Section 1. Fondement et classification des contrats
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Section 1. Fondement et classification des contrats
Section 1. Fondement et classification des contrats Traditionnellement la force obligatoire du contrat est expliquée à travers le principe de l’autonomie de la volonté (§ 1). En outre compte tenu de leur diversité une classification des contrats s’impose (§ 2). § 1. Fondement du contrat : l’autonomie de la volonté Après avoir dégagé la théorie de l’autonomie de la volonté (A), il convient de s’intéresser à son déclin (B). A. La théorie de l’autonomie de la volonté Le contenu de cette théorie renvoie à plusieurs conséquences. 1. Contenu de la théorie de l’autonomie de la volonté Fondée sur une analyse philosophique individualiste et sur la doctrine économique libérale, la théorie de l’autonomie de la volonté considère que l’homme étant libre par essence ne peut s’obliger que par sa propre volonté. Le tenants de la théorie de l'autonomie de la volonté estiment, en outre, que l’homme ne pouvant agir contre ses intérêts, ses obligations volontairement consenties ne peuvent être que justes et équitables. 2. Les conséquences de la théorie de l’autonomie de la volonté La théorie de l’autonomie de la volonté ainsi dégagée, produit plusieurs effets. - Le principe de la liberté contractuelle : toute personne est libre de contracter ou de ne pas contracter ; une personne ne pourra se voir imposer un cocontractant ou une clause qu’elle ne souhaite pas. - Le principe du consensualisme : la volonté d’une personne suffit à l’engager. Le contrat est valable du seul échange des consentements sans qu’aucune condition de forme ne soit requise (c’est bien le principe). - Le principe de la force obligatoire du contrat : celui qui s’est librement engagé ne peut se délier de cet engagement : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les faites » (art. 77 RGO, 1134 c. civ.). - Le principe de l’effet relatif du contrat : seul celui qui a manifesté sa volonté de s’engager dans un contrat est lié par ce contrat : « les conventions n’obligent que les parties contractantes, elles ne nuisent pas aux tiers» (art. 78 RGO ; art. 1165 c. civ.). La théorie de l’autonomie de la volonté telle qu’énoncée par les classiques a connu un déclin pour diverses raisons. B. Le déclin de la théorie de l’autonomie de la volonté Le déclin de la théorie de l’autonomie de la volonté résulte de plusieurs causes (1) et produit d’importantes conséquences (2). 1. Les causes du déclin de la théorie de l’autonomie de la volonté Les causes du déclin en question sont liées aux critiques doctrinales et au développement de l’ordre public. - Les critiques doctrinales Sur le plan philosophique, le postulat de la liberté initiale des hommes est démenti par l’observation élémentaire que l’homme vit en société nécessairement et que des liens d’interdépendance sont inhérents à toute vie sociale. Dans la formation de ces rapports d’interdépendance, la volonté joue un rôle modeste car elle ne les aménager que dans le cadre de la loi et dans la mesure où la loi le permet. Sur le plan moral, en fait les contractants n’ont pas une position d’égalité économique et sociale. Il en résulte que les plus forts imposent leur loi aux plus faibles. Sur le plan économique, la liberté sans frein conduit à l’anarchie dans la production et la distribution des richesses. Sans nier que l’intérêt personnel soit un facteur déterminant de l’activité économique, la direction de l’économie est apparue comme une nécessité. - Le développement de l’ordre public Les parties contractantes ne peuvent déroger aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs : sont illicites les contrats qui contreviennent aux règles d’organisation de l’Etat ou de la famille, à la morale sexuelle ou atteignent la dignité de la personne humaine … ces éléments appartiennent à l’ordre public classique. Encore appelé ordre public politique et moral, l’ordre public classique vise ainsi à protéger l’organisation fondamentale de la société et en particulier l’Etat, la famille et la vie sociale. Aujourd’hui l’ordre public a connu un essor remarquable. Ainsi, à côté de l’ordre public classique dont il a été question, on distingue l’ordre public économique et social qui se décompose en un ordre public de direction et un ordre public de protection. L’ordre public économique et social de direction régit l’activité économique à travers l’intervention de l’Etat afin de préserver l’intérêt général : taxation des prix, planification de la production, etc.). L’ordre public économique et social de protection vise à protéger la partie la plus faible face à la partie sensée être économiquement la plus puissante (protection du consommateur contre le professionnel, du salarié contre l’employeur, du locataire contre le bailleur, etc.). Il permet de faire face à certains déséquilibres contractuels. 2. Les conséquences du déclin de la théorie de l’autonomie de la volonté Le déclin de l’autonomie de la volonté a conduit à l’affaiblissement de sa portée. - Affaiblissement de la liberté contractuelle : certains contrats sont imposés (tels que le contrat d’assurance automobile) ; souvent la loi impose un cocontractant : droit de préemption du fermier, le propriétaire de la terre doit la vendre en priorité au fermier qui l’exploite. De même le législateur intervient dans le domaine économique et social afin de fixer les clauses de certains contrats, etc. - Affaiblissement du consensualisme : Parfois, il est exigé la rédaction d’un acte authentique ou sous seing privé pour la validité du contrat. - Affaiblissement de la force obligatoire des conventions : Ainsi, le législateur peut permettre à une partie de rétracter le consentement qu’elle a librement donné (exemple : en matière de crédit à la consommation). La loi permet au juge de réduire ou augmenter une clause pénale manifestement excessive ou dérisoire (art. 136, al. 3 RGO). - Affaiblissement de l’effet relatif : depuis longtemps déjà, le contrat est considéré comme un fait social que les tiers doivent respecter ou même qu’ils peuvent invoquer contre les parties. Malgré le déclin de l’autonomie de la volonté, l’importance du rôle de la volonté des parties dans le contrat n’est pas vraiment contestée et la validité du contrat n’est guère affectée. Nous aurons l’occasion de revenir sur la plupart des aspects ainsi soulevés. § 2. Classifications des contrats Il existe une grande variété de contrats et une classification s’impose. A ce niveau, plusieurs classifications peuvent être faites. On peut distinguer les contrats en fonction de leur mode de formation (A), ainsi qu’en fonction de leur objet (B), sans exclure l’existence d’autres classifications (C). A. Classification des contrats en fonction de leur mode de formation Là on peut distinguer les contrats consensuels, solennels et réels (1) tout comme les contrats de gré à gré, les contrats d’adhésion et les contrats forcés (2). 1. Les contrats consensuels, les contrats solennels et les contrats réels - Les contrats consensuels constituent la règle en vertu du principe du consensualisme ; ils sont les plus nombreux. Ces contrats se concluent par le seul accord de volontés des parties, aucune formalité n’étant nécessaire pour leur validité. Exemple : le contrat de vente de meubles, le contrat de louage, etc.). - Les contrats solennels ou formels eux exigent non seulement l’accord de volonté des parties, mais, en plus, l’accomplissement de certaines formalités, acte authentique, écrit sous seing privé etc. Exemples : contrat de mariage, l’hypothèque, le contrat de travail à durée déterminée, de société … . - Les contrats réels quant à eux exigent, en plus de la rencontre de volonté, la remise de la chose objet du contrat qui est une condition de validité du contrat. L’article 59 du RGO, enlève tout intérêt à cette distinction en disposant que « lorsque le contrat porte sur la remise de la chose, la remise matérielle de la chose ne constitue pas une condition de validité du contrat. Néanmoins, le RGO admet l’existence d’un contrat réel : le don manuel. Aux termes de l’article 60 RGO, « les dons manuels ne sont valables à défaut d’acte passé devant notaire dans les formes prévues pour les donations qui si la chose a été remise ». 2. Les contrats de gré à gré, les contrats d’adhésion et les contrats forcés - Le contrat est dit de gré à gré (ou contrat négocié) lorsque les clauses qu’il contient sont discutées individuellement et adoptées par les parties. Exemple : le contrat de vente est généralement un contrat négocié. - Le contrat est d’adhésion lorsque l’ensemble des clauses rédigées à l’avance par l’une des parties, est proposé à l’autre qui ne peut que l’accepter ou le refuser. Exemples : le contrat de travail, le contrat de transport sont généralement des contrats d’adhésion. - Les contrats forcés sont ceux qui sont imposés par la loi, on est obligé de conclure de tels contrats. Exemple : le contrat d’assurance automobile est un contrat forcé. B. Classification des contrats en fonction de leur objet Il s’agit des contrats synallagmatiques et des contrats unilatéraux (1); des contrats à titre onéreux et des contrats à titre gratuit (2); des contrats commutatifs et des contrats aléatoires (3); enfin, des contrats instantanés et des contrats successifs (4). 1. Contrats synallagmatiques et contrats unilatéraux - Le contrat est synallagmatique ou bilatéral lorsque les contractants s’obligent réciproquement l’un envers l’autre (art. 22, al. 1, RGO). Exemple : le contrat de vente, le contrat de louage, de travail, etc. - Le contrat est unilatéral lorsqu’il engendre des obligations à la charge d’une seule des parties (art. 22, al. 2, RGO). Exemple : la donation (seul le donateur est obligé ; il y a ici un créancier et un débiteur). Le contrat unilatéral ne doit pas être confondu avec l’acte juridique unilatéral qui l’est dans sa formation. Signalons qu’il existe ce que l’on appelle les contrats synallagmatiques imparfaits : ce sont des contrats unilatéraux au départ, qui deviennent synallagmatiques au cours de leur exécution. Exemple : le dépôt à titre gratuit est unilatéral au départ ; si le dépositaire doit engager les frais pour la conservation de la chose, le déposant devra le rembourser : il aura donc une obligation, le contrat deviendra synallagmatique imparfait. Les intérêts de cette distinction si situent à deux niveaux. D’abord, quant à la preuve, il existe un régime propre à chacun de ces deux types de contrats. L’acte sous seing privé qui constate un contrat synallagmatique doit être rédigé en double original (art. 275, RGO) ou en autant d’originaux que de parties ayant un intérêt distinct dans la situation. Celui (l’acte sous seing privé) qui constate un contrat unilatéral doit être en entier rédigé de la main de celui qui l’établit, à défaut il doit comporter outre la signature, la mention « Bon pour ». C’est la formule du « Bon pour » (art. 276, RGO). Ensuite, quant au fond, l’interdépendance des obligations nées d’un contrat synallagmatique conduit à soumettre leur exécution à un régime particulier. C’est ainsi que dans ces contrats, l’exception d’inexécution, la résolution pour inexécution fautive et la théorie des risques sont applicables. Ces notions seront examinées ultérieurement. 2. Contrats à titre onéreux et contrats à titre gratuit (art. 23, RGO) - Le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des parties reçoit un avantage. Exemple : la vente, le louage, etc. - Il est à titre gratuit ou de bienfaisance lorsque l’une des parties procure à l’autre un avantage sans contrepartie. Exemple : la donation. Les intérêts de la distinction sont importants. • La considération de la personne dans les contrats à titre gratuit est essentielle, par exemple, on ne donne pas à n’importe qui. • Les obligations de celui qui fournit un avantage gratuit sont moins lourdes (contrairement à un vendeur, un donateur n’est pas tenu à garantie). • La réglementation de l’acte à titre gratuit est plus stricte afin de protéger la personne qui s’engage sans contrepartie. 3. Contrats commutatifs et contrats aléatoires C’est une subdivision des contrats synallagmatiques. - Un contrat est commutatif lorsque chacune des parties, dès la conclusion du contrat, peut apprécier le montant de sa prestation et l’avantage que le contrat lui procure. Exemple : la vente, le louage, etc. - Le contrat est dit aléatoire lorsqu’il crée pour chacune des parties une chance de gain ou un risque de perte résultant d’un évènement incertain. L’importance des prestations de l’une des parties au moins n’est pas connue au moment de la formation de la formation du contrat. Exemple : le contrat de vente avec rente viagère (par lequel l’acheteur s’engage à verser au vendeur une rente jusqu’à sa mort) ; le contrat d’assurance, etc. L’intérêt de la distinction tient principalement à la possibilité d’agir en rescision pour lésion. En effet, la lésion n’est envisageable que dans les contrats commutatifs (avec la possibilité d’apprécier le déséquilibre). A l’inverse, l’aléa chasse la lésion dans les contrats aléatoires, chaque partie ayant accepté de courir un certain risque. 4. Contrats à exécution instantanée et contrat à exécution successive (art. 25 RGO) - Le contrat est à exécution instantanée lorsque les obligations qu’il fait naître sont susceptibles d’être exécutées en un trait de temps, l’instant. Exemple : la vente (en principe), l’échange. - Le contrat est à exécution successive lorsqu’il implique pour son exécution l’écoulement d’un certain temps soit ne raison de l’échelonnement des prestations ou en raison d’un rapport continu d’obligation. Exemple : le contrat de travail, le contrat de bail, etc. L’intérêt de cette distinction tient aux effets de la résolution pour inexécution : celle-ci a un effet rétroactif dans les contrats à exécution instantanée, mais ne peut avoir d’effet rétroactif dans les contrats à exécution successive. Pour ces contrats, on parle plutôt de résiliation, qui ne produit d’effets que pour l’avenir. C’est dans ces contrats également que peut se poser le problème de l’imprévision. C. Autres classifications des contrats On peut distinguer les contrats nommés et les contrats innommés, les contrats non électroniques et les contrats électroniques, les contrats conclus intuitu personae et les contrats sans intuitu personae ; les contrats privés et les contrats de droit public, etc. 1. Les contrats nommés et les contrats innommés - Les contrats nommés sont ceux qui correspondent à des types préétablis par la loi, donc spécialement réglementé par la loi. Exemple : la vente, le louage, l’échange et le dépôt sont des contrats nommés. - Par contre, les contrats innommés sont ceux qui ne correspondent à aucun type particulier de contrat réglementé par des textes spéciaux. Exemples : le contrat d’hôtellerie, le contrat d’occupation précaire, … . L’intérêt majeur de cette distinction tient à l’interprétation de l’accord. S’il s’agit d’un contrat nommé, le juge se réfère aux textes spéciaux en la matière. Quant aux contrats innommés, ils sont soumis aux règles générales d’interprétation, pas de règles spécifiques- (art. 7 RGO). On peut citer d’autres distinctions aussi. 2. Les contrats électroniques et les contrats classiques - les contrats électroniques sont ceux qui ont un support électronique, ce qui peut concerner aussi bien la formation que l’exécution du contrat concerné. - les contrats classiques sont ceux dont la formation et l’exécution se font sans support électronique. 3. Les contrats intuitu personae et les contrats non intuitu personae - un contrat est dit intuitu personae s’il est conclu en considération de la personne du cocontractant. On ne conclut pas ce genre de contrat avec n’importe qui (le contrat de travail, la convention de crédit, les donations, etc.). - quand la considération de la personne est indifférente dans un contrat, on dira que celui-ci n’est pas un contrat intuitu personae. C’est une hypothèse très répandue (le contrat de vente, le contrat de transport, par exemple). 4. Les contrats de droit privé et les contrats de droit public - les contrats de droit privé sont ceux qui sont soumis exclusivement aux règles du droit privé. - les contrats du droit public sont ceux-là qui en plus des éléments de droit commun sont soumis aux règles du droit public, ainsi exorbitantes du droit privé (les contrats administratifs par exemple). 5. Il y a aussi la distinction entre les contrats internes et les contrats internationaux, selon qu’on soit en droit interne ou en droit international. Après ces premières notions sur les contrats, il convient à présent de s’intéresser à leur formation.