Chers concitoyens,

Transcription

Chers concitoyens,
Karena Kalmbach,
Sciences Po Paris
« La jeunesse européenne : des voix pour la paix »
Sujet 1 sur la mémoire de 14-18 : "Un monument à la mémoire des morts des
deux camps a été profané dans une ville d’Alsace dont vous êtes le maire. Vous
faites, après la restauration du monument que vous aviez ordonnée, un discours
inaugural. "
Autrice:
Nom : Kalmbach
Prénom : Karena
Nationalité : allemande
Université d’accueil : Sciences Po, Paris
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Karena Kalmbach,
Sciences Po Paris
Chères concitoyennes, chers concitoyens
Je vous remercie du fond du cœur d’être venus aussi nombreux. De vous être
rassemblés à cet endroit qui tient à cœur à chacun d’entre nous pour des raisons
différentes. Aussi différentes soient-elles, aussi différents que furent les gens qui
nous relient à cet endroit, il y a une chose qui nous réunit tous : notre mémoire
commune.
Le fait que ce lieu de mémoire ait été profané, m’a poussé à réfléchir. Est-ce que
notre mémoire s’affaiblit ? Est-elle devenue insignifiante pour quelques-uns
d’entre nous ? Pourquoi fait-elle même naître la haine et l’agression, qui éclatent
à l’endroit-même qui personnifie cette mémoire : ce monument.
Pour les coupables, ce monument semble avoir été rien d’autre qu’une pierre –
au moins au moment du délit. Une pierre, sur laquelle il y avait écrit quelques
noms – rien de plus, rien de moins. Une pierre comme toutes les autres, une
pierre qu’on peut barbouiller avec des paroles parce qu’elle n’a aucune
signification, parce qu’elle n’est rien d’autre qu’une pierre.
Ou bien, ce monument était-il pour eux plus qu’un lieu où l’on commémore la
mort des gens qui furent arrachés brutalement à nos vies ? Est-ce qu’ils ont
considéré ce monument comme la survie d’un nationalisme qui exclut les autres
– comme un lieu de mémoire qui doit nous rappeler qui était responsable de la
mort de nos proches ? Comme quelque chose qui empêche nos blessures de
guérir ? Des blessures qui attisent des ressentiments contre nos voisins – et cela
à une époque où l’Europe fusionne et où les frontières deviennent de plus en
plus insignifiantes pour la nouvelle génération.
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Karena Kalmbach,
Sciences Po Paris
Aujourd’hui, faut-il toujours rappeler la douleur que les pays européens se sont
infligés mutuellement il y a cent ans ? Aujourd’hui, alors qu’il est si important
de travailler ensemble, de construire des liens – que nous apporte-t-il, de
perpétuer notre propre chagrin ?
Je pense que cette perpétuation, cette mémoire, peut nous servir de
rapprochement – pour nous rapprocher de nos vieux ennemis. Mais pour cela, la
mémoire ne doit pas être unilatérale, elle ne doit pas être culpabilisante. Sinon,
cela nuirait surtout à la nouvelle génération dans notre propre pays, qui pour
l’instant voit nos vieux adversaires comme des amis et qui doit rester ainsi
ouverte à eux – parce que sans ouverture, on ne peut pas avoir de vrais amis.
C’est la raison pour laquelle j’aimerais ré-inaugurer aujourd’hui ce monument,
pas comme un monument français, mais comme un monument européen. Un
monument qui se doit d’inviter tout le monde à se souvenir de notre histoire
commune. Un monument, qui crie à celui qui le contemple : « Souviens-toi,
l’Europe était comme ça ! ». Et auquel nous crions en retour tous ensemble :
« Oui, nous nous en souvenons. Mais nous allons tout faire pour que cela ne se
répète pas ! »
Avant de vous laisser partir, permettez-moi de vous raconter une petite histoire.
Une histoire sur l’amitié. Sur l’amitié qui peut pousser sur les débris de la haine.
J’aimerais que vous pensiez tous à cette histoire quand vous regarderez ce
monument.
J’aimerais que cette histoire vous soit un exemple que l’amour peut être plus fort
que la haine. Et que c’est toujours l’individu qui compte.
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Karena Kalmbach,
Sciences Po Paris
Cette histoire s’est passée à la fin de la deuxième guerre mondiale. C’est
l’histoire d’un jeune homme, un soldat allemand. C’est l’histoire d’un vieil
homme, un viticulteur du Sud de la France. Et c’est l’histoire de leurs
descendants.
Ce jeune homme est un marin. Il est stationné à Toulon pendant l’occupation.
Après la libération de la ville en 1944, il tombe entre les mains des Américains
et devient prisonnier de guerre. Comme il est jeune et en pleine santé, il est
envoyé dans le Var pour travailler dans les vignes.
Le patron pour lequel il doit travailler vient de perdre un fils. Lui aussi un jeune
homme en pleine santé, et qui a été tué par un fusil allemand.
Notre jeune Allemand ressemble au fils du patron. Pas forcément physiquement,
mais par sa façon d’être, de rire, de plaisanter avec la petite fille du patron. Le
vieil homme n’arrive pas à le traiter comme un prisonnier. Il le laisse habiter
dans sa maison, il le fait asseoir à sa table quand la famille mange ensemble.
Les voisins sont choqués ! Comment peut-il faire ça ! C’est un Allemand, peutêtre même celui qui a tué son fils !
Mais le vieil homme ne veut rien entendre de tout ça. Pour lui, ce n’est pas une
question de douleur due à la mort de son fils, pas une question de pitié – mais le
sourire de sa petite fille et son rire quand le jeune homme la porte sur ses
épaules.
Un jour le jeune homme est piqué par une tique et tombe malade. La famille n’a
pas de médicaments mais le jeune homme refuse d’être transporté à l’hôpital
militaire. Il prend le risque de mourir pour pouvoir rester avec sa famille
d’accueil – avec des gens auxquels il fait confiance.
A la fin de son – disons « séjour » au lieu de « captivité » – alors, à la fin de son
séjour le jeune homme est triste de rentrer en Allemagne. Il aimerait rester dans
le Sud de la France, mais sa fiancée l’attend de l’autre côté du Rhin.
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Karena Kalmbach,
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Et savez-vous à qui le jeune homme envoie un cadeau de Noël quelques mois
après son départ: à la petite fille de son patron.
Et savez-vous où le jeune homme et son épouse passent leurs premières
vacances ensemble : chez la famille du patron dans le Sud de la France.
Et savez-vous ce que l’épouse de notre jeune homme fait au moment où son
mari meurt quelques années plus tard ? Elle part avec ses filles dans le Sud de la
France pour retrouver la famille du patron de son mari. Afin que ses filles
puissent profiter de la chaleur amicale qui les accueille là-bas dans un moment
aussi triste.
Mon histoire est presque arrivée à sa fin. Mais il manque encore la partie qui est
pour moi la plus essentielle, parce que je ne veux pas vous parler du passé, mais
du présent.
Christina, une des filles de notre jeune homme, est devenue amie avec la petite
fille du patron, celle que le père de Christina portait toujours sur ses épaules.
Et quand Christina se marie, elle revient avec son mari et ses enfants dans la
maison de son amie, dans la maison de la deuxième famille de son père.
Ils passent toutes leurs vacances là-bas, ses enfants apprennent le Français.
Et maintenant, il y a un autre jeune homme, Stefan – le petit-fils de notre jeune
marin allemand, le fils de Christina. Stefan a appris le Français chez sa
deuxième famille dans le département du Var. Le premier endroit que Stefan
veut montrer à sa petite amie, est le jardin de cette maison dans le Sud de la
France qu’il aime si fort.
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Karena Kalmbach,
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Et quand Stefan et sa petite amie partent à Paris pour participer à un programme
d’échange universitaire, savez-vous ce qu’ils font en premier ? Le premier
week-end après être arrivés à Paris ils montent dans le TGV pour aller à
Marseille...
Pourquoi je vous raconte cette histoire ? Parce qu’elle m’a touchée quand je l’ai
entendue. Et parce qu’elle était dans ma tête tout le temps lorsque j’ai préparé
mon discours pour aujourd’hui.
Et parce que cette histoire exprime mille fois mieux que je ne pourrais le faire
avec mes propres mots l’importance d’une histoire commune pour un avenir
commun.
L’importance de commémorer une guerre ensemble, pour ainsi vivre en paix
ensemble. Une importance qui doit être symbolisée par ce monument.
Je vous remercie.
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