Trois Jours du Condor 23 juin 2016 à 19h00

Transcription

Trois Jours du Condor 23 juin 2016 à 19h00
Trois Jours du Condor
Bande à part
22 septembre 2016
19h00
Salle Langlois
23 juin 2016 à 19 h00
CINÉ-CLUB DE L'AACDG
"LES FILMS DE MA VIE…"
V – 2016
BANDE A PART de Jean-Luc Godard (France, 1964, noir blanc, 95’), avec Anna Karina (Odile),
Claude Brasseur (Arthur), Sami Frey (Frantz), Jean-Luc Godard (Le narrateur), Scénario : JeanLuc Godard, d'après Dolores Hitchens "Fools' Gold", Photographie : Raoul Coutard, Musique :
Michel Legrand.
Un cours d'anglais, deux jeunes oisifs, une jeune fille naïve, un magot dans un pavillon de
banlieue, une Simca, un métro, neuf-minutes quarante-trois secondes, un hold-up...
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Des œuvres de JLG, le corpus allant de A bout
de souffle à Week-end me semble le plus
enthousiasmant. Après le Mépris (1963) tourné en couleur et en Scope en Italie - et
avant l'allégorique et flamboyant Pierrot le fou
(1965), voici son 7e film, Bande à part,
modeste récréation et série B tournée dans le
Paris habituel, en (superbe) noir et blanc. JLG
adapte une série noire recommandée par
Truffaut, Fools' Gold (traduit par Le Pigeon
vole, Gallimard, 1958), et en fait une sorte de
ciné-roman aux dialogues en partie improvisés.
Le trio d'acteurs. JLG offre ce rôle à Anna
Karina, alors en pleine déprime; après le film, le
couple semble s'être retrouvé. JLG met à profit
l'intense mélancolie de l'actrice et sa fraîcheur,
qu'elle sait insuffler dans l'improvisation. Sami
Frey, élégant acteur de théâtre, et Claude
Brasseur, dont la candeur et la brutalité sont
nécessaires au rôle.
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Dix minutes après, le soleil d’Austerlitz se levait
à la Bastille. Arthur demanda à Frantz si c'était
bien vrai qu'il avait caressé les genoux d'Odile.
Frantz dit que oui, et qu'elle avait la peau douce
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Dès le générique,
Jean-Luc
Cinéma
Godard
l'omnipotence de l'auteur est affirmée, et
annonce le recours à la voix off dont la poétique
du commentaire (qui procède de l'écriture)
semble surplomber le drame : l'utilisation du
discours indirect libre et des collages-citations
dote le discours cinématographique des
puissances du poème et du roman.
où même se suspendre (la minute de silence
presque en temps réel, la voix off s'adressant au
spectateur retardataire). Il faut également relever
le travail sur le son, parfois partiellement
inaudible : ce procédé renforce une éloquence de
l’image. L'alternance de la musique de Legrand
(jazzy/easy listening), scande à merveille les
séquences. Les plans-séquences étirés (comme
ceux dans la Simca, qui semblent tisser la
continuité de l'intrigue) et qui peuvent s’éterniser
(comme au cours d’anglais et lorsque l’intrigue
est censée reprendre à la scène du pavillon de
banlieue) participent à la poétique de la narration.
Le ton général du film est unique et très
particulier : véritable patchwork de film noir et de
burlesque et pur exercice de style fourmillant de
références (Queneau, Aragon, Shakespeare,
Breton, Truffaut, Demy, etc.) avec jeux
graphiques et citations.
En fusionnant les genres littéraires (poésie,
roman, mélodrame, tragédie, comédie), cinématographiques
(comédie
musicale,
policier,
western), et les styles (lyrique, parodique,
populiste, réaliste), JLG parvient à imposer un ton
commun, une unité globale qui n'est peut-être
rompue qu'au dénouement.
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Ce sont des gens réels et c’est le monde qui fait
bande à part …ils vivent une histoire simple, c’est
le monde autour d’eux qui vit un mauvais scénario
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Film sur la jeunesse dans le vide des années
soixante, dans l'instinct de l‘instant, Bande à part
montre des pieds nickelés plus fantaisistes que
contestataires (ils roulent sur les trottoirs, jouent
aux durs), et leurs agissements farfelus en font
des amateurs en tout, en amour, en aventure.
Les héros de JLG se croient dans un film, ils
Par son réalisme (proche du reportage) et vivent sans entrave, ce sont des personnages les
même son classicisme, Bande à part se plus libres qui soient. Mais la liberté pour en faire
distingue dans l'œuvre du cinéaste. Il s'agit quoi, peut-on se demander.
avant tout de raconter une histoire,
linéairement, moins dans la déconstruction La belle formule de Raymond Bellour, "Ils étaient
habituelle mais non sans ruptures ni trois, et la vie a couru entre eux" s'applique
rebondissements, digressions, parenthèses
dans la narration – les dialogues peuvent se
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chevaucher, devenir des pirouettes verbales,
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parfaitement : voyez la mise en scène lors de
l'épisode du bistrot – une femme entre deux
hommes, où l'on assiste à des permutations, à
des jeux de rôle, à une ronde des sentiments.
La fameuse séquence du Madison (dont le
tournage a été longuement préparé, répété et
repoussé) a souvent suscité la perplexité; elle
alterne plages de commentaires et de musique:
le trio danse en ligne, comme pour une parade
et pour la caméra.
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Ici on pourrait ouvrir une parenthèse et parler
des sentiments d'Odile, de Franz et d'Arthur,
mais, après tout, tout est déjà assez clair, mieux
vaut donc laisser parler les images et fermer la
parenthèse
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Le personnage d'Odile vit sa vie comme à la
marelle : elle ne marche pas, elle court, elle ne
court pas, elle vole. Fragile, puérile, versatile,
mais lucide : dans l'épisode du métro, la
chanson-poème d'Aragon est une sublime
adresse au public. Comme l'explique JLG, "elle
vit au jour le jour c'est-à-dire au sentiment"; il
fait d'elle une héroïne d'exception mais ce
statut tombe à plat devant la réalité de son
ignorance de tout (du monde, des hommes), se
laissant aller au hasard, tout en tentant de le
corriger et en jouant la grande personne.
"Que faire pour tuer le temps qui s’éternise
alors ?" demande-t-elle. Suit la jouissive
séquence de la visite du Louvre à la course (qui
a été improvisée au dernier moment), vraie
fantaisie furtive et bruyante.
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Mon histoire finit là, comme dans un roman bon
marché, à cet instant superbe de l'existence où
rien ne décline, rien ne dégrade, rien ne déçoit
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Pour toute cette richesse évoquée ici, ce
cinéma de poésie me touche : l'imaginaire y est
vécu dans la réalité et la fantaisie n'y est qu'une
composante du quotidien.
Jasmine Marchon