Principes du traitement manuel du membre inférieur

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Principes du traitement manuel du membre inférieur
Principes du traitement manuel des pathologies
mécaniques du membre inférieur
Dominique Bonneau Dr Md-Dr Sc
Institut Supérieur de Thérapeutique Manuelle – 23, Avenue des Lierres -84000 Avignon
www.medecinemanuelle.fr
Résumé
Le traitement manuel des dysfonctionnements mécaniques bénins et réversibles du membre
inférieur repose sur des principes anatomiques, biomécaniques et neurophysiologiques. Ils
permettent avant tout de comprendre le mode d’action de ces techniques empiriques dont
l’efficacité leur ont permis de traverser les siècles. Leur meilleure connaissance optimise la
prise en charge par l’ensemble de l’équipe médicale où, le diagnostic étant posé, chaque
intervenant, du kinésithérapeute au podologue, participera au traitement de l ‘affection et
impliquera le patient dans une démarche préventive, résultant d’une analyse exhaustive des
facteurs micro-traumatiques, statiques mais aussi métaboliques étiologiques.
Les objectifs du traitement manuel des dysfonctionnements mécaniques de l’appareil
locomoteur sont triples :
 Restaurer la mobilité articulaire, en terme d’amplitude et de vitesse de déplacement
dans un confort et une indolence, grâce à un glissement harmonieux des surfaces
cartilagineuses;
 Redonner au muscle la capacité d’expansion dans la totalité de sa course. L’hypoextensibilité secondaire à une anomalie posturale, telle une inégalité de longueur des
membres inférieurs, est un facteur d’altération de l’aptitude à un développement
optimal de la force musculaire proportionnelle à la possibilité de raccourcissement de
la fibre contractile et de son enveloppe, le fascia;
 Ré-initialiser les circuits de la douleur par la stimulation des capteurs cutanés,
musculaires et articulaires, témoins des dysfonctionnements articulaires ou situés dans
le métamère correspondant au nerf spinal du segment intervertébral lésé.
Ce traitement repose sur des principes anatomiques, biomécaniques et neurophysiologiques.
Les termes d’anatomie et de biomécanique peuvent être regroupés sous le vocable d’anatomie
compréhensive plus proche de la réalité médicale de notre pratique, afin de réserver celui de
biomécanique à la spécialité qui applique les lois de la mécanique au vivant dans le cadre de
la recherche (3).
Avant tout il est fondamental de comprendre le programme fonctionnel du membre pelvien de
l’homme et de connaître les solutions mécaniques retenues par le concepteur.
Si le quadrupède change de direction durant la marche grâce à sa colonne vertébrale, en
regard de la jonction thoraco-lombaire et plus particulièrement autour de la vertèbre dite
diaphragmatique de Vallois, il n’en est pas de même de l’homme (13).
La présence d’une lordose lombaire libère le rachis de ce programme directionnel pour
autoriser ce primate supérieur apte à la bipédie permanente, le différenciant ainsi des autres
membres de cet ordre, tels les singes anthropomorphes, qui ne peuvent fuir un danger sur
leurs membres inférieurs sans l’aide de leurs appuis digitaux.
Du fait de cette différenciation, la hanche va prendre en charge cette fonction afin d’orienter
le pas. La solution biomécanique repose sur le choix d’une liaison de type rotule qui autorise
trois degrés de liberté articulaire autour de trois axes de travail.
Le franchissement des obstacles est possible grâce au genou qui raccourcit le membre grâce à
une liaison pivot.
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L’adaptation de la pièce terminale, qu’est le pied, au terrain accidenté et aux irrégularités du
sol est dévolue à une structure articulaire sophistiquée, constituée d’une mosaïque osseuse
amortissant les contraintes. Mais son architecture mérite une attention particulière, car la
partie antérieure ou distale est de type horizontal, prenant la forme d’une palette
métatarsienne dotée de rayons mobiles sur les bords et d’une âme centrale semi-rigidifiée par
les mortaises inter-cunéenne et inter-métatarsienne. L’arrière pied, quant à lui, est constitué
d’un empilement osseux vertical, dont les liaisons osseuses assurent l’adaptation au terrain
accidenté et le déroulement du pas.
Ainsi la prise en charge thérapeutique en médecine manuelle se doit de tenir compte de cette
spécialisation des articulations qui subissent les contraintes dues à l’opposition de la force
gravitaire et de réaction du sol.
Les leviers osseux semi-rigides sont utilisés comme point d’action lors des différentes
techniques manuelles(10,11). Ils méritent une attention particulière du fait de leur
architecture. En effet ils ne sont pas rectilignes, mais ont une structure torsadée afin
d’absorber les contraintes tri-dimensionnelles. Il faut en tenir compte lors de l’impulsion
manipulative dans les techniques structurelles.
Les activateurs unidirectionnels que sont les muscles, sont mono ou polyarticulaires et
possèdent de un à quatre chefs en fonction du mouvement à générer et des amplitudes
autorisées par l’articulation qu’ils mobilisent, car la possibilité de raccourcissement demeure
stable de l’ordre de trente pour cent de la longueur de la fibre contractile. La partie
« charnue » se prolonge par une zone non contractile et hypo-élastique, le tendon, qui se fixe
sur le levier osseux à une distance précise du centre de rotation de l’articulation à mobiliser
selon le but recherché (en terme d’amplitude de mouvement et de puissance à développer). Ils
possèdent un mode de régulation sophistiqué à la base de la majorité des techniques
neuromusculaires reposant sur le modèle des systèmes asservis.
Principes d’anatomie compréhensive
Au niveau articulaire
La forme des extrémités osseuses en en regard des articulations conditionne le mouvement.
De l’étendue de la surface du revêtement cartilagineux en dépend son amplitude.
L’intégrité et la qualité du cartilage hyalin interposé entre ces pièces squelettiques
garantissent l’harmonie et l’indolence du mouvement. On connaît l’importance du rodage
articulaire, mobilisation lente avec le minimum de contrainte dans tout le secteur d’amplitude,
pour faciliter la cicatrisation et la récupération des altérations localisées de ce revêtement
protecteur. On retiendra en outre l’importance des mouvements de pompage, succession
rythmique de traction-décompression axiale dont on modulera la vitesse, l’amplitude, le
rythme selon la pathologie, la réaction du patient, l’action sédative ou stimulante que l’on
recherche (5, 9).
L’interposition de fibro-cartilage tels les ménisques a pour but de répartir et d’amortir les
contraintes, mais a aussi un rôle nutritif sur le cartilage. Si leur fissuration verticale avec
fragment libre, source de blocage articulaire, impose une régularisation chirurgicale, un grand
nombre de dysfonctionnement articulaire avec altération méniscale bénigne tire un profit
certain des manœuvres de mobilisation avec un effet de bâillement.
La morphologie des surfaces articulaires conditionne le sens du glissement des pièces
osseuses. Si la pièce osseuse proximale est concave (hanche), le sens du glissement est
inverse au sens du déplacement du segment distal. Ce concept développé par Kaltenborn (7)
conditionne le positionnement et le sens de l’impulsion donnée par la main proximale afin de
focaliser le point d’action du mouvement initialisé par la main distale. La stimulation
mécanique peut être impulsionnelle (16) ou maintenue selon que l’on souhaite associer au
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glissement une sollicitation de tel ou tel capteur articulaire, sensible à la pression ou à la
vibration.
Mais, à côté des mouvements principaux, il existe des mouvements accessoires, outre le
glissement ou la traction axiale, telles les inclinaisons (ou bâillements) et les torsions qu’il est
important de solliciter en cas de douleur dans les axes dits majeurs.
Application à la coxo-fémorale
En clinique, il est habituel d’observer la limitation précoce de l’abduction, de la rotation
médiale et de l’extension lors des pathologies microtraumatiques ou dégénératives de la
hanche. La manœuvre globale de traction axiale est primordiale car, en dehors des blocages
douloureux de l’extension du genou, elle permet de solliciter en décoaptation l’ensemble des
articulations du membre inférieur. (fig. 1)
Figure 1 : manœuvre de décoaptation globale du membre inférieur
Nous connaissons depuis quelques années l’importance de l’orientation du cotyle dans les
trois plans de l’espace (bascule sagittale, inclinaison frontale, antéversion horizontale) liée en
premier lieu à la morphologie personnalisée de l’os coxal, mais aussi à l’équilibre lombopelvi-fémoral sagittal. L’évaluation de l’incidence (somme de la pente sacrée et de la version
pelvienne) caractérise l’aptitude de ce segment jonctionnel à absorber les contraintes
ascendantes et descendantes. Une faible incidence sera donc un facteur de surcharge précoce
de la coxo-fémorale dont le premier élément vulnérable est le labrum. Cette atteinte s’exprime
souvent par une douleur inguinale en position assise. Elle traduit un conflit dont le traitement
manuel nécessitera de prendre en compte l’ensemble de ce complexe lombo-pelvi-fémoral. La
morphologie de l’épiphyse fémorale est un autre point à souligner dans la prise en charge des
dysfonctionnements de la hanche. Un certain nombre de têtes fémorales présentent une forme
phallique, par comparaison avec le pénis, résultant d’une anomalie de développement
(epiphysiolyse a minima). Cet aspect entraîne la perte du décalage physiologique à la jonction
tête-col (off-set des anglo-saxons) qui permet lors de l’abduction au labrum et au bord latéral
du cotyle de se positionner harmonieusement. Cette anomalie génère deux types de
pathologies, la première latérale traduisant un conflit entre labrum et la jonction tête-col, la
seconde par une atteinte dégénérative précoce du fond du cotyle due à l’impact de la tête qui
s’excentre (effet de came) en abduction et le retour rapide lors de l’adduction entraîne une
contusion cartilagineuse. Cette dernière pathologie est trompeuse car difficile à diagnostiquer
en phase pré-radiologique car la douleur est souvent inguino-pelvienne source d’errance du
diagnostic.
Sur le plan technique, les manœuvres de mobilisation assistée apportent une plus grande
précision afin de focaliser l’action du thérapeute sur l’amplitude que l’on cherche à
améliorer. Le positionnement de la main proximale est le plus proche possible du centre de
rotation (fig 2).
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Figure 2: Mobilisation assistée en abduction de la hanche
Application au genou
Il faut distinguer l’articulation fémoro-patellaire et sa pathologie que l’on intègrera dans le
complexe musculaire que constitue l’appareil extenseur du genou, de l’articulation fémorotibiale.
Nous traiterons de cette dernière.
La fréquence de la limitation de l’extension du genou dans la pathologie dégénérative permet
de comprendre pourquoi une manœuvre d’assistance au glissement antero-postérieur des
plateaux tibiaux est à privilégier en début de traitement (2). Lors du passage de la flexion à
l’extension, la prise manuelle en appui dans le creux poplité favorise le glissement antéropostérieur du plateau tibia lors de la mobilisation en extension (fig 3). Cette technique est une
assistance au jeu des ménisques qui glissent en position postérieure sur les plateaux tibiaux
lors de la flexion et suivent le mouvement inverse lors de l’extension. Ce qui permet de
comprendre l’effet délétère d’une station accroupie prolongée avec un retour rapide vers
l’extension lors du redressement pouvant être la source d’un roulement des condyles sur les
ménisques laminant ces derniers, le médial moins mobile étant le plus vulnérable.
Figure 3: Mobilisation assistée dans le sens flexion extension avec assistance postérieure
La différence de fonctionnement des deux compartiments fémoro-tibiaux est à rappeler. Le
compartiment médial est stable, congruent par opposition au latéral qui est beaucoup plus
mobile, participant au phénomène de rotation automatique du segment crural lors du passage
de la flexion à l’extension. Les manœuvres de mobilisation articulaires s’effectuent dans le
mouvement principal de flexion-extension, mais s’associent aux mouvements accessoires de
bâillement et de translation (10)(fig. 4).
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Figure 4 : Mobilisation en ouverture du compartiment fémoro-tibial médial
Dans la pathologie mécanique du genou, notamment celle du compartiment médial, il est
important de se remémorer la spécialisation des composants de la chaîne articulaire du
membre inférieur. L’adaptation en terrain accidenté dans le plan frontal est sous la
responsabilité de l’articulation sous talienne. En cas de manque de mobilité ou de souffrance
de cette dernière, elle n’amortira plus les contraintes qui seront reportées aux étages susjacents et plus particulièrement le compartiment médial du genou, le moins adaptatif car
moins mobile. Ainsi toute prise en charge thérapeutique d’une gonalgie mécanique impose
une « révision » des articulations sous-jacentes.
Application à la talo-crurale
L'étude isolée de cette articulation aboutit à un paradoxe : la stabilité de l'articulation est
impossible puisque la surface articulaire du talus n'est pas régulière mais trapézoïdale.
POL LE COEUR a montré le rôle de la fibula qui pallie ce phénomène : long, grêle, mince et
incurvé, elle s'articule en haut avec le tibia par une facette articulaire qui regarde en haut en
avant et en dedans pour former la tibio-fibulaire supérieure. Cet os est soumis à des
modifications de longueur lors de la contraction des fléchisseurs, surtout le fléchisseur propre
de l'hallux qui, lors de sa contraction, redresse la courbe de pré-flambage de la fibula. Les
ligaments fibulo-tibiaux inférieurs sont obliques en bas et en dehors, de même que la
membrane interosseuse, et sont assimilés à des biellettes inextensibles qui vont guider la
"descente ou la montée" de la fibula (fig 5).
o Si la fibula "descend": les ligaments précités jouent le rôle de biellette en
obligeant la fibula à se rapprocher et à fermer la pince tibio-fibulaire. Mais la
convexité de la surface talienne oblige la fibula à une rotation latérale.
o Dans le mouvement inverse: en flexion dorsale, le tibial antérieur se contracte, tire,
fait tourner la fibula en dedans et le laisse revenir à son pré-flambage naturel. Le
ligament frundiforme, retinaculum des extenseurs, oppose une force d'impaction et
de rappel, comme une poulie empêchant la luxation du talus en avant.
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Figure 5: Modification de la forme de la fibula et ses conséquences en regard de la
talo-crurale
Il en découle l’importance des techniques de mobilisation de la fibula en regard de ses
articulations avec le tibia en proximal et en distal dans les pathologies de ce joint.
Le sens du glissement articulaire du dôme du talus dans la pince à serrage élastique tibiofibulaire répond à la loi de la convexité comme pour la hanche.
A ce stade d’une meilleure compréhension de la cinématique articulaire, il est important
d’analyser les conséquences d’une entorse du compartiment latéral de cette articulation et de
les corréler aux observations cliniques. Il est classique d’entendre dans les milieux
ostéopathiques l’implication du talus antérieur dans les difficultés d’effectuer une flexion
dorsale au décours d’une entorse de la cheville. Examinons de plus près le mécanisme
lésionnel :
Les ligaments sont dotés de propriétés mécaniques leur conférant une résistance aux
sollicitations mécaniques en allongement et possèdent en leur sein des capteurs analysant ce
paramètre. Ce qui leur confère l’appellation de capteur de fin d’amplitude. Ils informent ainsi
le muscle qui produit le mouvement de l’effet de sa contraction lors de la mise en butée par la
tension ligamentaire. Le triceps entraîne la flexion plantaire de la cheville avec une
composante de varus. Il est doté de mécano-récepteurs, tel le fuseau neuro-musculaire qui
mesure la raideur (grandeur qui relie la force au déplacement) ou l’organe neuro-tendineux de
Golgi qui évalue la force transmise au levier osseux. Il apparaît logique d’associer à ces
derniers un capteur qui évalue en regard de l’articulation les conséquences de sa contraction.
Ainsi une lésion de ce capteur de fin d’amplitude explique l’emballement de la contraction du
triceps dont témoigne la démarche typique des traumatisés de la cheville en varus équin et le
déficit de la flexion dorsale à distance du traumatisme, dont la résolution passe par
l’application des techniques neuro-musculaires basées sur l’étirement tendino-corporéal du
complexe tricipito-achilleo-calcanéo-plantaire en complément du geste articulaire (fig 6 et fig
7).
Figure 6: Pression glissée du triceps sural
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Ce bouclage du système asservi en regard de l’appareil ligamentaire est renforcé par le
contrôle des récepteurs cutanés qui se trouvent stimulés et ré-initialisés par de nombreuses
techniques manuelles. Cet astucieux système redondant, incorporant dans la carrosserie des
capteurs goniométriques, est un témoin de l’ingéniosité du mode de contrôle du mouvement
humain que l’on cherche à modéliser avec certaines difficultés.
Figure 7: Manœuvre de pression glissée du tendon calcanéen
Au terme de ce traitement articulaire et musculaire, il est fondamental de reprogrammer le
système par des techniques d’inhibition en raccourcissant le ligament collatéral en technique
de Jones(6) (fig 8).
Figure 8 : Manoeuvre de raccourcissement du faisceau antérieur du ligament collatéral
latéral de la talo-crurale
Application à la sous talienne
Dans sa thèse, Yves Allieu a disposé des jauges d’extensométrie dans les structures
ligamentaires péri-articulaires de la cheville. Il a constaté que lors du mouvement en inversion
responsable des lésions ligamentaires observées dans l’entorse du ligament collatéral de la
cheville, la première structure ligamentaire mise en tension est le ligament interosseux talocalcanéen ou ligament en haie.
Ceci permet de mieux comprendre la symptomatologie douloureuse des patients victime de ce
type d’entorse et qui se plaignent de douleurs pré-malléolaires latérales lors de la marche ou
de la course en terrain accidenté.
On incrimine trop souvent une séquelle fibreuse sur le ligament collatéral. Il n’en est rien, car
la douleur se situe en regard du sinus du tarse, et est en rapport avec une lésion du ligament en
haie.
On comprend donc l’importance des techniques de mobilisation de cette articulation couplées
aux techniques neuro-musculaires de l’appareil propulseur du pied.
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Application au medio-pied
Le programme du medio pied est de relier l’avant à l’arrière pied. Il a donc pour objectif
d’harmoniser et de combiner les sollicitations verticales de l’arrière pied à celles horizontales
de l’avant-pied. On retrouve là aussi une solution mécanique originale basée sur le principe
du couple de torsion. La distinction entre la colonne dynamique talo-dépendante et statique
calcanéo-dépendante est un outil pour mieux comprendre la différence des techniques de
mobilisation du cuboïde, coin enchâssé dans l’arche latérale, et l’os naviculaire, rotule
positionnée en clef de voûte, apte à transmettre les contraintes tri-dimensionnelles.
Plus que les techniques analytiques de manipulation, il est donc plus logique de privilégier
les manœuvres globales intégrant ce concept de couple de torsion reliant l’avant à l’arrièrepied (fig 9).
Figure 9 : Mobilisation globale du médio-pied en alternant l’inversion et l’éversion et en
focalisant l’appui sur l’os naviculaire
La jonction medio-avant pied est constituée d’une âme centrale rigide matérialisée par la
mortaise inter-cunéenne enserrant la base du deuxième métatarsien, axe mécanique de
l’avant-pied, doté pour cela de deux muscles interosseux dorsaux, et de deux structures
latérales mobiles. Le cinquième rayon s’oppose au premier par sa finesse, mais il partage leur
rôle d’adaptation aux irrégularités du terrain par leur jeu vertical. S’ils sont tous deux dotés
d’un appareil musculaire intrinsèque propre, il existe une prédominance nette du premier
rayon dont l’abducteur oblique participe au serrage des têtes, stabilisant ainsi la palette
métatarsienne.
Au niveau tendino-musculaire
Avant tout, il paraît important de rappeler ce qu’est la notion de poutre composite. Ce concept
a été défini par Rabischong et Avril (14) comme étant l’association de deux matériaux
différents, unis solidairement, qui partagent les contraintes auxquelles ils sont soumis en
fonction de leur module d’élasticité et de leur moment d’inertie. Cette approche permet de
comprendre l’interaction permanente de ces deux éléments l’un sur l‘autre, action
potentialisée par les fascias et lame tendineuse qui agissent comme facteur anti-globulisation
renforçant d’autant la structure musculo-squelettique.
L’appareil extenseur du genou
Quadriceps, tendon quadricipital, patella et tendon patellaire doivent être considéré comme
une seule entité fonctionnelle en cas de pathologie mécanique de l’un de ses constituants. La
patella est un sésamoïde qui majore l’angle d’attaque du tendon quadricipital. L’approche
diagnostique impose un bilan postural statique et dynamique à la recherche d’un trouble
statique du pied, d’une inégalité de longueur des membres inférieurs ou d’un trouble de
torsion des membres.
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Le système propulseur du pied
Il en est de même pour le système tricipito-achilleo-calacanéo-plantaire. Claquage du
gastrocnémien, tendinopathie d’Achille, maladie de Sever, aponévrosite plantaire ne sont que
la traduction d’un défaut d’extensibilité de cet ensemble, et la prise en charge thérapeutique
repose globalement sur le même principe quelle que soit la localisation.
Le temps articulaire ne négligera pas de s’attarder au niveau de la sous talienne siège de
dysfonctionnements fréquents. Là aussi l’auto-rééducation sera primordiale.
Le complexe lombo-pelvi-fémoro-crural dorsal
Le phénomène de flexion-relaxation exprimant le repos paradoxal (en électromyographie) des
extenseurs du rachis lors d’un soulèvement de charge en flexion du rachis a mis en évidence
la place du plan sous-pelvien dans la stabilisation rachidienne. Cette stabilisation et cette
animation rachidiennes s’effectuent par le biais du fascia thoraco-lombal et de son relais
osseux, le pelvis, stabilisé par les ischio-jambiers, et de son puissant activateur le grand
fessier.
Toute anomalie de fonctionnement de cette chaîne musculo-squelettique dorsale s’exprimera
sur le chaînon le plus vulnérable, mais l’optimisation de sa prise en charge passera par un
traitement complet des différents éléments, là aussi consolidé par une prise de conscience des
troubles posturaux et une prévention par une auto-rééducation personnalisée.
Au niveau des canaux musculo-squelettiques
Le membre inférieur recèle des défilés musculaires ou ostéo-fibreux où les nerfs peuvent être
comprimés, et provoquer des algies trompeuses. Le diagnostic différentiel clinique repose sur
la mise en évidence d’une anomalie de la sensibilité cutanée qui ne peut être rattachée à une
atteinte radiculaire soit en raison de son caractère suspendu, soit par l’absence de signe de
perturbation de la branche dorsale du nerf spinal, et l’absence de dysfonction segmentaire
vertébrale (DDIM de Robert Maigne). Certes c’est à nouveau l’EMG qui emporte la décision
positive, mais c’est la clinique qui représente la démarche inaugurale.
La stratégie thérapeutique manuelle repose sur les techniques articulaires en regard de la
gouttière osseuse, et sur des techniques tendino-musculaires basées sur l’étirement pour les
structures musculaires contenues dans le défilé. Elle est complétée, en proximal, par des
manœuvres de massage réflexe, dans un objectif neuro-végétatif de vasodilatation. Plus que
tout autre pathologie, les syndromes canalaires tirent un grand profit des exercices d’autorééducation pratiqués quotidiennement par le patient.
Quelques exemples :
Le nerf sciatique
Son passage à la sortie du pelvis dans le canal sous le piriforme est une source potentielle de
compression entre le muscle et le bord supèrieur du ligament sacro-épineux (ex petit ligament
sacro–sciatique). Cette compression peut déclencher des douleurs fessières pouvant irradier
derrière le genou et faire suspecter une atteinte articulaire périphérique.
Nerf fibulaire
Son passage autour de la tête de la fibula le rend vulnérable lors d’un traumatisme direct de
cette région mais aussi lors d’hypermobilité ou microtraumatisme de l’articulation tibiofibulaire proximale. En fait la symptomatologie dysesthésique touche la face latérale de la
jambe et le dessus du pied par sa branche le nerf fibulaire superficiel (ex musculo-cutané).
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Nerf tibial
Sa position au niveau de l’arcade du soléaire et la proximité de la capsule postérieure de
l’articulation du genou explique son atteinte précoce lors du développement des kystes
poplités. Douleurs postérieures, voire syndrome des jambes sans repos sont des
manifestations possibles de ce conflit.
Branche infra-patellaire du nerf saphène interne
Ses relations étroites avec le sartorius, qui le comprime contre le condyle médial, permettent
de rattacher ce syndrome douloureux de la face médiale du genou à ce conflit et le test
anesthésique de ce défilé emporte le diagnostic de cette pathologie à évoquer en dernier lieu.
Nerf tibial postérieur (syndrome du canal tarsien)
Bien encadré par le retinaculum des fléchisseurs et le calcanéum, il jouxte le fléchisseur
propre et le court abducteur de l’hallux. Si les dysesthésies dans le territoire des nerfs
plantaires est la forme la plus fréquente, ce syndrome peut aussi être impliqué dans certaines
talalgies.
La métatarsalgie de T.G. Morton
Décrit classiquement comme une douleur du troisième espace intercapitométatarsien.
Hypoesthésie en feuille de livre, « Lasègue de l’orteil » et réveil douloureux à la compression
transversale de la palette métatarsienne conduisent au diagnostic.
Principes neurophysiologiques
La régulation de la contraction musculaire
Le muscle crie la douleur de l’articulation qui souffre.
Il est doté d’un capteur de longueur et plus précisément de raideur, le fuseau neuromusculaire dont l’étirement est le stimulus privilégié.
À son extrémité se positionne un capteur de force, l’organe neuro-tendineux de Golgi, qui
analyse les efforts transmis au levier squelettique sur lequel il se fixe (15).
Le muscle est un activateur uni directionnel qui ne possède pas de marche arrière ce qui lui
impose pour la réversibilité de l’action de lui adjoindre un muscle antagoniste. Mais ce
dernier ne se contente pas de réaliser cette rétroaction, mais il contrôle aussi la bonne marche
du mouvement programmé se réservant à tout moment la possibilité de freination de ce
dernier.
La régulation de ce système dépend donc de la boucle Gamma et son fonctionnement
fondamental, le réflexe myotatique est quotidiennement utilisé par tout médecin dans la
recherche des réflexes ostéo-tendineux (4).
Le muscle possède quatre états :
 deux dits intrinsèques sous la dépendance du contrôle précédent :
o l’état contracté
o l’état relâché,
 deux états dits extrinsèques sous la dépendance d’une force appliquée externe, l’état
étiré et l’état raccourci.
Ce sont ces deux derniers états qui sont privilégiés en thérapeutiques manuelles (17) car ils
permettent de manière élective une réinitialisation des capteurs musculaires. En effet lors de
l’étirement, la stimulation du fuseau neuro-musculaire est optimale, alors que lors du
raccourcissement maximal il est mis totalement au repos. Le fonctionnement de l’innervation
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réciproque permet de comprendre que la mise en raccourcissement d’un muscle aura un effet
potentialisé par la mise en étirement maximal de l’antagoniste, d’autant que dans la technique
de Jones, cette position est maintenue 90 secondes.
Peau et récepteurs
La peau, organe du tact, constitue l’enveloppe du corps humain, et toute sollicitation à visée
articulaire ou musculaire agit avant tout sur le revêtement cutané. Il possède des capteurs
hautement spécialisés. Les études histologiques ont montré l’extrême spécialisation des
capteurs incorporés dans le revêtement cutané dont le rôle est d’identifier le stimulus
mécanique, thermique ou nociceptif perçu, de le transformer en un signal électrique à
destinée centrale ou il est analysé et intégré dans un système de réponse adaptée.
On décrit des récepteurs thermiques sensibles aux variations de température et à leur vitesse
de variation et dont l’analyse sera modulée par les données des capteurs pileux qui informent
de la rapidité d’écoulement du flux de la colonne aérique. Les récepteurs mécaniques sont
extrêmement diversifiés, allant de la simple terminaison libre sensible à l’étirement du
conjonctif environnant aux corpuscules hautement spécialisés tels ceux décrits par Pacini,
Ruffini, Meissner ou Krause où la terminaison nerveuse se trouve entourée par une capsule
formée de lamelles conjonctives. Les critères d’analyse de ces capteurs ne doivent pas se
focaliser simplement sur la nature du stimulus mécanique, telle que la déformation de la
peau sous l’action d’une traction, torsion, pression. Il est bon de tenir compte, en outre, des
caractères spatio-temporels, tel que le mode d’installation, son maintien (continu ou
vibratoire) ou son interruption mais aussi la surface d’application du stimulus dont la
configuration géométrique est un facteur primordial dans la modulation de l’information
transmise. Parmi les autres critères de différenciations entrent en jeu l’adaptation lente ou
rapide, la sensibilité à la vitesse du mouvement ou au maintien d’une position.
La fonction de capteur goniométrique dévolue à la peau devient aisément compréhensible au
regard de la spécialisation de ses capteurs et de la nature des informations qu’ils transmettent.
En outre, l’organisme adapte localement et de manière personnalisée le revêtement cutané aux
sollicitations auxquelles il est soumis que ce soit par une augmentation de l’épaisseur de la
couche cornée mais aussi par l’action des fibroblastes et leur transformation adaptative en
fibrocyte et myofibroblastes.
Mais
le mode de transmission des sollicitations mécaniques externes appliquées à
l’organisme n’est pas seulement neurologique mais aussi humorale.
La cellule de Merkel est un mécanorécepteur situé en des zones privilégiées du corps. En
réponse à une sollicitation mécanique, elle sécrète des neuromédiateurs intervenant de
manière non exclusive dans la modulation de la douleur (12) .
La transition avec le rôle immunologique de la peau est aisée lorsque l’on visualise les
réactions de dermographisme provoquées par certaines techniques manuelles.
Cellule de Langerhans, mastocytes et ses médiateurs complètent la fonction de barrière
défensive de la peau, qui, après avoir été en contact avec l’agresseur, l’identifie et l’élimine
tout en mettant en mémoire ses caractères distinctif afin d’optimiser la réaction lors d’un
contact ultérieur.
Mais la peau n’est pas uniquement sensible aux stimuli thermiques, nociceptif ou mécaniques
et aux agents allergique ou infectieux, elle est aussi conçue pour identifier et réagir aux
rayonnements électromagnétiques non ionisants.
Ainsi force est de constater que la peau, organe du tact dont la surface et la richesse en
capteur est colossale par rapport aux autres organes sensoriels, exerce la fonction d’analyse et
de transfert des informations mécanique, thermique, immunologique et électromagnétique
appliquées aux corps, sollicitations qui interfèrent sur le mode de fonctionnement de
l’organisme humain.
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Désormais, il apparaît plus évident qu’on ne peut tenir à l’écart la peau dans les études
consacrées au mode d’action de la médecine manuelle, discipline qui s’intègre pleinement
dans la grande famille des réflexothérapies aux cotés des autres thérapies telle que
l’acupuncture.
Le système neuro-végétatif
Il assure la trophicité des organes. Le tonus sympathique module le débit vasculaire. Toute
agression chronique influencera son fonctionnement, pouvant à l’extrême s’emballer,
participant aux manifestations cliniques des algo-neurodystrophies. Les techniques de
massage réflexe sont un complément thérapeutique non négligeable dans toutes les
pathologies chroniques et en prévention de ces dernières. L’effet parasympathicomimétique
est dû en fait à la levée de l’hypertonie sympathique( 1, 18).
En outre les stimulations cutanées du massage réflexe passe par la stimulation des cellules de
Merkel dont on connaît le rôle dans la libération des médiateurs de l’inflammation. Le lien
étroit entre la peau et le système neuro-végétatif s’exprime dans le cadre du réflexe d’axone
où une stimulation cutanée avec un objet pointu entraîne, par le biais d’une direction
antidromique au sein de la fibre nerveuse vers les terminaisons nociceptives libérant la
substance P ; entraînant une vasodilatation arteriolaire et en se fixant sur les mastocytes, une
libération d’histamine. L’ensemble pouvant s’exprimer par la triade de Lewis : œdème,
rubéfaction et réaction urticarienne.
L’étiologie rachidienne
Robert Maigne nous a enseigné l’importance de la recherche du syndrome cellulo-ténopériosto-myalgique vertébral segmentaire devant toute douleur de l’appareil locomoteur. Le
membre inférieur est le siège de ces algies rapportées aux dysfonctionnements segmentaires
du rachis lombaire (11). L’examen palpatoire soigneux permet de redresser des diagnostics
de tendinopathie, telle celle de la patte d’oie ou calcanéenne, et de les soulager par une
manipulation du segment intervertébral incriminé.
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