des initiatives qui font pourtant preuve de bon sens. L’existence d’une obligation générale de coopérer n’est pas, dans ces conditions, un gage certain de relations pacifiques entre Etats riverains du cours d’eau international. Sous section 3 l’obligation de ne pas causer de dommages significatifs Il est mentionné dans l’article 7 alinéa 1 de la Convention que « les Etats du cours d’eau prennent toutes les mesures appropriées pour ne pas causer de dommages significatifs aux autres Etats du cours d’eau ». La Convention de New York reprend pour l’essentiel le principe 21 de la Déclaration de Stockholm sur l’environnement de 1972, obligeant les Etats à prendre des mesures pour prévenir les dommages qui peuvent être infligés aux autres Etats par leur utilisation des ressources en eau. Cet article trouve appui dans la jurisprudence internationale. Il suffit d’étudier l’affaire de la Fonderie du Trail dans laquelle 91 Pour en savoir plus sur l’obligation de collaborer, les formes que peut prendre cette collaboration voir la thèse de Christelle Dressayre, op. cit., p. 145 à 172, et pages suivantes sur « l’obligation d’informer comme corollaire à l’obligation de coopérer ». 92 Voir par exemple dans la jurisprudence arbitrale la sentence de l’affaire du Lac Lanoux, dans laquelle le tribunal est amené à préciser le contenu de l’obligation de négocier : « …la pratique internationale…oblige les Etats à rechercher, par des tractations préalables, les termes d’un accord sans subordonner à la conclusion de cet accord l’exercice de leurs compétences […] En réalité, les engagements ainsi pris par les Etats prennent des formes très diverses et ont une portée qui varie selon la manière dont ils sont définis et selon les procédures destinées à leur mise en œuvre ; mais la réalité des obligations ainsi souscrites ne saurait être contestée et peut être sanctionnée, par exemple, en cas de rupture injustifiée des entretiens, des délais normaux, de mépris des procédures prévues, de refus systématique de prendre en considération les propositions ou les intérêts adverses, plus généralement ème en cas d’infraction aux règles de la bonne foi » A.C.D.I, 1974, vol. II, 2 partie. Se référer également à la jurisprudence de la Cour Internationale de Justice, notamment l’affaire du plateau continental de la Mer du Nord, 20 février 1969. 93 Certaines institutions étudient les problèmes de répartition des ressources en eau douce à l’échelle mondiale. Voir par exemple le Programme Hydrologique International (UNESCO), l’Office International de l’Eau, les commissions de gestion de certains bassins fluviaux. Voir aussi la notion de « gestion intégrée ». 50 Mondange Adrien - 2009 Partie I Le droit international de l’eau, nécessaire et complexe à mettre en œuvre le tribunal arbitral décida qu’aucun Etat n’a le droit d’user de son territoire ou d’en permettre l’usage de manière à faire du tort « au territoire d’un autre Etat ou aux propriétés des personnes qui s’y trouvent, quand l’affaire a une portée sérieuse et que le préjudice subi 94 est établi de manière claire et convaincante » . De même, l’affaire du détroit de Corfou et l’affaire du Lac Lanoux mettent en avant le principe de l’interdiction de ne pas causer de dommage significatif. L’étude jurisprudentielle et doctrinale revèle que ce principe n’est lui non plus pas complètement neuf dans les pratiques interétatiques. Il apparaît toutefois que même si cette règle, qui relève en quelque sorte du principe de bon voisinage, est une règle coutumière, en matière de droit des cours d’eau internationaux notamment sa prépondérance n’est pas conforme à la pratique des Etats. En effet son caractère absolu serait synonyme d’une atteinte au principe de l’égalité souveraine des Etats. De plus, dans certains cas l’application stricte du principe de ne pas causer de dommages significatifs équivaudrait à nier le droit d’utilisation. Pensons par exemple à la problématique du Nil. Attribuer un caractère fondamental à ce principe risquerait d’aboutir au maintien d’un statu quo en ce qui concerne les activités autres que la navigation se rapportant à des cours d’eau internationaux exploités. Toute activité nouvelle risquerait par là même d’être considérée comme portant atteinte aux utilisations existantes et d’infliger un dommage aux exploitants déjà en place. Le risque est donc que les activités existantes engendrent un droit acquis, et il deviendrait alors difficile de modifier des situations ou de tenter des rééquilibrages. Cette situation risque de créer des tensions lorsqu’il s’avère qu’un ou plusieurs Etats se sont attribué la majeure partie des bénéfices des ressources d’un cours d’eau international. D’autres critiques pourraient être formulées à l’encontre de cet article, dont l’objectif premier est pourtant, de même que les articles évoqués précédemment, la mise en place d’une gestion globale des ressources en eau douce. Il s’agit de savoir quel sens recouvre ici l’adjectif « significatif ». Aucune précision n’est apportée dans le texte de la Convention. Si le dommage d’importance mineure reste toléré car correspondant aux incommodités dues au bon voisinage dans la doctrine, l’Etat peut seulement s’opposer à un dommage « significatif ». De même, le terme de « dommage » peut être interprété de différentes façons, et peut recouvrir des situations différentes. La C.D.I a expliqué que ce terme pouvait avoir des usages variés, et qualifier des dommages quantitatifs aussi bien que qualitatifs. En théorie, la pratique des Etats n’est pas analysée seulement sous l’angle de la seule utilisation directe d’un cours d’eau qui pourrait avoir des répercussions dans un autre Etat. En effet, des activités menées dans un Etat peuvent avoir des effets dommageables dans un autre Etat, mais de manière indirecte. Toutefois, la Convention de New York précise que les Etats ne doivent pas causer de dommages significatifs à travers l’usage d’un cours d’eau international. La condition restreint le champ d’application de la Convention. Malgré un rejet ferme des termes de cet article par certains Etats, celui-ci a pu être considéré comme fondamental. Il a pu être considéré comme « la pierre angulaire de 95 l’ensemble du texte » . Il ressort de l’analyse succincte de ces articles que certaines controverses ont pu naître et sont aujourd’hui encore vivaces. De façon plus générale, l’ensemble de ces trois principes constitutifs de la Convention de New York ont pour but la gestion globale des ressources en eau douce. 94 C.I.J., Rec. 1949, op.cit., p.22, cité par El Hassane Maghfour, hydropolitique et droit international au Proche-Orient, op.cit., p.234. 95 L. Caflisch, la Convention du 21 mai 1997 sur l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation, op.cit., p.762. Mondange Adrien - 2009 51 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL L’objectif de la Convention, selon Jacques Sironneau, était de « trouver un équilibre entre l’interdépendance des Etats riverains et leur souveraineté sur leurs ressources naturelles ; un équilibre également entre les Etats d’amont et les Etats d’aval mais aussi entre les différentes utilisations de l’eau ». Il était essentiel de mettre en place un droit international de l’eau, qui préexistait mais ne suffisait plus à couvrir l’ensemble des utilisations. La Commission de Droit international a mis en place après 20 ans de réflexion un droit qui se veut progressiste et codificateur tout à la fois. 52 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce Les travaux ayant conduit à l’adoption de la Convention sont louables. Ils ont non seulement permis d’intéresser durant deux décennies des spécialistes de la question, de collecter des avis et de proposer des débats, processus essentiel en droit international, mais ont également abouti à la signature d’une convention, un instrument pour le moins puissant en droit international - à supposer qu’il soit effectif. La Convention du 21 mai 1997 a-t-elle correctement intégré des concepts modernes concernant la gestion des ressources en eau douce ? A-t-elle répondu aux espoirs qu’elle a suscités, ou au contraire a-t-elle déçu, et pour quelles raisons ? Les travaux tortueux de la Commission ont soulevé de nombreuses questions, à certaines périodes ces travaux se sont montrés plutôt modernes, avant-gardistes, tandis qu’ils se sont présentés sous des formes plus conservatrices le reste du temps. Aujourd’hui, le droit international de l’eau ne se résume pas seulement à cette Convention, mais en matière de droit positif celle-ci reste un élément d’étude important du fait même de sa nature et du processus qui l’a fait naître. Peut-on considérer que cette Convention reflète réellement l’état des besoins en matière de codification ? En cherchant à concilier les intérêts des Etats, les différents rapporteurs qui se sont succédé ont-ils donné à la Convention l’envergure dont elle devrait disposer compte tenu de l’urgence à agir ? Au final, la Convention n’est elle que le reflet des divergences des intérêts étatiques - un texte qui serait alors affadi - ou les rapporteurs ont-ils réussi à outrepasser les intérêts contradictoires ? La Convention semble en effet se heurter à un certain nombre de limites. Ceci nous fait dire qu’il s’agit d’une convention imparfaite (chapitre 1). La perfection n’existe pas, nous qualifierons ici la Convention d’imparfaite pour souligner ses principaux défauts. Cette convention laisse apparaître des vides juridiques criants, sur lesquels nous reviendrons afin de montrer qu’ils devraient pourtant être pris en compte (chapitre 2). L’utilité du droit international de l’eau sera ensuite testée à travers des exemples représentatifs (chapitre 3). Chapitre 1 la Convention du 21 mai 1997 : une convention imparfaite Dès le début des travaux, la Commission de Droit international a exprimé ses craintes quant à la difficulté de travailler sur l’utilisation d’une ressource essentielle dans toute société, qui n’a pas partout la même signification et fait l’objet d’usages divers. De plus, la mise en place de principes généraux applicables dans toutes les régions du monde Mondange Adrien - 2009 53 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL aux différents cours d’eau semble difficile. En effet, « l’obstacle principal réside dans la spécificité historique, sociale, géographique, hydraulique de chaque fleuve, qui se prêterait mieux à des accords bilatéraux entre Etats directement concernés qu’à une règlementation 96 internationale générale » . Le travail de la Commission a abouti à l’adoption d’une Convention-cadre. L’objectif, affiché dès le départ, était de satisfaire le plus grand nombre d’Etats. Il est donc légitime de souligner les imperfections de cette convention. Au-delà de simples critiques, il semble intéressant de mener cette étude car c’est dans ce genre de situation et par la confrontation que les règles de droit international peuvent être produites et surtout appliquées. Malgré les années passées à tenter de concilier les Etats, il semblerait que la majorité d’entre eux aient finalement décidé de sauvegarder leurs intérêts, faisant de la Convention un texte dont la portée est réduite. L’apport et la portée de la Convention du 21 mai 1997 semblent limités (section 1), et celle-ci reste peu novatrice (section 2). Section 1 un apport somme toute limité La Convention du 21 mai 1997 constitue un texte essentiel en droit international de l’eau, issu d’un long processus de négociations. Toutefois, si l’on prend la peine de considérer ce texte et d’étudier les commentaires le concernant, certains aspects peuvent paraître faibles et alimenter la critique quant à sa réelle portée. Il s’agit d’une convention-cadre (sous section 1), dont certains contours sont peu clairs (sous sections 2), et qui montre une prise de risque limitée (sous section 3). Sous section 1 limite quant à la forme : une convention-cadre Les articles 3 et 4 sont des dispositions visant à inciter les Etats d’un cours d’eau à conclure des « accords de cours d’eau », la Convention ne donnant finalement que des conseils quant au contenu de ceux-ci. L’alinéa 4 de l’article 3 dispose ainsi que « lorsqu’un accord de cours d’eau est conclu entre deux ou plusieurs Etats du cours d’eau, il doit définir les eaux auxquelles ils s’applique. Un tel accord peut être conclu pour un cours d’eau international tout entier, ou pour une partie quelconque d’un tel cours d’eau, ou un programme particulier, ou pour une utilisation particulière, dans la mesure où cet accord ne porte pas atteinte, de façon significative, à l’utilisation des eaux du cours d’eau par un ou plusieurs Etats du cours d’eau sans le consentement exprès de cet Etat ou ces Etats ». Cet article présente certains des conseils que la Convention se borne à donner à ceux qui voudraient conclure des accords de cours d’eau. Il constitue en quelque sorte un guide pratique, que les Etats peuvent ou non consulter. La Convention, chargée de codifier la règlementation en vigueur, a posé des principes généraux, laissant la possibilité aux Etats qui le souhaitent - ceux au moins qui auront ratifié la Convention - de conclure des accords-systèmes. Ceci s’explique par la considération de la particularité de chaque situation, et peut ainsi être perçu comme un avantage. Si les Etats mettent en place un accord-système respectant les principes généraux entérinés par la Convention, que nous avons déjà mentionnés, alors tout ira pour le mieux : les principes considérés comme essentiels en droit international seront respectés, tandis que le particularisme de chaque cours d’eau ou de chaque situation - qui n’est plus à démontrer - sera pris en compte. L’accord-système permettrait de répondre à une gestion optimale de l’eau, offrant un régime juridique spécifique qui correspondrait aux besoins particuliers et 96 54 C. Dressayre, la mise en place du droit international de l’eau : mythe ou réalité ?, op.cit., p.227. Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce identifiés. Notons que la technique de la convention-cadre est fréquemment utilisée dans ce domaine. Mentionnons par exemple l’adoption de la directive cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau. Cette directive est un instrument juridique majeur pour la gestion de l’eau, qui parachève près de trente ans de travaux de la Commission dans ce domaine. La Commission a retenu l’idée selon laquelle il lui était requis de définir les grands principes constitutifs d’un accord, un cadre relatif aux règles générales applicables à tous les cours d’eau internationaux. Cette interprétation se comprend facilement étant donnée la diversité des situations qui se présentent aux Etats, et elle paraît de prime abord la solution la plus sage. Peut être l’est elle, mais là n’est pas la question. En effet il n’en reste pas moins que la possibilité laissée aux Etats de pouvoir déroger à la Convention a suscité la controverse. La Convention mettrait en avant des règles ayant un caractère supplétif, devant servir de fondement aux accords de système apportant quant à eux la règlementation précise des cours d’eau. Ce fonds commun de règles, mises en place de façon concertée, devrait en théorie encourager la conclusion des accords de système et contribuer par là même à la solution de difficultés. Il apporte un terrain d’entente pouvant servir de base à 97 des négociations . Des représentants ont souligné le fait que les relations politiques et la volonté de coopérer entre les Etats étant variables, il était nécessaire de mettre en place des règles suffisamment précises. Bien qu’un accord cadre puisse s’appliquer de manière supplétive à des ressources aquatiques internationales en l’absence d’un accord spécifique, cette situation est rare car de nombreux accords existent aujourd’hui à travers le monde concernant l’utilisation des ressources hydriques. Un problème particulier consiste dans le comblement ou le non comblement des lacunes des accords futurs par la convention-cadre, dans le cas où on ignore si ce silence est le résultat volontaire de négociations interétatiques. Un Etat pourrait se voir imposer la Convention à titre supplétif s’il est avéré qu’aucun accord ne concerne les ressources mises en question. La Convention en revanche ne remet en cause aucun accord de cours d’eau existant ou à venir, solution qui a vainement été critiquée par la France en particulier. La question de l’utilité de ce nouvel instrument juridique pourrait ainsi se poser. Le choix de l’accord cadre pourrait être perçu comme le constat de l’incapacité de la société internationale à mettre en place des accords suffisamment puissants pour remédier de façon efficace aux problèmes considérés. Concernant la faible effectivité de cette convention cadre, précisons que le texte de la Convention n’est à l’heure actuelle toujours pas entré en vigueur, faute d’avoir obtenu les 35 instruments de ratification nécessaires. Lors du vote à l’Assemblée Générale, 103 pays se prononcèrent en faveur du texte, seuls trois contre (le Burundi, la Chine et la Turquie, les deux derniers sans doute à cause de leur position d’Etat d’amont, et le Burundi plutôt pour des considérations politiques que pour des raisons hydro-géographiques). A ce jour 97 Lucius Caflisch porte cependant un regard différent sur la nature de la Convention, voir L. Caflisch, la Convention du 21 mai 1997 sur l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation, op.cit., p.770, note de bas de page n°88 : « en général, les « traités-cadres »- voir à titre d’exemple la Convention du 10 octobre 1980 sur les armes traditionnelles (revue internationale de la Croix Rouge, n°727, 1981, p.44) […]- consistent exclusivement en des dispositions de forme, de procédure et institutionnelles, les règles de fond faisant l’objet d’annexes à ces traités. Autrement dit ils servent de cadre à ces annexes. Clairement la Convention du 21 mai 1997 n’entre pas dans cette catégorie, puisqu’elle contient de nombreuses dispositions de fond et ne sert pas de cadre à d’autres instruments qui en feraient partie intégrante. On voit dès lors mal à quoi correspond le terme « Convention-cadre » utilisé au cinquième paragraphe du préambule, si ce n’est qu’il renforce l’interprétation donnée ci après (pp. ..et..) à l’article 3, paragraphes premier et 3. de la Convention, à savoir que les règles de cette dernière ont un caractère purement dispositif ». Mondange Adrien - 2009 55 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL seuls 17 Etats ont ratifié la Convention. Le World Wide Fund for Nature (WWF) espère une entrée en vigueur en 2011. La France a annoncé lors du Forum mondial de l’eau, qui s’est 98 tenu cette année à Istanbul du 16 au 22 mars, qu’elle allait elle-même ratifier ce texte . Sous section 2 le caractère équivoque du rapport entre deux des règles fondamentales posées par la Convention Nous l’avons dit, la Convention du 21 mai 1997 met en place une série de règles qui restent des règles essentielles et sont considérées par la plupart des auteurs comme les piliers du texte. Parmi ces règles, nous avons évoqué le principe de l’utilisation équitable et raisonnable, qui résulte de l’élaboration de la Convention. Cette règle reste équivoque par rapport à l’interdiction de causer un dommage. L’interprétation de ces principes et la question de savoir lequel des deux pouvait prévaloir est une problématique qui fait de la Convention un texte sous certains aspects difficile à interpréter. Rappelons pour mémoire que l’article 5 traite de l’utilisation équitable et raisonnable, tandis que l’article 7 traite de l’obligation de ne pas causer de dommages significatifs. Le rapport entre l’utilisation équitable et raisonnable et l’interdiction de causer un dommage C’est la question de la formulation de l’article 7 et de ses relations avec les articles 5 et 6 qui a provoqué l’une des confrontations majeures lors de l’élaboration de la Convention, et celle-ci subsiste encore entre les spécialistes. En fait, l’opposition entre ces deux articles, c’est aussi l’opposition entre Etats d’amont et Etats d’aval. Il ressort de ces deux articles des problèmes d’interprétation, et Joseph W. Dellapenna, spécialiste anglo-saxon du droit international de l’eau, évoque une contradiction implicite. Selon lui, le texte de la Convention 99 subordonne clairement l’article 7 au principe de partage équitable . Il est nécessaire ici de rappeler que dans l’affaire du détroit de Corfou, la C.I.J met l’accent sur « l’obligation pour tout Etat, de ne pas laisser utiliser son territoire aux 100 fins d’actes contraires aux droits d’autres Etats » . De même, le Tribunal arbitral dans l’affaire du Lac Lanoux admet que l’Etat d’amont n’a pas le droit de nuire à l’Etat d’aval à travers l’altération des eaux d’un fleuve. L’introduction du principe d’utilisation équitable et raisonnable pose toutefois de nouvelles interrogations. Une utilisation équitable et raisonnable d’un cours d’eau international par un Etat du cours d’eau trouve-t-elle sa limite dès lors que cette utilisation a un effet préjudiciable sur les autres Etats du cours d’eau ? Les Etats en amont auront tendance à justifier leur utilisation en application de l’article 5, afin de jouir d’une plus grande marge de manœuvre pour exploiter à différents endroits et donc utiliser de façon additionnelle le cours d’eau international. A l’inverse, les Etats d’aval auront tendance à privilégier l’article 7, et ce afin de protéger leurs utilisations à travers l’obligation de ne pas causer de dommages. De plus, le risque est qu’au nom de l’utilisation équitable et raisonnable tout nouvel usage soit condamné par les utilisateurs préexistants. Dans le pire des scénarios, tout Etat qui demanderait un usage qu’il estime raisonnable 98 Information disponible sur le site de la diplomatie française, rubrique consacrée au Forum mondial de l’eau [en ligne], [consulté le 20 juin 2009] : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/article_imprim.php3?id_article=71306 99 Joseph W. Dellapenna, correspondance avec Frédéric Lasserre, cite dans Lasserre Frédéric et Boutet Annabelle, le droit international règlera-t-il les litiges du partage de l’eau?, op.cit., p.513. 100 C.I.J, Rec. 1949, op.cit., p.22, cité dans Maghfour El Hassane, hydropolitique et droit international au Proche Orient, op.cit., p.235. 56 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce pourrait se voir opposer l’argument, par les autres utilisateurs, de la nécessité de ne pas causer de dommages appréciable, notamment si ce nouvel usage impose une restriction de la consommation chez les Etats voisins. En situation de pénurie d’eau, ou tout simplement dans des périodes de situation politique tendue, les tentatives de négociation risquent de se voir avortées, et le statu quo maintenu. Le succès de la Convention dans une telle situation serait donc tout relatif… Les Etats d’aval, ou ceux qui estiment jouir de droits « historiques » insisteront sur l’interdiction de causer un dommage. Sur la question du partage des eaux du Nil, l’Ethiopie, pays d’amont, s’était abstenue de valoriser l’article 7 et avait au contraire déploré l’absence d’une reconnaissance explicite de l’article 5 jouant en sa faveur. Dans son intérêt, l’Ethiopie jouera donc sur les articles 5 et 6 et non sur l’article 7. A l’inverse, l’Egypte valorise l’article 7. Diverses propositions d’amendement eurent lieu pendant les travaux de la C.D.I. La plus radicale d’entre elles, émanant de la Turquie, proposait la suppression pure et simple de l’article 7. Une autre proposition demandait la subordination du principe de l’utilisation équitable et raisonnable des articles 5 et 6 à l’interdiction de causer un dommage ; elle a fait l’objet de textes présentés par l’Egypte et par l’Italie. A l’inverse, la Turquie, l’Ethiopie, la Chine et la Roumanie ont fait une proposition allant exactement en sens inverse puisqu’elle prônait la priorité des articles 5 et 6 sur l’article 7 (Notons toutefois que la Roumanie appartient au camp des Etats d’aval). En 1991, l’article 7 semblait être le seul principe normatif fondant l’ensemble du texte. Toutefois, la doctrine partageait l’idée que la préséance de l’utilisation équitable devait être clairement exprimée. En 1994, la CDI modifie le texte de l’article 7 et ramène l’obligation de ne pas causer de dommages significatifs à une obligation de diligence due. Il s’agit de transformer une obligation de résultat en obligation de comportement, toutefois la hiérarchie entre les deux principes n’est toujours pas claire et c’est ce point sur lequel nous essayons d’insister. L’état du débat peut d’ailleurs être relevé grâce à l’étude de deux documents publiés à deux époques différentes, et qui montrent, sinon une évolution du courant doctrinal dans son ensemble, du moins une opposition entre deux auteurs. Reprenant l’étude des travaux de la C.D.I, Jochen Sohnle parle de « banalisation du dommage effectivement causé : l’absorption de l’interdiction de causer un dommage par la règle de l’utilisation 101 équitable » . Ainsi, « il va de soi que […] l’interdiction ne présente aucun caractère impératif […]. En effet, la prescription de mesures appropriées ne s’impose en vertu de la Convention qu’en l’absence d’accord concernant l’utilisation. L’existence d’un tel accord 102 peut, à contrario, légaliser tout dommage significatif » . Dans un article publié en 1991, Patricia Buirette écrivait quant à elle que « l’obligation de ne pas causer de dommages appréciables aux autres Etats du cours d’eau complète l’obligation d’utilisation équitable. Le droit d’utiliser un cours d’eau de manière équitable et raisonnable trouve ses limites dans le devoir qui incombe à cet Etat de ne pas causer de dommages appréciables aux autres Etats. A première vue, l’utilisation n’est pas équitable si elle cause des dommages 103 appréciables » . Parmi les arguments en faveur de la prépondérance de l’interdiction de dommages significatifs est invoqué le fait qu’il soit plus simple de déterminer un dommage que l’équité des utilisations, concept plus flexible et donc moins clair. Cette flexibilité est reprise en tant qu’avantage en faveur de la préséance de l’utilisation équitable et raisonnable. Cette 101 102 103 Jochen Sonhle, le droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.297. Op.cit., p.299 Patricia Buirette, genèse d’un droit fluvial general, op.cit., p.40. Mondange Adrien - 2009 57 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL souplesse est bien entendue interprétée de façon différente selon que les Etats favorisent l’un ou l’autre des deux principes. Actuellement, et même si le débat continue selon les enjeux présents, il semblerait que l’utilisation équitable et raisonnable prime sur l’interdiction de causer un dommage significatif. L’article 7, paragraphe 2, n’impose pas de limites au droit de chaque Etat d’entreprendre une activité conforme au principe de l’utilisation équitable et raisonnable énoncé aux articles 5 et 6, mais établit un énoncé de mise en application de cette utilisation. De plus, dans son arrêt de 1997, la Cour a insisté sur le principe de l’utilisation équitable et raisonnable, ceci ayant depuis fait pencher la balance dans la controverse entre les deux principes en faveur de cet article selon certains. La Cour a en effet affirmé que « le rétablissement du régime conjoint reflètera aussi de façon optimale le concept d’une utilisation conjointe des ressources en eau partagées pour atteindre les différents objectifs mentionnés dans le traité et ce, conformément au paragraphe 2 de l’article 5 de la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres 104 que la navigation » . Malgré cela, la Cour a aussi montré une attitude très ferme à l’égard du principe interdisant de causer un dommage significatif à l’environnement (paragraphe 53). En fait, il n’y a peut être pas de véritable contradiction entre ces deux principes, mais plutôt contradiction entre les utilisations que cherchent à en faire les Etats. L’opposition entre utilisation équitable et raisonnable et interdiction de causer un dommage significatif n’est peut-être pas résolue. Elle semble pourtant atténuée par l’arrêt de la Cour de 1997. Le caractère équivoque du rapport entre les deux principes risquerait pourtant de nuire à l’intérêt de la Convention, en favorisant les conflits d’interprétation. De plus, un paradoxe persiste, qui entache encore le débat. Donner la préséance à l’utilisation équitable, c’est favoriser le développement, mais donner la préséance à l’interdiction de dommages appréciables pourrait aussi favoriser la protection des écosystèmes. A l’heure où les préoccupations environnementales grandissent, un tel débat paraît déplacé, et souligne peut-être une défaillance de la Convention. Sous section 3 les limites de la responsabilité : les dissensions des Etats face à l’affirmation de normes fondamentales Il n’existe pas une variété infinie de possibilités pour traiter un problème donné - en l’occurrence celui de la gestion des ressources en eau douce à l’échelle mondiale. Il existe en fait deux réponses possibles à un problème collectif comme celui-ci. Celles si sont résumées par Eyal Benvenisti de la sorte : « One approach is to design rules on the reciprocal obligations of the riparians concerned. This approach is reflected in customary international law and is also espoused by the ILC. But before we elaborate on this approach, attention should be given to the other possible response. This response calls for reducing collective-action problems by eliminating their cause; namely, by providing riparians with individual property rights in parts of an international resource instead of 105 treating it as a common-pool resource” . La société internationale a pourtant décidé de traiter ce problème collectivement, du moins s’est elle donnée les moyens de le faire à travers cette convention cadre notamment. Partant de là, il semblerait logique que les Etats prennent leurs responsabilités afin de montrer leur attachement à la solution qui a été choisie. Toutefois, la convention traduit à certains égards les dissensions des Etats face à 104 105 C.I.C, arrêt du 25 septembre 1997, Projet Gabcikovo-Nagymaros, Rec. 1997, para.147. Eyal Benvenisti, Collective action in the utilization of shared freshwater: the challenges of international water resources law, op.cit., p.395. 58 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce l’affirmation de normes internationales. La faiblesse des ratifications ne s’explique pas, nous l’avons dit, par une opposition importante des Etats puisque plus d’une centaine d’entre eux se sont prononcés en faveur de l’adoption de la convention lors du vote à l’Assemblée Générale le 21 mai. Certains Etats sont déjà engagés dans d’autres accords de cours d’eau et peuvent ne pas avoir intérêt à ratifier le texte. La légitimité de cette solution devrait être analysée au cas par cas. Dans bien des cas en effet, les Etats les plus puissants imposent leur volonté lors de la mise en place de l’accord, et les accords ainsi « négociés » sont loin d’être parfaits si l’on considère par exemple le principe de l’utilisation équitable et raisonnable. La réticence des Etats à s’engager en matière d’environnement Un élément à prendre en compte dans le potentiel de ratifications est celui de la réticence des Etats à s’engager dans des accords contraignants en matière d’environnement. Il est difficile de repérer précisément quel « type » d’Etat se trouve dans cette situation puisque très peu d’Etats ont à ce jour ratifié. Cependant il peut sembler évident que les Etats dits en « développement » sont réticents à s’engager dans des accords contraignants en matière d’environnement. Certains Etats vont plus loin et contestent la pertinence même d’un instrument général en ce domaine. Cela peut nous amener à une réflexion sur le développement du droit international en général. Dans un domaine qui doit selon l’avis de tous faire l’objet d’une régulation importante et efficace, on peut s’interroger devant le refus des Etats ou leur incapacité à considérer le développement du droit international au-delà de leurs stricts intérêts particuliers. Il ne faut cependant pas stigmatiser trop vite la Convention, dans la mesure où elle permet tout de même de préciser l’état du droit international en la matière. Si dans les années soixante à quatre vingt le droit de l’environnement naissant qui se développait était plutôt classé dans la catégorie « soft law », en revanche à partir des années quatre vingt le contenu « soft » affectant le contenu des normes va de plus en plus être intégré dans des instruments dits « hard », c'est-à-dire juridiquement liants. La multiplication des conventions-cadre comme technique normative n’a pas fait disparaître les instruments non obligatoires (les déclarations, les résolutions etc…). Elle a cependant déplacé l’intérêt vers les instruments conventionnels. Un régime de responsabilité faible Reste que les régimes de responsabilité internationale sont variables en droit international public, et si le régime général de la responsabilité internationale est appliqué en matière de ressources en eau, quelques nuances ont tout de même été apportées dans la pratique. Nous ne chercherons pas ici à décrire les différents régimes de responsabilité. Il faut simplement retenir qu’il en existe deux grands types, à savoir la responsabilité pour fait internationalement illicite, ou responsabilité classique et dont les éléments constitutifs sont le fait illicite, le dommage et le lien de causalité entre les deux. L’autre grand type de responsabilité est la responsabilité internationale objective. Il s’agit d’un régime sans fait illicite, qui s’applique notamment dans le domaine comportant des risques exceptionnels 106 ainsi que des dommages à l’environnement . Reste que les incidences du droit international de l’environnement sur le régime général de la responsabilité internationale restent limitées. En effet, dans l’affaire Gabcikovo106 Pour une description précise des différents régimes de responsabilité, voir J. Sironneau, le droit international de l’eau, état des lieux, op.cit., p.21 ; Jochen Sohnle, droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.356-370. Mondange Adrien - 2009 59 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Nagymaros, la Hongrie avait invoqué en 1997 l’état de nécessité écologique, se basant sur les dangers écologiques de la construction du système sur l’aquifère, sur le lit principal du fleuve ainsi que sur sa faune et sa flore. La Cour lui donnera tort, considérant que le projet affecte certes un « intérêt essentiel » de la Hongrie, rappelle l’obligation générale de respecter l’environnement des autres Etats. La Cour considère toutefois que la Hongrie n’avançait que des « incertitudes » sur les incidences écologiques du système de barrage. Pour être sanctionné, le péril doit être certain et imminent. Ceci réduit considérablement l’intérêt du droit de l’environnement. En effet, les effets environnementaux conséquents à la construction d’un tel ouvrage peuvent tarder à apparaître, mais n’en sont pas moins désastreux. La notion de dommage écologique ne sera pas discutée plus avant dans cet arrêt, alors qu’il constituait une formidable occasion de revenir sur ce point et de tenter de le préciser. Face à la demande de la Hongrie concernant l’application d’une procédure de responsabilité classique, et la réparation du dommage sur le fondement de la règle restituo in integrum, la Cour a tranché en faveur de la seule prise en compte de la violation de la règle d’utilisation équitable et raisonnable. Elle n’a pas admis la spécificité du dommage écologique et a montré qu’elle restait attachée à une conception classique du dommage. De façon plus générale, le manquement par un Etat à ses obligations conventionnelles constitue un fait illicite engageant sa responsabilité à l’égard des autres Etats parties à la même convention. La responsabilité internationale, qu’elle résulte de la violation d’une obligation conventionnelle ou coutumière est rarement invoquée dans l’ordre international. « Des raisons diverses expliquent cet état de choses, de caractère à la fois technique et politique. Toujours est il que, de longue date, l’institution juridique de la responsabilité internationale s’avère être un instrument mal adapté pour sanctionner le non respect par 107 les Etats de leurs obligations internationales en matière d’environnement » . Section 2 une convention peu novatrice ? Nous avons déjà souligné certains aspects de la Convention de New York qui méritaient de retenir notre attention, soit qu’ils soient des points essentiels, soit qu’ils soient plutôt des points critiquables. Il est essentiel de savoir si la Convention a véritablement permis un développement progressif du droit international. La question de la pertinence actuelle de la Convention se pose d’autant plus que, 12 ans après son adoption, celle-ci n’est toujours pas entrée en vigueur. Cependant, l’étude de la Convention montre tout de même que cet instrument témoigne d’une prise de conscience (sous section 1). Pourtant, on pourrait y voir une prise de conscience suivie de peu d’effets, dans la mesure où la Convention doit beaucoup aux règles coutumières (sous section 2), et la considération éco systémique de l’eau reste limitée (sous section 3). Sous section 1 un instrument qui témoigne d’une prise de conscience De manière générale, il semblerait que la nécessité d’une meilleure gestion des ressources en eau douce au niveau international soit aujourd’hui plutôt d’actualité. Le temps passé par la C.D.I à mettre en place des projets de convention, à les retravailler, à concilier au maximum les Etats, montre bien l’importance de cet enjeu. Les règles plus anciennes n’étant plus suffisantes, un travail de fond était nécessaire, et cela a été compris par la communauté internationale. De plus, ce travail de fond était nécessaire afin de permettre une meilleure 107 P. M. Dupuy, l’Etat et la réparation des dommages catastrophiques, cité par P. M., Où en est le droit international de l’environnement à la fin du siècle, RGDIP, 1997-4, p.893. 60 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce coopération entre les Etats. D’ailleurs, l’obligation de coopérer est l’un des points que nous avons déjà développés et qui a été renforcé par la Convention. Le nombre de ratifications reste cependant trop faible pour que cette convention cadre entre en vigueur dans le droit international public. La Convention était ouverte à la signature jusqu’au 20 mai 2000 au Siège des Nations Unies à New York, et l’adhésion toujours possible après cette date. En avril 2009, 22 Etats l’avaient singée, dont 6 par adhésion. Seulement 16 Etats l’ont ratifiée, c’est 4 de plus qu’en 2004 mais ce n’est pas suffisant puisque 35 instruments de 108 ratification sont nécessaires d’après l’article 36 de la Convention . Cette convention-cadre, avant même son entrée en vigueur, avait déjà fait preuve de son utilité pour encadrer des accords de partage des eaux transfrontalières, en contribuant notamment à la naissance d’un accord d’application. Le Protocole sur les cours d’eau partagés dans la Communauté de Développement de l’Afrique Australe révisé du 7 août 2000, signé par treize Etats de la région, ne s’est pas seulement limité à faire référence directement à la Convention de New York dans son préambule, mais a également modifié une première version du protocole datant de 1995 en y transposant en grande partie des solutions adoptées par la Convention. Mentionnons à titre de comparaison la directive cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, adoptée par l’Union Européenne le 23 octobre 2000, et qui s’inscrit également dans les instruments de droit international qui doivent aider à la répartition des ressources en eau douce, au niveau régional dans ce cas précis. Il est demandé aux Etats de mettre en place ensemble des éléments d’une gestion intégrée de bassin afin de réaliser l’objectif fixé - un bon état général de toutes les eaux (intérieures, souterraines ou côtières) d’ici à 2015. Le principe retenu, tel qu’il est indiqué par la Commission européenne en janvier 1997 dans l’exposé des motifs de la proposition de directive cadre, est que : « la politique environnementale dans le domaine de l’eau est axée sur l’eau telle qu’elle s’écoule naturellement vers la mer par l’intermédiaire des bassins hydrographiques, en tenant compte de l’interaction naturelle entre les eaux de surface et les eaux souterraines. Les aspects tant qualitatifs que quantitatifs sont abordés…La directive… contribue de ce fait également à assurer un approvisionnement en eau dans les quantités 109 et les qualités nécessaires pour le développement durable » .Il s’agit d’une directive dont les préoccupations sont d’abord environnementales, mais qui participera au final à une meilleure gestion des ressources en eau et assurera des objectifs de développement durable. Cette directive montre elle aussi que des modifications comportementales sont envisagées, celles-ci résultant d’une prise de conscience de la nécessité d’une gestion commune. Lorsqu’elle est suffisamment affirmée, cette prise de conscience se traduit par l’adoption d’une législation en ce sens. Cette directive est remarquable car elle intègre la notion de bassin hydrographique international : « les bassins hydrographiques qui s'étendent sur le territoire de plus d'un État seront intégrés au sein d'un district hydrographique international ». Il s’agit de les recenser et de mettre en place une gestion des ressources en eau à partir des données recensées à ce niveau. L’année 1997 s’avère être une année charnière en ce qui concerne le droit international des ressources en eau douce. Elle marque non seulement l’adoption de la Convention de New York, mais également le rendu du jugement de l’affaire Gabcikovo-Nagymaros, dont nous avons déjà parlé et qui consacre en quelque sorte avant même son entrée en vigueur 108 Signature et ratification : Allemagne, Afrique du Sud, Finlande, Hongrie, Jordanie, Namibie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Syrie. Signature uniquement : Côte d’Ivoire, Luxembourg, Paraguay, Tunisie, Venezuela, Yemen. Adhésion et ratification après le 20 mai 2000 : Irak, Liban, Lybie, Qatar, Suède, Ouzbékistan. 109 Cité par Bernard Kaczmarel, délégué des agences de l’eau auprès de l’Union Européenne, article intitulé politiques communautaires de gestion par bassin. Mondange Adrien - 2009 61 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL le texte de la Convention de New York. Dans un discours prononcé devant l’Assemblée Générale des Nations Unie en octobre 1997 à l’occasion de la remise du rapport de la Cour Internationale de Justice, Monsieur Schwebel, alors Président de la Cour Internationale de Justice, souligne l’importance du jugement de l’affaire Gabcikovo Nagymaros. Il affirme ainsi que : « The Gabcikovo Judgement is notable, moreover, because of the breadth and depth of the importance given in it to the work product of the International Law Commission. The Court’s Judgement not only draws on treaties concluded pursuant to the Commission’s proceedings-those on the law of treaties, of State succession in respect of treaties, and the law of international watercourses; it also gives great weight to some of the Commission’s 110 draft articles on state responsibility, ad did both Hungary and Slovakia in their pleadings” . Quoi qu’il en soit, et même s’il s’avère que l’adoption de la Convention démontre une prise de conscience de la part des Etats, la mise en pratique des termes du traité international par les Etats signataires et non signataires impliquera de profondes modifications dans les attitudes des pays à l’égard de la ressource en eau. Sous section 2 une simple reprise des règles coutumières ? En matière de droit international de l’eau, il faut bien noter qu’il ne s’agit pas seulement de conflits sur la propriété de l’eau mais également de questions de souveraineté, d’où une nécessaire adaptation des jurisprudences internes. Il est souvent reproché à la Convention de ne s’être préoccupée que de règles coutumières, apportant ainsi un faible développement progressif au droit déjà en vigueur. En la matière, la jurisprudence internationale est relativement peu abondante, et on recense moins d’une trentaine d’affaires depuis le début du XIXe siècle. C’est donc surtout dans la pratique « diplomatique » des Etats que l’essentiel des références à un droit international de l’eau est puisé. Toutefois, les instances internationales sont généralement le lieu d’expérimentations de concepts, tels que l’obligation de coopérer ou d’informer, le concept de ressource naturelle partagée, dont la véritable valeur positive doit toutefois être analysée. D’autre part, il ne faut pas oublier de prendre garde au décalage fréquent entre ce que les Etats affirment et ce qu’ils font vraiment. L’évolution coutumière des règles applicables est relativement récente dans la mesure où les usages ne se sont multipliés que vers la fin du XIXe siècle. Toutefois, la consolidation des règles coutumières en droit fluvial reste délicate. Les Etats cherchent à se protéger rapidement contre les risques par voie conventionnelle, les accords en résultant n’étant pas forcément le résultat de règles coutumières. De plus, ces accords sont souvent assez spécifiques et n’autorisent pas forcément la généralisation. Le multilatéralisme reste généralement confiné au groupe des Etats riverains d’un même fleuve. Il n’existe pas de principe général de limitation des souverainetés étatiques sur les fleuves internationaux, et les règles que l’on peut identifier sont donc des règles peu précises dans la mesure où leur objet reste très général. Une règle transversale peut néanmoins 111 être dégagée selon Hélène Ruiz Fabri : il s’agit de la sécurité de l’eau . Celle-ci se 110 Speech by Judge Stephen M. Schwebel on the Report of the International Court of Justice, Stephen M. Schwebel, the American Journal of International Law, Vol. 92, No.3 (Jul., 1998), pp. 612-617, published by the American Society of International Law, p.613. 111 Hélène Ruiz Fabri, règles coutumières générales et droit international fluvial, AFDI XXXVI, 1990, éditions du CNRS, Paris, p.831. 62 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce traduit essentiellement par l’interdiction d’empoisonner l’eau. C’est une règle reconnue qui appartient à la tradition culturelle de tous les continents. De plus, Hélène Ruiz Fabri ajoute que d’autres règles sont invoquées au titre de la coutume, parmi lesquelles la liberté de navigation, l’utilisation équitable du fleuve, l’obligation de négocier, l’interdiction d’utilisation dommageable ; et parfois l’obligation de coopérer. Selon les auteurs, la liste des principes de la Convention relevant de la coutume et des principes généraux varie un peu, mais se recoupe largement. Les deux notions sont parfois entremêlées. Ainsi, s’agissant de la règle de l’utilisation équitable, certains l’identifient à la coutume et d’autres la considèrent comme une règle générale de droit. Le processus coutumier dans le domaine des cours d’eau internationaux a permis la cristallisation d’un certain nombre de règles coutumières qui constituent un ensemble cohérent, et qui ont été reprises pour la plupart dans la Convention, au titre de l’utilisation équitable et raisonnable, de l’interdiction de causer un dommage significatif, et l’obligation de coopérer afin que soit menée une action conjointe des Etats. Préciser le caractère coutumier des principes inscrits dans la Convention n’est pas seulement une préoccupation théorique. En effet, cet aspect est essentiel dans la mesure où la nature coutumière d’une règle demeure, qu’elle soit ou non inscrite dans un cadre conventionnel. Sous section 3 les limites de la considération éco systémique de l’eau Les débats ayant conduit à l’élaboration de la Convention montrent que certains aspects, pourtant des plus essentiels, ont été laissés de côté, ou plutôt pourrions nous dire écartés. La tâche était toutefois très difficile dans la mesure où la souveraineté reste au cœur de la préoccupation des Etats en ce qui concerne les ressources en eau. En raison de ses propriétés particulières, l’eau devrait faire l’objet d’une règlementation toute particulière. Du fait de l’importance de cette ressource, les Etats devraient de plus veiller à un partage satisfaisant le plus d’Etats possible. La notion de « bassin hydrographique international » La C.D.I a demandé aux Etats si la notion de « bassin hydrographique international » était plus appropriée pour l’étude des aspects juridiques tant de l’utilisation que de la pollution des voies d’eau internationales. Cette notion géographique du cours d’eau international donne à celui-ci une dimension territoriale différente. Il n’est plus considéré comme un simple conduit par lequel l’eau est acheminée à travers le territoire de deux ou plusieurs Etats. De plus, il est constitué d’autres éléments tels que les affluents, les lacs, les glaciers, les eaux souterraines qui forment un ensemble unitaire du fait de la relation physique qui existe entre eux. Si les rapporteurs étaient pour la plupart favorables à cette notion moderne, en revanche les oppositions des Etats se sont très rapidement manifestées. Les rapporteurs avaient cherché à accorder une attention toute particulière à cette notion, pourtant mise en avant dans le cadre des règles d’Helsinki. De nombreux Etats se sont montrés hostiles à l’utilisation de cette notion, considérant qu’il s’agissait de formuler des règles pour les utilisations des voies d’eau et non de traiter du bassin fluvial. Dans le cas où lesdits bassins fluviaux auraient porté sur des portions de territoire très étendues, la C.D.I ne pouvait pas formuler des règles pour des étendues aussi vastes, ce qui aurait effectivement limité la souveraineté des Etats sur leur propre territoire. Cette notion devait en fait être utilisée uniquement pour des études techniques et non pour une étude des aspects juridiques des utilisations des voies d’eau. Si l’expression de « bassin versant » n’a pas été retenue, elle est Mondange Adrien - 2009 63 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL toutefois présente dans la Convention, dont l’article 2. a précise que « l’expression « cours d’eau » s’entend d’un système d’eaux de surface et d’eaux souterraines constituant, du fait de leurs relations physiques, un ensemble unitaire et aboutissant normalement à un point d’arrivée commun ». Il reste à voir de quelle manière cette définition sera appliquée. Cette notion reste assez souple et pourrait autoriser la conception d’accords originaux qui s’en éloigneraient quelque peu. Des projets de gestion globale de l’eau au niveau d’un ensemble de bassins indépendants sont déjà apparus. Ainsi, la Turquie a-t-elle proposé de régler son différent avec la Syrie en introduisant des mécanismes de gestion regroupant l’Euphrate et l’Oronte. Les Etats Unis ont pour leur part développé une approche officieuse de gestion des volumes d’eau combinés du Rio Grande et du Colorado. La considération du cycle hydrologique dans toute sa complexité aurait commandé une prise en compte plus globale des ressources en eau douce. Il semblerait que les considérations des Etats aient été plutôt d’ordre extra-juridique. Dès 1979, le Rapporteur spécial Stephen Schwebel avait exposé les enjeux : « Un Etat qui considère que les principaux usages qu’il fait des eaux d’un bassin sont associés à sa situation en amont aura tendance, s’il est disposé à accepter un quelconque traité sur les utilisations de l’eau douce, à préférer que celui-ci soit limité dans sa portée et dans ses effets. En revanche, un Etat qui considère que les principaux usages qu’il fait de l’eau sont associés à une position en aval, sera enclin à préférer un traité de portée plus 112 étendue, qui le protège contre les abus de ses voisins situés en amont » . Il résulte de ce débat une considération « parcellisée » de l’eau dans le droit international. La C.D.I avait accepté une hypothèse provisoire de travail, à savoir le « système de cours d’eau international » ou « cours d’eau international ». Elle ne donne pas une définition du cours d’eau international ou du système de cours d’eau international qui serait définitive, mais fournit dans une note des indications sur le contenu de l’expression système de cours d’eau international, dans laquelle elle constate que les éléments d’un système de cours d’eau tels que les fleuves, les rivières, les lacs ou encore les eaux souterraines constituent du fait de leur relation physique un ensemble unitaire. Le terme de système était jugé préférable aux mots bassins, ou bassin de drainage dans la mesure où il mettait l’accent sur les eaux elles mêmes et non sur l’aspect territorial comme les autres notions. Aucun consensus n’ayant pu être trouvé à propos de la définition du cours d’eau international ou du système de cours d’eau international, il a été proposé en 1986 de ne pas définir ces expressions afin que la C.D.I puisse continuer ses travaux. En matière de pollution cependant, le bassin doit être protégé dans sa totalité. L’article 20 déclare que « les Etats du cours d’eau, séparément et, s’il y a lieu, conjointement, protègent et préservent les écosystèmes des cours d’eau internationaux ». Toute tentative de règlementer le régime juridique des eaux devrait donc respecter l’unité hydrologique du bassin, et c’est l’une des raisons expliquant la mise en place de commissions de bassins. Toutefois, la question de savoir si ces commissions doivent avoir une compétence limitée à la pollution où si elles doivent être investies de la responsabilité de la gestion intégrée des ressources en eau du bassin reste ouverte. Notre avis est qu’une telle responsabilité, si elle était effectivement acceptée par les Etats, permettrait certainement une meilleure gestion des ressources en eau douce et la protection des écosystèmes. Si la Convention cherche sur ce point à avoir un effet préventif, toutefois aucune obligation juridictionnelle concernant le bassin hydrographique ne peut être relevée. A l’heure actuelle, et comme 112 Stephen M. Schwebel (1979), premier rapport sur le droit relatif aux utilisations des voies d’eau internationales à des fins autres que la navigation, doc. A/CN.4/SER.A/1979/Add.1 (Part 1), p.162 Doc.A/CN.4/320, par.45, cité par Christelle Dressayre, la mise en place du droit international de l’eau : mythe ou réalité ?, op.cit., p.258. 64 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce le fait remarquer Christelle Dressayre, « l’abandon du concept de bassin hydrographique hypothèque lourdement le futur et porte à penser que le droit international de l’eau restera 113 au niveau du mythe » . Chapitre 2 des vides juridiques criants La Convention de New York de 1997, imparfaite sur certains points, ne satisfait que partiellement d’un point de vue juridique la gestion des ressources en eau douce. Des vides juridiques subsistent en droit international en ce qui concerne la répartition des ressources en eau douce, parmi lesquels un système de règlement des différends contraignant (section 1), la prise en compte de l’environnement (section 2) ainsi que le droit à l’eau (section 3). Section 1 l’absence d’un système de règlement contraignant La notion de différend en droit international est un sujet aussi ancien que les relations internationales elles mêmes. A l’intérieur de ce domaine, les problèmes relatifs à l’utilisation des cours d’eau internationaux constituent eux-mêmes une part importante du contentieux général. Dans son article 33 alinéa 1, la Convention du 21 mai 1997 pose le principe du règlement pacifique des différends : « En cas de différend entre deux ou plusieurs Parties concernant l’interprétation ou l’application de la présente Convention, les Parties intéressées, en l’absence d’un accord applicable entre elles, s’efforcent de résoudre le différend par des moyens pacifiques (…) ». L’objet de cette section, après avoir rappelé la définition de la notion de différend en droit international (sous-section 1), est d’étudier les modalités de règlement des différends relatifs à l’utilisation des cours d’eau internationaux notamment (sous-section 2). Sous section 1 la notion de différend en droit international Une définition de différend unanimement acceptée est celle donnée très tôt par la Cour de la Haye, et répétée à plusieurs reprises : « Un différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une 114 opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes » . Remarquons la variété des parties qui peuvent être en présence dans le cas d’un différend relatif à l’utilisation des cours d’eau internationaux. La mise en valeur d’un système en eaux internationales peut faire apparaître des difficultés entre les Etats intéressés. Les problèmes peuvent provenir des Etats parties qui estiment que la coopération engagée créé des disparités de développement à leur désavantage. Les problèmes peuvent aussi survenir des Etats qui ont refusé de s’engager, pour des raisons qui leur sont propres, dans la coopération internationale. Nous avons déjà mentionné également les problèmes d’interprétation entre Etats d’amont et Etats d’aval. 113 114 Christelle Dressayre, la mise en place du droit international de l’eau : mythe ou réalité ?, op.cit., p.260. Affaire des concessions Mavrommatis en Palestine, Arrêt 30 août 1924, Série A, n°2, Publications de la Cour Permanente de Justice Internationale, p.11. Mondange Adrien - 2009 65 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Des problèmes peuvent également surgir entre un Etat et les institutions mises en place à l’occasion de la coopération. Celles-ci, tout en exerçant les compétences autonomes dont elles ont hérité des Etats, peuvent entrer en concurrence avec les compétences exercées jusque là par les administrations étatiques à travers leurs divers ministères. Les institutions internationales peuvent encore rentrer en conflit avec un Etat extérieur au système, dans la mesure où elles disposent de compétences étendues dans des domaines comme les relations commerciales, les relations règlementaires, ou encore les relations juridiques. Il n’est pas exclu enfin qu’une institution internationale de gestion des eaux entre en conflit avec une autre organisation internationale. Il existe en effet différents types d’institutions, à savoir les organes internationaux classiques (onusiens ou régionaux), les structures internationales d’administration d’autres secteurs que celui des eaux internationales, les sociétés internationales telles que les entreprises intergouvernementales régionales. Ces différentes institutions peuvent être amenées à entrer en désaccord sur les moyens et les objectifs de leurs missions respectives. Le principe du règlement pacifique des différends est affirmé par la Convention du 21 mai 1997 à l’article 33 alinéa 1. A l’époque contemporaine, l’obligation de résoudre tout conflit par des moyens pacifiques s’impose comme une norme impérative de valeur absolue, affirmée par les articles 2 alinéa 3 et 33 de la Charte des Nations Unies. L’article 2 alinéa 3 de la Charte affirme que « les membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationale ainsi que la justice ne soient mises en danger ». Quant à l’article 33, il est ainsi rédigé : « 1. Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation, d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix. 2. Le Conseil de sécurité, s’il le juge nécessaire, invite les parties à régler leur différend par de tels moyens ». Le règlement « privé » des différends en droit international de l’eau est considéré par certains comme le moyen le plus à même de parvenir à une solution acceptable pour les parties au litige. En effet, ce type de résolution, seulement entre les parties concernées, évite de politiser à outrance le conflit. En résolvant le conflit directement entre les plus affectés, cela peut éviter les Etats eux-mêmes d’entrer en conflit et de démarrer de complexes procédures diplomatiques. Par conséquent, l’intérêt de permettre aux protagonistes d’accéder aux procédures administratives et judiciaires a été reconnu par les Etats à plusieurs reprises. Sous section 2 la mise en place effective du règlement pacifique des différends « In its consideration of the subject of private recourse, the International Law Commission decided not to include a full set of provisions on the subject, as had been proposed, but to 115 content itself with a single draft article” . 115 66 Stephen McCaffrey, the Law of International Watercourses, op.cit., p.509. Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce Le principe général de règlement pacifique des différends est admis par tous. La Convention du 21 mai 1997 se base sur le principe de non-discrimination, évoqué à l’article 32 : « A moins que les Etats du cours d’eau intéressés n’en conviennent autrement pour protéger les intérêts des personnes, physiques ou morales, qui ont subi un dommage transfrontière significatif résultant d’activités liées à un cours d’eau international ou qui se trouvent sérieusement menacées d’un tel dommage, un Etat du cours d’eau ne fait pas de discrimination fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu où le préjudice a été subi dans l’octroi auxdites personnes, conformément à son droit interne, de l’accès aux procédures juridictionnelles et autres ou bien d’un droit à indemnisation ou autre forme de réparation au titre d’un dommage significatif causé par de telles activités menées sur son territoire ». Toutefois la Convention du 21 mai 1997 laisse aux Etats la possibilité de choisir le mode de règlement pacifique qui serait le mieux à même et se contente de rappeler dans un article 33 les dispositions envisageables. Ces procédures sont variables et la plupart ressemblent aux procédures classiques de résolution des différends en droit international. Pour cette raison nous ne jugeons pas utile de les décrire précisément. Elles vont de la prévention à l’arbitrage et à la Cour Internationale de Justice, en passant par la conciliation, la médiation, l’enquête etc… Une procédure d’enquête impartiale Le seul mécanisme obligatoire, c'est-à-dire accessible à la demande d’une des parties au litige, et prévu dans le projet de la C.D.I, consiste en une procédure d’enquête impartiale e (art 33 paragraphe 3 de la Convention). Les débats à la 6 Commission ont vu s’affronter les Etats qui auraient souhaité des mécanismes juridictionnels obligatoires plus rigoureux (notamment la Suisse et la Syrie), et ceux qui trouvaient que l’obligation d’enquête factuelle était déjà de trop, arguant de leur souveraineté. La seule modification qui mérite d’être retenue est celle qui a donné un rôle un peu plus important à la commission d’établissement des faits, celle-ci pouvant énoncer « ses conclusions motivées et les recommandations qu’elle juge appropriées en vue d’un règlement équitable du différend, que les Parties intéressées examinent de bonne foi » (art 33 paragraphe 8). Selon Sylvie Paquerot, « devant l’échec d’une négociation entre les parties, l’absence de mécanisme obligatoire 116 de règlement rend presque caduc l’ensemble de la Convention » . Il s’agit là d’une critique grave lancée à la Convention du 21 mai 1997. Celle-ci est peut être justifiée dans la mesure où le règlement des différends constitue une nécessité en matière de partage des ressources en eau douce, et dans la mesure où il s’agit tout de même de l’un des objectifs de cette Convention. L’appel à la négociation lancé par l’article 33 prend un caractère coutumier, la coutume en question étant inscrite dans la Charte des Nations Unies. Toutefois, un paradoxe subsiste : en l’absence d’obligation de parvenir à un accord et en l’absence de mécanisme juridictionnel obligatoire dans le cas d’échec de la négociation, comment peut-on prétendre à l’équité ou à un règlement conforme aux principes de la justice ? En s’attachant à la formule finalement adoptée, on s’aperçoit que la résolution des différends va s’opérer selon le schéma classique du droit international. En effet, si les négociations n’aboutissent pas, deux possibilités seront offertes aux Etats du litige : le règlement diplomatique et le règlement juridictionnel. De plus, l’absence de mécanisme juridictionnel obligatoire est d’autant moins acceptable que le principe censé permettre 116 Sylvie Paquerot, eau douce, la nécessaire refondation du droit international, op.cit., p.67. Mondange Adrien - 2009 67 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL une meilleure gestion des ressources en eau douce, le principe d’utilisation équitable et raisonnable, est un principe flexible. Par là même, la définition même du conflit peut faire l’objet de luttes juridiques. La souveraineté reste, nous l’avons souligné à plusieurs reprises, au cœur de la préoccupation des Etats en ce qui concerne les ressources en eau. Malgré la mise en place d’un principe de « souveraineté limité », certains continuent de considérer que la souveraineté sur les ressources naturelles demeure le seul principe juridique pertinent en la matière. Même si d’autres semblent avoir conscience de la nécessité d’étudier et de mettre en œuvre collectivement des solutions appropriées, la coopération reste subordonnée aux relations politiques qu’ils entretiennent entre eux. Les Etats riverains peuvent toutefois chercher à coordonner l’utilisation de leur ressource partagée en mettant en place des institutions à travers lesquelles leurs droits et obligations pourraient être renforcés et clarifiés. De tels mécanismes ont été particulièrement théorisés par le courant des relations internationales appelé « institutionnalisme néo-libéral » (« Neo-Liberal Institutionalism »), qui insiste sur le bénéfice commun pouvant résulter d’une coopération institutionnelle dans les domaines du commerce, de la finance internationale, de la sécurité et de l’environnement. Les Etats mettent en place de telles institutions parce qu’ils réalisent qu’une coordination formalisée leur sera plus bénéfique qu’une action unilatérale. Des avancées significatives Certains accords régionaux font toutefois preuve d’avancées significatives. En effet, les pays du Sud, confrontés à des besoins en eau sans cesse croissants, ont privilégié une gestion intégrée des ressources en eau douce. A l’inverse, le Nord industriel aurait davantage insisté sur les aspects juridiques, notamment sur les questions de pollution. Dans les deux cas cependant, c’est bien l’unité de la ressource dans le cadre du bassin hydrographique qui est mise en avant, unité qui n’a pas réussi à s’imposer sur un plan général dans la Convention de 1997. Ce sont surtout les traités africains qui s’appuieront sur les rapporteurs successifs de la C.D.I pour tenter de donner au droit international des ressources en eau douce une dimension correspondant à l’unité naturelle de la ressource considérée. Les accords africains seront les premiers à reconnaître, et ce dès les années 1960, l’interdépendance des bassins hydrographiques et à fonder des normes sur ce constat. Les exemples les plus souvent cités sont ceux du bassin du Niger, du Sénégal et du Tchad. Les traités en question cherchent à intégrer les évolutions des principes du droit international. La plupart des accords exigent que les Etats agissent en commun. Les accords sont multifonctionnels, le bassin de drainage est considéré comme une unité géographique de base, et il existe une tendance vers le partage des responsabilités financières et les traités exigent des initiatives conjointes de recherche. Toutefois, et cela en dépit de l’accent mis sur la coopération entre les Etats riverains principalement, sur la gestion intégrée et la reconnaissance d’intérêts communs, on note une préférence marquée pour le règlement non juridictionnel des différends. La Commission du bassin du lac Tchad peut agir comme un organe de règlement des différends, mais une telle possibilité crée un flou, une absence de précision juridique. Devant cette absence de mécanisme juridictionnel contraignant capable de régler un différend, certains auteurs n’hésitent pas à évoquer un hypothétique tribunal international du droit de l’eau. Sous section 3 un tribunal international du droit de l’eau ? 68 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce La Convention du 21 mai 1997 ne mettant pas en place de système de règlement des différends susceptible d’être déclenché unilatéralement, certains juristes ont réfléchi sur la mise en place d’un tribunal international du droit de l’eau, à l’instar du Tribunal du droit de la mer mis en place par la convention de Montego Bay de 1982. Notons que les Etats ont rejeté la possibilité d’un recours contraignant à des moyens juridictionnels en matière de cours d’eau internationaux alors qu’ils les avaient acceptés dans le contexte de la Convention de 1982 sur le droit de la mer. La création d’un tel Tribunal permettrait de couvrir l’ensemble des problèmes relatifs à la gestion des ressources en eau douce, et ce grâce à la mise en place de plusieurs chambres ayant chacune leur champs de compétence. L’accès à ce Tribunal pourrait être ouvert à des acteurs étatiques et non étatiques, à la différence de la C.I.J, dont la compétence est générale mais qui ne peut être saisie que par des Etats. A l’heure actuelle, les Etats ne sont pourtant plus les seuls acteurs dans le domaine de la protection et de l’utilisation des ressources en eau douce. Dès 1981, des ONG hollandaises fondent le Tribunal international de l’eau qui tiendra en 1983 à Rotterdam une première session portant sur la pollution des eaux en Europe de l’Ouest. En 1992, le Tribunal ouvrira sa seconde session, portant sur les problèmes de l’eau en Asie, en Afrique et en Amérique latine, et intègre dans son travail la dimension du droit des populations à ces ressources. Le Tribunal applique des règles applicables à l’ensemble des ressources en eau et non seulement aux ressources transfrontalières. Malgré son nom, ce tribunal n’en est bien évidemment pas un et les décisions du jury sont des jugements éthiques sans portée juridique formelle, bien que fondés sur une procédure rigoureuse. Une semaine avant l’ouverture du Forum mondial de l’eau, s’est ouvert un « tribunal » international composé de défenseurs de l’environnement. Celui-ci a entamé le procès symbolique de plusieurs responsables turcs et étrangers pour divers projets accusés de mettre en danger les écosystèmes de leurs pays. L’idée était bien entendu d’attirer l’attention sur les problèmes de gestion des ressources en eau douce. Section 2 des préoccupations environnementales qui semblent lointaines La question de la protection de l’environnement est bien entendu indissociable de la question de la répartition des ressources en eau douce. La conférence des Nations Unies tenue à Rio sur l’environnement et le développement en juin 1992 reste un incontournable dans le domaine. Toutefois, du retard a déjà été pris dans la réalisation des objectifs alors fixés par tous les Etats dans l’Agenda 21. En 1997, le 4 septembre précisément, l’Institut de Droit International a adopté lors de sa session à Strasbourg trois résolutions relatives à l’environnement. Celles-ci reflètent les acquis contemporains mais aussi certaines tendances marquant l’évolution actuelle de cette branche du droit international. Le 25 du même mois, la Cour internationale de justice rendait le premier arrêt de toute sa jurisprudence abordant directement la question de la protection de l’environnement (arrêt Gabcikovo-Nagymaros). Sous section 1 des règles peu contraignantes Stephan McCaffrey a abordé la question de la pollution et de l’environnement devant la C.D.I en 1988. Il cherchait à prolonger les travaux de Evensen et Schwebel qui avaient analysé une importante documentation et rédigé des projets d’articles. Schwebel avait notamment Mondange Adrien - 2009 69 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL cherché à distinguer la pollution et les problèmes plus larges de l’environnement. Le constat fait à l’époque montrait que le droit restait en deçà de nombreuses attentes. Lorsque le rapporteur spécial a soulevé la question de protection de l’environnement, il n’eut pas de problème à convaincre la C.D.I de l’importance et de l’actualité du problème. C’est cependant sur l’opportunité d’y consacrer une partie distincte du projet d’articles qu’une discussion a porté. Certains membres ont en effet soutenu qu’il était préférable de traiter les obligations concernant la protection de l’environnement et la lutte contre la pollution dans le cadre des autres obligations des Etats énoncées par le projet. Une majorité s’est toutefois prononcée contre ce point de vue. Bien entendu, la C.D.I ne devait pas poser de règles trop contraignantes ni trop détaillées, ne serait ce qu’en raison du caractère d’accordcadre du projet d’articles. Au terme de l’article 20 du projet de la CDI, « les Etats du cours d’eau, séparément ou conjointement, protègent et préservent les écosystèmes des cours 117 d’eau internationaux ». Trois commentaires pouvaient être faits de ce texte . Tout d’abord, l’obligation qui allait être mise à la charge des Etats des cours d’eau ne visait pas que ces derniers, mais également l’écosystème ou les écosystèmes des cours d’eau concernés. Ensuite, l’obligation se rapportait à la protection autant qu’à la préservation, ce dernier terme se rapportant à la protection d’un cours d’eau qui n’a pas encore subi d’atteinte. L’obligation ainsi décrite pouvait être remplie « séparément ou conjointement ». Malgré plusieurs propositions faites afin de fortifier ces obligations de protection de l’environnement, l’article 20 n’a pas été modifié de façon substantielle. Seul le début a été remplacé par l’expression « les Etats du cours d’eau, séparément et, s’il y a lieu, conjointement », au lieu de la formule « séparément ou conjointement ». Cet article, intitulé « protection et préservation des écosystèmes », pourrait cependant avoir une force de frappe assez importante s’il était plus précis dans ses obligations. De la même façon, le seul changement significatif de l’article 21, consacré à la prévention, à la réduction et à la maîtrise de la pollution, a été l’ajout d’un paragraphe 3 qui décrit des méthodes supplémentaires de contrôle de la pollution, méthodes qui doivent être arrêtées par les Etats « à la demande de l’un quelconque d’entre eux». L’article 23 concernant la protection et la préservation du milieu marin avait été amélioré par le groupe de travail, qui avait ouvert la possibilité de coopération avec des Etats autres que les Etats du cours d’eau. En fait, le devoir général reste celui formulé à l’article 20, et tous les articles déclinant celui-ci peuvent être lus comme une conséquence de l’interdiction de ne pas causer de dommage significatif, principe que nous avons déjà évoqué plus haut. Plusieurs délégations avaient estimé lors des travaux que le projet d’article ne reconnaissait pas l’importance des préoccupations environnementales dans la protection des cours d’eau internationaux. L’article a également été critiqué pour le faible poids qu’il donnait à la protection des écosystèmes, pour le fait qu’il ne mentionne pas directement le principe de précaution. A l’occasion de l’arrêt du 25 septembre 1997, la Cour Internationale de justice a fait mention de la codification du principe de l’utilisation équitable et raisonnable et des critères de sa mise en œuvre dans la nouvelle convention sur les fleuves pour constater l’illégalité du détournement du Danube par la Tchéchoslovaquie. Celle-ci, « en prenant unilatéralement le contrôle d’une ressource partagée et en privant ainsi la Hongrie de son droit à une part équitable et raisonnable des ressources naturelles du Danube [...] n’a pas respecté 118 la proportionnalité exigée par le droit international » . Toutefois, le droit international ne fait pas mention d’un principe de responsabilité internationale objective ou « sans faute ». Certaines règles, reprises à la fois dans la Convention du 21 mai 1997 et dans l’arrêt du 117 L. Caflisch, la convention du 21 mai 1997, op.cit., p.786. 118 70 Arrêt du 25 septembre 1997, affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros, CIJ, art 86. Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce 25 septembre 1997, semblent être des règles coutumières. C’est en particulier le cas de celle consistant à étudier et prévoir l’impact sur l’environnement d’une activité projetée, que l’on peut relier notamment de façon très directe au principe de non-discrimination et à celui d’utilisation équitable d’une ressource partagée. Il n’existe pourtant pas de procédure d’étude d’impact homologuée au niveau international, et dont les Etats seraient étroitement tributaires pour la conduite de leurs politiques respectives de prévention des pollutions internationales. Selon Pierre-Marie Dupuy toutefois, « les travaux de la Commission du droit international relatifs au droit des utilisations des voies d’eau à des fins autres que la navigation, aujourd’hui consacrés par l’adoption d’une convention de codification en cours de ratification, ont manifestement contribué à asseoir l’autorité des règles précitées. La convention en reprend l’essentiel, même s’il n’est pas toujours aisé de distinguer la part, en l’occurrence assez réduite, du « développement progressif » par rapport à celle du constat 119 de la coutume existante » . Notons enfin que les incidences du droit de l’environnement sur le régime général de responsabilité internationale restent limitées. Pour justifier l’abandon des travaux en 1989, la Hongrie avait invoqué un « état de nécessité écologique », se fondant sur les dangers écologiques du système de construction sur un aquifère qui aurait été pollué. En dénonçant le traité sur cette base, la Hongrie a perdu sur le fond. L’article 101 de l’arrêt indique que l’état de nécessité ne peut pas justifier la suspension des travaux en 1989. En repassant les conditions de cette clause d’exclusion d’illicéité, la Cour conclut que le projet affecte certes un « intérêt essentiel » de l’Etat, en rappelant l’obligation générale de respecter l’environnement des autres Etats. Mais elle considère également que la Hongrie n’alléguait que des « incertitudes » sur les incidences écologiques du système du barrage. Notons que le risque était relativement important d’après les spécialistes puisque la concrétisation du projet aurait certainement à terme eu des effets sur l’approvisionnement en eau potable de Budapest. La Cour coupe finalement court à toute discussion ultérieure sur le dommage écologique dont les particularités ne seront pas consacrées dans cet arrêt. Un tel constat, décevant pour le droit de l’environnement dans son application concrète, constitue également une atteinte au principe de précaution inhérent à cette branche juridique. Finalement, la Cour invite la Hongrie à appliquer les règles traditionnelles de la responsabilité entre Etats. La plupart des règles ici étudiées relatives au droit international de l’environnement restent finalement assez lâches, et la jurisprudence n’a pas su affirmer avec force les régimes de responsabilité qui pouvaient s’appliquer en cas de dommage causé à l’environnement. La préservation des écosystèmes est bien évoquée dans l’article 20 de la Convention, toutefois l’article reste assez général et n’entraîne par conséquent que peu de conséquences juridiques définies. En matière de développement progressif, le texte de la Convention reste décevant. On peut également s’interroger sur l’apport de la Convention en matière de développement durable. Cette Convention n’a pas été écrite à des fins écologiques, toutefois la préoccupation environnementale a marqué le travail de la CDI. Sous section 2 notes sur le développement durable Nous l’avons dit, la doctrine Harmon n’est aujourd’hui plus directement invoquée. Elle a été supplantée par un autre principe, plus légitime en apparence, à savoir le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, ou le droit illimité au développement. La souveraineté permanente sur les ressources naturelles constitue l’un 119 Pierre- Marie Dupuy, où en est le droit international de l’environnement à la fin du siècle ? , RGDIP, 1997-4, p.885. Mondange Adrien - 2009 71 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL des aspects majeurs du droit du développement. La disposition classique venant soutenir ce principe reste l’article 2 de la Charte des droits et devoirs économiques des Etats de 1974, qui affirme que « chaque Etat détient et exerce librement une souveraineté entière et permanente sur toutes ses richesses, ressources naturelles et activités économiques, y compris la possession et le droit de les utiliser et d’en disposer ». Quant au droit au développement, le texte de Mar del Plata eu égard au droit d’accès à l’eau permet de mieux saisir cette notion du point de vue de l’Assemblée générale. Ainsi, il est posé comme principe que « tous les peuples, quels que soient leur stade de développement et leur situation économique et sociale, ont le droit de disposer d’eau potable en quantité et d’une qualité suffisantes pour répondre à leurs besoins essentiels […] il est universellement reconnu que la possibilité de disposer de cet élément est essentielle à la vie humaine et au développement complet de l’être humain, en tant qu’individu et en tant que membre 120 de la société » . Un droit comme celui-ci est revendiqué par les Etats pour augmenter leur croissance économique. En droit des cours d’eau internationaux, ce droit a pris une conception particulière. En effet les partisans du droit au développement « se réclament d’un règle interdisant le dommage résultant du fait d’empêcher un Etat en amont de développer son économie ; la règle interdisant de causer un dommage au territoire de l’Etat en aval 121 se trouve ainsi inversée » . Alors que le droit au développement ignorant l’environnement était perçu comme légitime dans le passé, ce n’est plus le cas aujourd’hui, et le droit au développement tel qu’il était perçu n’est plus défendable. Un principe conceptuel Le principe de développement durable illustre la volonté de respecter des considérations à la fois économiques et écologiques. Il n’existe pas d’accord unanime quant à sa définition, toutefois ses origines et son évolution permettent de mieux comprendre son utilité. Ce concept a été forgé dans la cadre des Nations Unies pour tenter de concilier les points de vue divergents des pays industrialisés et des pays en développement sur l’importance à accorder à la préoccupation environnementale dans leurs politiques économiques respectives. D’après le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement intitulé « Our Common Future » (1987), il vise également à rendre compatible des besoins du présent, particulièrement dans les pays pauvres, avec les intérêts des générations futures. Cette exigence est reprise au principe 2 de Rio. Comme le souligne la CIJ dans l’affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros, il s’agit pour l’instant d’un principe conceptuel. Cela ne signifie pas pour autant qu’il soit inutile, d’autant plus que la portée de ce principe s’est affinée depuis 1997, et que la sensibilité écologique des Etats comme des citoyens a certainement évolué depuis. L’affaire Gabcikovo-Nagymaros souligne également la nécessité de faire face aux besoins des générations actuelles tout en préservant ceux des générations futures. Ainsi, il s’agit de concilier les nécessités écologiques et les intérêts socio-économiques fréquemment perçus comme contradictoires. Reprenant l’affirmation qu’elle avait déjà mentionnée dans son avis consultatif sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, la Cour a tenu a rappeler que « l’environnement n’est pas une abstraction, mais bien l’espace où vivent les êtres humains et dont dépendent la qualité de leur vie et leur santé, y compris pour les générations 122 à venir » . Par la suite, de nombreux travaux sont venus compléter la notion de développement durable. La référence aux générations futures se retrouve également dans 120 121 122 72 Rés. II b), E/CONF.70/29, p.65, cité par Sylvie Paquerot, op.cit., p.213. Jochen Sohnle, droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.252. Arrêt Gabcikovo-Nagymaros, 25 septembre 1997, paragraphe 53. Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce la résolution de Strasbourg de l’IDI sur l’environnement (1997). Pour Pierre-Marie Dupuy, « après avoir gagné une nouvelle dimension spatiale par la globalisation des perspectives de protection, le droit international de l’environnement a également élargi sa dimension 123 temporelle aux générations à venir » . Dans la mouvance de ce principe, d’autres principes ont été progressivement définis et reçoivent, dans le cadre des Nations Unies notamment, un contenu substantiel. Il s’agit par exemple du principe d’intégration de l’environnement et du développement, de préoccupation commune de l’Humanité… Quoiqu’il en soit, ces principes restent fortement liés par le principe de développement qui est encore la référence à considérer, et qui mérite d’être travaillé notamment sur un plan juridique. Des particularités dans le domaine des ressources en eau douce Nous n’avons pas choisi d’évoquer ce principe uniquement car il mérite sa place dans des réflexions sur le droit international des ressources en eau douce, mais également parce qu’il manifeste dores et déjà des particularités dans le domaine des ressources aquatiques. Outre le fait que ce principe devrait selon nous inspirer les parties à un traité sur l’eau, certaines particularités se sont déjà dessinées. Le plan d’action à propos du Zambèze du 28 mai 1987 décrit le développement durable et écologiquement rationnel par la prise en compte de la capacité assimilatrice de l’environnement ainsi que des buts de développement tels que définis par les autorités nationales, d’un point de vue économique. Ainsi l’accent est mis sur les actions prioritaires à entreprendre, et ce tout en essayant de maintenir une symbiose entre l’aspect économique et l’aspect écologique. Dans le cadre de la Convention sur la protection du Danube de 1994, une gestion durable de l’eau vise un développement stable, sain pour l’environnement. Il doit tout à la fois maintenir la qualité générale de la vie et l’accès continu aux ressources naturelles, éviter un dommage environnemental persistant, protéger les écosystèmes et se fonder sur une approche préventive. Dans le cadre du Protocole sur l’eau et la santé du 17 juin 1999, le facteur de développement durable, au même titre que la protection de la santé humaine et des ressources en eau, doit être pris en compte dans la lutte contre les maladies liées à l’eau. Le concept de développement durable en revanche n’apparaît pas en tant que tel dans la Convention de New York du 21 mai 1997. Le Congrès de Kaslik en 1998 s’est lui attaché à développer un certain nombre d’idées qui pourraient permettre de tendre vers une 124 approche de gestion globale des ressources en eau . Il est regrettable qu’un tel concept n’apparaisse pas clairement dans la Convention du 21 mai 1997. Ce constat n’est toutefois pas étonnant. Nous l’avons dit, les Etats ont toujours manifesté leur intention de limiter le moins possible leur souveraineté. Or le concept de développement durable nécessité forcément la mise en place d’une solidarité interétatique. Si ce concept apparaît comme tel dans d’autres traités, son absence dans la Convention n’est pas étonnante. Le concept pourrait cependant présenter l’avantage de dépasser ou du moins de clarifier celui de limitation de souveraineté. En effet, il semble s’appliquer plus facilement à un contexte global des ressources aquatiques - dont l’utilisation est en grande partie liée à des activités économiques – que les théories de la souveraineté limitée et d’intégrité territoriale limitées semblent attachées à un contexte frontalier de proximité. L’idée de durabilité s’inscrit avec ce concept non seulement dans l’espace mais aussi dans le temps par la prise en compte des générations à venir. 123 124 Pierre-Marie Dupuy, Où en est le droit international de l’environnement ?, op.cit., p.889 H. Tazi Sadeq, La Convention sur le Droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux, Congrès international de Kaslik, Liban, 1998. Mondange Adrien - 2009 73 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Sous section 3 les aquifères Nous avons déjà évoqué une source d’eau douce essentielle sur notre planète, à savoir les eaux souterraines et notamment les aquifères. Le lecteur attentionné aura pourtant remarqué qu’aucun article ni aucune jurisprudence n’ont encore été cités sur cette question. Cela ne s’explique pas par un manque de recherche, mais tout simplement par le fait que la préoccupation juridique de la communauté internationale sur ce sujet vient tout juste d’émerger. Dans la Convention de 1997 le problème n’est pas directement soulevé. L’article 2 précise simplement que « l’expression « cours d’eau » s’entend d’un système d’eaux de surface et d’eaux souterraines constituant, du fait de leur relation physique, un ensemble unitaire et aboutissant normalement à un point d’arrivée commun ». Seules les eaux souterraines directement reliées aux eaux de surface (« ensemble unitaire ») sont prises en compte. Le flou demeure quant au degré de prise en compte de la liaison entre les eaux de surface et les eaux souterraines. Dans les cas où une nappe souterraine alimente directement, ou est alimentée directement, par un cours d’eau de surface, l’application des principes conventionnels ne pose guère de problème puisqu’ils sont aussi largement coutumiers. Dans de nombreux cas le lien n’est pas aussi clair, par exemple dans le cas d’une nappe souterraine alimentée par le ruissellement diffus d’un bassin de drainage plutôt que par l’écoulement direct d’un cours d’eau. Enfin, certains aquifères sont confinés, c'est-à-dire qu’il s’agit de ressources qui n’ont aucun lien avec le réseau de surface. Il est essentiel en matière de gestion des aquifères que les Etats se mettent d’accord sur des règles claires, utiles et effectives. Les aquifères contiennent pratiquement 96% des eaux douces de la planète. En fait, la difficulté à intégrer la question des eaux souterraines à la Convention de New York découle principalement du refus de considérer à l’origine le concept de bassin hydrographique. La prise en compte de ces ressources est essentielle, et surtout dans le cadre des nappes captives, qui peuvent certes constituer des ressources pour satisfaire certains besoins mais qui doivent être particulièrement protégées du fait de 125 leurs spécificités . Les traités évoquant le partage de ressources contenues dans les aquifères sont assez peu nombreux. En principe, l’ensemble des traités qui utilisent la notion de bassin versant devraient s’appliquer de fait aux eaux souterraines. Mentionnons par exemple l’Accord pour le Plan d’action pour la gestion économiquement rationnelle du Zambèze, l’accord de 1963 relatif à la navigation et à la coopération économique entre les Etats du bassin du Niger, le traité sur le bassin du rio de la Plata. Ces traités sont de plus relativement restreints dans leur portée. Malgré cela, une attention toute particulière doit leur être accordée, car les nappes souterraines connues pour les conflits qu’elles peuvent générer sont nombreuses. Citons l’aquifère de la Montagne, sous-jacent aux territoires d’Israël et de la Palestine, dont l’utilisation a été au centre de négociations internationales (par exemple le traité de paix jordano-israélien d e1994, ou encore les accords d’Oslo). Ce n’est qu’en 2000 que l’UNESCO décide d’agir sur ce point. Lors de sa ème 14 session (juin 2000), le Conseil Intergouvernemental du Programme Hydrologique International a reconnu que les systèmes aquifères transfrontaliers sont une importante source d’eau douce dans certaines régions du monde, particulièrement sous les conditions climatiques semi arides. Nous parlons donc ici des pays qui souffrent pratiquement en permanence de sécheresse, les pays d’Afrique et du Moyen Orient étant les premiers à 125 Pour plus de détails sur la formation des aquifères, leurs spécificités, voir notamment François Anctil, l’Eau et ses enjeux, les presses de l’université Laval, 2008, de boeck, pages 29 à 44. 74 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce nous venir à l’esprit. Cette session a lancé l’initiative inter-agences ISARM (International Shared Aquifer Resources Management) portant sur les aspects scientifique-hydrologique, socio-économique, environnemental, juridique et institutionnel. Avec la coopération d’agences régionales, le programme a aujourd’hui été lancé dans de nombreuses régions. L’Observatoire du Sahara et du Sahel, l’Organisation des Etats d’Amérique (OEA) ont permis de lancer le programme en Afrique et en Amérique. Grâce à UN-ESCWA le programme sera mené dans les Balkans et le Moyen Orient également. Comme le souligne Alice Aureli en 2005, « le droit international des eaux souterraines est au stade de ses premiers développements. Il existe déjà des règles internationales qui s’appliquent aux aquifères transfrontaliers, mais elles ne concernent pas tous les types d’aquifères et ne 126 prennent pas en compte les spécificités » . La problématique concernant les aquifères est la même que celle qui s’applique à la gestion des ressources en eau douce de surface puisque ces nappes ne correspondent pas toujours aux frontières des pays. La première tentative de codification dans ce sens date de 1989 (traité de Bellagio), mais elle s’inspire largement des textes juridiques traitant des eaux internationales « de surface » ; il en est de même pour le projet d’articles de 2006 de la Commission du droit international de l’ONU. Le traité de Bellagio transpose les principes mis en avant notamment dans les Règles d’Helsinki en 1966 à l’hypothèse des eaux souterraines. Il s’agit notamment de l’unité de gestion, de la communauté d’intérêts. Les articles 3 à 5 donnent également la possibilité de recourir à une commission internationale autorisée à déclarer les zones de protection, d’alerte à la sécheresse, à élaborer des plans d’urgence etc…La commission en question se voit investie de pouvoirs importants, d’autant plus que la procédure de règlement des différends lui confère dans une première étape le soin de résoudre les litiges. En 2006, la Commission des Nations Unies a adopté en première lecture le projet d’articles sur le droit des aquifères transfrontaliers (juin 2006). e La 63 session de l’Assemblée générale a adopté une résolution de soutien à ce projet d’articles, le 11 décembre 2008. Les articles du projet sont repris. C’est l’article 2 a) qui donne la définition de la notion d’aquifère. Il dispose que « l’on entend par « aquifère » une formation géologique souterraine perméable contenant de l’eau superposée à une couche moins perméable et l’eau contenue dans la zone saturée de la formation ». Quant au « système aquifère », celui-ci est « une série de deux ou plusieurs aquifères qui sont hydrauliquement reliés » (article 2, b). Un aquifère transfrontière est « un aquifère réparti entre plusieurs Etats » (article 2, c). La deuxième partie du projet d’articles énonce des principes généraux, parmi lesquels il est important de relever la souveraineté des Etats. L’article 3, « souveraineté des Etats de l’aquifère », dispose que : « Each aquifer state has sovereignty over the portion of a transboundary aquifer or aquifer system located within its territory. It shall exercise its sovereignty in accordance with international law and the present articles”. Le projet d’articles affirme la souveraineté de chaque Etat sur « la portion d’un aquifère ou d’un système d’aquifères transfrontières se trouvant sur son territoire » ; la seule limite à l’exercice de cette souveraineté étant le respect du présent projet d’articles. Notons également que des principes codifiés par la Convention de New York sont ici transposés aux eaux souterraines (utilisation équitable et raisonnable, obligation de ne pas causer de dommages significatifs…). Ainsi, malgré l’absence de codification sur les aquifères dans la Convention de 1997, celle-ci a pourtant énoncé des principes qui semblent pouvoir être réutilisés pour les aquifères. 126 Alice Aureli (UNESCO-PHI), la lettre du réseau, n°13, décembre 2004-janvier 2005. Mondange Adrien - 2009 75 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Il reste que le caractère contraignant n’est encore pas le point fort du projet d’articles. L’article 9 encourage les Etats à signer des accords bilatéraux ou multilatéraux. Des instruments techniques de coopération sont proposés aux Etats, mais aucun organe de règlement des différends n’est mis en place. De plus il est essentiel de noter que la forme que cet instrument juridique doit prendre est loin d’être décidée surtout au vue des conflits de champ d’application avec la Convention de 1997, qui, nous l’avons rappelé, se préoccupe de certains aquifères mais pas de tous. Le projet d’articles détaille les aspects procéduraux mais à propos du règlement des différents il n’apporte rien de nouveau. Le projet insiste à nouveau sur la nécessaire coopération entre les Etats, toutefois aucune organisation supranationale n’est prévue, de peur une fois de plus de se heurter à la souveraineté étatique. Sur le long terme, certains espèrent voir ce projet d’articles transformé en convention-cadre, même si d’autres accords sur des projets particuliers – tenant compte des principes développés dans l’actuel projet – restent indispensables. Section 3 : Le droit à l’eau « En tant que « source de vie » fondamentale et non substituable de l’écosystème Terre, l’eau est un bien vital qui appartient aux habitants de la Terre, en commun. Aucun d’entre eux, individuellement ou en groupe, ne devrait avoir le droit d’en faire son appropriation privée. L’eau est un bien patrimonial commun de l’humanité. La santé individuelle et collective en dépend. L’agriculture, l’industrie, la vie domestique y sont liées. Il n’y a pas d’accès à la production de la richesse sans accès à l’eau. L’eau, on le sait et tout le monde le dit, n’est pas une ressource comme les autres ; elle n’est pas une marchandise échangeable, monnayable. Son caractère irremplaçable fait que toute communauté humaine - et chacun de ses membres - a le droit d’avoir accès à l’eau, en particulier l’eau potable, en quantité et qualité 127 nécessaires et indispensables à la vie et à l’activité économique » . Ricardo Petrella déduit ensuite de ce principe un ensemble de règles, qui devraient selon lui permettre une bonne gestion de l’eau à l’échelle mondiale, n’excluant personne et respectant les droits humains. La question du droit à l’eau reste liée à la question du droit de l’eau. Il s’agit ici de prendre en considération les individus. Le droit international de l’eau n’ignore pas la protection des intérêts des individus. Cette protection fait traditionnellement l’objet d’une règlementation qui se limite aux relations interétatiques, mais préfigure l’émergence de véritables droits de l’homme. Ces derniers s’affirment d’une façon grandissante dans le domaine de l’eau. Cette préoccupation croissante est due à la tendance d’une démographie croissante à la surface de la planète, et donc une augmentation des besoins, alors que dans le même temps les ressources se font plus « rares ». Il s’agit de faire un tour d’horizon des ressources en eau et de la protection des droits humains, en recherchant la place d’un droit à l’eau parmi les autres droits humains (sous section 1) et en soulignant l’importance du droit à l’eau (sous section 2). Sous section 1 droits humains et droit à l’eau Le droit à l’eau n’a pas fait l’objet d’énormément d’études, en comparaison d’autres problématiques des droits humains, du moins jusqu’à la fin des années 1990. L’accès à l’eau potable en tant que droit humain n’est explicitement mentionné ni dans la Déclaration 127 76 Ricardo Petrella, le Manifeste de l’eau pour un contrat mondial, Principe 1 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce Universelle des droits de l’homme, ni dans les Pactes qui furent ensuite élaborés pour assurer la mise en œuvre de cette déclaration. Ce droit humain ne sera affirmé que tardivement par la communauté internationale, lors du Sommet de Mar del Plata en 1977, pour ensuite être intégré dans le système des Nations Unies. Il y a finalement peu de temps que les organismes internationaux se sont penchés sur la question du droit à l’eau. En 1997, la problématique apparaît à la Commission des droits de l’homme. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a adopté une observation générale portant sur ce droit, en novembre 2002, et définissant celui-ci comme cela : « le droit fondamental à l’eau autorise chacun à disposer d’une eau salubre, suffisante, de qualité acceptable, physiquement accessible et à un coût raisonnable pour les besoins individuels et les usages 128 domestiques » . Origines du droit à l’eau Il est difficile d’affirmer qu’il existe un droit humain à l’eau indépendant des autres composantes du droit international. Il faut chercher ailleurs les fondements doctrinaux utiles à la précision juridique du droit d’accès à l’eau potable. Ce sont la doctrine des droits humains ainsi qu’une partie des spécialistes du droit de l’environnement qui permettent de décrire plus précisément ce que serait le droit à l’eau, et d’en expliquer les origines. C’est en fait le principe d’interdépendance des droits humains qui a permis l’intégration de ce droit dans d’autres droits humains explicitement définis par la doctrine. Deux tendances peuvent être identifiées dans la doctrine actuelle. D’une part, une école qui cherche à élargir et à renforcer l’interprétation et l’application des droits traditionnellement reconnus en ce sens, et d’autre part une école qui, se basant sur le caractère évolutif des droits, considère l’émergence d’une catégorie nouvelle, celle des droits de troisième génération, dits « droits de solidarité ». Parmi les « droits de solidarité », le droit à l’environnement, aussi appelé droit à un environnement sain ou de qualité, et qui est consacré par la Déclaration de Stockholm au principe 1. Ce droit est issu de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui garantit la dignité humaine. Celle-ci a plusieurs fonctions, à savoir protéger la vie et l’intégrité physique des personnes humaines, garantir l’exercice des droits fondamentaux et des libertés individuelles, éliminer les discriminations et assurer des conditions de vie minimales. De fait, que soit ou non reconnu un droit à l’environnement spécifique, l’obligation de protection et de préservation de l’environnement existe bel et bien puisque la réalisation des droits économiques et sociaux en dépend directement. Que l’on soit favorable à la création d’une nouvelle catégorie de droits ou que l’on cherche à utiliser les droits préexistants, les droits de l’homme restent de toute façon interdépendants. Protéger les ressources en eau douce, c’est protéger l’être humain et ses activités économiques, de même que l’environnement dans lequel il vit, et ainsi de suite. Le droit d’accès à l’eau potable pourrait s’inscrire comme une composante implicite des droits humains reconnus dans les instruments généraux. Ainsi, parmi les Pactes internationaux relatifs aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, et principalement le droit à la vie, le droit à un niveau de vie suffisant, comprenant eux-mêmes le droit au logement, le droit d’être à l’abri de la faim et le droit à la santé, le droit d’accès à l’eau potable est une composante essentielle. Ces droits ne peuvent pas être mis en œuvre sans accès à l’eau potable. Prise en compte 128 CESCR (2002). The Right to Water, General Comment No.15, UN Economic and Social Council, E/C.12/2000/11 (26 novembre), paragr.2, cité par S. Paquerot, eau douce la nécessaire refondation du droit international, p.122. Mondange Adrien - 2009 77 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Nous l’avons dit, ce n’est qu’en 1997, l’année du premier forum mondial de l’eau, qu’est saisie la Sous-commission sur la prévention de la discrimination et la protection des minorités de l’ONU. Celle-ci et chargée de préparer un document de travail sur la question de la promotion et de la réalisation du droit d’accès de tous à l’eau potable et aux services d’assainissement. C’est au titre de la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels qu’elle examinera cette question, sans non plus renoncer à l’incidence de l’accès à l’eau potable sur d’autres droits. En 2002, le rapporteur produira un rapport dans lequel il s’attardera à définir les fondements juridiques du droit à l’eau potable, ainsi que le lien qu’entretient l’eau avec l’ensemble des droits humains. Selon lui, l’eau « est surtout, avec le 129 droit à l’alimentation, le substrat du droit à la vie » . Ainsi, le concept d’humanité tendrait à devenir un concept pertinent dans le droit international de l’eau. L’humanité peut être considérée comme la collectivité de personnes regroupant l’ensemble des êtres humains. Les besoins de celles-ci devraient être pris en compte afin de permettre son développement. Dès 1968, la Charte européenne de l’eau du Conseil de l’Europe proclame que « l’eau est un patrimoine commun dont la valeur doit être reconnue de tous. Chacun a le droit de l’économiser et d’en user avec soin » (principe X). L’humanité est définie par rapport à un objet, que l’on appelle le « patrimoine commun de l’humanité ». Cette notion cherche à relier le patrimoine, concept qui relève de la sphère des choses, et l’humanité, concept qui relève de la sphère des personnes. S’il est vrai que l’humanité pourrait être considérée comme une collectivité d’Etats, elle tend en fait de plus en plus à être considérée plutôt comme une communauté de personnes humaines. Il s’agit d’un concept de solidarité qui s’applique à la globalité des personnes humaines. La prise en compte des générations futures peut être considérée comme la dimension temporaire apportée à la définition de la notion d’humanité (cela apparaît notamment dans la déclaration de Stockholm de 1972). De plus, cette évolution se trouve complétée sur le plan de l’objet par l’idée de durabilité. C’est bien ce type de raisonnement qui est tenu dans l’arrêt relatif à l’affaire GabcikovoNagymaros où la CIJ souligne que les interventions de l’homme représentent des risques 130 pour « l’humanité – qu’il s’agisse des générations actuelles ou futures » . L’intérêt de la notion d’humanité fait son apparition en droit des cours d’eau internationaux. La Convention d’Helsinki du 17 mars 1992 dispose que les ressources en eau doivent être gérées de manière à répondre aux besoins de la génération actuelle sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire leurs propres besoins (art. 2 par. 5c). La référence aux générations actuelles et futures se retrouve également dans le Protocole sur l’eau et la santé du 17 juin 1999 (art. 5 par. d). En revanche, la Convention de New York du 21 mai 1997 ne mentionne les générations actuelles et futures que dans le préambule (par. 5). L’intérêt de cette notion se fait encore plus sentir lorsqu’il est question de dépasser le droit des cours d’internationaux pour s’attacher au droit international des ressource en eau douce dans une perspective globale. Certains régimes internationaux, pertinents de façon plus ou moins importante pour les ressources aquatiques, relèvent de celle logique. Il s’agit du régime de l’Antarctique, des corps célestes et du patrimoine mondial culturel et naturel. Une définition du droit à l’eau dont que nous aimerions retenir est celle donnée par Henri Smets en 2002 dans un rapport du Conseil européen du droit de l’environnement. Le droit à l’eau est « le droit pour toute personne, quel que soit son niveau économique, de disposer 129 E.H Guissé (2002). Rapport entre la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels et la promotion de la réalisation du droit à l’eau potable et à l’assainissement, paragraphe 11. 130 78 Arrêt du 25 sept. 1997, par. 140 al.4. Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce d’une quantité minimale d’eau de bonne qualité qui soit suffisante pour la vie et la santé ». Il ajoute ensuite que « ce droit concerne une quantité limitée d’eau qui permette à l’homme : De satisfaire ses besoins essentiels tels que la boisson, la préparation de nourriture, l’hygiène et le nettoyage, d’assurer l’abreuvement des animaux de compagnie et d’arroser 131 une petite production vivrière familiale [ …] » . L’eau est donc à la fois un bien social et un bien économique. En ce sens, des garanties doivent être mises en place afin de garantir son accès au plus grand nombre. Sous section 2 quelles garanties pour le droit à l’eau ? La Convention de New York du 21 mai 1997 cherche à gérer les conflits intervenant entre Etats. Pourtant, au-delà des conflits qui peuvent surgir entre les Etats concernant le partage des ressources en eau, la problématique de l’eau au plan international recèle également une dimension de droit humain majeure. 30 000 personnes meurent chaque année par manque d’accès à l’eau et à l’assainissement. Malgré cela, le concept de droit humain n’apparaît nulle part associé à la Convention, que ce soit dans le corps même ou encore dans les commentaires intégrés au projet de la CDI. La Convention ne créé aucune obligation pour les Etats d’agir au plan national. L’affirmation des besoins humains essentiels ne s’accompagne d’aucune obligation juridique de protection, de promotion ou encore de mise en œuvre d’un droit humain correspondant. Il n’existe aucune règle impérative en ce sens. De plus, la Convention risquerait selon certains auteurs de nuire à la mise en place des recommandations de l’Agenda 21, dans la mesure où, ne reconnaissant pas de priorité claire, certains Etats pourraient y trouver des arguments légaux afin de soutenir que d’autres usages priment sur 132 e celui là . De plus, les débats à la 6 Commission ont montré qu’il n’y avait pas unanimité sur la signification des besoins humains de base. La dernière version de ce commentaire affirme que les besoins humains essentiels correspondent notamment à un accès à l’eau « en quantité suffisante pour la vie humaine, qu’il s’agisse de l’eau potable ou de l’eau 133 réservée aux productions vivrières destinées à empêcher la famine » . La seule référence aux besoins humains essentiels que l’on retrouve dans la Convention se situe dans l’article 10, paragraphe 2, « en cas de conflit entre des utilisations d’un cours d’eau international, le conflit est résolu eu égard aux articles 5 à 7, une attention spéciale étant accordée à la satisfaction des besoins humains essentiels ». Certains auteurs ont insisté sur ce point, en affirmant que « la satisfaction des besoins humains essentiels » était une véritable priorité. Pourtant, le paragraphe précédent affirme justement qu’aucun usage n’est prioritaire (« en l’absence d’accord ou de coutume en sens contraire, aucune utilisation d’un cours d’eau international n’a en soi priorité sur d’autres utilisations »). Cette attention spéciale est une accentuation de l’un des facteurs pertinents cités à l’article 6 pour mettre en œuvre une utilisation équitable et raisonnable, à savoir les besoins économiques et sociaux. Toutefois, cela ne signifie pas non plus que « la satisfaction des besoins humains essentiels » soit une priorité, dans la mesure où les Etats semblent libres de déterminer eux-mêmes le poids relatif à donner aux besoins vitaux humains ou encore aux autres facteurs énumérés. De plus, le paragraphe 2 de l’article 10 commence par les 131 132 133 Henri Smets, le droit à l’eau, CEDE, 2002, p.7. E. Hey, Sustainable Use of Shared Water Ressources… , loc.cit., p.132, cité par S. Paquerot, eau douce, op.cit., p.143. e Rapport de la 6 Commission, cité par Stephan McCaffrey et Mpazi Sinjela, The United Nations Convention on International Watercourses, the American Journal of International Law, Vol.92, No.1 (Jan., 1998), p.103. Mondange Adrien - 2009 79 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL mots « en cas de conflit ». Ainsi, les besoins humains essentiels ne pourraient recevoir une « attention spéciale » qu’en cas de conflit entre les utilisations. Il ne s’agit pas là d’un droit intangible, les besoins humains apparaissent ici seulement comme un critère permettant de trancher un litige. Le droit à l’eau devrait à l’inverse être un droit inaliénable et absolu. La Convention de New York ne semble donc pas à même de garantir la protection des droits de certains groupes ou communautés, les plus pauvres étant ceux qui souffrent le plus d’un manque d’accès aux ressources en eau douce. Le fait que les relations interétatiques puissent être stabilisées grâce à l’application de cette convention ne garantit pas en soi que tous les besoins de l’ensemble des populations soient pris en compte. Bien que la protection des personnes relève de la responsabilité des Etats sur le territoire duquel se trouvent ces personnes, dans la mesure où une grande partie des ressources planétaires en eau est située dans des bassins hydrographiques transfrontaliers, une gestion intégrée à plus grande échelle est nécessaire. Si tous les Etats riverains cherchaient à répondre adéquatement aux besoins de leurs concitoyens, en prélevant dans les fleuves la quantité d’eau suffisante, et en respectant le principe de l’utilisation équitable et raisonnable, alors le droit international des droits humains pourrait être appelé à jouer un rôle important dans la résolution des conflits interétatiques autour des ressources en eau, bien que la Convention de New York ne l’ait pas intégré explicitement. De nombreux auteurs affirment l’intérêt de faire de l’eau une ressource commune. Pour eux, l’eau devrait être considérée comme un bien collectif, un legs appartenant à l’humanité toute entière. Le processus de privatisation de l’eau s’accélère en ce moment dans les pays du Sud notamment, ceux qui disposent de moyens extrêmement faibles. Cela exclut donc une partie importante des populations. L’argument fréquemment invoqué en faveur de la transformation de l’eau en marchandise est le même que celui qui préside à la commercialisation de l’ensemble des biens que nous utilisons : le marché serait le lieu le plus propice à la distribution optimale des ressources matérielles et naturelles et à la répartition des richesses. La privatisation de l’eau serait le meilleur moyen d’éviter les gaspillages. Le coût de l’eau serait évalué à sa juste valeur, ceci incluant les coûts de transport et de recyclage. S’il est vrai qu’un tel coût pourrait être mis en place dans les pays qui ont les moyens de payer l’eau à sa juste valeur, en revanche cela ne ferait qu’aggraver le problème dans les pays les moins développés. Les seuls bénéficiaires d’une privatisation massive seraient les cartels de l’eau. L’accès à l’eau n’est ni une question de choix, ni une façon de produire de la richesse, c’est une question de vie ou de mort. Sans compter qu’une privatisation des ressources en eau douce aurait pour conséquence d’accélérer l’épuisement des sources. Un organisme reconnu, l’UNESCO, se préoccupe depuis longtemps des questions de l’eau puisqu’il est responsable du programme hydrologique mondial, créé dans la foulée de la conférence de Mar del Plata. L’UNESCO héberge aujourd’hui le « World Water Assessment Program » (WWAP), chargé de coordonner l’ensemble des composantes onusiennes dans le domaine de l’eau. L’UNESCO cherche à aborder la problématique à travers plusieurs utilisations, telles que la sécurité alimentaire, la santé et l’assainissement, les catastrophes naturelles liées à l’eau, le rôle des femmes, les conflits en rapport avec l’eau… A l’heure actuelle, le droit international des ressources en eau douce reste à l’image du droit international général. Bien qu’une évolution soit indéniable, on observe une certaine réticence à consacrer la personnalité des individus ou de leurs groupements. Si la limitation de la liberté étatique est le plus souvent limitée dans ses relations avec les autres Etats, en revanche les intérêts individuels semblent laissés de côté. Parallèlement, une solidarité se dessine à l’échelle mondiale. En ce sens, le patrimoine commun de l’humanité « constitue 80 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce l’aboutissement d’une solidarité de plus en plus fréquente entre tous les Etats du monde, 134 par ailleurs jaloux de leur souveraineté » . Chapitre 3 utilité du droit international des ressources en eau douce : études de cas Le droit international doit avoir pour objectif la pacification des relations entre les Etats. Nous avons déjà discuté de la question de savoir s’il existait ou non des guerres de l’eau, et avons noté à cette occasion qu’il ne saurait y avoir de conflit portant uniquement sur les ressources en eau douce. Jusqu’à présent en tout cas la situation ne s’est pas présentée. L’école réaliste des relations internationales a longtemps dominé les études de sécurité. Selon cette école, l’Etat use de la guerre et de la diplomatie pour maintenir et asseoir son pouvoir, défini par Raymond Aron comme la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités. Depuis la fin de la bipolarité, les questions sécuritaires ont pris un tournant différent et de nouveaux enjeux et acteurs ont été soulevés. L’apparition de nouveaux types de conflits d’ordre ethniques, la dégradation de l’environnement, l’immigration, le terrorisme, les violations des droits de l’homme, ou encore les « guerres de l’eau » font désormais partie du champ d’investigation des spécialistes en sécurité. Aujourd’hui les populations d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, en forte croissance démographique, doivent partager des ressources en eau très inégalement réparties. Les données climatiques constituent une contrainte de première ampleur, et bien souvent les rares ressources disponibles ne sont pas exploitées de façon optimale. Selon Georges Mutin, « avec l’accroissement de la population que connaît le Monde Arabe, la rareté 135 est désormais bien installée » . L’eau s’inscrit dans la gestion des ressources et de richesses naturelles pour l’ensemble des pays du Proche Orient. Elle s’inscrit également dans un cadre plus large, compte tenu d’une situation climatique imposant l’irrigation, un taux démographique souvent élevé, des impératifs de croissance économique impliquant le développement de l’agriculture, de l’industrie, de l’urbanisation, ainsi que des ambitions géopolitiques bien souvent basées sur la volonté de chaque pays de s’affirmer sur le plan national, ainsi que sur le plan régional. La théorie de l’effet utile nous enseigne que le droit ne doit pas être bavard, il doit être effectif et permettre de prendre des mesures concrètes. Ce dernier chapitre s’attardera sur des aspects plutôt géopolitiques, tout en conservant une focale sur le droit international des ressources en eau douce. L’objectif est de rappeler quels sont les problèmes soulevés par différentes situations au Moyen Orient et en Afrique du Nord. En cherchant à mettre en perspective des considérations géopolitiques et juridiques, nous rechercherons à travers des exemples la place du droit international des ressources en eau douce pour la gestion d’une ressource qui est un enjeu de pouvoir également (section 1). La question de l’eau et de la paix au Proche Orient sera ensuite abordée (section 2). 134 135 Kiss, RCADI 1982, t. 175, p.243, cité par Jochen Sonhle, droit international des ressources en eau douce, op.cit., p.462. Georges Mutin, l’eau dans le Monde Arabe, Carrefours de géographie, ellipses, 2000, p.7. Pour des informations géographiques, géopolitiques notamment consulter cet ouvrage. Mondange Adrien - 2009 81 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Section 1 l’eau enjeu de pouvoir : quelle place pour le droit international ? Nous l’avons déjà souligné, la difficile application du droit international de l’eau entre des pays politiquement rivaux résulte en grande partie du déséquilibre des rapports de force entre Etats. Sans aboutir systématiquement à une imposition de la loi du plus fort, celui qui domine la relation interétatique sur le plan militaire et/ou politique a bien plus la capacité d’imposer l’usage du droit et d’interpréter la règle à son avantage. La question de la subordination du droit aux rapports de force entre Etats reste donc posée malgré les avancées du droit international public de manière générale. Les diverses situations « conflictuelles » au Proche Orient permettent d’étudier différentes facettes et interprétations de la gestion des ressources en eau douce. Ainsi, l’eau peut être perçue comme un enjeu sécuritaire dans le cas du bassin du Tigre et de l’Euphrate (sous section 1), tandis que le Nil est à la fois source de vie et source de coopération (sous section 2). Sous section 1 l’eau, enjeu sécuritaire : le bassin du Tigre et de l’Euphrate Le Tigre et l’Euphrate traversent simultanément les territoires de la Turquie, de la Syrie et de l’Irak. Les deux grands fleuves du Moyen Orient naissent en Turquie, et mêlent leurs eaux à partir de la ville irakienne de Qourna (le fleuve prend alors le nom de Chatt-el-Arab). La position qu’occupe la Turquie en tant que pays d’amont lui donne la possibilité de contrôler les eaux de ces fleuves. La Turquie contrôle plus de 80% du débit de l’Euphrate et environ 50% de celui du Tigre. La Turquie se donne les moyens matériels, grâce à ses grands barrages, de retenir l’eau. De plus, la capacité militaire de la Turquie à projeter sa puissance militaire et économique dans la région lui donne les moyens de ses ambitions. Cette donne géopolitique créé en Syrie et en Irak, pays d’aval, une tendance à la sécurisation de l’enjeu hydraulique, augmentant par la même occasion le potentiel conflictuel du bassin. L’utilisation des eaux du Tigre et de l’Euphrate relève historiquement et principalement d’une exploitation agricole syrienne et irakienne, leur participation à l’essor économique de la plaine fluviale de la Mésopotamie en Irak ou de la steppe syrienne par l’Euphrate a fait de ces fleuves un des fondements culturels de ces pays. Le système traditionnel de défense contre les eaux repose sur deux techniques : la construction des digues et l’inondation e irriguée. Pourtant, ce n’est qu’au début du 20 siècle qu’est envisagée la possibilité de discipliner définitivement le Tigre et l’Euphrate. Les besoins en eau sont croissants, dans une région en pleine croissance démographique (Irak par exemple : 4.5 millions d’habitants en 1947, 10 en 1972, 22 en 1998). La construction de nombreux barrages caractérise les e tentatives de domestication durant le 20 siècle. Notons que la Turquie, dans cette région du monde atteinte par la pénurie, fait figure de privilégiée. Ce pays ne fait pas officiellement partie de la zone de stress hydrique, toutefois cette relative abondance est inégalement distribuée quand elle n’est pas sous exploitée. Les difficultés d’approvisionnement sont réelles et nombreuses, à commencer par le secteur agricole qui consomme le plus d’eau, emploie 50% de la population et représente plus de 18% du PIB. Sur les 28 millions de terres arables, seuls 3 millions ont été mis en valeur par l’irrigation. En matière de production hydroélectrique, la Turquie importe 50% de ses besoins en énergie, ce qui nuit aux ambitions de croissance projetés par les gouvernements. Les ambitions de la Turquie en matière de domestication des eaux des deux fleuves sont dues à la volonté de favoriser le développement économique du sud-est anatolien par la mise en valeur de cultures irriguées. La Turquie doit aussi faire 82 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce face à une urbanisation de sa population et aux besoins croissants qui en découlent. Malgré l’abandon progressif du protectionnisme et de l’interventionnisme étatique, le projet d’aménagement d’un complexe hydraulique semble résister à ce contexte. Des objectifs sécuritaires, politiques et économiques sont en jeu dans ce projet pharaonique baptisé en turc Güneydogu Anadolu Projesi (G.A.P), et démarré depuis 1960. Ce Programme Régional de Développement de l’Anatolie du Sud Est vise à un développement intégré de cette région à travers l’irrigation et la production d’hydroélectricité. Si le G.A.P, avant d’être une arme 136 géopolitique, répond en priorité à des impératifs économiques , il n’en reste pas moins que le projet qui se concrétise remplit certaines tâches sécuritaires et stratégiques. Ainsi ce projet est par exemple pour les autorités turques un moyen de mieux contrôler ses frontières avec la Syrie (900 km) auxquelles Ankara attache une grande importance. De plus, le GAP englobe neuf provinces du Sud-Est anatolien et donc le développement socio-économique d’une région entière considérée parmi les plus pauvres du pays est pris en compte. Par le GAP, l’Etat turc tente de pallier à un exode rural vers les grandes métropoles en offrant à la population locale des perspectives de travail et de prospérité. Il est intéressant de noter ici que les provinces en cause sont à majorité kurdes et sont le berceau du parti des travailleurs kurdes, le PKK, à haut potentiel subversif. La présence de quelques 12 millions de Kurdes sur le territoire turc, les velléités d’indépendance, ou encore le contexte de misère économique et l’absence de solutions politiques renforcent cette organisation dans un ralliement s’étendant à l’Iran, à l’Irak et à la Syrie, ce qui peut devenir une menace sécuritaire pour Ankara. Ainsi, la poursuite des aménagements hydrauliques dans les cours syrien et turc du Tigre et de l’Euphrate ne fait que complexifier des relations interétatiques qui sont déjà bien assez complexes dans la région. La question de l’eau s’ajoute aux autres problèmes. Il n’est pas ici question d’envisager une guerre de l’eau comme le font certains experts. Nous avons déjà rejeté cette hypothèse. L’eau n’est qu’un facteur exacerbant, qui se greffe à d’autres questions géopolitiques, internes et internationales. Les deux pays d’aval, l’Irak et la Syrie, se trouvent placés dans une situation inconfortable de dépendance à l’égard de la Turquie. Les crises interétatiques se sont multipliées ces dernières années. Il est de plus difficile d’envisager rapidement un règlement satisfaisant pour les trois parties, les positions de principe défendues par chacune des parties étant très différentes. L’Irak estime que les deux fleuves sont internationaux et demande donc le respect des droits acquis. Il s’agit de respecter la consommation antérieure de chacun des Etats riverains et le partage équitable des ressources supplémentaires obtenues par des aménagements ultérieurs. Les positions turques et syriennes optent pour l’unicité du bassin, proposant que l’Irak prenne sa part de ressources sur le Tigre difficilement aménageable dans sa partie amont, et laisse la Syrie et la Turquie se servir dans les eaux de l’Euphrate. D’autres oppositions tout aussi 137 importantes existent, toutefois elles ne sont pas l’objet de notre mémoire . Suffit de noter que chacun considère la question des ressources en eau douce du point de vue qui lui est le plus bénéfique, et non d’un point de vue qui pourrait être bénéfique à l’ensemble des trois parties. A ce jour, il n’existe aucun accord régional régissant l’utilisation des eaux du bassin de l’Euphrate et du Tigre. Pourtant, depuis la chute de l’Empire ottoman et l’apparition des ces Etats nouvellement indépendants, des tentatives se sont manifestées, des arrangements temporaires…La position irakienne s’appuie sur le principe des droits acquis. L’Irak 136 Sophie Dumont et Foulques de la Motte de Broöns, L’eau au Proche Orient : enjeu stratégique et instrument de paix ; Défense nationale, 1995, p.121, cité par Christelle Dressayre, op.cit., p.58. 137 Pour plus de détails sur la question, voir par exemple Georges Mutin, l’eau dans le Monde Arabe, op.cit., p.79. Mondange Adrien - 2009 83 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL considère en effet que son utilisation ancestrale des eaux de l’Euphrate et du Tigre lui confère un droit acquis. Ainsi, le pays d’aval serait en droit d’exiger du pays d’amont un écoulement naturel des eaux du cours d’eau international. La position syrienne partage avec l’Irak sa position sur la nécessité de prendre en compte les « droits acquis » et d’évaluer de manière séparée les besoins en eau de chaque Etat du cours d’eau tout en répartissant la charge du déficit en eau sur les trois Etats du cours d’eau. En tant que pays d’amont, la Syrie a également eu recours initialement à la théorie de la souveraineté territoriale absolue pour justifier son utilisation de l’Euphrate vis-à-vis de l’Irak notamment. Quant à la Turquie, elle considère que le Tigre et l’Euphrate ne sont pas des cours d’eau internationaux, et qu’ils ne sont donc pas soumis à la règle de l’utilisation équitable et raisonnable qui constitue le fondement du droit relatif à l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation. La Turquie entend utiliser les eaux situées sur son territoire comme elle l’entend pour satisfaire ses besoins. L’Irak et la Syrie ont voté pour la Convention de 1997, ce qui montre au moins en apparence une volonté de coopérer de la part de ces Etats. Les deux pays considèrent que cette Convention constitue un progrès. La Turquie quant à elle redoute certainement que sa position s’affaiblisse si le règlement du différend qui l’oppose à la Syrie et à l’Irak avait comme assise la Convention de New York. Pourtant la Convention pose un cadre qui permettrait aux trois parties de régler leur différend en conciliant au maximum leurs intérêts. L’article 5 de la Convention pose en effet la règle selon laquelle si chaque Etat a droit, sur son territoire, à une part équitable et raisonnable des utilisations et des avantages du cours d’eau international, il a aussi l’obligation de ne pas priver les autres Etats du cours d’eau de leur utilisation équitable et raisonnable. La Turquie pourrait ainsi faire bénéficier la Syrie et l’Irak de l’aménagement de barrages à travers le projet G.A.P. De plus, le commentaire de l’article 5 de la C.D.I indique que parvenir à un résultat optimal ne signifie pas que l’Etat du cours d’eau qui dispose des moyens techniques et financiers pour mettre en place une utilisation rationnelle techniquement du moins doit avoir la priorité sur l’utilisation. Ainsi, les aménagements mis en place par la Turquie ne lui confèrent ils aucun droit de fait sur l’utilisation des eaux des cours d’eau internationaux. La Turquie, dans la poursuite de son utilisation optimale des eaux de l’Euphrate et du Tigre, doit s’assurer de leur protection et concilier les intérêts de l’Irak et de la Syrie - y compris les utilisations hydroélectriques – avec ses intérêts propres. De plus, l’article 6 qui énumère une liste non exhaustive de facteurs pertinents à prendre en compte dans la recherche d’un résultat équitable et raisonnable pourrait aider les trois Etats à concilier leurs intérêts. Par exemple, les besoins économiques et sociaux pourraient entrer en ligne de compte. De plus, la Syrie et l’Irak pourraient arguer que la Turquie possède par ailleurs d’autres options (article 6, paragraphe 1, alinéa g). Les eaux de l’Euphrate et du Tigre ne représentent en effet que 45% des ressources en eau disponibles dans ce pays. Il s’agit donc d’un problème qui théoriquement pourrait être pris en charge au moins à minima par la Convention de New York de 1997. Encore faut il que l’ensemble des Etats l’accepte… Sous section 2 Le Nil, source de vie…et de coopération Nous l’avons compris, les idées animant aujourd’hui le droit international de l’eau encouragent une gestion intégrée et commune des ressources transfrontalières à l’échelle des bassins hydrologiques. Nous l’avons vu précédemment, cette gestion commune n’est pas toujours mise en place, et nous avons donné l’exemple du bassin du Tigre et de l’Euphrate. Certains cas se montrent au contraire plus optimistes et font apparaître des tentatives de coopération. Selon de nombreux analystes, c’est le cas de l’Egypte. Khaled 84 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce 138 Dawoud, journaliste à Al-Ahram (Caire), a publié dans un numéro du courrier de l’Unesco un article intitulé « le dialogue, un don du Nil ». Il développe son idée en écrivant que « [le Nil] longtemps cause de discorde, devient l’objet d’un partenariat entre les Etats riverains ». Le plus long fleuve du monde draine sur ses 6671 km un immense bassin (2 870 000km²) partagé de façon inégale entre 10 Etats. Ce fleuve a été l’objet de nombreux aménagements successifs au cours de l’histoire. Son aménagement est ancien. L’Egypte, pays d’aval, a mis en valeur les eaux du Nil depuis plusieurs millénaires. Toutefois, à l’unité écologique qui imposerait plutôt un aménagement d’ensemble s’opposent des désaccords géopolitiques. A une asymétrie hydraulique (les pays d’amont et d’aval n’ont pas accès aux mêmes quantités d’eau) fait face une asymétrie géopolitique. Le bassin du Nil est également un théâtre géopolitique. Pour des raisons historiques, la puissance a longtemps été du côté de l’Egypte. Cet acteur aussi puissant soit il se situe en aval et son économie et sa survie sont fortement dépendants du grand fleuve. On estime que l’Egypte est dépendant à près de 95% des eaux du Nil pour son approvisionnement, le reste étant fourni par l’exploitation d’aquifères fossiles, et d’un peu d’eau de pluie sur les rives de la Méditerranée. Dès avant son indépendance en 1922, le pays a donc cherché à mettre en place une politique lui permettant de pérenniser son contrôle sur cette ressource. Le besoin de sécurité hydraulique en Egypte est devenu une obsession, car synonyme de survie tout simplement. Les tensions les plus notoires apparaissent bien souvent entre l’Egypte et l’Ethiopie. En 1906, un traité avait été conclu entre les Britanniques, alors puissance tutélaire de l’Egypte, et l’Ethiopie, selon lequel le gouvernement éthiopien ne pourrait modifier le régime du Nil sans l’accord de Londres. En 1929 puis en 1959, le gouvernement égyptien a signé deux traités le liant au gouvernement soudanais à propos de la répartition de l’ensemble des volumes disponibles du fleuve à partir du territoire soudanais, c'est-à-dire incluant les eaux du Nil blanc venant du Sud et celles du Nil bleu venant de l’Est. Durant les années 50, l’Egypte cherche par tous les moyens à réaliser le projet de barrage à Assouan. Ce barrage deviendra par ailleurs un symbole de la lutte contre le néocolonialisme et un chantier du socialisme. Quant à l’Ethiopie, pauvre et sous développée, elle subit depuis les années 70 des sécheresses régulières qui ont causé des millions de morts. En 1979, le Nil devint pour l’Egypte un enjeu prioritaire de sécurité nationale. Répondant au projet éthiopien d’exploiter sa plus précieuse ressource naturelle, le président égyptien Anouar al-Sadate déclarait que « seule la question de l’eau pourrait conduire l’Egypte à entrer de nouveau en guerre ». Ce ne sont là que des déclarations, mais pour l’instant nous avons cherché à décrire le cadre géopolitique, socio-économique. Ce cadre montre l’importance de la question de la répartition et de l’utilisation équitable et raisonnable des eaux du Nil. A ce jour, légalement seul l’Accord sur les eaux du Nil (Soudan, 1959) engage l’Egypte. L’Ethiopie n’est pas même pas mentionnée. Toutefois de plus en plus les arguments en faveur d’une répartition équitable des eaux du fleuve gagnent du terrain. En juillet 2000, au terme de cinq ans de négociations préliminaires, les dix Etats du bassin nilotique - parmi lesquels l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie – annonçaient qu’ils avaient obtenu le financement par la Banque mondiale d’une série d’études consacrées au partage équitable des eaux du fleuve. Mahmoud Abu Zied, alors ministre égyptien des travaux publics, avait déclaré que « Le Nil dispose d’un énorme potentiel encore inexploité. Sur tout son bassin, la population peut en espérer des avantages. Chaque pays peut prétendre à une part équitable des eaux 139 du fleuve sans dommage pour les autres Etats » . Cette formule n’est pas sans rappeler 138 Octobre 2001, p.30 139 Mahmoud Abu Zied, propos rapportés par Khaled Dawoud, le dialogue, un don du Nil, courrier de l’Unesco, octobre 2001, p.30. Mondange Adrien - 2009 85 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL les objectifs premiers de la Convention de New York de 1997, qui cherche à instaurer une « utilisation équitable et raisonnable » des cours d’eau internationaux. L’Egypte et l’Ethiopie ont longtemps utilisé d’autres doctrines afin de défendre leurs intérêts géopolitiques. Ainsi, la doctrine de l’Ethiopie repose sur le principe de la souveraineté territoriale, tandis que l’Egypte réplique en mettant en avant le principe de la première appropriation, selon des « droits historiques » que lui conférait son emploi séculaire des eaux du Nil. Le Caire se réfère notamment à la note E/ECE/L.36 de la Commission économique pour l’Europe de 1952, laquelle fait référence à de tels droits historiques pour écarter l’application de la Doctrine Harmon et préserver les « droits des autres Etats riverains sur les fleuves internationaux ». On peut toutefois douter de la pertinence de cet argument, la note étant ancienne, et la commission dont elle émane à vocation européenne. L’Egypte a ainsi développé l’argument d’une souveraineté implicite sur les eaux du Nil, souveraineté qui découlerait de ses prétendus droits historiques, enracinés dans l’histoire ancienne. Nous avons déjà discuté de la pertinence de cette doctrine plus haut. L’attitude de l’Ethiopie, qui a toujours cherché à bloquer les initiatives égyptiennes en matière de gestion des eaux du Nil, répond à son désir de faire reconnaître la nullité du traité soudano égyptien de 1959, et à ne pas donner de crédit à la doctrine égyptienne des « droits acquis ». Il est intéressant de constater à travers cet exemple à quel point les doctrines juridiques sont modulées pour servir les dessins géopolitiques particuliers. Les tensions entre l’Egypte et l’Ethiopie par exemple sont aussi des tensions religieuses. Face aux limites du régime juridique actuel régissant les eaux du Nil, la recherche d’un nouveau régime pose la question du rôle éventuel de la Convention des Nations Unies de 1997. L’accord de 1959 accorde en effet une priorité absolue aux utilisations existantes à travers la reconnaissance et la confirmation du principe des « droits acquis ». La Convention des Nations Unies offre aux dix Etats du Nil un cadre pour négocier un nouvel accord, qui contrairement aux accords passés leur permettra à tous de participer à l’utilisation, la mise en valeur et la protection du Nil de manière équitable et raisonnable. Toutefois seuls le Kenya et le Soudan ont voté pour la Convention. Le Burundi a voté contre, tandis que l’Egypte, l’Ethiopie, le Rwanda et la Tanzanie se sont abstenus de voter. La plupart de ces pays, qu’ils soient des pays d’amont ou d’aval, semblent reprocher à la Convention de ne pas établir l’équilibre des intérêts entre les Etats riverains en matière d’utilisation équitable des cours d’eau. Ainsi, l’Ethiopie ou la Tanzanie ont pu considérer que l’article 3 de la Convention (« accords de cours d’eau) consolide les accords existants, y compris ceux qui ne sont pas conformes aux principes fondamentaux qu’elle consacre. Comme dans les discussions générales, la question des rapports de force entre le principe de l’utilisation équitable et raisonnable établi aux articles 5 et 6 d’une part, et l’obligation de ne pas causer de dommages significatifs (article 7) d’autre part est sans doute le point sensible qui a déterminé le vote des principaux pays du Nil. L’Ethiopie (pays d’amont) explique ainsi qu’elle aurait préféré que soit établie la primauté de l’article 5 (« utilisation et participation équitables et raisonnables »). On retrouve ici une position classique pour un Etat d’amont. Quant à l’Egypte, pensant à sa position de pays d’aval, elle a fait observer que la Convention ne fait pas que codifier certaines des règles coutumières du droit international et que certaines de ses dispositions sont des règles nouvelles qui s’écartent du droit coutumier établi. L’Egypte refuse par conséquent de se voir appliquer les dispositions nouvelles. L’Egypte consacre également l’obligation de ne pas causer de dommages significatifs. Comme dans le cas du litige sur les eaux du Tigre et de l’Euphrate, l’un des points de résolution du conflit pourrait consister dans la production et le partage d’hydroélectricité. Les arguments de partage sont avant tout économiques. Ainsi, l’exploitation du potentiel hydro-électrique de l’Ethiopie et l’Ouganda pourrait contribuer au développement d’un marché régional d’électricité. Les 86 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce pays d’aval bénéficieraient ainsi de prix avantageux pour faire face à leurs besoins en énergie, et l’Egypte pourrait développer des secteurs de son économie susceptibles de lui 140 permettre d’abandonner progressivement les cultures à consommation intensives en eau . Notons que l’Egypte et le Soudan avaient dès 1991 signé un accord sur les eaux du Nil bleu et l’Atbara, dans lequel la référence aux principes d’utilisation équitable et d’échange d’information était explicite. Deux ans plus tard, l’Egypte et l’Ethiopie signaient un accord de coopération. D’après son article 5 chaque partie s’engage à utiliser ou aménager le fleuve de telle sorte qu’aucun « dommage appréciable » ne soit causé aux intérêts de l’autre partie. Les deux parties doivent également œuvrer pour « la protection et la conservation » des eaux du Nil. Enfin, l’Initiative du Bassin du Nil est en harmonie avec la Convention de New York de 1997. Ce mécanisme institutionnel récent se propose de réaliser un développement socio-économique durable du Nil, sur la base des principes d’utilisation équitable, d’absence de dommage significatif et de coopération. Section 2 L’eau et la paix au Proche Orient Nous avons vu que certaines situations au Proche Orient demandent à ce que la question du partage des ressources en eau douce soit réglée de façon équitable. Il s’agit d’un enjeu géopolitique, sécuritaire et humain essentiel. De même, l’eau est au cœur de certaines tensions dans cette région du monde, elle est un facteur stressant, qui soit empêche la résolution du conflit, mais qui le plus souvent l’exacerbe. Après avoir donné quelques pistes de réflexion sur plusieurs cas (sous section 1), nous nous concentrerons sur le cas d’Israël et de la Palestine (sous section 2). Sous section 1 l’eau dans le lit tumultueux de relations complexes Les tensions autour des ressources en eau douce sont particulièrement vives dans cette région du monde. L’essentiel des rivalités se nouent à propos de l’utilisation des nappes souterraines et des eaux du Jourdain et de ses affluents (notamment le Yarmouk) dont le bassin versant se partage entre quatre Etats : Le Liban, la Jordanie, La Syrie, Israël et les Territoires occupés. Le bassin du Jourdain comprend de plus d’autres sources d’eau, à savoir le lac de Tibériade et l’aquifère de la Montagne, qui constitue aujourd’hui un enjeu majeur dans le conflit israélo-palestinien. La répartition des eaux entre les entités territoriales reste très inégale. Alors que le Liban et la Syrie sont relativement bien dotés, les ressources jordaniennes sont précaires : le pays souffre de pénuries d’eau chroniques. George Mutin estime que les ressources en eau douce par habitant sont de 250m3/an/ 141 habitant, ce qui est une norme très basse . Quant à Israël, le réseau de distribution réalise l’interconnexion de l’eau à travers tout le pays à partir du lac de Tibériade. Les ressources en eau du pays sont faibles, et Israël consomme excessivement (la consommation dépasse largement les ressources en eau dont le pays dispose). Israël obtient l’eau du Jourdain avec des pompages dans le lac de Tibériade et dans la zone de confluence du Jourdain et du Yarmouk, utilise les nappes de Cisjordanie et les nappes littorales y compris celle de Gaza. La situation est préoccupante dans les Territoires occupés. C’est le pays dans lequel les quantités d’eau renouvelable sont les plus faibles : 267m3/an/habitant si on ne prend pas 142 en compte les prélèvements israéliens, seulement 70 dans le cas contraire . 140 141 142 El Hassane Maghfour, hydropolitique et droit international au Proche Orient, op.cit., p.309. Georges Mutin, l’eau dans le Monde Arabe, op.cit., p.83. Estimations de George Mutin. Mondange Adrien - 2009 87 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Dans la vallée du Jourdain l’eau est généralement abordée en termes de sécurité nationale. Les fleuves servent à établir des frontières entre des pays nouvellement indépendants, et tous les pays de cette région en situation de stress hydrique sont dépendants de cette ressource transfrontalière. L’eau intervient dans la définition de la sécurité alimentaire mais aussi territoriale, sur le plan interne et sur le plan international. Le bassin du Jourdain est « un espace marqué par des rapports de force exacerbés et une animosité politique. La logique du « jeu à somme nulle » qui prévaut dans ce bassin fait que 143 chaque acteur considère comme perte chaque gain obtenu par son riverain/rival » . Le partage et l’utilisation des eaux du Jourdain constituent un enjeu permanent des relations israélo arabes, et ce depuis la création de l’Etat d’Israël. Les militants sionistes ont dès le départ cherché à contrôler l’ensemble des eaux du Jourdain et celles du Litani. L’approche unilatérale est longtemps restée l’approche privilégiée, délaissant ainsi les possibilités de coopération régionale. Cette coopération régionale n’est apparue que dans les années 1950. Le Plan Main de 1953, principalement d’origine onusienne, suggère que les eaux du Jourdain ne doivent servir qu’à la mise en valeur de sa vallée. Ce principe est rejeté par les deux parties. Les Israéliens proposent alors le Plan Cotton (1954) et les Arabes le plan du comité technique arabe. Les divergences sont énormes. Alors que le plan arabe prévoit l’utilisation des eaux du Jourdain uniquement dans la vallée du fleuve, le plan israélien intègre les eaux du Litani et prévoit l’irrigation de régions, notamment le Néguev en dehors de la vallée du fleuve. Le plan Johnston (1955) prévoit un partage des eaux du Jourdain et de ses affluents entre les pays riverains selon des quotas bien précis. Ce plan avait réussi à obtenir un consensus au niveau technique entre les experts hydrauliques d’Israël, de Jordanie, de Syrie et du Liban, concernant les quantités d’eau que chaque riverain pouvait utiliser pour les besoins de ses plans de production agricole. Une utilisation équitable, du moins sur le plan agricole, semblait donc possible. Toutefois ce plan n’est pas un succès. La dimension politique est restée prédominante (la perception qu’avaient les Arabes d’Israël, ainsi que l’usage non restreint par les pays de l’eau qui leur était attribuée, y compris en dehors du bassin). De plus, cet échec montre que séparer le conflit de l’eau du conflit politique plus large ne semble pas avoir été une stratégie productive. La question de la Palestine a été passée sous silence. Aujourd’hui, le traité de paix du 26 octobre 1994 entre Israël et la Jordanie règle la question de l’eau entre ces deux Etats. L’article 6 paragraphe 2 du traité reconnaît le principe de l’utilisation équitable et raisonnable sans toutefois y faire 144 explicitement référence .Cet article stipule que « les Parties s’engagent à assurer que la gestion et le développement de leurs ressources en eau ne porteront atteinte en aucune manière aux ressources en eau de l’autre partie ». A travers cet article apparaît également le principe d’interdiction de dommage significatif. De plus, les parties se sont engagées à coopérer en matière d’échange de données et de recherche et développement pour les questions relatives à l’eau. La question de l’eau entre Israël et le Liban est également au cœur des relations interrégionales. Pour le Liban, l’eau du Litani et de ses influents revêt un triple intérêt puisqu’elle assure une majeure partie de l’approvisionnement en eau du pays, fournit de l’électricité et assure l’irrigation de l’agriculture du Liban-Sud. Toutefois, depuis le début du siècle les dirigeants sionistes ont souhaité que la frontière du futur Etat juif englobe le fleuve Litani. Cette région frontalière reste donc une région stratégique pour Israël du point de vue de ses ressources hydrauliques. La crise du Wazzani en septembre 2002 en est 143 144 El Hassane Maghfour, hydropolitique et droit international au Proche Orient, op.cit., p.35. Raye M. Stephan, le droit international de l’eau peut il aider à résoudre le cas du bassin du Jourdain ? Congrès International de Kaslik-Liban-18-20 juin 1998. 88 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce une illustration concrète. A l’origine de cette crise est un petit projet de pompage que le Liban a démarré sur cette rivière qui alimente le Hasbani, un des affluents qui alimente le Jourdain supérieur. Cet aménagement mineur est devenu une crise internationale. Israël a en effet menacé d’employer les armes si le Liban ne suspendait pas immédiatement le projet. Le litige a mobilisé l’ONU, les Etats Unis ainsi que l’Union Européenne. Cet arbitrage a permis temporairement un retour au calme, mais la situation reste sous tension. Il était toutefois indispensable pour le comité Wazzani (fondé par le Liban auprès de M. Rafic Hariri) de faire appel à des éléments de droit international pour fonder son argumentation. La Convention de 1997 n’ayant pas été ratifiée par Israël, les deux Etats ont préféré faire appel à un arbitrage international plutôt que d’appliquer le mode de règlement des différends établi par la Convention de New York (alors que les deux tiers des articles concernent le règlement des différends). Israël, bien que non signataire de la Convention de New York, l’a indirectement utilisée, reprochant au Liban de ne pas avoir manifesté par l’intermédiaire des Nations Unies sa volonté d’installer une station de pompage sur le Wazzani. La faible ampleur de cet aménagement ne nécessitait pas une notification, d’autant plus que l’Etat d’aval n’est pas parti à la Convention. La Jordanie est le pays du Moyen Orient le plus menacé de pénurie. Son déficit en eau a désormais atteint la cote d’alerte. La question de l’eau, liée à celle de l’environnement et de l’énergie, est l’une des trois têtes de chapitre des groupes de travail mis en place dans le cadre des négociations bilatérales israélo-jordaniennes. Le traité de paix de 1994 entre les deux pays a permis d’évoquer de nombreux projets. Lors des négociations à Oslo, une commission a été mise sur pied pour régler les aspects juridiques liés à la question de l’eau. Hormis les tensions entre les deux pays à propos des ressources en eau de la rive occidentale, les relations entre les pays ont également été mises à l’épreuve à propos de l’exploitation des eaux du Yarmouk. A plusieurs reprises (notamment en 1976 et en 1979) les Etats Unis durent intervenir pour proposer une médiation. Ce n’est qu’en 1994 que le traité de paix israélo jordanien sera signé, comportant l’un des plus célèbres accords de 145 partage de l’eau au monde . Cet accord comprend entre autres clauses des échanges inter-saisonniers d’eau entre les deux pays, la reconnaissance des droits de la Jordanie sur les eaux du Jourdain dont les eaux sont actuellement exploitées par Israël, ou encore la construction d’ouvrages. De manière plus générale, les différentes phases du conflit israélo-arabe devenu ensuite le conflit israélo palestinien montrent que l’eau a été une problématique majeure. Dans un mémoire réalisé en 1989 à l’IEP de Lyon, Laurent-Olivier Mallet affirmait que « les solutions liées au problème de l’eau ne peuvent être que politiques, puisqu’elles touchent aux intérêts des nations ou des communautés. Chaque pays peut envisager des solutions qui lui soient propres, comme on peut imaginer une tentative de règlement régional du 146 problème de l’eau. La seule limite aux choix politiques est la réalité hydraulique […] » . Selon nous il convient de nuancer cette affirmation. L’eau reste dans la région un enjeu politique, et dans l’état actuel du droit international il est peut être juste de dire que seule une volonté politique permettra de mettre fin à la crise de l’eau. Le droit international, bâti surtout par les Etats et pour eux, ne doit pas oublier non plus les individus. Le droit de l’eau 145 Pour de plus amples informations sur cette question, voir par exemple : Laurent-Olivier Mallet, Géopolitique de l’eau au Proche Orient, L’eau entre Israel et ses voisins : enjeux et stratégies, mémoire, IEP de Lyon, 1989-90, sous la direction de Georges Mutin pour une synthèse des accords concernant le Yarmouk ; voir aussi l’article un Jordanien qui se mouille, Amy Otchet, Courrier de l’Unesco, n°54, octobre 2001, p.22… 146 Laurent-Olivier Mallet, Géopolitique de l’eau au Proche Orient, L’eau entre Israel et ses voisins : enjeux et stratégies, mémoire, IEP de Lyon, 1989-90, sous la direction de Georges Mutin, p.54. Mondange Adrien - 2009 89 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL ainsi que le droit à l’eau doivent s’affirmer dans cette région. La Convention de New York de 1997 aurait pu aider dans ce type de situation, encore faudrait il réussir à dépasser le clivage politique essentiel et à instaurer au moins dans le cadre de cette négociation une atmosphère de confiance entre les deux Etats. Sur le plan politique, le dossier de l’eau est de toute première importance dans un éventuel règlement de la paix. La population dans la région ne cesse d’augmenter et les experts prévoient en outre de graves pénuries à venir. Le règlement ne peut être que régional par des transferts d’eau ou par le recours à des techniques coûteuses, comme le dessalement de l’eau de mer et le recyclage des eaux usées. Sous section 2 un cas extrême : Israël-Palestine Certaines lignes de conflit entre les deux protagonistes ont été soulevées plus haut, et nous n’y reviendrons donc pas. Il nous a toutefois semblé essentiel de revenir sur quelques éléments et d’ajouter quelques réflexions, sans quoi ces recherches sur le droit international des ressources en eau douce nous auraient semblé incomplètes. Ajoutons simplement que les aquifères de Cisjordanie et de Gaza constituent un enjeu majeur. Le déséquilibre entre Israéliens et Palestiniens en matière d’accès à l’eau ne se manifeste pas uniquement à travers le fossé qui sépare la consommation en eau des deux populations respectives, mais également en matière de diversité des sources d’accès à l’eau et des réseaux de distribution. L’importance hydraulique de la Cisjordanie réside principalement dans ses eaux souterraines .Ce territoire occupé constitue une zone de recharge majeure pour l’aquifère montagneux. Les estimations indiquent que 80 à 90% des eaux de cet aquifère proviennent des précipitations tombant sur les pentes de la Cisjordanie. Toutefois, les Israéliens bénéficient d’une situation privilégiée, et plusieurs auteurs s’accordent à dire que l’exploitation des aquifères faite pas Israël n’est rien de 147 moins qu’une illustration de la loi du plus fort . Malgré les négociations entamées avant le déclenchement de la seconde Intifada concernant le statut final des territoires palestiniens, Israël entend conserver la mainmise sur les ressources en eau de la Cisjordanie et du Golan. Les travaux des Nations Unies sur le sujet indiquent par ailleurs que l’application des lois israéliennes sur les Territoires occupés a entraîné des modifications quant aux usages légitimes de l’eau selon la législation de Gaza. La politique israélienne est conçue pour assurer en priorité un approvisionnement en eau suffisant aux colons juifs et au réseau hydraulique israélien. Le pompage massif des eaux de Cisjordanie et de la bande de Gaza par les colons israéliens, pompage associé à des technologies de plus en plus performantes permettant de capter des nappes de plus en plus profondes, a conduit à une détérioration qualitative et quantitative des eaux. Cette dégradation pourrait à terme devenir irréversible. Outre l’aspect sécuritaire déjà évoqué, les aspects géopolitiques sont ici évidents. Depuis 1967 Israël a utilisé ses gains hydro stratégiques pour augmenter sa consommation des eaux du Jourdain et interdire aux Palestiniens l’accès à certaines ressources en eau douce. La colonisation des territoires palestiniens, rendue possible en partie par les facilités de pompage et la maîtrise du réseau de distribution, permet d’imposer des restrictions à l’utilisation palestinienne de l’eau ainsi qu’une restriction du territoire que les palestiniens peuvent eux-mêmes occuper. En Cisjordanie, la quantité d’eau utilisée par les colons israéliens représente 40% de l’utilisation palestinienne, ce qui signifie que chaque colon dispose de 5 à 6 fois plus d’eau qu’un Palestinien. Israël dispose également du pouvoir 147 Voir par exemple Georges Mutin, l’eau dans le monde arabe, op.cit., p.93 ; Hélène Willart, le droit international de l’eau et son rôle dans l’élaboration de la paix, op.cit., p.86. 90 Mondange Adrien - 2009 Partie II L’apport et la pertinence du droit international dans la gestion des ressources en eau douce d’imposer les prix de l’eau. Israël subventionne en effet fortement l’eau agricole, ce qui n’incite pas les colons à restreindre l’usage de cette ressource. La politisation de cet enjeu en fait un problème extrêmement difficile à résoudre particulièrement dans cette région du monde. L’Etat d’Israël n’est pas prêt à accepter un règlement politique de la question palestinienne qui le priverait de tout contrôle des ressources en eau de la Cisjordanie. Cette éventualité avait bien été soulevée pendant les négociations de Camp David, mais Israël a clairement réaffirmé son refus d’accepter une autonomie des territoires en matière d’eau. Pour Amir Shapira, « il était inconcevable qu’Israël n’inclue pas dans son plan d’autonomie des clauses qui empêchent l’éclosion d’une situation où il se trouverait impuissant face à des éléments locaux qui, bénéficiant de fonds d’origine étrangère, procèderaient à des forages profonds afin de pomper l’eau des nappes aquifères […] de la Samarie occidentale, qui fournissent le tiers environ de l’eau 148 consommée par Israël et qui sont alimentées par les eaux des montagnes de Samarie » . Les enjeux sont complexes et ils sont interdépendants. L’intérêt de la Convention de New York de 1997 peut être analysé à travers cet exemple qui reste pour l’instant le plus complexe et le plus alarmant. L’immense écart de puissance entre entre Israël et la Palestine entrave toute possibilité de négociation. Le rapport de force, qu’il soit économique, technologique ou encore militaire, renforcé par l’attitude de la communauté internationale, est très inégal. Or la coopération ne pourrait s’établir que sur la base de l’égalité des parties. Un autre problème est le fait que la Convention de New York exclue de son application les nappes souterraines confinées, qui constituent la principale source d’eau contestée. Notons qu’il n’existe pas de comité indépendant d’experts à même de déterminer la nature des ressources en jeu et les caractéristiques pertinentes. Seuls les soldats de l’armée israélienne contrôlent l’information qui relève de la sécurité nationale. Une évaluation des besoins serait nécessaire afin de procéder à un partage équitable et raisonnable. Les Israéliens ne peuvent pas continuer à exploiter l’immense majorité des ressources en eau douce, de même que la demande des Palestiniens d’inverser complètement les proportions d’utilisation n’est peut être pas juste en considération de ce principe non plus. Il s’agirait de prendre en compte différents facteurs de la doctrine de l’utilisation équitable et raisonnable (que l’on retrouve à la fois dans les règles d’Helsinki et dans le projet de la CDI), parmi lesquels les attributs naturels des sources d’eau, les usages existants, les besoins économiques et sociaux..., tout en considérant l’article 10 (2) de la Convention qui s’applique « en ca de conflit entre des utilisations ». Il s’agirait également de se demander la place à accorder au principe de l’utilisation équitable et raisonnable, tout en tenant compte de l’interdiction de causer des dommages appréciables. En effet, si même au plan environnemental l’interdiction de causer des dommages appréciables est soumise au principe de l’utilisation équitable, il faut toutefois bien garder à l’esprit que l’usage des ressources est déjà excessif car il dépasse la capacité de recharge du cycle hydrologique dans la région. Il faut également mettre sur la balance les besoins humains de base. Qu’il s’agisse de l’estimation des besoins socioéconomiques sur la base de la population, des besoins agricoles de base ou du degré de développement, tous ces facteurs penchent en faveur d’une réallocation vers les Palestiniens. 148 Amir Shapira, Water Specialists Warn that Autonomy in the West Bank will expose Israel to the danger of Loss of Water Reserves, Al Hamishar, 25 juin 1978, cité dans Politique d’Israël en ce qui concerne les ressources en eau de la Rive Occidentale, à l’intention du et sous la direction du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du people palestinien, Nations Unies, 1980, p.5. Mondange Adrien - 2009 91 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Ainsi, l’examen de la pertinence de quelques principes de fond, notamment l’utilisation équitable et raisonnable, montre que ceux-ci demeurent rhétoriques puisque les conditions préalables nécessaires à leur mise en œuvre demeurent insuffisantes. La réalisation de ces conditions dépend une fois encore de la volonté politique des protagonistes, ce qui nous renvoie à la question du caractère contraignant des normes en vigueur en ce qui concerne le droit international des ressources en eau douce. Ces études de cas font apparaître l’idée que le droit international et la paix sont liés, mais que leur relation peut prendre deux tournures différentes. En effet, on pourrait considérer que pour appliquer le droit international, la paix doit régner, et donc que l’application laborieuse du droit international résulte des climats conflictuels qui règnent dans certaines parties du monde. Toutefois, mais cela reste bien entendu conditionné à une volonté politique, on pourrait soutenir la version selon laquelle le droit international est un facteur de paix. Les traités et les conventions internationales peuvent progressivement instaurer sur certains points une habitude de négociation et de coopération. L’interdépendance entre les Etats, qui est une théorie développée en relations internationales par les libéraux, pourrait être une interdépendance envisagée non seulement sur un plan économique mais aussi sur un plan juridique. Il s’agirait pour cela de s’assurer des bases solides du droit international, et le cas échéant les remettre en cause. Le bilan de la pacification au Proche Orient en référence au droit international reste pour l’instant maigre, du fait de l’instabilité des engagements, et parce que les accords ont été signés sans véritable volonté politique de changement. De toute façon, le règlement de certaines situations ne peut passer que par la négociation. La paix au Proche Orient n’est certainement possible que par la négociation, même si pour l’instant ce sont les plus forts qui l’emportent sur les autres. L’on pourrait pousser le raisonnement plus loin, en supposant que le règlement d’un conflit pour l’utilisation de l’eau puisse pousser les belligérants à négocier, et traiter ainsi d’autres thématiques. Les accords de paix entre Israël et l’Egypte en 1979 et entre Israël et la Jordanie en 1994 l’illustrent bien. Ces accords ne portaient pas initialement sur la question de l’eau, pourtant celle-ci est traitée dans les accords. 92 Mondange Adrien - 2009 Conclusion Conclusion Notre étude a révélé les difficultés inhérentes au partage des ressources en eau douce. Le droit international dont l’objectif premier reste la prévention et, le cas échéant, la résolution des conflits interétatiques, doit concilier des intérêts antagonistes. L’eau est un élément que les Etats ont pendant longtemps considéré comme une ressource naturelle classique, et ont ainsi considéré qu’ils pouvaient la traiter en Etats souverains. Une telle approche n’est aujourd’hui plus envisageable, c’est la raison pour laquelle la souveraineté des Etats doit être limitée. Affirmer la souveraineté totale d’un Etat sur ses ressources en eau douce, c’est priver un autre Etat d’une ressource vitale pour son activité économique, sa population. La mise en place de la Convention de New York de 1997 relative aux utilisations des cours d’eau à des fins autres que la navigation cherche à répondre à la problématique de la répartition des ressources en eau douce. Il s’agit d’un texte consacrant l’aboutissement d’un long travail qui a notamment servi à cristalliser l’évolution coutumière, tout en essayant dans le même temps de ne pas laisser de côté le développement du droit international en la matière. Nous l’avons dit, le mythe de la guerre de l’eau est à relativiser dans la mesure où les situations conflictuelles autour des ressources en eau partagées ne dégénèrent pratiquement jamais en conflit armé, le partage des ressources en eau ne restant qu’un élément alimentant certains conflits parmi d’autres, mais ne constituant en aucun cas la seule cause du conflit. D’après Jacques Bethmont, « il se peut qu’il n’y ait pas dans un avenir prévisible de « guerres » de l’eau au sens convenu du terme, avec ultimatum et rappel d’ambassadeurs, mais les incidents de frontière, les luttes intestines, les procès d’intention, voire les exactions caractérisées sont là et iront sans doute en se multipliant, l’eau étant 149 tour à tour la cause, le prétexte ou l’une des composantes de ces multiples troubles » . De plus en plus d’instruments se développent à l’échelle internationale pour aider les Etats à concilier leurs intérêts de manière pacifique. Si les tensions interétatiques subsistent aujourd’hui au sujet du difficile partage des ressources en eau, la voie de la concertation se développe. La communauté internationale prend conscience progressivement que seuls des instruments de concertation sont à même d’apporter une réponse précise et la plus juste possible à un problème aussi important. La mise en place de tels instruments n’allait pas de soi, et nous avons montré que le droit international de l’eau est un droit évolutif, qui se construit en réponse à des problèmes précis et peine à rassembler une majorité d’Etats sur beaucoup de points. L’eau peut en quelque sorte toujours être perçue comme un enjeu de pouvoir et les cours d’eau internationaux des espaces géopolitiques dans lesquels s’affrontent les souverainetés étatiques. C’est en tout cas la vision la plus pessimiste que l’on puisse adopter, car elle signifie que les communautés d’intérêt ne fonctionnent pas et ne s’appliquent pas en ce qui concerne le partage des ressources en eau douce. Selon Sylvie Paquerot, « les contradictions, toujours plus importantes avec la diversification et l’augmentation des usages de l’eau, entre intérêts particuliers des Etats et exigences de gestion intégrée d’une ressource par nature commune, ont empêché la cristallisation de 149 Bethmont, Jacques, Les grands fleuves. Armand Colin, Paris : 1999, p.208, cité par WILLART, Hélène, op.cit, p.119. Mondange Adrien - 2009 93 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL principes cohérents avec la réalité, fondés sur une communauté d’intérêts de tous les 150 riverains, bien que ceux-ci aient trouvé à s’exprimer largement dans la doctrine » . Les concepts juridiques visant à qualifier cette ressource vitale en droit international restent aujourd’hui encore imprécis. Les travaux préparatoires et les débats de la Commission de Droit International ayant finalement conduit à l’élaboration de la Convention de New York de 1997 ont fait apparaître des antagonismes forts, la conceptualisation de l’objet en elle-même recélant des enjeux quant à sa considération juridique et aux normes qui s’y appliquent. L’une des difficultés dans l’utilisation du texte de la Convention de New York est relative à l’interprétation qu’en font les Etats riverains d’un fleuve international. La Convention pose en effet des principes pour des principes tels que l’obligation de coopérer, l’interdiction de causer un dommage significatif, ou encore l’utilisation équitable et raisonnable. Ces principes visent à permettre un partage équitable dans les meilleures conditions possibles. Toutefois ces principes restent soit vagues soit imprécis et soumis à l’interprétation variable que peuvent en faire les Etats concernés. La conciliation entre le principe de l’utilisation équitable et raisonnable et l’interdiction de causer un dommage significatif est complexe et traduit l’antagonisme récurrent entre Etats d’amont et Etats d’aval, les premiers ayant tendance à privilégier l’utilisation équitable et raisonnable tandis que les seconds mettront généralement l’accent sur l’interdiction de causer des dommages significatifs. Aucun étalon de mesure ni aucune piste concrète n’est donnée dans le texte de la Convention pour aider à défendre l’instauration d’un usage équitable qui ne cause pas de dommages significatifs aux Etats d’aval. Toutefois cet instrument qu’est la Convention témoigne incontestablement d’une prise de conscience de la communauté d’internationale et de la volonté d’œuvrer à la mise en place de solutions. D’ailleurs cet instrument a pu être repris dans des traités et accords régionaux. Ceux-ci ont l’avantage d’être mis en place dans un cadre précis et peuvent donc aller plus loin que la Convention elle-même, marquant ainsi une réelle volonté des Etats de parvenir à une solution juste. Certains aspects inhérents à la répartition des ressources en eau douce sont encore mal pris en compte, et des vides juridiques criants sont apparus au fil de notre étude. Le système de règlement des différends est encore peu contraignant - pas assez contraignant -, les préoccupations environnementales peuvent sembler encore trop lointaines et certaines ressources particulières ne font l’objet d’un traitement qu’à la marge. En effet, les aquifères qui constituent pourtant une ressource en eau douce essentielle sur notre planète ne sont que partiellement pris en compte, voire pas du tout pour certains. Il aura fallu attendre le 11 e décembre 2008 pour que la 63 session de l’Assemblée Générale des Nations Unies adopte une résolution de soutien à un projet d’articles sur le droit des aquifères transfrontaliers adopté en juin 2006. Le travail législatif est encore loin d’être terminé, et même la forme définitive que devra prendre ce projet n’est pas arrêtée. Il s’écoulera encore du temps avant que ce projet ne produise des effets notoires. De plus, nous pouvons déplorer l’absence de référence à un droit humain à l’eau dans les textes internationaux. Le concept de droit humain n’apparaît nulle part associé à la Convention, que ce soit dans le corps même ou encore dans les commentaires intégrés au projet de la CDI. La Convention ne créé aucune obligation pour les Etats d’agir au plan national. L’affirmation des besoins humains essentiels ne s’accompagne d’aucune obligation juridique de protection, de promotion ou encore de mise en œuvre d’un droit humain correspondant. Toutefois notre étude n’a pas mis en lumière que des aspects négatifs ou des critiques adressées au droit international de l’eau. En effet, nous l’avons dit, la communauté internationale prend conscience de l’importance de la construction de cette matière du droit 150 94 Sylvie Paquerot, eau douce, op.cit, p.232. Mondange Adrien - 2009 Conclusion international et tend progressivement à limiter la souveraineté étatique. On peut toujours avancer que la limitation de la souveraineté est insuffisante, mais on ne peut pas réellement affirmer avec force que cette limitation est inexistante. La solidarité est susceptible de revêtir un aspect juridique, et ce grâce à la mise en avant de principes de coopération, grâce à la définition de communautés d’intérêts. Si chacun cherche à défendre ses propres intérêts, en revanche de plus en plus d’Etats comprennent la nécessité de résoudre un tel problème de façon concertée, même si cela semble extrêmement complexe tant les rapports de force dans certaines régions du monde sont particulièrement inégaux. Il en est ainsi par exemple au Proche-Orient. L’eau y est une ressource d’autant plus stratégique qu’elle est inégalement répartie et relativement rare. Les arrangements sont parfois seulement temporaires et trahissent la supériorité d’un Etat ou d’un groupe d’Etats sur un autre. Certaines situations semblent particulièrement complexes. C’est le cas de la répartition des ressources en eau douce entre Israël et la Palestine. En dépit de cette réalité les Etats disposent d’outils qui peuvent leur permettre de résoudre leurs différends hydrauliques. De nombreux intérêts doivent être pris en compte, comme les intérêts économiques, politiques, les intérêts vitaux des populations en cause, des intérêts stratégiques ayant trait à la défense nationale. L’eau est dans cette région un facteur exacerbant les tensions déjà existantes. Le droit international peut certainement être utilisé par les Etats pour parvenir à une solution. Le droit international de l’eau doit encore aller plus loin, en renforçant les contraintes pouvant s’appliquer aux Etats, en supprimant certaines zones d’ombre et en intégrant des notions essentielles notamment en ce qui concerne les droits applicables aux personnes. L’eau est devenue un enjeu géostratégique mondial et régional. Le droit international de l’eau est confronté à un défi important, défi qu’il tente de relever en instaurant un système de solidarité entre les Etats et en réduisant la part de la souveraineté étatique dans la gestion des ressources en eau douce. Aucune étude concernant la répartition des ressources en eau douce ne serait complète sans la prise en compte de la volonté politique. D’après Jochen Sohnle, le XXIe siècle pourrait s’annoncer, « faute de respect par les Etats de certains principes conciliateurs tels 151 que le principe de solidarité, comme celui des conflits sur l’eau » . Si le droit international contient des normes intéressantes, il reste que la volonté politique nécessaire pour leur application effective n’est pas toujours au rendez-vous. Tout accord sur le partage d’eaux internationales requiert préalablement une entente qui ne peut venir que d’une volonté politique, sans laquelle le droit international de l’eau serait condamné à rester caduque. 151 Jochen Sonhle, le droit international des ressources en eau douce, op.cit, p. 467. 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Durant l'élaboration du projet de convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, le Président du Groupe de travail plénier a pris note des déclarations d'accord ci-après relatives aux textes du projet de convention : En ce qui concerne l'article premier : a) La notion de "préservation" visée dans cet article et dans la Convention englobe celle de "conservation"; b) La présente Convention ne s'applique à l'utilisation des ressources biologiques des cours d'eau internationaux que dans la mesure prévue dans la quatrième partie et pour autant que d'autres utilisations du cours d'eau affectent ces ressources. En ce qui concerne l'article 2 c) : L'expression "État du cours d'eau" est utilisée dans la présente Convention comme un terme de l'art. Bien que cette disposition prévoie que tant les États que les organisations d'intégration économique régionale peuvent entrer dans cette définition, il a été reconnu que rien dans cet alinéa ne peut être considéré comme impliquant que les organisations d'intégration économique régionale ont le statut d'État en droit international. En ce qui concerne l'article 3 : a) La présente Convention servira de cadre aux futurs accords relatifs aux cours d'eau et, une fois que de tels accords seront conclus, elle ne modifiera en rien les droits et obligations qui y seront prévus, sauf stipulation contraire desdits accords. b) Le mot "significatif" n'est pas employé dans le présent article ni dans aucune autre disposition de la présente Convention dans le sens de "considérable". Ce qu'il faut éviter, ce sont les accords localisés ou les accords concernant un projet ou un programme particulier ou une utilisation particulière qui portent atteinte de façon significative à l'utilisation des eaux par des États tiers du cours d'eau. Bien qu'un tel effet doive pouvoir être établi par des Mondange Adrien - 2009 103 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL constatations objectives et ne doit pas être par nature négligeable, il n'est pas nécessaire qu'il atteigne un degré considérable. En ce qui concerne l'article 6 1) e) : Afin de déterminer si telle ou telle utilisation est équitable et raisonnable, il faudrait prendre en considération aussi bien les avantages que les inconvénients de l'utilisation considérée. En ce qui concerne l'article 7 2) : Dans la mesure où les mesures requises par l'article 7 2) n'éliminent pas le dommage, les mesures requises par l'article 7 2) seront prises pour atténuer le dommage. En ce qui concerne l'article 10 : Pour apprécier la satisfaction des "besoins humains essentiels", il faut s'intéresser en particulier à la fourniture d'eau en quantité suffisante pour la vie humaine, qu'il s'agisse de l'eau potable ou de l'eau à réserver aux productions vivrières destinées à empêcher la famine. En ce qui les articles 21, 22 et 23 : Ainsi que la Commission du droit international le fait observer dans son commentaire, ces articles mettent une obligation de diligence voulue à la charge des États du cours d'eau. En ce qui concerne l'article 28 : La référence expresse aux "organisations internationales" ne vise nullement à remettre en cause l'importance d'une coopération, selon que de besoin, avec les organisations internationales compétentes dans les matières traitées dans d'autres articles et, en particulier, dans les articles de la quatrième partie. En ce qui concerne l'article 29 : Cette disposition sert à rappeler que les principes et règles du droit international applicables aux conflits armés internationaux et non internationaux renferment des dispositions importantes concernant les cours d'eau internationaux et ouvrages connexes. Les principes et règles du droit international applicables dans telle ou telle situation sont ceux qui lient les États concernés. De même qu'il n'altère ni ne modifie le droit existant, l'article 29 n'a pas pour objet d'étendre l'applicabilité d'un instrument à des États qui ne seraient pas parties à cet instrument. *** Pendant toute la durée de l'élaboration du projet de Convention, il a été fait mention des commentaires relatifs aux projets d'articles que la Commission du droit international a formulés pour préciser le contenu des articles. 9. À sa 62e séance, le 4 avril 1997, le Groupe de travail a adopté au moyen d'un vote le projet de convention qui figure au paragraphe 10 ci-dessous. III. RECOMMANDATION DU GROUPE DE TRAVAIL PLÉNIER 10. Le Groupe de travail plénier recommande à l'Assemblée générale d'adopter le projet de convention ci-après : Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation Les Parties à la présente Convention, 104 Mondange Adrien - 2009 ANNEXES Conscientes de l'importance des cours d'eau internationaux et de leurs utilisations à des fins autres que la navigation dans de nombreuses régions du monde, Ayant à l'esprit le paragraphe 1 a) de l'Article 13 de la Charte des Nations Unies, qui dispose que l'Assemblée générale provoque des études et fait des recommandations en vue d'encourager le développement progressif du droit international et sa codification, Considérant qu'une codification et un développement progressif adéquats de règles du droit international régissant les utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation contribueraient à la promotion et à la mise en oeuvre des buts et principes énoncés aux Articles premier et 2 de la Charte, Tenant compte des problèmes affectant de nombreux cours d'eau internationaux qui résultent, entre autres, de l'accroissement de la consommation et de la pollution, Convaincues qu'une Convention-cadre permettra d'utiliser, de mettre en valeur, de conserver, de gérer et de protéger les cours d'eau internationaux, ainsi que d'en promouvoir l'utilisation optimale et durable au bénéfice des générations actuelles et futures, Affirmant l'importance de la coopération internationale et du bon voisinage dans ce domaine, Conscientes de la situation et des besoins particuliers des pays en développement, Rappelant les principes et recommandations adoptés par la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement, tenue en 1992, dans la Déclaration de Rio et Action 21, Rappelant également les accords bilatéraux et multilatéraux régissant les utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, Ayant à l'esprit la contribution précieuse des organisations internationales, gouvernementales comme non gouvernementales, à la codification et au développement progressif du droit international dans ce domaine, Satisfaites de l'oeuvre accomplie par la Commission du droit international concernant le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, Gardant à l'esprit la résolution 49/52 de l'Assemblée générale des Nations Unies en date du 9 décembre 1994, Sont convenues de ce qui suit : PREMIÈRE PARTIE. INTRODUCTION Article premier Champ d'application de la présente Convention 1. La présente Convention s'applique aux utilisations des cours d'eau internationaux et de leurs eaux à des fins autres que la navigation et aux mesures de protection, de préservation et de gestion liées aux utilisations de ces cours d'eau et de leurs eaux. 2. La présente Convention ne s'applique à l'utilisation des cours d'eau internationaux aux fins de la navigation que dans la mesure où d'autres utilisations ont une incidence sur la navigation ou sont affectées par elle. Article 2 Expressions employées Aux fins de la présente Convention : Mondange Adrien - 2009 105 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL a) L'expression "cours d'eau" s'entend d'un système d'eaux de surface et d'eaux souterraines constituant, du fait de leurs relations physiques, un ensemble unitaire et aboutissant normalement à un point d'arrivée commun; b) L'expression "cours d'eau international" s'entend d'un cours d'eau dont les parties se trouvent dans des États différents; c) L'expression "État du cours d'eau" s'entend d'un État partie à la présente Convention dans le territoire duquel se trouve une partie d'un cours d'eau international ou d'une Partie qui est une organisation d'intégration économique régionale dans le territoire d'un ou plusieurs États membres de laquelle se trouve une partie d'un cours d'eau international, d) L'expression "organisation d'intégration économique régionale" s'entend de toute organisation créée par les États souverains d'une région donnée, à laquelle ses États membres ont cédé leur compétence à raison des questions régies par la présente Convention et qui est dûment autorisée conformément à ses procédures internes à signer, à ratifier, à accepter ou à approuver la Convention ou à y adhérer. Article 3 Accords de cours d'eau 1. À moins que les États du cours d'eau n'en soient convenus autrement, la présente Convention ne modifie en rien les droits ou obligations résultant pour ces États d'accords en vigueur à la date à laquelle ils sont devenues parties à la présente Convention. 2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les Parties à des accords visés au paragraphe 1 peuvent, si besoin est, envisager de mettre lesdits accords en harmonie avec les principes fondamentaux de la présente Convention. 3. Les États du cours d'eau peuvent conclure un ou plusieurs accords, ci-après dénommés "accords de cours d'eau", qui appliquent et adaptent les dispositions de la présente Convention aux caractéristiques et aux utilisations d'un cours d'eau international particulier ou d'une partie d'un tel cours d'eau. 4. Lorsqu'un accord de cours d'eau est conclu entre deux ou plusieurs États du cours d'eau, il doit définir les eaux auxquelles il s'applique. Un tel accord peut être conclu pour un cours d'eau international tout entier, ou pour une partie quelconque d'un tel cours d'eau, ou pour un projet ou un programme particulier, ou pour une utilisation particulière, dans la mesure où cet accord ne porte pas atteinte, de façon significative, à l'utilisation des eaux du cours d'eau par un ou plusieurs États du cours d'eau sans le consentement exprès de cet État ou ces États. 5. Lorsqu'un État du cours d'eau estime qu'il faudrait adapter et appliquer les dispositions de la présente Convention en raison des caractéristiques et des utilisations d'un cours d'eau international particulier, les États du cours d'eau se consultent en vue de négocier de bonne foi dans le but de conclure un accord ou des accords de cours d'eau. 6. Lorsque certains États du cours d'eau d'un cours d'eau international particulier, mais non pas tous, sont parties à un accord, aucune disposition de cet accord ne porte atteinte aux droits et obligations qui découlent de la présente Convention pour les États du cours d'eau qui n'y sont pas parties. Article 4 Parties aux accords de cours d'eau 106 Mondange Adrien - 2009 ANNEXES 1. Tout État du cours d'eau a le droit de participer à la négociation de tout accord de cours d'eau qui s'applique au cours d'eau international tout entier et de devenir partie à un tel accord, ainsi que de participer à toutes consultations appropriées. 2. Un État du cours d'eau dont l'utilisation du cours d'eau international risque d'être affectée de façon significative par la mise en oeuvre d'un éventuel accord de cours d'eau ne s'appliquant qu'à une partie du cours d'eau, ou à un projet ou programme particulier, ou à une utilisation particulière, a le droit de participer à des consultations sur cet accord et, le cas échéant, à sa négociation de bonne foi afin d'y devenir partie, dans la mesure où son utilisation du cours d'eau en serait affectée. DEUXIÈME PARTIE. PRINCIPES GÉNÉRAUX Article 5 Utilisation et participation équitables et raisonnables 1. Les États du cours d'eau utilisent sur leurs territoires respectifs le cours d'eau international de manière équitable et raisonnable. En particulier, un cours d'eau international sera utilisé et mis en valeur par les États du cours d'eau en vue de parvenir à l'utilisation et aux avantages optimaux et durables -- compte tenu des intérêts des États du cours d'eau concernés -- compatibles avec les exigences d'une protection adéquate du cours d'eau. 2. Les États du cours d'eau participent à l'utilisation, à la mise en valeur et à la protection d'un cours d'eau international de manière équitable et raisonnable. Cette participation comporte à la fois le droit d'utiliser le cours d'eau et le devoir de coopérer à sa protection et à sa mise en valeur, comme prévu dans les présents articles. Article 6 Facteurs pertinents pour une utilisation équitable et raisonnable 1. L'utilisation de manière équitable et raisonnable d'un cours d'eau international au sens de l'article 5 implique la prise en considération de tous les facteurs et circonstances pertinents, notamment : a) Les facteurs géographiques, hydrographiques, hydrologiques, climatiques, écologiques et autres facteurs de caractère naturel; b) Les besoins économiques et sociaux des États du cours d'eau intéressés; c) La population tributaire du cours d'eau dans chaque État du cours d'eau; d) Les effets de l'utilisation ou des utilisations du cours d'eau dans un État du cours d'eau sur d'autres États du cours d'eau; e) Les utilisations actuelles et potentielles du cours d'eau; f) La conservation, la protection, la mise en valeur et l'économie dans l'utilisation des ressources en eau du cours d'eau ainsi que les coûts des mesures prises à cet effet; g) L'existence d'autres options, de valeur comparable, susceptibles de remplacer une utilisation particulière, actuelle ou envisagée. 2. Dans l'application de l'article 5 ou du paragraphe 1 du présent article, les États du cours d'eau intéressés engagent, si besoin est, des consultations dans un esprit de coopération. 3. Le poids à accorder à chaque facteur est fonction de l'importance de ce facteur par rapport à celle d'autres facteurs pertinents. Pour déterminer ce qu'est une utilisation Mondange Adrien - 2009 107 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL raisonnable et équitable, tous les facteurs pertinents doivent être examinés ensemble et une conclusion tirée sur la base de l'ensemble de ces facteurs. Article 7 Obligation de ne pas causer de dommages significatifs 1. Lorsqu'ils utilisent un cours d'eau international sur leur territoire, les États du cours d'eau prennent toutes les mesures appropriées pour ne pas causer de dommages significatifs aux autres États du cours d'eau. 2. Lorsqu'un dommage significatif est néanmoins causé à un autre État du cours d'eau, les États dont l'utilisation a causé ce dommage prennent, en l'absence d'accord concernant cette utilisation, toutes les mesures appropriées, en prenant en compte comme il se doit les dispositions des articles 5 et 6 et en consultation avec l'État affecté, pour éliminer ou atténuer ce dommage et, le cas échéant, discuter de la question de l'indemnisation. Article 8 Obligation générale de coopérer 1. Les États du cours d'eau coopèrent sur la base de l'égalité souveraine, de l'intégrité territoriale, de l'avantage mutuel et de la bonne foi en vue de parvenir à l'utilisation optimale et à la protection adéquate du cours d'eau international. 2. Pour arrêter les modalités de cette coopération, les États du cours d'eau peuvent, s'ils le jugent nécessaire, envisager de créer des mécanismes ou commissions mixtes en vue de faciliter la coopération touchant les mesures et procédures appropriées compte tenu de l'expérience acquise à la faveur de la coopération dans le cadre des mécanismes et commissions mixtes existant dans diverses régions. Article 9 Échange régulier de données et d'informations 1. En application de l'article 8, les États du cours d'eau échangent régulièrement les données et les informations aisément disponibles sur l'état du cours d'eau, en particulier celles d'ordre hydrologique, météorologique, hydrogéologique, écologique et concernant la qualité de l'eau, ainsi que les prévisions s'y rapportant. 2. Si un État du cours d'eau demande à un autre État du cours d'eau de fournir des données ou des informations qui ne sont pas aisément disponibles, cet État s'emploie au mieux de ses moyens à accéder à cette demande, mais il peut subordonner son acquiescement au paiement, par l'État auteur de la demande, du coût normal de la collecte et, le cas échéant, de l'élaboration de ces données ou informations. 3. Les États du cours d'eau s'emploient au mieux de leurs moyens à collecter et, le cas échéant, à élaborer les données et informations d'une manière propre à en faciliter l'utilisation par les autres États du cours d'eau auxquels elles sont communiquées. Article 10 Rapport entre les utilisations 1. En l'absence d'accord ou de coutume en sens contraire, aucune utilisation d'un cours d'eau international n'a en soi priorité sur d'autres utilisations. 2. En cas de conflit entre des utilisations d'un cours d'eau international, le conflit est résolu eu égard aux articles 5 à 7, une attention spéciale étant accordée à la satisfaction des besoins humains essentiels. 108 Mondange Adrien - 2009 ANNEXES TROISIÈME PARTIE. MESURES PROJETÉES Article 11 Renseignements sur les mesures projetées Les États du cours d'eau échangent des renseignements, se consultent et, si nécessaire, négocient au sujet des effets éventuels des mesures projetées sur l'état d'un cours d'eau international. Article 12 Notification des mesures projetées pouvant avoir des effets négatifs Avant qu'un État du cours d'eau mette en oeuvre ou permette que soient mises en oeuvre des mesures projetées susceptibles d'avoir des effets négatifs significatifs pour les autres États du cours d'eau, il en donne notification à ces derniers en temps utile. La notification est accompagnée des données techniques et informations disponibles y compris, le cas échéant, les résultats de l'étude d'impact sur l'environnement, afin de mettre les États auxquels elle est adressée à même d'évaluer les effets éventuels des mesures projetées. […] Article 17 Consultations et négociations concernant les mesures projetées 1. Quand une communication faite en vertu de l'article 15 indique que la mise en oeuvre des mesures projetées serait incompatible avec les dispositions des articles 5 ou 7, l'État auteur de la notification et l'État auteur de la communication engagent des consultations et, au besoin, des négociations en vue de résoudre la situation d'une manière équitable. 2. Les consultations et les négociations se déroulent selon le principe que chaque État doit de bonne foi tenir raisonnablement compte des droits et des intérêts légitimes de l'autre État. 3. Au cours des consultations et des négociations, l'État auteur de la notification s'abstient, si l'État auquel la notification a été adressée le lui demande au moment où il fait sa communication, de mettre en oeuvre ou de permettre que soient mises en oeuvre les mesures projetées pendant une période de six mois, sauf s'il en est autrement convenu. Article 18 Procédures en cas d'absence de notification 1. Si un État du cours d'eau a des motifs raisonnables de penser qu'un autre État du cours d'eau projette des mesures qui peuvent avoir des effets négatifs significatifs pour lui, il peut demander à cet autre État d'appliquer les dispositions de l'article 12. La demande doit être accompagnée d'un exposé documenté qui en explique les raisons. 2. Si l'État qui projette ces mesures conclut néanmoins qu'il n'est pas tenu de donner notification en vertu de l'article 12, il en informe le premier État en lui adressant un exposé documenté expliquant les raisons de sa conclusion. Si cette conclusion ne satisfait pas le premier État, les deux États doivent, à la demande de ce premier État, engager promptement des consultations et des négociations de la manière indiquée aux paragraphes 1 et 2 de l'article 17. Mondange Adrien - 2009 109 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL 3. Au cours des consultations et des négociations, l'État qui projette les mesures s'abstient, si le premier État le lui demande au moment où il demande l'ouverture de consultations et de négociations, de mettre en oeuvre ou de permettre que soient mises en oeuvre ces mesures pendant une période de six mois, sauf s'il en est autrement convenu. Article 19 Mise en oeuvre d'urgence de mesures projetées 1. Si la mise en oeuvre des mesures projetées est d'une extrême urgence pour la protection de la santé ou de la sécurité publiques ou d'autres intérêts également importants, l'État qui projette ces mesures peut, sous réserve des articles 5 et 7, procéder immédiatement à leur mise en oeuvre nonobstant les dispositions de l'article 14 et de l'article 17, paragraphe 3. 2. En pareil cas, une déclaration formelle proclamant l'urgence des mesures accompagnée des données et informations pertinentes est communiquée sans délai aux autres États du cours d'eau visés à l'article 12. 3. L'État qui projette les mesures engage promptement, à la demande de l'un quelconque des États visés au paragraphe 2, des consultations et des négociations avec lui, de la manière indiquée à l'article 17, paragraphes 1 et 2. QUATRIÈME PARTIE. PROTECTION, PRÉSERVATION ET GESTION Article 20 Protection et préservation des écosystèmes Les États du cours d'eau, séparément et, s'il y a lieu, conjointement, protègent et préservent les écosystèmes des cours d'eau internationaux. Article 21 Prévention, réduction et maîtrise de la pollution 1. Aux fins du présent article, on entend par "pollution d'un cours d'eau international" toute modification préjudiciable de la composition ou de la qualité des eaux d'un cours d'eau international résultant directement ou indirectement d'activités humaines. 2. Les États du cours d'eau, séparément et, s'il y a lieu, conjointement, préviennent, réduisent et maîtrisent la pollution d'un cours d'eau international qui risque de causer un dommage significatif à d'autres États du cours d'eau ou à leur environnement, y compris un dommage à la santé ou à la sécurité de l'homme, ou bien à toute utilisation positive des eaux ou bien aux ressources biologiques du cours d'eau. Les États du cours d'eau prennent des mesures pour harmoniser leurs politiques à cet égard. 3. À la demande de l'un quelconque d'entre eux, les États du cours d'eau se consultent en vue d'arrêter des mesures et méthodes mutuellement acceptables pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution telles que : a) Définir des objectifs et des critères communs concernant la qualité de l'eau; b) Mettre au point des techniques et des pratiques pour combattre la pollution de sources ponctuelles ou diffuses; c) Établir des listes de substances dont l'introduction dans les eaux d'un cours d'eau international doit être interdite, limitée, étudiée ou contrôlée. Article 22 110 Mondange Adrien - 2009 ANNEXES Introduction d'espèces étrangères ou nouvelles Les États du cours d'eau prennent toutes les mesures nécessaires pour prévenir l'introduction dans un cours d'eau international d'espèces étrangères ou nouvelles qui risquent d'avoir des effets préjudiciables pour l'écosystème du cours d'eau et de causer finalement un dommage significatif à d'autres États du cours d'eau. Article 23 Protection et préservation du milieu marin Les États du cours d'eau, séparément et, s'il y a lieu, en coopération avec d'autres États, prennent toutes les mesures se rapportant à un cours d'eau international qui sont nécessaires pour protéger et préserver le milieu marin, y compris les estuaires, en tenant compte des règles et normes internationales généralement acceptées. Article 24 Gestion 1. Sur la demande de l'un quelconque d'entre eux, les États du cours d'eau engagent des consultations sur la gestion d'un cours d'eau international, y compris éventuellement la création d'un mécanisme mixte de gestion. 2. Aux fins du présent article, on entend par "gestion", en particulier : a) Le fait de planifier la mise en valeur durable d'un cours d'eau international et d'assurer l'exécution des plans qui auront pu être adoptés; et b) Le fait de promouvoir de toute autre manière l'utilisation, la protection et le contrôle du cours d'eau dans des conditions rationnelles et optimales. […] Article 33 Règlement des différends 1. En cas de différend entre deux ou plusieurs Parties concernant l'interprétation ou l'application de la présente Convention, les Parties intéressées, en l'absence d'un accord applicable entre elles, s'efforcent de résoudre le différend par des moyens pacifiques, conformément aux dispositions ci-après. 2. Si les Parties intéressées ne peuvent parvenir à un accord par la voie de la négociation demandée par l'une d'entre elles, elles peuvent solliciter conjointement les bons offices d'une tierce partie -- ou lui demander d'intervenir à des fins de médiation ou de conciliation, ou avoir recours, selon qu'il conviendra, à toute institution mixte de cours d'eau qu'elles peuvent avoir établie, ou décider de soumettre le différend à une procédure d'arbitrage ou à la Cour internationale de Justice. 3. Sous réserve de l'application du paragraphe 10, si après un délai de six mois à compter de la date de la demande de négociation mentionnée au paragraphe 2, les Parties intéressées n'ont pu résoudre leur différend par la négociation ou par tout autre moyen mentionné dans ledit paragraphe, le différend est soumis, à la demande de l'une quelconque d'entre elles, à une procédure d'enquête impartiale, conformément aux paragraphes 4 à 9, sauf accord contraire des Parties. 4. Il est établi une commission d'enquête, composée d'un membre désigné par chacune des Parties intéressées plus un membre n'ayant la nationalité d'aucune desdites Parties, choisi par les deux autres, qui fait fonction de président. Mondange Adrien - 2009 111 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL 5. Si les membres désignés par les Parties ne parviennent pas à s'entendre sur un président dans un délai de trois mois à compter de la demande d'établissement de la Commission, toute Partie intéressée peut demander au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies de désigner le Président, lequel n'aura la nationalité d'aucune des Parties au différend ou d'aucun État riverain du cours d'eau visé. Si l'une des Parties ne procède pas à la désignation d'un membre dans un délai de trois mois à compter de la demande initiale faite conformément au paragraphe 3, toute autre Partie intéressée peut demander au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies de désigner une personne n'ayant la nationalité d'aucune des parties au différend ni d'aucun État riverain du cours d'eau visé. La personne ainsi désignée sera le membre unique de la Commission. 6. La Commission arrête elle-même sa procédure. 7. Les Parties intéressées ont l'obligation de fournir à la Commission les renseignements dont elle peut avoir besoin et de lui permettre, sur sa demande, d'entrer sur leur territoire et d'inspecter les installations, établissements, équipements, constructions ou accidents topographiques présentant un intérêt pour l'enquête. 8. La Commission adopte son rapport à la majorité de ses membres, sauf si elle n'en compte qu'un seul, et soumet ce rapport aux Parties intéressées en y énonçant ses conclusions motivées et les recommandations qu'elle juge appropriées en vue d'un règlement équitable du différend, que les Parties intéressées examinent de bonne foi. 9. Les dépenses de la Commission sont supportées à parts égales par les Parties intéressées. 10. Lors de la ratification, de l'acceptation et de l'approbation de la présente Convention, ou de l'adhésion à cet instrument, ou à tout moment par la suite, une Partie qui n'est pas une organisation d'intégration économique régionale peut déclarer, dans un instrument écrit adressé au Dépositaire, qu'en ce qui concerne tout différend non résolu conformément au paragraphe 2, elle reconnaît comme obligatoire ipso facto et sans accord spécial concernant l'une quelconque des Parties acceptant la même obligation : a) La soumission du différend à la Cour internationale de Justice; et/ou b) L'arbitrage par un tribunal arbitral dont la compétence est établie et qui exerce ses pouvoirs, sauf accord contraire entre les Parties au différend, conformément à la procédure énoncée à l'annexe de la présente Convention. Une Partie qui est une organisation d'intégration économique régionale peut faire une déclaration dans le même sens concernant l'arbitrage, conformément à l'alinéa b). […] Annexe 3 : Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau Directive-cadre dans le domaine de l'eau 112 Mondange Adrien - 2009 ANNEXES L'Union européenne (UE) établit un cadre communautaire pour la protection et la gestion des eaux. La directive-cadre prévoit notamment l'identification des eaux européennes et de leurs caractéristiques, recensées par bassin et district hydrographiques, ainsi que l'adoption de plans de gestion et de programmes de mesures appropriées à chaque masse d'eau. L'Union européenne (UE) établit un cadre communautaire pour la protection et la gestion des eaux. La directive-cadre prévoit notamment l'identification des eaux européennes et de leurs caractéristiques, recensées par bassin et district hydrographiques, ainsi que l'adoption de plans de gestion et de programmes de mesures appropriées à chaque masse d'eau. ACTE Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau [ Voir actes modificatifs ]. SYNTHÈSE Par cette directive-cadre, l'Union européenne organise la gestion des eaux intérieures de surface * , souterraines * , de transition * et côtières * , afin de prévenir et de réduire leur pollution, de promouvoir leur utilisation durable, de protéger leur environnement, d'améliorer l'état des écosystèmes aquatiques et d'atténuer les effets des inondations et des sécheresses. Identification et analyse des eaux Les États membres sont tenus de recenser tous les bassins hydrographiques * qui se trouvent sur leur territoire et les rattacher à des districts hydrographiques * . Les bassins hydrographiques qui s'étendent sur le territoire de plus d'un État seront intégrés au sein d'un district hydrographique international. Au plus tard le 22 décembre 2003, une autorité compétente sera désignée pour chacun des districts hydrographiques. Au plus tard quatre ans après la date d'entrée en vigueur de la présente directive, les États membres doivent faire une analyse des caractéristiques de chaque district hydrographique, une étude de l'incidence de l'activité humaine sur les eaux, une analyse économique de l'utilisation de celles-ci et un registre des zones qui nécessitent une protection spéciale. Toutes les masses d'eau utilisées pour le captage d'eau destinée à la consommation humaine, fournissant plus de 10 m³ par jour ou desservant plus de 50 personnes, doivent être recensées. Mesures de gestion et de protection Neuf ans après la date d'entrée en vigueur de la directive, un plan de gestion et un programme de mesures doivent être élaborés au sein de chaque district hydrographique en tenant compte des résultats des analyses et études réalisées. Les mesures prévues dans le plan de gestion du district hydrographique ont pour but de: -prévenir la détérioration, améliorer et restaurer l'état des masses d'eau de surface, atteindre un bon état chimique et écologique de celles-ci, ainsi que réduire la pollution due aux rejets et émissions de substances dangereuses; -protéger, améliorer et restaurer les eaux souterraines, prévenir leur pollution, leur détérioration et assurer un équilibre entre leurs captages et leur renouvellement; -préserver les zones protégées. Mondange Adrien - 2009 113 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Les objectifs précédents doivent être atteints quinze ans après l'entrée en vigueur de la directive, mais cette échéance peut être rapportée ou assouplie, tout en respectant les conditions établies par la directive. Les États membres encouragent la participation active de toutes les parties concernées par la mise en œuvre de cette directive, notamment en ce qui concerne les plans de gestion des districts hydrographiques. Une détérioration temporaire des masses d'eau ne constitue pas une infraction de la présente directive si elle résulte des circonstances exceptionnelles et non prévisibles liées à un accident, une cause naturelle ou un cas de force majeure. À partir de 2010, les États membres doivent assurer que la politique de tarification incite les consommateurs à utiliser les ressources de façon efficace et que les différents secteurs économiques contribuent à la récupération des coûts des services liés à l'utilisation de l'eau, y compris les coûts pour l'environnement et les ressources. Les États membres doivent établir des régimes assortis de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives en cas violations de la présente directive-cadre. Une liste de substances polluantes prioritaires sélectionnées parmi celles qui constituent un risque important pour ou via le milieu aquatique a été élaborée, via une procédure associant surveillance et modélisation. Cette liste constitue l'annexe X de la présente directive. Par ailleurs des mesures de contrôle relatives à ces substances prioritaires, ainsi que des normes de qualité applicables aux concentrations de celles-ci, ont également été proposées. Mesures administratives Au plus tard douze ans après la date d'entrée en vigueur de la directive et par la suite tous les six ans, la Commission publie un rapport sur la mise en œuvre de celle-ci. La Commission convoque, au moment opportun, une conférence des parties concernées par la politique communautaire de l'eau, à laquelle participent les États membres, des représentants des autorités compétentes, du Parlement européen, des ONG, des partenaires sociaux et économiques, des consommateurs, des universitaires et autres experts. Sept ans après l'entrée en vigueur de la directive, la législation suivante est abrogée: directive 75/440/CEE ; décision 77/795/CEE ; directive 79/869/CEE . Treize ans après l'entrée en vigueur de la directive, la législation suivante est abrogée: directive 78/659/CEE ; directive 79/923/CEE ; directive 80/68/CEE ; directive 76/464/CEE , à l'exception de l'article 6, qui est abrogé à la date d'entrée en vigueur de la présente directive. Termes-clés de l'acte Eaux intérieures: toutes les eaux stagnantes et les eaux courantes à la surface du sol et toutes les eaux souterraines en amont de la ligne de base servant pour la mesure de la largeur des 114 Mondange Adrien - 2009 ANNEXES Termes-clés de l'acte eaux territoriales. Eaux de surface: les eaux intérieures, à l'exception des eaux souterraines, les eaux de transition et les eaux côtières, sauf en ce qui concerne leur état chimique, pour lequel les eaux territoriales sont également incluses. Eaux souterraines: toutes les eaux se trouvant sous la surface du sol dans la zone de saturation et en contact direct avec le sol ou le sous-sol. Eaux de transition: des masses d'eaux de surface à proximité des embouchures de rivières, qui sont partiellement salines en raison de leur proximité d'eaux côtières, mais qui sont fondamentalement influencées par des courants d'eau douce. Eaux côtières: les eaux de surface situées en-deçà d'une ligne dont tout point est situé à une distance d'un mille marin au-delà du point le plus proche de la ligne de base servant pour la mesure de la largeur des eaux territoriales et qui s'étendent, le cas échéant, jusqu'à la limite extérieure d'une eau de transition. Bassin hydrographique: toute zone dans laquelle toutes les eaux de ruissellement convergent à travers un réseau de rivières, fleuves et éventuellement de lacs vers la mer, dans laquelle elles se déversent par une seule embouchure, estuaire ou delta. District hydrographique: une zone terrestre et maritime, composée d'un ou plusieurs bassins hydrographiques ainsi que des eaux souterraines et eaux côtières associées, identifiée comme principale unité aux fins de la gestion des bassins hydrographiques. RÉFÉRENCES Acte Entrée en vigueur - Date d'expiration Délai de transposition dans les États membres Directive 2000/60/CE 22.12.2000 22.12.2003 Acte(s) modificatif(s) Délai de transposition dans les États membres Entrée en vigueur Décision n° 16.12.2001 2455/2001/CE Directive 2008/32/CE 21.3.2008 - Journal Officiel JO L 327 du 22.12.2000 Journal Officiel JO L 331 du 15.12.2001 JO L 81 du 20.3.2008 ACTES LIÉS Communication de la Commission du 22 mars 2007 intitulée: « Vers une gestion durable de l'eau dans l'Union européenne - Première étape de la mise en œuvre de la directive-cadre sur l'eau 2000/60/CE » [ COM(2007) 128 final - Non publié au Journal officiel]. Dans ce rapport, la Commission présente les résultats obtenus par les États membres dans l'application de la directive-cadre sur l'eau. Elle souligne notamment le risque élevé que plusieurs États membres échouent à réaliser les objectifs de la directivecadre, en particulier à cause de la dégradation matérielle des écosystèmes aquatiques, notamment par la surexploitation des ressources en eau, et des niveaux importants de pollution provenant de sources diffuses. La Commission relève des problèmes au niveau du respect du délai de transposition de la directive-cadre et des lacunes quant au contenu de cette transposition. Par ailleurs, la mise en place des districts hydrographiques et la désignation des autorités nationales compétentes semble bien engagée, même si des progrès en matière de coopération internationale doivent encore être accomplis dans Mondange Adrien - 2009 115 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL certains cas. En outre, le rapport signale une grande diversité en ce qui concerne la qualité de l'évaluation environnementale et économique des bassins hydrographiques ainsi que des lacunes importantes, en particulier concernant l'analyse économique. Enfin, la Commission formule un certain nombre de recommandations aux États membres, notamment en vue de remédier aux carences constatées, d'intégrer la gestion durable des eaux dans les autres politiques nationales et de tirer le meilleur parti de la participation des citoyens, et elle annonce les actions qu'elle compte effectuer à l'avenir dans le cadre de la politique européenne de gestion de l'eau. Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil du 17 juillet 2006 établissant des normes de qualité environnementale dans le domaine de l'eau et modifiant la directive 2000/60/CE [ COM(2006) 397 final - Non publié au Journal officiel]. La Commission propose d'établir des normes de qualité environnementale afin de limiter la quantité de certaines substances chimiques, présentant un risque significatif pour l'environnement ou la santé, dans les eaux de surface de l'UE. Ces normes seraient accompagnées d'un inventaire des rejets, émissions et pertes de ces substances afin de vérifier si les objectifs de réduction ou d'arrêt sont atteints. Directive 2006/118/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 sur la protection des eaux souterraines contre la pollution [Journal officiel L372 du 27.12.2006]. L'Union européenne met en place un cadre de mesures de prévention et de contrôle de la pollution des eaux souterraines, notamment des mesures d'évaluation de l'état chimique des eaux et des mesures visant à réduire la présence de polluants. Déclaration de la Commission [Journal officiel L 327 du 22.12.2000] La Commission signale que le rapport qu'elle publiera en vertu de l'article 17 paragraphe 3 de la directive comportera une analyse du rapport coûts-avantages. Dernière modification le: 18.4.2008 Annexe 4 : Carte « Water sources », distribution des ressources en eau douce en Israël et dans les Territoires Occupés 116 Mondange Adrien - 2009 ANNEXES Annexe 5 : Carte des bassins du Tigre et de l’Euphrate Mondange Adrien - 2009 117 LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DOUCE EN DROIT INTERNATIONAL Resume Les règles s’appliquant à la gestion des ressources en eau douce entre les Etats ne sont pas nouvelles. L’objectif du droit international est de prévenir et régler les différents entre les Etats. Depuis quelques temps, le droit international affiche une prise en compte croissante des questions liées à la répartition de l’eau. Le droit international de l’eau est nécessaire mais il est complexe à mettre en place. C’est un droit évolutif et dont l’application reste aujourd’hui encore soumise à la bonne volonté des Etats. La Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation du 8 juillet 1997 est essentielle. Elle s’inscrit dans un travail de codification et de développement du droit international de l’eau et pose le principe d’un 118 Mondange Adrien - 2009 ANNEXES partage et d’un usage équitable et raisonnable pour tous les Etats riverains d’un cours d’eau international. La thématique de l’eau s’aborde aujourd’hui en terme de rareté et de partage, des notions que le droit international doit prendre en compte afin de permettre un égal accès de l’eau au plus grand nombre et de stabiliser les relations inter-étatiques. Si nous défendons l’idée selon laquelle on ne peut pas parler de guerre de l’eau, toutefois l’eau reste un facteur aggravant et le lien entre les ressources en eau douce et leur répartition et la stabilité politique est bien réel. A travers ce travail il s’agit d’étudier la pertinence du droit international de l’eau en l’état actuel. Il s’agit de comprendre pourquoi ce droit est si difficile à édifier et à appliquer, et de constater des carences qui selon nous rendent ce droit déficient. Une partie de ce travail sera consacrée à une étude de cas au Proche Orient. Mots-clefs ∙ Eau ∙ Droit international ∙ Tigre – Euphrate ∙ Nil ∙ Proche Orient Mondange Adrien - 2009 119