Boulez est Mort - Matthieu Jacquot

Transcription

Boulez est Mort - Matthieu Jacquot
Boulez est Mort
Pierre Boulez est mort début janvier. Lui-même avait écrit il y a presque une éternité (1952) un article intitulé
« Schoenberg est Mort ». Alors que le précédent opus d'Epiphanot vous présentait les héros obscurs et sublimes de la
banalyse… qui peuvent bien être ces deux nouveaux illustres inconnus se demanderont peut-être certains lecteurs, car
la réponse est loin d'être évidente pour tout le monde, et c'est normal !
Amis mélomanes, nous parlons ici de musique classique du XXème siècle ! Car, oui, la musique classique s'est
prolongée jusqu'à nous mais en plus, non, elle n'a rien à voir avec la musique des films Hollywoodiens.
Sérialisme Intégral
Pour résumer deux œuvres en 4 lignes : Arnold Schoenberg (1874-1951) était un compositeur qui œuvrait pendant la
première moitié de ce siècle, Boulez (1925-2016) pendant la seconde. Le premier était Allemand et face à l'état limite
atteint par la complexité musicale de son temps, il s'est décidé à créer de toute pièce un nouveau système musical,
baptisé le « dodécaphonisme » ; Boulez était français et a notamment prolongé le travail de Schoenberg en lui
apportant plus de rigueur grâce au « sérialisme intégral ».
Si vous ne saviez pas de qui l'on parlait, maintenant vous ne savez plus de quoi l'on parle !
L'idée est pourtant (relativement) simple : on peut constater rétrospectivement que la musique semble avoir
perpétuellement gagné en complexité (attention, 10.000 ans de musique en un paragraphe) : au tout début nous
devions sûrement nous contenter d’imiter les criquets et l'orage en entrechoquant gaiement deux os : époque bénite
où le rythme seul suffisait à nous rendre parfaitement heureux ! Puis, par hasard, on tape sur un petit os puis sur un
gros : cela fait deux notes différentes, la mélodie est née ! La voix permet en plus de varier les notes de manière plus
subtiles : en hauteur, en intensité. L'homme étant un animal social, on se met donc à chanter tous ensemble : ça
rapproche, c'est bon pour la préservation de l'espèce… sauf que pour que ce soit un peu cohérent, le mieux c'est de
tous chanter la même chose en même temps et à ce petit jeu ce n'est pas gagné de trouver des notes pouvant être
chantées aussi bien par les femmes que par les hommes. Heureusement, un intervalle 1 semble bien fonctionner. On
ne chante pas la même note, c'en est même assez éloigné mais y ressemble étonnamment et si l'on s'y cantonne, tout
reste bien cohérent. Seulement, comme d'habitude, entre ceux qui dérapent et ceux qui sabotent, on a commencé à
entendre d'autres intervalles, des rythmes se sont superposés et finalement, de temps en temps, une fois dissipée la
sidération initiale, il fallait bien avouer que ce n'était pas trop mal tombé ! Un nouvel intervalle était alors adopté, la
musique gagnait en complexité.
Face à cette diversité croissante, il a rapidement été nécessaire de classer un peu tout ce petit monde : mettre quelques
notes sur la touche pour se concentrer sur les quelques autres fonctionnant particulièrement bien ensemble et donner
à ces dernières des importances différentes : certaines sur lesquelles on insiste, d'autres sur lesquels on ne va que pour
donner une impression précise. Alors, suivant la manière dont on s'y prenait, suivant les effets que l'on affectionnait
particulièrement, des styles sont apparus, eux-mêmes regroupés plus tard en époques.
Bref, nous voilà arrivés au début du XXème siècle et cela fait déjà environ 400 ans que la musique occidentale repose
sur ce que l'on appelle le « système tonal », fait d’enchaînements de notes dérivés plus ou moins heureusement de
briques stéréotypiques communes à tous les morceaux. C'est très similaire à une langue parlée que l'on comprend en
reconnaissant le sujet, le verbe, les figures de style et finalement le sens général.
Le souci, c'est que cela fait un moment que l'on s'éloigne de plus en plus loin de ces briques fondamentales et il
semble difficile de continuer beaucoup plus loin sur cette lancée. Amateurs de belles lettres cette phrase de Mallarmé
permet de faire un parallèle : « A la nue accablante tu / Basse de basalte et de laves / A même les échos esclaves / Par une
trompe sans vertu / Quel sépulcral naufrage (tu / Le sais, écume, mais y baves) / Suprême une entre les épaves / Abolit le mât
dévêtu / Ou cela que furibond faute / De quelque perdition haute / Tout l'abîme vain éployé / Dans le si blanc cheveu qui
traîne / Avarement aura noyé / Le flanc enfant d'une sirène. »2
Vous voyez le souci ? Alors, pour apporter une nouvelle cohérence (et un nouveau champ de prospection),
Schoenberg décide que dans son tout nouveau système on oublie ces stéréotypes et on va donner une égale
importance aux 12 sons3. Étant donné que c'était un peu trop laxiste pour donner une réelle cohérence, on limite le
système à un enchaînement particulier des 12 sons (une série) qui devra être utilisée pendant tout le morceau (à
1
2
3
Un « intervalle » est la « distance » entre deux notes. Il y a une certaine distance entre un Do et un Ré ; une autre entre un Do et un Mi...
Stéphane Mallarmé, Sonnet « A la nue accablante »
Le « son » Do inclut tous les Do imaginables, graves ou aiguës et dans la musique occidentale il n'y a que douze sons différents : Do, Do#,
Ré, Ré# … La#, Si … puis vous retombez sur Do.
l'endroit, à l'envers etc. c'est la musique sérielle) puis arrive Boulez et, en plus des notes, on va appliquer le même
genre de traitement aux autres paramètres musicaux (le rythme, le timbre, les nuances dynamiques etc.) nous
obtenons le « sérialisme intégral ». Pour user d'un nouvel équivalent littéraire, on pourrait utiliser les 26 lettres de
l'alphabet et les traiter ensuite grâce à des combinaisons déterminées mathématiquement (avec la ponctuation en plus,
on se rapproche un peu du sérialisme intégral).
azer ! t' yu.iop ?qs df ghjklm wxcvbn; nbycxw mlkjhg fd sq? poi.uy 't ! reza
(série)
(série rétrograde)
Voilà, nous avons donc un nouveau système tout neuf, bien carré : on est reparti comme avec le système tonal à le
faire évoluer pendant quelques siècles, d'ici-là on trouvera bien une nouvelle idée pour rebondir encore. Sauf que…
attendez, les choses ne semblent pas vraiment décidées à tourner de cette manière.
Cela à beau faire quasiment un siècle qu'on l'a ce nouveau système (la première œuvre dodécaphonique de
Schoenberg remonte à 1923), beaucoup de mélomanes ne l'ont jamais entendu à l’œuvre, les autres ne l'écoutent pas
forcément très souvent et puis parce qu'avec la mort de Boulez, il n'y a plus grand monde pour composer selon ces
principes… c'est même pire, d'autres compositeurs ont créé d'autres systèmes bien cohérents, et personne ne les
écoute non plus !
La musique est un Art
Pour tenter de comprendre ce qui a bien pu clocher dans cette histoire, une piste envisageable est de revenir à la
nature artistique de la musique et de voir s'il n'y a pas une différence entre ce qui a amené la complexification au
cours des millénaires et l'entreprise de Schoenberg puis de certains de ses successeurs, tel Boulez.
Donner une définition absolue de l'Art est impossible, chacun y allant de la sienne propre. Alors plutôt que
d'abandonner là, je vais me prêter au jeu. Qui suis-je pour cela ? Personne, si ce n'est quelqu'un qui tente
honnêtement et depuis un certain temps de répondre à cette question à laquelle il est confronté quotidiennement.
(Attention, ce qui arrive est un peu violent mais je la refais calmement ensuite.)
L'Art est pour moi un système à 3 éléments : le poème-monde, l’œuvre et l'artiste-spectateur. Ce système, la manière
dont il fonctionne, c'est ça l'Art :
• le poème-monde est le monde tangible dans le sens le plus matériel possible sur lequel est déposée une couche
poétique, celle-ci étant propre à chaque artiste-spectateur et lui permettant d'appréhender le monde ;
• l’œuvre est une portion autonome de poème-monde que l'artiste-spectateur a isolé de son propre poèmemonde afin de la présenter. Cette présentation invite au dialogue avec le spectateur sur un mode dit
poétique (dont la teneur et les modalités sont le fruit de la troncature).
• l'artiste-spectateur étant donc respectivement soit l'humain justement occupé à dialoguer avec son poèmemonde afin d'en isoler une portion, soit l'humain dialoguant avec l’œuvre en vue de l'intégrer à son poèmemonde.
Disons-le tout de suite, ce qui nous importe le plus dans cette définition est la notion de dialogue mais clarifions tout
d'abord un peu le reste (si c'est limpide, vous pouvez sauter directement à la section suivante)
Nous vivons tous dans notre propre poème-monde dans le sens où nous avons un besoin impérieux de donner du
sens au monde qui nous entoure. Sans aller jusqu'à un sens mystique permettant de tout appréhender facilement,
nous passons notre temps à coller des étiquettes sur ce qui nous entoure pour ensuite les ranger bien proprement.
Imaginons : on voit un chêne, on le classe dans la catégorie « arbre » (ou dans n'importe quelle autre, peu importe que
l'on se trompe ou non, on le classe) ; si l'on a passé notre enfance à jouer sous un chêne, si l'on s'est un jour cogné la
tête contre une armoire que l'on savait en chêne, si l'on a appris à l'école que Saint Louis rendait la justice sous un
arbre similaire, alors tous ces fragments sont automatiquement convoqués et impactent à un degré plus ou moins
conscient la manière dont on perçoit l'arbre en question. On pourrait développer mais vous voyez sûrement déjà
l'idée. Les incessants changements de paradigmes scientifiques à travers les siècles montrent d'ailleurs qu'ils sont eux
aussi une façon particulière de poétiser le monde.
Nous vivons donc tous dans notre propre poème-monde : le monde tel que nous le vivons à un instant précis et qui
englobe notre environnement actuel mais aussi tout le savoir acquis, tous les souvenirs, les rêves et fantasmes, l'état
d'âme du moment... tous ces éléments venant s'entrechoquer en permanence sans que nous n'y prêtions d'ailleurs
forcément attention, c'est un mode d'être : nous sommes le centre d'un grand tourbillon abstrait.
En dialoguant avec son poème-monde, c'est-à-dire en choisissant de rapprocher des éléments de son poème-monde,
l'artiste en isole une portion et présente ce petit bout de poème-monde rendu autonome pour que les autres puissent
s'en emparer.
Il le présente car, peu importe le moyen, une œuvre doit impérativement rencontrer le spectateur pour exister en tant
que telle ; même en cours d'élaboration, l'artiste a en tête des bribes d'organisation de son œuvre : il se la présente à
lui-même, en devient en même temps le spectateur.
De plus il isole : une œuvre met en avant des éléments plutôt que d'autres, des personnages, des thèmes ; une œuvre
ne pourra jamais être autre chose qu'un poème-monde tronqué. Mais c'est justement en choisissant les éléments à
mettre en avant, la manière de les traiter etc. qui confère un aspect si particulier à l’œuvre qui s'autonomise et parle
alors en négatif : dans un dialogue normal, l'autre émet des bribes de son poème-monde ; l’œuvre, elle, parle
passivement grâce à tout ce qu'elle ne dit pas et se trouve alors en mesure de concentrer la perception du spectateur
dans une direction et d'ainsi lui faire modifier son propre poème-monde 4.
Le spectateur est donc invité à dialoguer avec l’œuvre : soit que celle-ci s'y prête intrinsèquement (on perçoit l'artiste,
l'autre, en transparence : on sent que l'on peut dialoguer avec cette entité) soit qu'il faille que la présentation de
l’œuvre y invite (l'artiste étant plus effacé, pouvant même simplement jouer les entremetteurs) ; mais toujours un peu
comme avec une personne qui se présenterait d'elle-même ou qui lui serait présentée. C'est par ce seul biais qu'il peut
l'assimiler à son poème-monde.
Comme pour tout dialogue, l'Art demande donc une démarche active de la part du spectateur : la familiarité
culturelle, l'ouverture d'esprit, l'effort d'observation, le temps consacré permettent au spectateur de dialoguer avec
l’œuvre plus ou moins profondément : l'art opère par contact, il faut le laisser venir et en même temps aller jusqu'à
lui, remettre en jeu un bout de son poème-monde.
« Puisant je ne sais quoi ; au fond de ses yeux jetant le panier / tressé de mon désir, je n'ai pas obtenu le jappement de l'eau /
pure et profonde. // Main sur main, pesant la corde écailleuse, me déchirant les / paumes, je n'ai levé pas même une goutte
de l'eau pure et / profonde : // Ou que le panier fut lâchement tressé, ou la corde brève ; ou / s'il n'y avait rien au fond. »5
Inadéquation, efforts insuffisants, pauvreté inhérente de l’œuvre… le succès n'est pas garanti mais il arrive tout de
même parfois (voire souvent suivant les individus, nous y reviendrons) que s'instaure une forme d'espace temporaire
englobant les deux interlocuteurs (le spectateur et l’œuvre) et dédié tout entier à leur dialogue. L 'expérience que le
spectateur vivra à l'intérieur de cette bulle transformera son poème-monde.
Pour cela, les modalités sont d'ailleurs très variables selon les œuvres et les arts : la musique apporte par exemple très
peu (les notes n'ont jamais eu aucun sens propre) mais laisse une place énorme au spectateur, c'est la manière dont de
petits éléments insignifiants, aidés par la démarche active du spectateur, arrivent à animer cet énorme caisse de
résonance qui lui confère sa force ; à l'opposé, le cinéma contraint le spectateur à regarder, à le suivre et c'est en
appliquant une grande force dans l'espace de liberté restreint qu'il laisse au spectateur que celui-ci est enjoint de
modifier son poème-monde.
Quoiqu'il en soit, c'est donc la manière dont quelques éléments de l’œuvre vont entrer en résonance avec des
fragments du poème-monde du spectateur, c'est grâce aux rapprochements inédits qui se produiront, que l’œuvre a le
pouvoir de découvrir au spectateur un monde entier, absolument inédit et qui lui est propre (Paul Valery disait « Il n’y
a pas de vrai sens d’un texte », il en va de même pour n'importe quelle œuvre) et qui va alors le modifier. Qui étiezvous avant d'avoir lu tel livre, vu telle toile, entendu tel morceau ? Quelqu'un d'autre. Imaginez le monde avant
Beethoven, avant Proust, avant Blake... un monde avant Paul McCartney (!) des figures qui ont modifié des milliards
de poèmes-monde : l'humanité actuelle entière ou presque, et sûrement une bonne partie de celle à venir.
L'artiste en général dans notre société technique
Personnage évidemment central de l'Art, l'artiste reste un personnage difficile à cerner, nous sommes tous
potentiellement artistes ; cependant, celui qui tombe en pâmoison à la vue d'une coccinelle n'est pas artiste s'il ne
ramène de cette expérience aucune œuvre, celui qui joue des gammes à une vitesse étourdissante ne l'est pas non plus
s'il ne cherche pas à transmettre par ce biais une partie de son poème-monde, pas plus que celui qui noirci du papier à
musique de structures complexes sans rien avoir à dire. 6
L'artiste est un oracle, son but même est de révéler au spectateur une part fondamentale de son humanité, celle qui le
différencie de toutes les autres formes d'être : sa capacité à poétiser le monde qui l'entoure ; et il déploie pour cela une
énergie particulière à créer des œuvres, s'échine à parler à ses prochains sous cette forme poétique.
4
5
6
Remarque annexe : cela donne une éventuelle explication pour tous ces artistes ayant du mal à achever une œuvre : durant l'élaboration de
celle-ci, ils en sont spectateurs ; l’œuvre modifie donc en cours de route le poème-monde de son créateur qui porte alors sur elle un regard
sans cesse renouvelé…
Victor Segalen, « Visage dans les yeux » (extrait) in Stèles
… et si jamais la production des deux derniers peut-être perçue comme Art, c'est uniquement grâce à la présentation : on va par exemple au
concert, nous sommes donc disposé à essayer d'interpréter ce que l'on entend comme de l'Art, l'artiste serait alors plutôt le programmateur…
Sauf que, dans notre monde technique, ce n'est pas forcément très bien vu. Laissons Heidegger prendre l'exemple
d'un fleuve majestueux sur lequel est installé une centrale électrique :
«La centrale électrique est mise en place dans le Rhin. Elle le somme de livrer sa pression hydraulique [...] La centrale n’est
pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siècles unit une rive à l’autre. C’est bien
plutôt le fleuve qui est muré dans la centrale. Ce qu’il est aujourd’hui comme fleuve, à savoir fournisseur de pression
hydraulique, il l’est de par l’essence de la centrale. »7
Cet arraisonnement de la Nature n'a finalement pas tardé à être appliqué à l'homme lui-même qui, tout comme le
Rhin, est sommé de produire, de consommer : l'homme est aujourd'hui, dans notre société, une ressource (qui trouve
encore à s'offusquer du terme de « ressources humaines » ?). Dans cette vision technique de l'humanité, la capacité de
l'homme à poétiser, à se questionner lui-même pour modifier la manière dont il voit le monde, et donc en reflet,
inévitablement, la place qu'il occupe dans la société, est parfaitement contre-productive donc, à éliminer. Pas
méchamment, il s'agit juste d'optimisation, un peu comme on dégage le tronc d'arbre dérivant sur le Rhin et qui fait
baisser le rendement de la centrale. En persistant dans sa démarche, l'artiste nuit à la bonne marche de la société; l'Art
devient révolte.
La crise de l'Art aujourd'hui vient donc qu'il demande de la part de l'artiste un acte à la fois plus courageux qu'avant
(car plus marginal) et plus difficile car l'artiste-spectateur baigne lui-même dans un milieu qui fait tout pour l'éloigner
des sphères artistiques (ou plus sobrement, de lui-même), un des moyens les plus efficaces de la société technique
pour venir à bout de l'Art a été de créer une ère du divertissement.
« Qu'on juge quel est ce bonheur qui consiste à être diverti de penser à soi »8 Avec comme but premier de procurer du
bonheur, le divertissement est bien parti pour conquérir les masses et pour cela il va s'employer, malgré des traits
parfois similaires, à suivre le chemin parfaitement opposé à l'Art.
Dans l'Art, comme pour tout dialogue, le spectateur est invité à prendre position, à exposer une partie de son poèmemonde, la livrant aux assauts de l'autre et acceptant par là de la voir éventuellement modifiée. L'Art ne peut se passer
de la démarche active du spectateur qui se doit d'investir la sphère de dialogue, d'y exercer sa liberté, d'y exprimer qui
il est vraiment ; l'Art tente d'animer nos singularités tandis que le divertissement, lui, se passe du spectateur en
parlant à cette fine couche superficielle que nous avons tous en commun.
Son contenu est donc différent : il adopte un langage lisse, le divertissement est comme le chêne de tout à l'heure : on
ne sent pas l'artiste qui nous interpelle, on peut le classer rapidement, sans y prêter vraiment attention, c'est
important, il faut que cela se fasse sans heurts : il arraisonne le spectateur en jouant à plein sur la familiarité culturelle
et peut alors s’immiscer en catimini dans notre poème-monde, sans que l'on ait eu à l'y inviter, va y trouver une place
dans un coin sans qu'on ait eu à lui en chercher une et reste ensuite-là à irradier sans que l'on s'en rende compte.
Le divertissement parle, certes, mais il soliloque et l'on peut le laisser faire dans un état de semi-conscience sans que
cela n'altère son débit, un peu comme cette télévision que l'on laisse tourner un peu trop tard et qui nous berce alors
que l'on est déjà en train de s'endormir sur le canapé.
Il doit donc aussi prendre soin de se présenter différemment de l'Art, il lui faut pour cela ne pas éveiller les soupçons
et rester dans la sphère du familier, du quotidien pour éviter absolument que l'on ne commence à adopter vis à vis de
lui les prémisses de la posture de l'artiste car imaginez une émission de télé-crochet qui serait diffusée sur un téléviseur
au milieu d'une salle vierge dans un musée, le regard que l'on porterait dessus serait fondamentalement différent que
si l'on assistait à la même émission depuis notre salon : la différence est simplement que la première vous convie au
dialogue.
Le divertissement existait évidemment bien avant l'ère technique mais, épaulé par celle-ci, il gagne en ampleur et en
efficacité. Omniprésent, optimisé grâce à des moyens de production et de contrôle qualité rationnels, il habitue le
spectateur à cette torpeur hypnotique, il calme les masses en altérant par petites touches indolores leurs poèmesmonde afin qu'elles supportent le sort qu'une vision technique du monde leur réserve. Mais plutôt que d’entretenir la
coexistence millénaire, c'est aussi par ce moyen que la société technique désamorce le problème de l'Art : au lieu
d'interdire grossièrement ce qui pourrait être artistique (moyen généralement contre-productif ), elle travaille au
niveau du spectateur pour qu'il ne soit même plus en mesure de percevoir quoi que ce soit comme de l'Art. Le
spectateur adoptant face à une œuvre le même rapport qu'il a avec le divertissement en la rejetant donc d'emblée s'il
la perçoit comme d'un abord trop difficile ou, s'il persiste un peu et que l’œuvre le permet, lui refusant toute
possibilité de dialogue : combien, ayant bravé la langue un peu désuète de Dostoïevsky se contentent cependant de
considérer d'un œil amusé la bande d’hurluberlus qui s'agitent devant eux plutôt que de tenter de se positionner
sincèrement par rapport aux questions qu'elle soulève ? Si l'Art et le divertissement ont tous deux besoin vis a vis du
spectateur de la familiarité culturelle, l'Art nécessite en plus une familiarité de posture morale.
7
8
Martin Heidegger, « La question de la technique » in Essais et Conférences
Blaise Pascal, Pensées
Le compositeur en particulier dans notre société technique
La musique est particulièrement touchée par cette évolution sociétale car, dénuée de tout objet pouvant a priori faire
sens, l'implication du spectateur est primordiale alors qu'elle ne lui parle en se contentant de stimuler l’ouïe, sens
rendu tout à fait secondaire dans notre quotidien.
On ne changera pas la nature de la musique mais un autre problème semble venir de la forme de la musique
contemporaine elle-même : il y eut pendant quelques décennies un renoncement de la part des compositeurs à
s'adresser à qui que ce soit. Le vieil article polémique du compositeur américain Milton Babbitt (1916-2011) « Who
cares if you listen ? » (« On s'en fiche que vous écoutiez ») est loin d'être le témoignage d'une époque révolue et,
même si peu s'en réclament encore ouvertement, l'esprit qu'il dénote continue de rayonner dans tout le monde de la
musique contemporaine : Babbitt y explique que la musique est maintenant un domaine de spécialistes, inaccessible
au commun des mortels, tout comme les sciences, et se libère du même coup d'une recherche d'adhésion du public.
Le coup de poker était joli ! On réglait le problème pour de bon et cette posture de Babbitt peut très bien se
comprendre : les compositeurs ont passé des années à étudier et, à ce titre, ne veulent pas être confondus avec des
personnes ne donnant que dans le divertissement, voire avec de simples amateurs. Revenons à Boulez en particulier :
« On me demande assez souvent ce que je pense de la musique pop, du rap, de la techno. J’aime leur vivacité, leur vitalité
qui s’exprime d’une façon brute, car ces musiciens-là n’ont pas reçu les moyens de s’exprimer autrement. » 9
Bref, de joyeux sauvageons… Les aspirations du compositeur « sérieux » sont quant à elles bien plus hautes, mais cela
ne suffit pas forcément :
« Une des voies d’accès à la musique contemporaine ne serait-elle pas sa dimension religieuse ou spirituelle ? Peut-être le
public adhère-t-il davantage à […] des œuvres contemplatives, voire «planantes » ?
– C’est une question de marketing. L’étiquette mysticisme recouvre n’importe quoi. Si vous parlez d’Arvo Pärt et de ses
gammes montantes et descendantes, nul besoin de mysticisme, c’est tout simplement de la bêtise. »
Bêtise d'un compositeur (au public vaste et enthousiaste), mais c'est logique : il trouve l'adhésion d'un public qui
n'est tout simplement pas assez évolué pour la musique sérielle. Il en fut apparemment toujours ainsi :
« Je suis persuadé que, si l’on avait joué Così fan tutte dans une cour de ferme, fort peu de paysans auraient vraiment
compris les propos de Mozart et le livret de Da Ponte. »
… à bon entendeur ! Bref, eux seuls sont à même de déterminer ce qui est élevé, eux seuls ont les compétences pour
l'atteindre, on doit leur en donner les moyens pour le bien de l'humanité qu'ils œuvrent ainsi à faire « progresser ».
Le système était aussi contenu de l'intérieur :
«Pensez-vous toujours qu'un musicien non sériel soit inutile ?
– Oui. Ce qui m'intéresse, c'est la pointe de l'invention. »
… car si vous doutez du côté « homme de pouvoir » de Boulez, il faut savoir que le plus gros centre de « recherche »
en musique en France, l'IRCAM, c'est lui ; le plus gros ensemble de musique contemporaine en France, l'Ensemble
Intercontemporain, c'est encore lui, tout comme la toute nouvelle « Philharmonie de Paris », la fameuse salle de
concert qui vient de nous coûter près de 400 millions d'euros. Alors évidemment, face à lui et à l'inévitable cour dont
il était (peut-être malgré lui) entouré, le jeune aspirant compositeur faisant entendre une voix un tant soit peu
inorthodoxe ne pesait pas bien lourd.
Néanmoins, passons au-dessus de tout cela, c'était son ton habituel et Boulez menait honnêtement un combat
personnel, défendait sa définition de la musique. Ce n'est pas facile de convaincre que sa poignée d'amis et lui sont les
seuls musiciens utiles sur la planète alors que personne, si ce n'est eux, n'y comprend plus rien.
Bref, il ne fallut pas lésiner sur les moyens surtout que le mécène finançant un artiste par goût ou conviction était déjà
devenu une espèce rare, ils eurent donc besoin de financements publics et durent alors produire des preuves
rationnelles de leur compétence. L'artiste contemporain a du mal a s'extraire de la société technique ? Là, il saute
dedans à pieds joints : on évalue rationnellement une œuvre grâce à des procédés d'analyse qui vont, comme le décrit
si bien Paul Valery (au sujet de la poésie) analyser tout sauf ce qui est musique 10.
La musique est inaccessible en dehors d'elle-même, c'est bien dommage car comment voulez-vous convaincre une
institution d'allouer les fonds nécessaires à votre art si votre seul argument est que ce que vous faites est « bien » et que
vous y avez travaillé « sérieusement » ? On tente donc ce coup de bluff de rendre cette petite caste de compositeurs
savants seule juge de la qualité de son propre travail… et pour ce qui est des financements, ça a marché !
Sauf que l'on entrait du même coup dans un cercle vicieux : dans cette injonction contradictoire à produire de l'Art
dont la qualité est évaluée suivant des critères anti-artistiques, on le sacrifie au profit de la possibilité de produire.
Mais produire quoi? La musique est intrinsèquement dépourvue de sens, il ne lui reste que la forme. Elle se
9
10
Pierre Boulez, « Prenons garde à la démagogie », in Revue des Deux Mondes, 2001
Paul Valery, « Commentaires de Charmes » in Variété III
transforme alors en une sorte de monstre pour cadrer au moule technique : des paramètres sonores organisés
rationnellement, propices à l'analyse et donc à la productions de quelques preuves des avancées du domaine de
recherche « musique », le sérialisme convenant admirablement à cela.
Si le but n'est que là et que l'on s'est ainsi débarrassé de l'auditeur alors autant abandonner du même coup la volonté
de faire des concerts et des enregistrements car l'ouïe n'est vraiment pas le sens le plus adéquat pour débusquer cette
cohérence ; autant se contenter de ne produire que du papier, les recherches seront d'autant plus facilement
financées : un crayon et un bloc de papier à partition vierge suffiront.
On ne voulait bien sûr pas s'avouer cette absurdité et l'on espérait que le public allait finalement quitter sa cour de
ferme et embrasser la nouvelle esthétique dans un grand élan d'enthousiasme… sauf que cela fait maintenant bientôt
un siècle qu'on l'attend, que les concerts de musique contemporaine ont de plus en plus tendance à ressembler à des
réunions d'anciens combattants au milieu desquelles quelques jeunes « loups » espèrent récupérer quelques miettes
d'un gâteau qui rétrécit très sérieusement : l’État ayant de moins en moins besoin de cette vitrine pour paraître
« moderne », les financements pour la musique contemporaine baissent drastiquement de toutes parts. Tout le
système est poussé à se restructurer et c'est toute la pyramide de Ponzi qui commence à se dévoiler.
Composer au XXIème siècle
Rembobinons : Boulez parlait plus haut de « la pointe de l'invention ». Il n'y aurait donc qu'une seule pointe à
l'invention en musique ? Il est certain que pour convaincre, il vaut mieux faire simple... mais là on touche au
simpliste, ce qui ne colle pas trop avec la remarquable intelligence de l'homme. Ce serait oublier que Boulez luimême disait « Beaucoup de politiciens sont des illettrés musicaux malgré un vernis littéraire… » et c'est bien à eux qu'il
convient de faire ouvrir le portefeuille, on va donc leur simplifier le schéma à l'extrême : la pression fut dès le début
extrêmement difficile à contenir, un peu comme la centrale sur le Rhin qui doit absolument éviter que la moindre
brèche ne s'ouvre, et rende incontrôlables les flots désorganisés qui risquent rapidement de reprendre leur court !
… En fait cela fait déjà belle lurette que les plaines à l'entour sont gorgées d'eau et ruissellent en tout sens.
Au début du XXème siècle, nous étions un peu comme les pauvres bougres qui au milieu du XVIeme siècle en Italie
se sont retrouvés devant leurs toiles avec pinceaux et palettes après le passage quelques années auparavant de Vinci,
Michel-Ange et Raphaël… il y a de quoi avoir la main qui tremble ! Pourtant, si nous prenons la naissance de
l'époque classique en musique, la situation était un peu similaire : comment diable en sommes nous arrivés à un
Haydn et à toute la glorieuse lignée qu'il enfanta après avoir entendu Bach (Haydn avait 18 ans à la mort de Bach)?
Les choses sont dans les faits éminemment plus enchevêtrées que cela mais il est clair que l'on a eu conscience d'avoir
atteint un sommet indépassable et qu'une réévaluation des critères esthétiques serait indispensable à la survie de l'Art,
ceux-ci ayant alors entraîné l’apparition de nouvelles techniques.
L'artiste qui « innove » est celui qui va explorer les confins de son poème-monde, y découvre des territoires singuliers
et tâche alors d'en ramener un compte-rendu sous la forme d’une œuvre. Pour cela, il se peut qu'il ait alors à inventer
un nouveau moyen, une nouvelle technique. C'est depuis l'intérieur de ces êtres que naissent les changements, pas
parce que l'on a inventé de toute pièce une nouvelle technique. Schoenberg lui-même est arrivé au dodécaphonisme
suite à ses propres recherches esthétiques. Il a émit alors cette bravade : « Mon invention assurera la suprématie de la
musique allemande pour les cent ans à venir » … sauf qu'en artiste honnête il l’abandonna progressivement et il suffit
d'écouter sa dernière œuvre, « De Profundis » op50, pour entendre instantanément qu'elle n'a effectivement plus
grand-chose à voir avec son op23. Sauf que cette invention est celle dont parlait Boulez tout à l'heure… qui a en
réalité lui aussi quitté discrètement le navire si l'on considère sa réorientation quasi-exclusive en tant que chef
d'orchestre sur les quelques dernières décennies de sa vie.
Peut-être que la belle trajectoire rectiligne de la musique occidentale vers la complexité n'est que l'observation a
posteriori des conséquences d'un élagage pour diverses raisons de toutes les expériences artistiques ratées (il y a un
risque inhérent à toute démarche artistique) et il se peut ainsi bien que le dodécaphonisme soit, lui aussi, bientôt
considéré comme une branche morte de l'histoire de la musique. Cette histoire étant d'ailleurs sans doute jalonnée de
cadavres d'artistes géniaux n'ayant eu les moyens de léguer quoi que ce soit à la postérité et aux œuvres maintenant
définitivement perdus ; les chantres du dodécaphonisme auront au moins fait assez parler d'eux pour échapper à ce
sort.
Aujourd'hui, après d'une soixantaine d'années à trembloter et délirer, le bon sens a fini par trancher : la musique est
censée être entendue ! Ouf ! Sauf que la question qui revient immédiatement est « par qui ? » et voici que l'auditeur,
humain, se réinvite dans la ronde... malheureusement plutôt que de se repositionner franchement, les compositeurs
modifient leurs démarches a minima et le spectateur, s'il est à nouveau considéré, tend à l'être au titre de cobaye avec
des attitudes telles que décrite dans cette note de programme (il en existe des milliers du même goût) : "Avec cette
nouvelle œuvre, il s'agissait de s'intéresser à la notion de saturation de l'espace sonore par la vitesse et la réitération
d'éléments de manière compulsive, démarche initiée dès 2006 dans XXX, où l'abondance de mouvements et de flux
aboutissaient paradoxalement à une sensation de staticité, une démarche poursuivie au sein de cette nouvelle
[oeuvre]". De la musique par et pour les compositeurs, effectivement très intéressante quand on est dans le milieu et
qui se justifie pleinement à ce titre car en considérant la perception, elle fournit des outils pouvant être ensuite utilisés
à des fins poétiques (des moyens d'extraction de bouts de poème-monde si vous voulez).
Seulement, une phrase de Edgard Varèse (1883-1965) résonne : « Je n'écris pas de la musique expérimentale. Je fais
mes expériences avant d'écrire ma musique. Ensuite, c'est à l'auditeur de vivre son expérience. » Beaucoup de
compositeurs sont en train de construire les briques d'un édifice qu'il serait grand temps de commencer à ériger, il
faut juste ne surtout pas confondre la fin et les moyens.
En cassant toute intelligibilité au niveau des notes, le dodécaphonisme a finalement pointé l'attention des
compositeurs occidentaux sur le timbre, la nuance, parfois la disposition spatiale et tout cela a finalement été repris en
parallèle dans les expériences de la musique électro-acoustique ayant elle-même donné naissance à toutes les musiques
électroniques, avec toutes les libertés qu'elle permet ; ce type d'approche étant déjà en cours de réappropriation par la
musique instrumentale grâce à un travail par exemple sur les modes de jeu (différentes manières de produire une
même note avec un instrument)… bref, tout est bon dans le sérialisme, sauf le sérialisme lui-même.
Le problème vient en réalité sûrement beaucoup plus de l'ère du divertissement que les tenants de la musique en tant
qu'Art a laissé s'installer en considérant le reste du monde avec le plus grand dédain. Peut-être faut-il aller se battre
maintenant sur ce champ de bataille là plutôt que de s’entre-tuer dans des guerres de chapelle pour savoir qui d'un
post-sériel ou d'un spectral obtiendra telle ou telle chaire dans un centre de création ou de recherche pour lequel
l'avenir est de toute manière de plus en plus compromis.
Allons, en tant qu'artistes (nous sommes tous potentiellement artistes), fouiller au fond de nous-mêmes, c'est là que
se trouve la matière première de l'Art. Explorons avec la plus grande honnêteté possible notre for intérieur plutôt que
de tâcher de justifier rationnellement notre place dans une linéarité historique factice : les artistes parfaitement
honnêtes sont de fait contemporains. Ouvrons-nous à nous-mêmes et par là, à l'autre ; tâchons d'en ramener avec la
même exigence que nos glorieux aïeux des œuvres authentiques qui parleront alors forcément à nos contemporains.
Les voies sont certes brouillées, la tâche nous en est rendue encore plus difficile qu'elle ne l'était pour eux, mais plutôt
que de renoncer, redoublons d'efforts.
Il faudra que quelques uns se décident à aller chercher les spectateurs égarés dans le divertissement et si dans ces
volontaires, certains manquent d'une première matière pour allumer leur réflexion, deux idées me viennent, mille
autres sont sûrement meilleures :
On pourrait imaginer une sorte de micro-musique : en utilisant un abord relativement neutre pour le spectateur (le
sérialisme le tenant irrémédiablement et instantanément à distance), en s'inspirant des formules stéréotypiques de la
musique pop, en respectant certains de ses codes, le traitement dans le détail pourrait en être artistique, l'auditeur
n'étant plus dérangé par les notes et l'harmonie car elle lui sont familières peut, peut-être, se laisser aller à écouter plus
loin : être touché par l'art subtil qui émane de l’œuvre. Prenez le final de la 9ème symphonie de Beethoven, tout le
monde connaît « l'hymne à la joie » ; le compositeur ne procède-t-il pas ainsi : arraisonnant le spectateur grâce à son
thème simple (même pour l'époque) pour mieux l'emmener grâce à son Art prodigieux, de plus en plus loin face à
lui-même ?
On pourrait aussi envisager une sorte de macro-musique : les styles aussi variés soient-ils ont en commun de
convoquer des pans sociologiques et c'est aussi (voire surtout) avec cela que le spectateur est en contact quand il
écoute de la musique. Par exemple, si vous écoutez un morceau de rock, vous l'identifiez comme tel et c'est alors tout
un pan culturel qui est convoqué. L'agencement de différents éléments évoquant des styles différents dans un même
morceau pourraient ainsi donner lieu à des structures abstraites qui, par les rapprochements inattendus d'images
culturelles familières, parleraient au spectateur. N'est-ce pas un peu ce que fit Albéniz dans « Iberia » en combinant de
manière savante des styles populaires, érigeant à partir de ce matériau rustique une fresque impressionniste, sublime
de finesse, phénoménale de proportions ?
Les deux démarches pouvant d'ailleurs sûrement être combinées mais quoiqu'il en soit, par quelque moyen que ce
soit, allons chercher le spectateur là où il se trouve et mettons-le au contact de l'Art : ramenons l'homme avec luimême.