«Nous contrôlons tout ce qui bouge»

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«Nous contrôlons tout ce qui bouge»
«Nous contrôlons tout ce qui bouge»
Qu’il s’agisse d’une trottinette ou d’une remorque à seuil surbaissé – tout ce qui passe sur les routes
de Suisse est d’abord examiné sous toutes les coutures par le Dynamic Test Center de Bienne. Visite des
installations de destruction structurelle. Par Wolfgang Koydl et Ruben Hollinger (photo)
Bernhard Gerster a d’une certaine manière
concrétisé un rêve de jeunesse: il a le droit de
bousiller des voitures, et il est en plus payé
pour ça. Un exemple impressionnant du fruit
de ses efforts se trouve au bout du terrain, à
l’endroit où commence le parcours de test ouvert seulement depuis l’été dernier. C’était un
jour un break, devenu aujourd’hui méconnaissable sans les explications de Bernhard G
­ erster.
Le véhicule a été projeté contre un mur à
200 kilomètres à l’heure, et ne mesure plus aujourd’hui que la moitié de sa longueur initiale.
La moitié avant de la voiture donne l’impression d’être passée dans une presse à ferraille.
«Le vrai défi de cet essai consistait à accélérer
le véhicule jusqu’à cette vitesse, explique
­Bernhard Gerster. Nous avions différentes alternatives à disposition, parmi lesquelles une pente
que même un camion a un jour gravie, avant de
la dévaler et de simuler un accident.» Cependant, pour réellement atteindre des vitesses de
pointe, les experts ont un moteur de char en réserve, qui génère une puissance suffisante pour
lancer les véhicules sur la piste à toute allure.
«Sur la lune pour deux francs cinquante»
Souvent, des experts du domaine s’adressent à
Bernhard Gerster pour des véhicules plus
sportifs: la Fédération Internationale de l’Automobile ou FIA a voulu tester chez lui si les
filets de protection des spectateurs utilisés lors
des courses de Formule 1 pouvaient résister à
un impact à une vitesse de 150 kilomètres par
heure. Un fabricant de glissières de sécurité a
pour sa part souhaité savoir si ses produits
pouvaient supporter une collision à 200 kilomètres à l’heure, non pas sur autoroute, mais
sur une piste de course construite par Porsche
en Italie.
Les crashs ne sont toutefois qu’une partie du
travail accompli par Bernhard Gerster et ses
quelques trente-cinq collègues. Sur les vastes
installations du Dynamic Test Center AG
(DTC), situées dans les montagnes du Jura bernois au-dessus de Bienne, les experts testent et
contrôlent «tout ce qui a un moteur», comme
l’affirme Bernhard Gerster avant de se corriger: «En réalité, tout ce qui bouge.» En d’autres
termes les voitures, les avions, les machines
agricoles et de construction, les gyropodes, les
télécabines et même les trottinettes.
Bernard Gerster se tourne vers un cadre de
vélo posé dans un coin du laboratoire d’essai.
Même ce cadre a été soumis à un test de résistance par les ingénieurs du DTC. «Si on achète
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un cadre de vélo auprès d’un fabricant chinois,
on a envie de savoir si on a acheté à bon marché
ou à bas prix», sourit Bernhard Gerster. À bas
prix reviendrait à dire que la marchandise ne
vaut rien. À bon marché, par contre, serait synonyme de bonne affaire. Et ce qui vaut pour
les vélos vaut aussi pour l’industrie automobile, comme nous le confie l’expert. Aucun
autre domaine n’accorde une telle importance
au rapport qualité-prix: «La construction automobile revient à partir pour la lune avec
deux francs cinquante», affirme-t-il. «Le développement ne doit rien coûter, mais les exigences sont délirantes. Il est tout à fait incroyable de voir à quel point on en a pour notre
argent avec une voiture moderne.»
Il est d’autant plus important d’éviter les
pannes, domaine dans lequel le DTC peut se
montrer utile. Les grands constructeurs
comme BMW, Volkswagen, Fiat ou Peugeot
disposent évidemment de leurs propres installations d’essai et de test. Mais les importateurs,
les garagistes et les constructeurs de véhicules
de niche s’adressent aux ingénieurs qui travaillent à proximité du petit village de
Vauffelin, non loin de Bienne. Ces clients
­
veulent une qualité optimale: «Ce n’est peut-
«Il est incroyable de voir à quel
point on en a pour notre argent
avec une voiture moderne.»
être qu’un petit problème à chaque fois», souligne Bernhard Gerster. «Mais si j’ai 10 000 véhicules, j’ai 10 000 problèmes.»
Le client occupe une position cruciale dans le
seul centre de test suisse, fondé en 1994: les
constructeurs et les fournisseurs, les garages,
le secteur public, les assureurs et les tribunaux,
tous font appel aux services du DTC. «Notre
travail est traditionnellement très fortement
guidé par les demandes de nos clients, explique l’ingénieur automobile de 59 ans. Nous
acceptons toutes les demandes, puis nous étudions ce que l’on peut faire.» Bien que le DTC
soit une société par actions privée, il se montre
aussi incorruptible dans son travail que les autorités de contrôle fédérales. «Je dis toujours
qu’avec nous, on peut discuter de tout, sauf des
résultats de nos tests, insiste Bernhard Gerster,
gérant du DTC. Chez nous, les expertises de
complaisance n’existent pas.»
Les travaux des contrôleurs et des testeurs se
répartissent en cinq domaines: la sécurité ac-
tive porte sur le contrôle des modifications
techniques effectuées sur les véhicules; la sécurité passive s’intéresse quant à elle aux crashs.
Les Engineering Services proposent des prestations de conseil, des simulations, des calculs,
des activités de développement et de formation. Les analyses des accidents menées par le
DTC bénéficient quant à elles aux assureurs et
aux tribunaux. «Le petit dernier», comme
l’appelle Bernhard Gerster, est le contrôle des
systèmes d’aide à la conduite: assistants de
freinage d’urgence, contrôles automatiques de
vitesse. Un simple exemple montre la masse de
travail que le DTC doit traiter: à partir de novembre de l’année prochaine, tous les camions
sur les routes suisses devront être dotés d’assistants de freinage d’urgence et de maintien de
la trajectoire – et il faudra les tester.
Fonctionnement à basse température
Parallèlement à ces activités, le DTC coopère
avec le département Technique et informatique de la Haute école spécialisée bernoise à
Bienne pour former chaque année près de
trente ingénieurs automobiles diplômés. À la
question de savoir pourquoi un pays dépourvu
d’industrie automobile a besoin d’une telle
main-d’œuvre, la réponse est très simple: les
diplômés trouvent pour la plupart une place
de travail dans la sous-traitance, qui génère un
chiffre d’affaires annuel de douze milliards de
francs, comme le rapporte Bernhard Gerster,
avant d’ajouter: «Rares sont les endroits du
monde où on ne trouve pas de voitures ne
contenant aucune pièce de fabrication suisse.»
D’autres étudiants rejoignent les importateurs automobiles, les carrossiers, l’industrie
aéronautique (l’usine Pilatus fait partie de l’actionnariat du DTC), l’industrie ferroviaire avec
notamment Stadler ou Bombardier, ou encore
le secteur public, en travaillant par exemple
pour l’Office fédéral des routes. «En Suisse, on
ne trouve pas d’ingénieurs automobiles au
chômage, souligne Bernhard Gerster, non sans
fierté. Tous ceux qui veulent travailler trouvent
un emploi.» La formation au DTC repose essentiellement sur une combinaison entre théorie et pratique: «Nos étudiants se sont déjà retrouvés avec les doigts ensanglantés.» Même la
créativité ne s’en trouve pas bridée: «Les idées
folles sont bien souvent une bonne chose»,
soutient Bernhard Gerster. Il cite en exemple le
triporteur Kyburz de La Poste, sur lequel des
générations d’étudiants ont bûché: depuis
l’obtention de meilleurs angles d’inclinaison
Spécial auto 2014
«10 000 problèmes»: Gerster, ingénieur.
«À 200 kilomètres à l’heure. . .
Après dix tests, ils doivent passer un contrôle à l’hôpital: les mannequins de crash tests.
dans les virages jusqu’au fonctionnement à
très basse température.
Pratiquement rien n’échappe aux femmes et
aux hommes du Dynamic Test Center, aidés en
silence par leur troupe de mannequins de crash
tests orange, qui ont déjà terminé leur semaine
ce vendredi après-midi et se prélassent un peu
partout. Après dix tests, ils doivent passer un
contrôle à l’hôpital: leurs capteurs et leurs dispositifs de mesure, leurs organes en quelque
sorte, nécessitent un recalibrage.
Lorsque les mannequins sont projetés contre
un obstacle dans l’installation de simulation
de crashs, ils sont dans le feu éblouissant des
projecteurs, au sens strict du terme. 370 lampes
d’une puissance d’un kilowatt chacune
plongent toute la scène dans une lumière absolument crue. C’est la seule façon d’éclairer les
Spécial auto 2014
Photos: Ruben Hollinger pour Die Weltwoche (13 Photo AG)
8000 images par seconde requises pour documenter chaque test.
La parade des candidats à la casse
Ailleurs, des câbles aussi larges que des bras
serpentent sur le sol, rappelant des pythons:
on y effectue un test en continu des attelages
de remorques. À côté d’une banquette de trois
sièges d’avion, on peut voir un support à
roues, dont la partie inférieure est dotée d’un
épais butoir en caoutchouc. Il sert à tester ce
qui se passe lorsque le steward ou l’hôtesse de
l’air écrase inlassablement son chariot contre
les sièges. Un autre hall sert à contrôler comment les équipements médicaux restent toujours d’aplomb dans un hélicoptère de sauvetage, à l’aide d’une installation suspendue
complexe.
. . . contre un mur»: les véhicules d’essai.
Pendant ce temps, à l’extérieur, on trouve stationnés en rangs d’oignons les véhicules d’essais qui attendent d’être conduits à la casse, de
la Fiat Panda à la Volvo break, en passant par le
camping-car et le 38 tonnes. «Avant, explique
Bernhard Gerster, on achetait les véhicules chez
les ferrailleurs. Aujourd’hui, on les acquiert aux
enchères sur ricardo. Parfois, il nous arrive
même de faire un bénéfice», ajoute-t-il dans un
sourire malicieux. La fréquence des coups du
lapin chez les passagers en cas de collisions légères, à des vitesses de dix kilomètres par heure
maximum, est étudiée pour le compte des assureurs maladie. Le véhicule lui-même ne subit
que quelques légers dommages matériels.
«Nous revendons alors ces véhicules sur r­ icardo,
souligne-t-il, rayonnant. Parfois plus cher que
nous ne les avons achetés.» g
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