pourquoi des logiciels libres

Transcription

pourquoi des logiciels libres
ANALYSE
2014
POURQUOI DES LOGICIELS
LIBRES ?
Par Maxime Verbesselt
Une publication ARC - Action et Recherche Culturelles asbl
Avec le soutien du service de
l’Éducation permanente de la
Fédération Wallonie-Bruxelles
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POURQUOI DES LOGICIELS LIBRES ?
Une publication ARC - Action et Recherche Culturelles
« Quand les utilisateurs ne contrôlent pas le programme, c’est le programme qui
contrôle les utilisateurs. Le développeur contrôle le programme, et par ce biais,
contrôle les utilisateurs. Ce programme non libre, ou « privateur », devient donc l’instrument d’un pouvoir injuste. »
Définition du logiciel libre par la Free Software Foundation
Une analyse de Maxime Verbesselt
O
n confond parfois « logiciel libre » avec « logiciel gratuit ». Or, si l’adjectif « libre » a
été choisi, c’est bien parce qu’il recouvre toute une démarche politique qui dépasse
les frontières du monde informatique pour s’appliquer dans les domaines de l’économie, de la politique ou du droit. Que sont les logiciels libres, d’où provient leur
philosophie et comment peuvent-ils contribuer à libérer les citoyens ?
QU’EST-CE QU’UN LOGICIEL LIBRE ?
Avant de s’intéresser à son caractère libre, définissons simplement ce qu’est un logiciel. Il s’agit d’une
application informatique répondant à un besoin (écrire un texte, naviguer sur Internet, réaliser une
création graphique...) composée d’un ensemble de lignes de textes, écrites dans un langage de programmation que l’on appelle le code informatique. Un logiciel, c’est un peu comme le moteur d’une
voiture: la plupart des conducteurs l’utilisent tous les jours, mais n’ont qu’une idée très floue de la
manière dont celui-ci fonctionne.
En quoi donc un code informatique peut-il être libre? Il est important de dissiper un malentendu
dès le début: un logiciel libre n’est pas forcément un logiciel gratuit. Le cœur du projet n’est pas la
gratuité, mais bien la liberté. Ou plutôt les libertés, puisqu’à la base, un logiciel est considéré comme
libre lorsqu’il garantit quatre libertés fondamentales pour ses usagers.
• la liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages ;
• la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins ;
• la liberté de redistribuer des copies du programme (ce qui implique la possibilité aussi bien de
donner que de vendre des copies) ;
• la liberté d’améliorer le programme et de distribuer ces améliorations au public, pour en faire
profiter toute la communauté.
Pour comprendre la philosophie des logiciels libres et leur intérêt pour leurs utilisateurs, il faut
rapidement replonger à leurs origines. Dans les années 1970, quelques ingénieurs développaient les
premiers logiciels informatiques. Le phénomène est neuf et les quelques initiés qui se lancent dans
l’aventure font preuve d’un grand esprit communautaire et partagent leurs connaissances, leurs
informations et leurs programmes. Très vite cependant, des sociétés éditrices de logiciels vont comprendre qu’elles peuvent tirer un bénéfice de ces nouveaux outils informationnels.
On va donc assister à une appropriation par ce qui deviendra les premières grandes sociétés informatiques, Microsoft en tête de liste, des codes informatiques et des programmes. Ce qui était au
début naturellement partagé et rendu public sera privatisé et protégé par la propriété intellectuelle
sous forme de brevets. Ce qui était considéré comme du partage sera qualifié de piratage par les
instigateurs de ce monopole.
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POURQUOI DES LOGICIELS LIBRES ?
Une publication ARC - Action et Recherche Culturelles
Au début des années 80, Richard Stallman, un informaticien de l’université du Massachussetts, décide
de lutter contre cette entreprise de confiscation de ce qui était considéré comme un bien commun.
Il constitue la Fondation du logiciel libre et crée le projet GNU. Son but ? Développer un système
d’exploitation qui soit entièrement libre, et donc conforme à l’esprit fédérateur originel.
SIMPLE COMME UNE RECETTE DE CUISINE
La recette de cuisine est une image souvent utilisée par les adeptes du logiciel libre pour expliquer
son principe aux non-initiés. Si je vais au restaurant, je peux commander un bon plat. Je vais sans
doute payer plus cher que si je m’étais préparé la même chose dans ma cuisine, mais je n’ai sans
doute pas les mêmes compétences culinaires que le chef du restaurant et je n’ai aucun effort à
produire, il me suffit de m’asseoir et d’attendre que l’on vienne m’apporter mon plat. Cependant,
s’il y a un ingrédient qui me déplait, je pourrai difficilement le faire retirer de l’assiette, surtout si
celle-ci m’a déjà été servie, ou que je ne sache pas identifier l’élément qui donne un goût déplaisant
à mon repas. De plus, je ne pourrai sans doute pas refaire la même recette chez moi, car le cuisinier garde jalousement ses secrets. Après tout, il s’agit de son gagne-pain. Ce repas, c’est le système
d’exploitation -ou n’importe quel logiciel- privateur qui
m’a été fourni par une société commerciale, comme par
exemple le Windows de Microsoft, ou le OS X.
DES BREVETS ET DES CODES
S’il s’agit de quelque chose qui semble normal aujourd’hui, la possibilité de breveter des logiciels a
été le résultat d’un important lobbying de la part
des entreprises commerciales informatiques. En effet, on ne peut pas protéger n’importe quoi avec
brevet. Par exemple, une formule mathématique ne
peut pas être brevetée. La possibilité de protéger
un algorithme informatique, qui est une application
technique d’une formule mathématique, n’est donc
pas forcément évidente. En Europe, ce n’est pas le
logiciel en tant que tel qui est peut être breveté,
mais bien le code informatique de ce logiciel, considéré comme une œuvre littéraire. La plupart des
brevets sont néanmoins déposés aux États-Unis;
ainsi, les entreprises américaines peuvent défendre
leur avance sur la concurrence.
Si je suis cuisinier -amateur ou professionnel- et que je
décide de publier ma recette, que je la partage à la communauté en proposant à celle-ci de l’utiliser, de la modifier -rajouter un peu de ceci dans la sauce, retirer un
peu de cela dans l’accompagnement- à la condition de
partager ces modifications suivant les mêmes modalités,
on peut dire que je suis partisan de la «recette de cuisine libre». Toute l’information (les ingrédients, le temps
de cuisson, les conseils de présentation de l’assiette) est
libre d’être utilisée, adaptée, partagée. Après, libre à moi
d’ouvrir mon restaurant et d’utiliser ces recettes pour
faire commerce de mes talents de cuisinier, à condition
de partager mon savoir sans contrepartie.
LA LICENCE PUBLIQUE GÉNÉRALE
Imaginons maintenant un cuisinier malhonnête. Celui-ci
officie dans son restaurant, qui a pignon sur rue. Un jour,
il tombe sur quelques recettes libres que vous avez concoctées, ou auxquelles vous avez contribué.
Sentant le bon filon, notre fourbe cuistot décide de les reprendre à son compte et d’en faire un
menu. Celui-ci est un véritable succès, mais lorsque ses clients -parmi lesquels se trouvent plusieurs
marmitons en herbe- lui demandent s’ils peuvent connaître les différentes étapes à suivre pour réaliser les plats proposés, celui-ci refuse catégoriquement, s’appropriant le savoir-faire et les connaissances communes qui lui ont permis de mitonner son buffet. C’est pour éviter ce type de situation
que les libristes (c’est ainsi que l’on appelle les personnes attachées aux valeurs éthiques véhiculées
par le logiciel libre et la culture libre en général) ont créé la licence GPL (pour General Public Licence.)
Il s’agit d’un outil juridique qui garantit qu’un programme provenant d’un logiciel libre doit être
distribué suivant les mêmes conditions. Si j’utilise un code publié sous licence GPL pour éditer
un nouveau logiciel, ce dernier devra automatiquement être partagé sous la même licence. Cette
condition est appelée «copyleft», en référence au copyright. Left peut être compris comme l’opposition entre droite et gauche, mais également comme «laissé»; c’est à dire que l’auteur laisse tous ses
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droits (exécuter, étudier, modifier, copier, distribuer) à l’utilisateur.
LES AVANTAGES DU LOGICIEL LIBRE POUR L’UTILISATEUR
Même si pour les libristes purs et durs, il s’agit d’un effet secondaire bénéfique et non d’un caractère
fondamental, le prix est un argument de poids pour passer au logiciel libre. Celui-ci est en effet
(pratiquement toujours) gratuit. Système d’exploitation, retouche photo, montage vidéo... autant de
programmes très coûteux, pour peu que vous ne soyez pas adeptes du téléchargement illégal pour
des raisons techniques ou éthiques (280 € pour une licence annuelle de Photoshop, 120 € pour
Windows 8...). La robustesse des logiciels libres est également une excellente raison de préférer
les logiciels libres. En effet, le code étant accessible à tout un chacun, si des erreurs se glissent d’une
version à l’autre, elles seront corrigées plus ou moins rapidement en fonction de la complexité du
problème et de la taille de la communauté travaillant sur le logiciel en question. Cela empêche également les développeurs de truffer leurs programmes de logiciels espions et de fonctionnalités inutilement gourmandes en ressources qui font ramer les ordinateurs plus anciens. On ne peut jamais
être sûr de ce qu’il y a dans un programme si nous n’avons pas accès à son code source. Le logiciel
libre est donc une garantie contre une certaine forme d’obsolescence programmée, mais également
contre la possibilité pour les grandes sociétés ou les autorités publiques de récolter nos données
personnelles. L’éthique de ce modèle économique n’est pas non
plus étrangère à son succès. Comme expliqué plus
haut, la licence GPL protège la liberté des utilisateurs. Elle le fait en s’opposant aux excès de la
propriété intellectuelle, appliquée dans le domaine
informatique sous forme de brevets déposés par
des entreprises qui veulent s’octroyer le monopole sur des lignes de code, dans le but d’écraser la
concurrence. Dans un monde où tous les logiciels
seraient protégés par la propriété intellectuelle,
on devrait recommencer à zéro chaque fois qu’on
voudrait programmer un nouvel outil informatique,
tout en étant prudent: imaginons que, par hasard,
je code quelques lignes qui sont déjà la propriété
d’une entreprise, je risque de devoir lui payer des
droits d’auteur et de m’acquitter d’une amende salée. Grâce au logiciel libre, les programmeurs ne
doivent pas «réinventer la roue» à chaque nouveau
projet, puisqu’ils ont déjà accès au code source de
tous les logiciels libres confectionnés préalablement.
LIBRE VS OPEN SOURCE
On fait souvent un amalgame entre logiciel libre et
logiciel Open Source. Techniquement, il y a relativement peu de différences, mais il s’agit avant tout
d’une divergence idéologique. L’Open Source Initiative, créé en 1988, promeut les logiciels dont le code
est ouvert pour des raisons principalement d’ordre
économique, en mettant de côté les aspects philosophiques du logiciel libre. Pour la FSF, il s’agit d’une
trahison des motivations premières du logiciel libre,
à savoir la liberté de l’utilisateur. Pour le mouvement
open source, l’accès au code d’un logiciel est une
question pratique, et non éthique. Richard Stallman
nous propose une explication plus approfondie de la
différence entre un logiciel libre et un logiciel opensource.
EN ROUTE POUR LA LIBERTÉ !
Ce qui fait fonctionner les logiciels libres comme une réalité et pas seulement comme un concept,
c’est la participation de ses multiples contributeurs. Chacun est invité à porter sa petite pierre à
l’édifice, que ce soit en créant des nouveautés ou en améliorant les logiciels existants. Faut-il dès lors
être un programmeur ou un informaticien pour participer à cette aventure ? Si le libre ne pouvait
compter que sur des techniciens, il n’aurait jamais pu prendre une telle ampleur aujourd’hui. Alors,
comment puis-je, moi qui n’ai aucune compétence informatique, soutenir ce projet mondial?
La manière la plus simple et la plus évidente, c’est d’abord de les utiliser et d’en faire la promotion
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autour de soi, dans sa famille, dans son école, au sein de son entreprise. Expliquer la notion de liberté, montrer que ce n’est pas si difficile que ça de s’y mettre. Il ne faut pas nécessairement migrer vers
GNU d’un coup; le changement peut se faire en douceur, en remplaçant d’abord son navigateur web
ou ses logiciels de bureautique (traitement de texte, tableur,…). Ensuite, il y a différents moyens de
collaborer avec le monde du libre sans écrire une seule ligne de code. Par exemple, en proposant
des traductions françaises de logiciels n’existant qu’en anglais, ou alors en aidant au «debug» des
logiciels: les tester et rapporter aux concepteurs les petits problèmes qui apparaissent lors de l’utilisation, les points qui pourraient être améliorés.
Le logiciel libre est l’exemple le plus manifeste de ce que peuvent créer les citoyens lorsqu’ils décident collectivement de résister à l’appropriation des biens communs par des intérêts privés. Non
seulement les libristes s’organisent et collaborent à travers le monde entier sur un même projet
porteur de valeurs, mais ils ont réussi à donner un poids non négligeable au logiciel libre dans l’économie. Voici peut-être une étape importante de nos luttes quotidiennes pour un changement de
société, « parce que ce serait l’une des plus grandes opportunités manquées de notre époque si le logiciel
libre ne libérait rien d’autre que du code. La route est longue, mais la voie est libre» – devise de Framasoft,
réseau francophone dédié à la promotion du libre.
Maxime Verbesselt
Chargé de recherche à l’ARC
QUELQUES PISTES POUR SE LANCER DANS LE LIBRE
Framasoft, la référence francophone en matière de libertés informatiques. Vous y trouverez notamment la
Framakey et le FramaDVD, bourrés de logiciels libres et d’aides en tout genre.
April, les pionniers du libre dans le monde francophone.
La page Wikipedia consacrée à la correspondance entre logiciels propriétaires et logiciels libres, utile pour
connaître les alternatives pour remplacer les programmes que vous utilisez le plus souvent.
La liste des clubs belges dédiés à GNU/Linux. Il y en a forcément un près de chez vous et il se fera une joie
de vous aider à vous libérer.
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