L`estampe japonaise et le jeu vidéo
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L`estampe japonaise et le jeu vidéo
162 Analyse . L’estampe japonaise et le jeu vidéo L’estampe japonaise et le jeu vidéo C ’est en découvrant Okami, sorti en 2007 sur PlayStation 2, que de nombreux joueurs français ont pu se familiariser avec l’estampe japonaise ou « ukiyo-e ». Nous allons nous intéresser à son histoire ainsi qu’à son influence artistique dans le jeu vidéo, récemment illustrée par la sortie du somptueux Muramasa : The Demon Blade. La Grande Vague de Kanagawa est certainement l’œuvre la plus connue d’Hokusai, elle est reprise quasiment telle quelle dans Muramasa : The Demon Blade sur Wii. D urant la période Edo, de 1615 à 1868, qui précède l’entrée du Japon dans l’âge moderne de l’ère Meiji, l’ordre établi bascule et les cartes sociales sont soudainement redistribuées. Nommé shogun en 1603, Ieyasu Tokugawa décide d’implanter son gouvernement à Edo – qui deviendra ensuite la ville de Tokyo en 1868. Il ordonne du coup à ses daimyô, ses gouverneurs de province, d’y construire de somptueuses demeures où ils doivent séjourner un an sur deux… Cette décision politique, pour le moins perverse et destinée à assujettir les daimyô au pouvoir shogunal, a des répercussions fracassantes sur les finances des seigneurs, qui se ruinent petit à petit. Ils entretiennent en effet deux résidences, puisqu’ils conservent leurs propriétés dans leurs provinces respectives, où leur famille est obligée de séjourner. Les déplacements en grande pompe, avec escortes et serviteurs, auxquels ils sont contraints, tout comme les fêtes grandioses qu’ils organisent à Edo, touchent de manière dramatique leur trésorerie. Du même coup, leur pouvoir déjà déclinant et leur influence pour le moins vacillante en souffrent également… Grâce à l’arrivée des Tokugawa et avec le développement économique de la région qui en résulte, commerçants, artistes et artisans s’enrichissent de façon spectaculaire. Et une population jusque-là composée d’exclus se voit offrir l´accès à une culture qui se développe en autarcie et s’éloigne des arts traditionnels entretenus par l’Empereur dans la région de Kyôto. Le poulpe présent sur une autre estampe d’Hokusai fait également l’objet d’un hommage à travers un artwork de Muramasa. Il figure également dans le jeu sous la forme d’un boss caché. Un « monde flottant » Un monde de plaisirs éphémères, sans cesse en mouvement, naît alors. C’est durant la période Edo que le théâtre kabuki fait son apparition. Connu en Occident pour avoir la particularité de ne proposer que des acteurs masculins – les rôles féminins étant tenus par des hommes : les onnagata –, ce théâtre populaire voit éclore des acteurs stars qui se transmettent leur savoir de génération en génération et sont adulés par la population. Mais d’autres arts se développent également comme le théâtre de marionnettes (le bunraku), ainsi que la poésie, la littérature, la musique et les plaisirs plus charnels, liés aux courtisanes… Et pour définir cette culture hédoniste attachée à la recherche constante du plaisir des « nouveaux riches » d’Edo, qu’il soit esthétique ou physique, un mot est employé pour la première fois (dans ce sens) au XVIIe siècle : l’ukiyo. On peut le traduire par « monde flottant » : un monde éloigné du quotidien, détaché du poids de ses responsabilités, qui est illustré de la plus belle des façons par les estampes, ukiyo-e ou « images du monde flottant »… L’estampe possède une particularité essentielle : elle se produit massivement et s’avère donc accessible à tous d’un point de vue purement financier. Cet art, qui use des techniques de gravure sur bois transmises par les Chinois aux moines japonais, fait usage de trois éléments : un modèle est réalisé au pinceau par un dessinateur (eshi) ; ce modèle est ensuite gravé en relief et à l’envers sur une planche de bois de cerisier par un graveur (horishi). Enfin, les planches, une pour chaque couleur, sont confiées à un imprimeur (surishi) qui s’occupe de réaliser les estampes sur du papier spécial qui a la capacité d’absorber correctement les couleurs végétales. Pour devenir un bon imprimeur ou un bon graveur, il faut au moins dix ans de pratique. Si l’estampe est un produit commercial, commandé par un éditeur et façonné par les modes de l’époque, c’est également un art à part entière nécessitant un savoir-faire exceptionnel. Les maîtres de l’ukiyo-e Bien sûr, l’idée n’est pas de faire une liste exhaustive des grands maîtres de l’ukiyo-e mais d’identifier quelques noms essentiels à la compréhension de son évolution. Hishikawa Moronobu (1618-1694) est ainsi considéré comme l’un des artistes primitifs de cet art, l’un de ses fondateurs, tandis que Suzuki Harunobu (1725-1770) est connu pour avoir introduit la polychromie. L’ukiyo-e est un art du quotidien, il « croque » son époque, ses pratiques et ses figurants, que ce soient des artisans au travail, des courtisanes du Yoshiwara (le quartier des plaisirs d’Edo) ou des acteurs de kabuki. Les portraits de femmes, souvent des courtisanes, ont ainsi fait la renommée de nombreux artistes, tels que Torii Kiyonaga (1752-1815), Nishimura Shigenobu (1711-1785) ou encore Kitagawa Utamaro (1753-1806).