réforme du droit des contrats : une définition du dol en demi
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réforme du droit des contrats : une définition du dol en demi
Analyses droit des contrats Réforme du droit des contrats : une définition du dol en demi-teinte Alors que le projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats fait l’objet de multiples consultations, l’une des principales innovations proposées – la définition légale du dol – semble d’ores et déjà révéler des failles. Par Fréderik Azoulay, associé, DLA Piper 1. Jurisclasseur contrats-distribution, fascicule 45 : Contrats, vices du consentement, II. Dol B. caractère déterminant du dol, 2° Dol incident, date de mise à jour : 2 décembre 2013. 8 Mercredi 17 juin 2015 La définition légale proposée Pour rappel, le Code Napoléon ne donne aucune définition du dol : celle-ci est une œuvre prétorienne élaborée à partir des articles 1109 (le consentement n’est pas valable s’il a été «surpris par le dol») et 1116 du Code civil (le dol est une cause de nullité s’il est «évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté»). C’est donc une consécration des principes les plus fermement ancrés dans la jurisprudence sur le dol que le projet d’ordonnance vise avant tout, en proposant une définition à l’article 1136 : «Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres, des mensonges ou par la dissimulation intentionnelle d’une information qu’il devait lui fournir conformément à la loi.» Hélas, la définition proposée n’est pas exempte de maladresses de rédaction. Premièrement, le dol est entendu comme le fait «d’obtenir le consentement de l’autre». Cette formulation pourrait laisser penser que ce qui est constitutif du dol, est donc le comportement sans lequel le consentement de l’autre partie n’aurait pas été obtenu, ce qui indiquerait que seul le dol principal est envisagé. Par contraste, le dol incident, qui est le comportement sans lequel l’autre partie aurait tout de même contracté – dit autrement et pour coller aux termes de l’article 1136 proposé : le comportement sans lequel le consentement aurait été obtenu – mais à des conditions substantiellement différentes, ne serait pas visé par la définition1. Néanmoins, l’article 1130 du projet d’ordonnance indique l’inverse en disposant que : «L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.» Dès lors, à admettre que la distinction – largement débattue en doctrine – entre dol principal et dol incident soit pertinente, il faut sans doute considérer la définition de l’article 1136 comme indissociable de l’article 1130 du projet pour en déduire que cette définition inclut le dol incident. L’on déplorera néanmoins que cette définition ne se suffise pas à elle-même. Deuxièmement, la réticence dolosive – ici appelée, sans crainte de redondance, «dissimulation intentionnelle d’une information» – est consacrée sans aucune ambiguïté. Elle ne l’est cependant que de manière imparfaite. Car toutes les informations qui auraient été dissimulées ne sont pas susceptibles d’être constitutives d’un dol selon la définition proposée. Le texte vise spécifiquement l’information que le contractant mal intentionné «devait fournir [à l’autre partie] conformément à la loi». En d’autres termes, le manquement au devoir de fournir une information permettant «d’obtenir le consentement de l’autre» qui découlerait d’autres règles, par exemple contractuelles, ne serait pas sanctionné par le dol. La part d’ombre C’est ici qu’il faut, pour cerner un peu mieux les intentions des rédacteurs du projet d’ordonnance, rapprocher la rédaction proposée de l’article 1136 avec celle de l’article 1129, qui dispose en l’état : «Celui des contractants qui connaît ou devrait connaître une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, ce dernier ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.» De toute évidence, les auteurs du projet ont conçu les articles 1129 et 1136 comme se faisant écho : • Par application de l’article 1129, il pèse une obligation d’information sur celui qui détient une information réunissant les critères ainsi définis. Par ailleurs, il doit s’agir d’une information «déterminante pour le consentement» ; • Par application de l’article 1136, le fait d’obtenir le consentement de la «victime» en lui dissimulant une telle information constitue un dol, l’obligation de fournir cette information étant de nature légale par l’effet – et sous les conditions – de l’article 1129 ; Analyses • L’alinéa 2 de l’article 1129 est supposé boucler le à l’article 1129 dans le projet d’ordonnance. mécanisme en opérant expressément le lien entre Or, au regard du projet d’ordonnance, il y a lieu de s’interroger sur le traitement de la situation patholomanquement au devoir d’information et dol : «Le manquement à ce devoir d’information [décou- gique dans laquelle un minoritaire dans une société lant de l’article 1129 alinéa 1] engage la responsa- non cotée se fait racheter ses titres par un dirigeant bilité extracontractuelle de celui qui en était tenu. social à un prix bien plus bas que celui auquel ce Lorsque ce manquement provoque un vice du minoritaire aurait pu prétendre s’il avait eu accès au même niveau d’information que le dirigeant. consentement, le contrat peut être annulé.» D’abord, l’on peut se demander s’il s’agirait d’un CQFD… Sauf que ce raisonnement présente des failles : manquement au devoir d’information prévu à l’arquid, par exemple, si le devoir d’information existe ticle 1129, puisque celui-ci ne concerne qu’«une sans être de nature légale stricto sensu ? Quid si information dont l’importance est déterminante l’information dissimulée est telle que la «victime» pour le consentement». Or, bien souvent en aurait contracté mais «à des conditions substantiel- pratique, le minoritaire victime est désireux de lement différentes» au sens de l’article 1130, sans vendre à l’actionnaire majoritaire également diripour autant être «déterminante pour le consente- geant, sans quoi il n’a aucune liquidité sur ses titres. Il pourrait donc être soutenu qu’une information ment» au sens de l’article 1129 ? ayant un impact significatif Dans une vente par exemple, sur le prix des titres n’est pas si l’information non révélée «une information dont l’imporétait de nature à permettre Toutes les informations tance est déterminante pour le au vendeur de former un prix consentement». Celle-ci sortisupérieur à celui convenu, il qui auraient été rait donc du champ du devoir existe des hypothèses qui ne dissimulées ne sont légal d’information prévu à tombent ni dans le champ de l’article 1129. l’article 1129 ni dans celui de pas susceptibles d’être Ensuite, et par voie de consél’article 1136. constitutives d’un dol quence, le dol au sens proposé Le cas n’est pas théorique. à l’article 1136 ne serait pas selon la définition constitué non plus puisque, si Illustration : le cas du proposée. une telle information sort du rachat d’actions par le champ du devoir légal d’infordirigeant social mation prévu à l’article 1129, il Prenons l’exemple typique du dirigeant qui rachète, ou organise le rachat, des n’y a pas non plus de «dissimulation intentionnelle titres de la société d’un minoritaire, sans révéler à d’une information qu’il devait lui fournir conformécelui-ci des éléments déterminants ou susceptibles ment à la loi». d’avoir une influence substantielle sur le prix de En outre, et pour la raison déjà exposée (le minoritaire voulait jouir d’une liquidité sur ses titres), il cession. L’on sait, depuis une jurisprudence célèbre dite se trouverait bien quelques plaideurs pour soutenir «Vilgrain», que pèse sur le dirigeant social un devoir que l’information dissimulée n’a pas permis «d’obde loyauté «à l’égard de tout associé en particulier tenir le consentement de l’autre». lorsqu’il en est intermédiaire pour le reclassement Ne resterait à la victime, dans une telle hypothèse, de sa participation2». Cette solution a été sans qu’à espérer invoquer avec succès les nouvelles cesse réaffirmée par la Cour de cassation dans dispositions sur la bonne foi contractuelle prévues à diverses hypothèses comparables, si bien qu’il est l’article 1103 du projet d’ordonnance selon lequel : désormais constant que le dirigeant social manque «Les contrats doivent être formés et exécutés de à ce devoir de loyauté en dissimulant aux associés bonne foi.» cédants une information de nature à influer sur leur Telle est peut-être l’intention des rédacteurs du consentement3, ou même à influer significative- projet d’ordonnance : laisser aux juges une marge ment sur le prix de cession4. d’appréciation au regard du devoir général de Ce qui est ainsi sanctionné est l’asymétrie d’accès bonne foi qui s’étendrait désormais expresséà l’information sociale et, en quelque sorte, la ment au stade de la formation du contrat ce qui, «trahison» par le dirigeant social de la confiance là encore, vient consacrer une jurisprudence bien théorique dont il jouit de par son mandat social5. établie sur la base de l’actuel article 1134 alinéa 3 C’est ce que cherche à couvrir la rédaction proposée du Code civil. n 2. Cass. com. 27 février 1996, n° 94-11.241, RJDA 6/96 n° 794 ; JCP G II, n° 22665, note J. Ghestin. 3. Voir notamment : Cass. com. 12 mai 2004, JCP G II, n° 10153, note G. Damy ; Cass. com. 11 juillet 2006, n° 05-12.024, Droit des sociétés 2007, comm.1, H. Lecuyer ; Cass. Com. 6 mai 2008, n° 07-13.198, Revue des sociétés 2009 p. 95, note L. Goudon ; Civ. 1re, 25 mars 2010 n° 08-13.060, inédit ; Cass. com. 12 mars 2013, n° 12-11.970, Jay c/Baudet Revue des sociétés 2013 p.689, note T. Massart ; 4. Civ. 1re, 25 mars 2010, n° 08-13.060, inédit. 5. Voir aussi sur la question : Bruno Petit : «L’Evolution du devoir de loyauté en droit des sociétés», RJDA 4/15 p. 243 et s. Mercredi 17 juin 2015 9