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par
André Videau
Contrairement à ce qui s’est écrit ici ou là, on assiste, dans le
cinéma français, à une véritable montée en puissance des acteurs
originaires des pays d’immigration. Appellation et repérage pour le
moins sujets à caution, nous en convenons bien volontiers. Le phénomène est aussi discernable sur les différentes chaînes de télévision,
publiques ou privées, quoique de façon plus variable et épisodique.
Les Maghrébins (encore une classification qui nous hérisse, puisqu’il
s’agit de comédiens français, mais comment sortir de ces nomenclatures qui trient ?) sont les plus forts à tirer leur épingle du jeu. Une
poignée d’entre eux a accédé au vedettariat. En tête se trouve Roschdy
Zem (dix films en trois ans, et presque toujours dans un premier rôle),
talonné par Sami Bouajila (Drôle de Félix, d’Olivier Ducastel et Jacques
Martineau, La faute à Voltaire, d’Abdel Kechiche) et par le populaire
Sami Naceri (Taxi, de Gérard Pirès, et Taxi II, de Gérard Krawczyck),
tandis qu’une nouvelle vague se profile avec Saïd Taghmaoui, révélé
par La haine, de Mathieu Kassovitz, et Jalil Lespert, qui portait les
Ressources humaines de Laurent Cantet. On peut y ajouter le parcours sans faute de Zinedine Soualem (de Chacun cherche son chat
à Mademoiselle), cantonné dans des seconds rôles de premier plan.
UN VIVIER PROMETTEUR
À noter que pour certains d’entre eux, le renouveau ou la survie de
la production cinématographique des pays d’origine des parents, et
le lien fort qu’ils tissent avec eux, notamment par la pratique de la
langue, leur permet des prolongements de carrière outre-Méditerranée. Sami Bouajila peut tourner en Tunisie (Les silences du palais,
de Moufida Tlatli), Saïd Taghmaoui au Maroc (Marrakech express, de
Gillies McKinnon, Ali Zaoua, de Nabil Ayouch), Sami Naceri en
Algérie (Là-bas, mon pays, d’Alexandre Arcady). On verra même
Roschdy Zem modifier son parler maternel marocain pour “faire” l’Algérien dans Vivre au paradis, de Bourlem Guerdjou. De beaux
exemples pour démontrer que parfaite intégration n’est pas synonyme
d’assimilation. Et pour échapper encore davantage aux idées toutes
faites et au “fichage ethnique”, aucun de ces comédiens n’a hésité à
se mettre, à l’occasion, dans la peau et derrière le prénom de personnages “bien de chez nous”, des types du Sud, tout simplement.
MÉLANGES CULTURELS
Les actrices et acteurs issus des immigrations maghrébines
et africaines ont-ils réussi à se faire une place en France ?
Un bilan impressionniste de la scène et du cinéma français.
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ÉCRANS MÉTIS : SATISFACTION MITIGÉE
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MÉLANGES CULTURELS
À ceux qui penseraient que nous faisons la part belle à quelques
individualités et que la liste est d’ores et déjà définitivement close
par une sorte d’application des quotas qui n’oserait pas dire son nom,
nous assurons que les candidats sérieux se bousculent, de Maher
Kamoun (Les gens en maillot de bain ne sont pas (forcément)
superficiels, d’Éric Assous) à Malik Zidi,
(Gouttes d’eau sur pierres brûlantes,
Côté féminin, le bilan est très maigre,
de François Ozon), de Karim Belkhadra une pénurie qui semble frapper davantage
(Les rivières pourpres, de Mathieu Kasles interprètes que les personnages,
sovitz) à Amar Ben Abdallah (Karnaval,
puisque les producteurs ont parfois
de Thomas Vincent). Certains films
recours à des actrices franco-françaises
jouent, volontairement ou pas, le déclic
pour jouer les “Beurettes”.
“entrée des artistes” : Ouassini Embarek
et Sofiane Madjd Mammeri débutaient
dans Bye-bye, de Karim Dridi, Yasmine Belmadi et Salim Kechiouche
dans Les amants criminels, de François Ozon. Sous ces heureux
augures, leur carrière se poursuit.
Autre vivier assez abondant, quoique plus trouble, celui des
ondes ou du music-hall, dont les renommées peuvent se révéler foudroyantes tout en restant fragiles (Smaïn, Farid Chopel, Lounès
Tazairt). D’où les mises en garde prudentes que l’on pourrait faire
aux succès du jour, souvent tributaires de passages fréquents à la
télévision et plus particulièrement à Canal+ (Jamel Debouze, Éric
et Ramzy, Atmen Kélif, Dieudonné, Pascal Légitimus). Des acteurs
plus éprouvés semblent être davantage à l’abri de cette inconstance
des publics du petit écran, comme Fellag ou Gad El Maleh, qui ont
en outre de solides assises communautaires et donc un réservoir
d’admirateurs assidus.
Sur les mêmes plans de l’insolite et de la fantaisie, quelques personnalités pittoresques commencent à s’imposer, se tenant à l’écart
des mirages des plateaux de télévision et des fonctions d’animateurs
cathodiques – espérons qu’ils en seront récompensés. Citons Samir
Guesmi, Naguim Bendidi, Fouad Nessah, remarqués à chaque apparition à l’écran, dans des registres inquiétants ou désopilants. Et,
pour compléter la partie optimiste de ce panorama que l’on pourrait attribuer à la prise en compte partielle et tardive d’un fait de
société, ajoutons qu’il faut avoir en mémoire la présence des vétérans, Salah Teskouk ou Saïd Amadis, ou encore Amidou, longtemps
acteur fétiche de Claude Lelouch. Dans certains emplois “plus
jeunes”, pensons à ceux qui se sont souvent ancrés dans d’autres disciplines : Kader Boukhanef, Hamou Graia, Miloud Khetib (théâtre),
Lyèce Boukhitine, Azize Kabouche, Abdel Kéchiche (mise en scène).
OÙ SONT LES ACTEURS D’ORIGINE
AFRICAINE OU ANTILLAISE ?
Autre sujet d’étonnement : la faible représentation des acteurs
d’origine africaine ou antillaise (huit “Blacks” contre trente-trois
“Beurs” à notre pointage, qui n’a cependant aucune prétention à l’exhaustivité). Faut-il incriminer une pénurie de rôles ou de comédiens,
ou ce chiffre n’est-il que le reflet de leur modeste présence dans la
société française ? Nous n’allons pas trancher dans le débat, mais
force est de constater un bien grand vide. Hormis deux figures tutélaires, d’ailleurs plus solidement implantées dans le théâtre, celles
de Sotigui Kouyaté et de Sidiki Bakaba, on ne trouve que la forte personnalité d’Isaac de Bankolé – aux absences néanmoins inquiétantes
– et une relève pleinement satisfaisante avec Alex Descas (tous deux
ayant été mis en lumière par les films de Claire Denis). On a l’impression que les solides qualités d’un Greg Germain ou des frères Martial (Jacques et Jean-Michel) ne trouvent pas suffisamment à s’employer. Quant à la nouvelle génération, elle a bien des difficultés à
percer. Comment un Hubert Koundé va-t-il s’affirmer après La haine,
et un Alexandre Ogou, hors des films de Robert Guédiguian ?
On le voit, ce bilan impressionniste, s’il donne des raisons de se
réjouir, ne dissimule pas l’attente d’un “retour d’image” plus
conforme à une France de toutes les couleurs – par exemple, où sont,
pour l’heure, les originaires des pays d’Asie, pays pourtant prolixes
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et surdoués en matière de cinéma ?
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MÉLANGES CULTURELS
Mais il y a des ombres au tableau. L’accession d’Isabelle Adjani au
star system international ne doit pas nous obnubiler. Force est de
noter que du côté des espoirs féminins, comme on dit dans les palmarès, le bilan est très maigre, malgré la prestance fréquente et
radieuse de Nozha Khouadra (de Bye-bye à Ligne 208) et les renforts
apportés par des actrices d’origines diverses, comme Nadia Samir ou
Nadia Farès, Fejria Deliba, Amira Casar, ou Aure Atika. Peut-être faudrait-il avoir recours à un peu d’introspection sociologique au sein
des familles ou des communautés pour expliquer ce manque de parité.
Cette pénurie semble frapper davantage les interprètes que les personnages, puisque les producteurs ont parfois recours à des actrices
franco-françaises (Élodie Bouchez ou Sophie Marceau) pour jouer
les “Beurettes”, et que l’on vit même Tabatha Cash, ex-star du porno,
recyclée pour les scènes tout juste un peu osées de Raï. Gageons que
si les choses sont lentes à bouger, les blocages ne sont pas définitifs.
C’est ce que laisse présager la distribution de Samia, de Philippe
Faucon, véritable pépinière de ravissantes débutantes douées.

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