consommation collaborative : quels enjeux et quelles limites pour
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consommation collaborative : quels enjeux et quelles limites pour
CONSOMMATION COLLABORATIVE : QUELS ENJEUX ET QUELLES LIMITES POUR LES CONSOMMATEURS ? Colloque INC 7 novembre 2014 - Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique OUVERTURE F RANCIS AMAND, PRESIDENT C ONSOMMATION (INC) DU CONSEIL D ’ ADMINISTRATION DE L ’I NSTITUT N ATIONAL DE LA Je vous souhaite la bienvenue à Bercy pour ce colloque organisé par l’Institut national de la consommation. Tout d’abord, je vous prie d’excuser Madame Carole Delga, la secrétaire d’Etat en charge du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, qui est retenue en Ariège pour le lancement du Mois de l’économie sociale et solidaire. Elle m’a toutefois assuré qu’elle nous accompagnera par la pensée, et je suis d’autant plus certain qu’elle le fera que l’économie sociale et solidaire rejoint sous certains aspects, côté production, la problématique de la consommation collaborative. La principale mission de l’INC est d’accompagner le consommateur français dans tous ses actes de consommation, pour lui permettre de déjouer les pièges de l’offre et d’accéder aux produits et aux services qui lui conviennent le mieux. A ce titre, nous avons tenu trois colloques cette année. Le premier colloque, organisé en partenariat avec l’Agence Qualité Construction (AQC) et l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (Anah), portait sur les outils disponibles et le droit mobilisable pour améliorer la qualité du logement. Le deuxième colloque visait à évaluer et échanger sur les dispositifs existants pour piloter la consommation alimentaire. Le troisième colloque tenu aujourd’hui est plus exploratoire mais néanmoins essentiel dans la mesure où il traite d’un nouveau mode d’accès aux produits : la consommation collaborative. Ce mode d’accès aux produits connaît un développement rapide et occupe dorénavant une place importante dans l’économie réelle ; il suscite aussi nombre d‘interrogations, comme en atteste le nombre d’articles parus dans la presse sur ce sujet. Il est ainsi inévitable qu’un établissement financé par les fonds publics s’intéresse à ces problématiques qui concernent un nombre significatif de consommateurs, et exerce sa mission de prévention des difficultés de consommation pouvant en résulter, ainsi que son rôle de conseil aux pouvoirs publics pour protéger les consommateurs. Le rapide développement de la consommation collaborative en fait un phénomène significatif, notamment si on donne à cette notion un contour large. J’estime que les termes de « consommation collaborative » recouvrent des formes très diverses d’accès à la consommation : les Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne (AMAP), les véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC), les groupes sociaux qui formulent des avis, etc. Ce terme englobe ainsi des pratiques variées, voire disparates, que le rassemblement sous un même terme ne doit pas conduire à mal évaluer. Les discussions menées dans le cadre de ce colloque viseront donc notamment à cerner ce sujet afin de l’appréhender au mieux. Je vous propose une définition large qui rend compte de la caractéristique commune à toutes les pratiques considérées à un titre ou à un autre comme relevant de la consommation collaborative : il y a consommation collaborative chaque fois que le bien acquis, ou la prestation rendue, l’est auprès d’un autre consommateur, ou a été élaboré(e) ou consommé(e) en commun avec au moins un autre consommateur. Cette définition n’exclut que les strictes relations commerciales entre un commerçant et un consommateur. D’autres définitions ont été proposées. 1 INSTITUT NATIONAL DE LA CONSOMMATION www.conso.net CONSOMMATION COLLABORATIVE : QUELS ENJEUX ET QUELLES LIMITES POUR LES CONSOMMATEURS ? Colloque INC 7 novembre 2014 - Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique Néanmoins, pour appréhender de manière cohérente l’ensemble de la problématique, il convient d’adopter un spectre large. Sous cet angle, la consommation collaborative, souvent donnée comme traduisant un phénomène nouveau, recouvre des usages anciens. Dans les milieux agricoles, le matériel agricole ou certaines consommations sont partagés ; l’entraide agricole est également répandue. Je ferai également référence aux traditions anciennes d’hospitalité : les Français et les Européens n’ont pas attendu Airbnb pour héberger leurs concitoyens, notamment les pèlerins. Dans les années 1970, l’émission de RTL « Les routiers sont sympas » permettait à des personnes de se faire transporter gratuitement par les routiers. Les systèmes d’échanges locaux, très en vogue à la fin du siècle dernier, correspondaient également à des pratiques de consommation collaborative, de même que les échanges au sein des communautés. Ces échanges étaient fondés sur le désir de partager une expérience commune entre semblables. La collaboration était considérée plus importante que la simple valeur de la prestation reçue ou du produit acquis. Ces pratiques anciennes sont remises aujourd’hui sur le devant de la scène du fait du développement technologique facilitant les mises en relation et permettant une véritable industrialisation des échanges. On peut toutefois se demander si les principes sous-tendant les échanges passés ne sont pas remis en cause à cette occasion. Ainsi, contrairement aux pratiques actuelles, les exemples cités du passé n’incluaient pas d’échange monétaire. Or, aujourd’hui, une majeure partie de la consommation collaborative donne lieu à des échanges financiers qui induisent des phénomènes de marché inexistants à l’origine. La consommation collaborative a ainsi vécu une modification de nature puisque l’essentiel des actes de consommation collaborative donne lieu à des transactions financières. L’objectif principal de celui qui offre est le plus souvent d’obtenir une rémunération spécifique. De plus, la sophistication des outils de communication entre les consommateurs a engendré un changement de dimension. Il est désormais possible de faire communauté avec n’importe qui pour collaborer sur la définition des produits ou des prestations. Plusieurs études ont été réalisées pour appréhender ce changement de nature et de dimension de la consommation collaborative. Une étude réalisée par Ipsos en 2012 souligne que les personnes qui pratiquent la consommation collaborative ne rejettent pas la société de consommation : elles aspirent à consommer mieux. A ce titre, elles s’inscrivent dans des problématiques consommatoires plutôt que sociales ou relationnelles. Une autre étude réalisée en 2014 par l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo) montrait que les personnes recourant à la consommation collaborative étaient des personnes significativement plus connectées et plus adeptes des technologies que la moyenne. Ces deux études illustrent donc la combinaison de ce changement de nature et de ce changement de dimension. Ce double changement questionne les pouvoirs publics qui constatent qu’une part croissante des consommateurs se détourne des marchés qu’ils régulent. En effet, les consommateurs se détournent des commerçants auxquels s’applique la réglementation relative aux offres trompeuses ou illicites. Ce détournement des consommateurs français vers la consommation collaborative pour des raisons consommatoires traduit-il une régulation excessive, insuffisante ou inadaptée des commerçants ? Le renforcement continu du droit applicable aux commerçants instille-t-il chez le consommateur une méfiance accrue ? Par ailleurs, cette croissance de la consommation collaborative signifie-t-elle que les pouvoirs publics ne sont plus capables d’identifier l’intérêt collectif ? En d’autres termes, le développement de cet espace de liberté en dehors du marché régulé signifie-t-il que les pouvoirs 2 INSTITUT NATIONAL DE LA CONSOMMATION www.conso.net CONSOMMATION COLLABORATIVE : QUELS ENJEUX ET QUELLES LIMITES POUR LES CONSOMMATEURS ? Colloque INC 7 novembre 2014 - Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique publics ne sont plus les seuls dépositaires de l’intérêt général ? Qu’emporte ce retour vers l’ancien monde, antérieur à la spécialisation commerciale, à l’intermédiation par les commerçants et au développement de l’ordre public de protection des consommateurs ? Enfin, ce retour vers une version originelle de la consommation peut-il se dispenser d’un nombre minimal de règles dès lors que les échanges entre les consommateurs sont organisés par des structures commerciales ? La croissance de la capitalisation boursière des plateformes de mise en relation pose ainsi question en ce qu’elle traduit un transfert de richesse des consommateurs vers des tiers aux transactions. Je vous propose de répondre à ces interrogations en traitant de trois questions plus techniques : Le droit qui protège le consommateur qui consomme est-il opposable au consommateur qui fournit ? Quelle est la responsabilité de l’intermédiaire ? Le droit qui lui est applicable est-il suffisant ? En l’absence de régulation étatique, les systèmes assurantiels apportent-ils les garanties de loyauté et de licéité des transactions ? Ces points constituent l’objet de ce colloque qui, en revanche, n’abordera pas la question des conséquences du développement de la consommation collaborative sur le fonctionnement des marchés. Certes, la demande de régulation des pratiques et outils de la consommation collaborative provient essentiellement des commerçants qui se sentent concurrencés de manière déloyale, mais le sujet du jour est la protection du consommateur en tant qu’offreur de produits ou consommateur de produits. Pour traiter ce sujet, la matinée est organisée autour de deux tables rondes. Dans un premier temps, vous délimiterez les contours débattus de la consommation collaborative qui recouvre des réalités différentes. Dans un second temps, il s’agira d’border les enjeux et impacts juridiques pour les offreurs et les demandeurs, notamment la puissance du code civil, du code de la consommation ou de toute autre réglementation comme celle supervisée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) - en effet, au-delà de la mise en relation d’un offreur et d’un demandeur, l’intermédiaire gère les évaluations par la constitution de fichiers dont l’utilisation potentielle peut être anxiogène. Les corpus de droit mobilisés sont ainsi variés. Pour conclure, ce colloque constitue la première étape d’analyse de ce phénomène important. J’espère que vos débats seront riches. En tout état de cause, je prendrai connaissance avec grand intérêt des premières conclusions auxquelles vous parviendrez. 3 INSTITUT NATIONAL DE LA CONSOMMATION www.conso.net