1 Intoxication aigue par le fer F.Chafiq, N. Rhalem, R. Soulaymani 1

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1 Intoxication aigue par le fer F.Chafiq, N. Rhalem, R. Soulaymani 1
Intoxication aigue par le fer
F.Chafiq, N. Rhalem, R. Soulaymani
1. Cas Clinique :
Un enfant âgé de 2 ans et demi est amené aux urgences pour douleurs abdominales et
diarrhées après avoir ingéré accidentellement un médicament utilisé dans les carences
martiales contenant 250,60 mg de sulfate ferreux par comprimé (cp). La dose supposée
ingérée étant inconnue. Le délai post ingestion est de 1 h. Le centre anti-Poison a été contacté
pour connaître la conduite à tenir devant ce type d’intoxication.
2. attitude préconisée pour notre patient :
Une radiographie de l’abdomen sans préparation (ASP) qui a visualisé 11 comprimés
radio opaque.
Un lavage gastrique avec du bicarbonate 14‰.
Un dosage du fer sérique à partir de la 4éme heure post-ingestion.
Une surveillance de l’état hémodynamique et neurologique.
Une chélation par la déferoxamine (Désferal®).
L’évolution a été favorable.
3. Introduction
L’intoxication aigue par le fer devient de plus en plus fréquente et s’observe essentiellement,
et d’une façon accidentelle chez la population pédiatrique de moins de 6 ans. Les suicides
concernent le plus souvent la femme enceinte.
Aux USA entre 1993 et 1994, 40 000 cas d’exposition aigue au fer ont été enregistrés et le fer
continu à être la première cause des intoxications accidentelles ayant causé des décès chez les
enfants.
Au Maroc, entre janvier 2001et novembre 2006, 34 cas d’exposition aigue au fer ont été
enregistrés au niveau de l’unité de l’information toxicologique du centre Anti poison et de
pharmacovigilance du Maroc.
L’augmentation de l’incidence est due à plusieurs facteurs :
•
La Présentation galénique des comprimés contenant du fer :
Leur couleur vive ressemblante à des bonbons et leur goût sucré sont à l’origine de
l’intoxication chez les enfants.
•
Les Médicaments vitaminés contenant le fer
•
L’ignorance de la toxicité potentielle du fer par les parents et la population en
générale.
4. Produits en cause
Les produits en cause sont généralement les médicaments contenant du fer ferreux quelque
soit le sel ferreux. Rarement les produit herbicides contenant les chlorures de fer
Trois principales préparations médicamenteuses sont disponibles. La toxicité potentielle est
variable selon la quantité de fer élémentaire ingéré pour chaque préparation :
o Le fumarate ferreux contient 33% de fer élémentaire
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o Le sulfate ferreux contient 20 % de fer élémentaire
o Le gluconate ferreux contient 12 % de fer élémentaire.
5. calcul de la dose toxique :
Pour calculer la dose toxique potentielle en fer ingéré, il est important de calculer la quantité
en fer élémentaire présente dans la préparation.
Dans notre cas, chaque comprimé contenant 256,3 mg de sulfate ferreux contient 20 % soit
51,6 mg de fer élémentaire donc pour notre patient qui a ingéré 11 comprimés à 256,3 mg de
sulfate ferreux, la dose ingérée en fer élémentaire est de :
11 cp x 51,6 = 31,5 mg/kg de fer élémentaire.
18 kg
La dose toxique en fer élémentaire est ≥ 20 mg /kg.
6. Pharmacocinétique et métabolisme de Fer
L’absorption de fer est rapide (pic entre 3 heure et 5 heure) et se fait par transport actif au
niveau du duodénum et du jéjunum, sous forme de fer ferreux.
La charge en fer total de l’organisme est de 3 à 5 g dont 70 % sont liés à l’hémoglobine sous
forme de fer ferreux (fe2+), et 25 % liés à la ferritine sous forme (fe3+) qui sert de stockage
dans le système réticulo-endothélial .
Une faible proportion du fer est liée à la myoglobine et aux cytochromes. La forme circulante
transportée par la transferrine constitue une très faible partie du fer de l’organisme.
L’excrétion de fer est très faible (1mg/j) principalement par désquamation digestive, et chez la
femme au cours des menstruations (15 à 70 mg/j).
7. Mécanisme de toxicité
En cas de surdosage, les capacités d’élimination et de transport de fer par la transferrine sont
rapidement saturées, d’où la présence dans le plasma de fer libre qui s’accumule et qui va
entraîner une toxicité à différents niveaux :
7.1. Tractus gastro-intestinal :
Le fer a un effet corrosif direct sur la muqueuse gastro-intestinale et provoque des ulcérations,
des hémorragies, une thrombose veineuse, un infarctus, et une perforation digestive. La
sévérité des lésions dépend de la quantité ingérée et de la durée de contact avec la muqueuse.
7.2. Système cardio-vasculaire :
Le fer libre a un effet vasodilatateur et va donc entraîner une hypotension, il augmente aussi
la perméabilité capillaire avec diffusion des fluides du compartiment vasculaire vers
l’interstitium. L’hypovolemie et l’hypotension favorisent l’acidose lactique. Il se produit aussi
une infiltration du tissu myocardique entraînant une cardiomyopathie.
7.3. Au niveau hépatique :
Le fer libre plasmatique s’accumule d’abord dans les cellules de Kuppfer puis dans les
hépatocytes et provoque une hépatotoxicité cellulaire et une nécrose massive periportale. Le
fer provoque aussi des lésions au niveau des crêtes mitochondriales et induit des réactions
d’oxydo-réduction, il shunt le transport électronique mitochondrial et est responsable d’une
acidose lactique.
7.4. Equilibre acido-basique
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L’acidose métabolique au cours de l’intoxication aigue par le fer peut être expliquée par
l’hypovolémie et l’hypotension.
7.5. Système nerveux central :
Les manifestations neurologiques suite à l’intoxication aigue par le fer résultent de
l’hypotension, l’hypoperfusion, de l’acidose métabolique, de la coagulopathie, et de
l’atteinte hépatique. Le fer peut entraîner un œdème cérébral dont le mécanisme est inconnu.
8. Clinique :
La présentation clinique de l’intoxication aigue par le fer a été décrite pour la première fois en
1964, on distingue 4 phases :
Phase 1 : de 30 minutes à 6 heures
Cette phase se caractérise par des troubles digestifs : à type de douleurs abdominales, de
nausées, vomissements et de diarrhées. Les effets corrosifs du fer vont se traduire par des
hématémèses et des melænas. Les vomissements sont un indicateur d’ingestion massive. A
cette phase Il existe d’exceptionnelles formes cliniques graves avec des lésions caustiques
majeures et décès. Si aucun signe digestif n’apparaît avant les 6 à 8 heures après l’ingestion,
l’intoxication aigue par le fer est de bon pronostic. Par contre la présence d’un état de choc, de
léthargie au début de l’intoxication est en faveur d’un mauvais pronostic.
Phase 2 :6 à 24 heures après l’ingestion
C’est la phase silencieuse, caractérisée par une résolution transitoire des signes digestifs, en
relation avec la diffusion du fer dans le plasma. Cet intervalle libre faussement rassurant peut
être marqué par quelques épisodes de somnolence. C’est à cette phase que les décisions
thérapeutiques doivent être prises.
Phase 3 :12 à 48 heures après l’ingestion
Une faible proportion des intoxiqués évolue vers cette phase. Elle est marquée par une
insuffisance rénale aigue, une nécrose hépatique, un ictère, une acidose lactique, des
hémorragies digestives, une coagulation intra vasculaire disséminée (CIVD) et des
complications infectieuses.
Phase 4 : 4 à 6 semaines après l’ingestion
C’est la phase des sténoses gastriques et duodénales.
9. Evaluation de la gravite dans les premières heures
Certains facteurs peuvent être prédictifs d’un mauvais pronostic à savoir :
1- la dose supposée ingérée ≥ 20 mg /kg de fer élémentaire.
2- l’existence de signes digestifs : vomissements, diarrhées, hémorragies.
3- Les signes radiologiques : la présence de comprimés radio opaques sur l’ASP, localise
les comprimés soit au niveau du tube digestif ou dans l’intestin grêle.
4- les signes biologiques de gravité : une hyperleucocytose > 15000 mm3 et une
hyperglycémie > 8mmol/l.
5- le dosage de fer sérique : cet examen doit être réalisé entre la 4ème et la 6ème heure
et éventuellement répété les heures suivantes. Ce taux plasmatique permet d’apprécier
la sévérité de l’intoxication :
• <150 µg/dl : taux normal.
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• 150 à 350 µg/dl : intoxication modéré.
• 350 à 500 µg/dl : intoxication potentiellement sévère.
•
500 à1000 µg/dl : intoxication sévère.
• > 1000 µg/dl : intoxication potentiellement létale.
10. Traitement :
Décontamination digestive :
Le lavage gastrique est indiqué en cas d’ingestion récente, avec contrôle radiologique
d’évacuation des comprimés. Il peut être réalisé avec du sérum bicarbonaté 14‰ (usage
reste controversé).
Les vomissements provoqués sont actuellement très discutés.
Diarrhée provoquée : par le polyéthylène glycol 4000 (Fortrans®), en cas de présence
d’opacités dans les anses grêles. Il est utilisé en préparation colique et administrée
oralement ou par sonde nasogastrique :
-
adulte : initialement 2 litres suivis de 1.5 à 2 litres par heure,
-
enfant de 6 à 12 ans : 1000 ml par heure,
-
enfant de moins de 6 ans : 500 ml par heure.
Traitement spécifique :
Le traitement spécifique repose sur la préscription de déferoxamine (Desferal®).
Présentation : flacon ampoule injectable contenant 500 mg de déferoxamine. Une ampoule
de solvant renferme 5 ml d’eau pour préparation injectable.
Le Desferal® peut être administré par voie intramusculaire, sous cutanée, ou de préférence
par voie intraveineuse.
Propriété : C’est un chélateur de fer et de l’aluminium qui présente une forte affinité pour le
fer ferrique.
La déferoxamine ne dissocie pas le fer associé à l’hémoglobine et aux cytochromes.
Après fixation avec le fer ferrique, la déferoxamine se cyclise pour se transformer en
férrioxamine qui est un chélate éliminé par voie urinaire (couleur rose rouge des urines)
Effets Secondaires
Hypotension : En cas de surdosage aigue de déferoxamine et en cas d’injection
intraveineuse rapide.
Septicémie à yersinia entercolitica
Syndrome de détresse respiratoire aigue pour des perfusions de déferoxamine au
delà de 24 heures. il faut alors passer au traitement discontinu associé à une
réanimation respiratoire
Rash cutané.
Ototoxicité
Troubles de la vision.
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Chez la femme enceinte, l’intoxication aigue au fer peut être à l’origine d’avortement
spontané, d’accouchement prématuré, d’un décès périnatal, de malformations fœtales et de
décès maternel.
Le Désferal® est potentiellement tératogène. Dans les intoxications symptomatiques, il peut
être administré sous une surveillance rigoureuse de la grossesse.
Autre chélateur en cours d’expérimentation : la deferiprone administrée par voie orale et
dont l’efficacité a été prouvée chez l’animal. Elle semble avoir un avenir prometteur chez
l’homme.
Indications de la déferoxamine :
1. Fer sérique >500 µg/dl
2. Signes cliniques présents : léthargie, coma, hypovolémie, acidose métabolique,
coagulopathie.
3. Existence de comprimés radio-opaques sur l’abdomen sans préparation malgré une
décontamination digestive.
Fer sérique entre 350 et 500 µg/dl, et persistance de signes cliniques d’intoxication aigue
(vomissements incoercibles, douleur abdominale, diarrhées
•
Critères d’arrêt de traitement par la déferoxamine :
1- Résolution des signes cliniques et des signes systémiques d’intoxication aigue
2- fer sérique <150 µg/dl.
3- Retour à la coloration normale des urines si initialement ont été colorées en rose rouge.
4- Absence de comprimés radio opaques à la radiographie de l’abdomen (si initialement
présents).
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CAT DEVANT L’INTOXICATION AIGUE PAR LE FER
Ingestion de fer
>40-60 mg/kg ou
Accidentelle
< 20mg/kg
Volontaire
Quantité ingérée inconnue
Surveillance à domicile
20-40 mg/kg
Référer à l’hôpital
Lavage gastrique
fer sérique
Abdomen sans préparation
Signes cliniques
Évocateurs
<350µg/dl
350-500µg/dl
≥ 500µg/l
Négative
Comprimés radio opaques
Diarrhée provoquée
Pas de symptômes
Observation (6h)
Symptômes
Indication de la deferoxamine
Retour à domicile
Si pas de symptômes
Hospitalisation
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