eBook_Ma vélosophie_21 avril 2016 - Pour le ravissement

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eBook_Ma vélosophie_21 avril 2016 - Pour le ravissement
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TABLE DES MATIÈRES
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INTRODUCTION ...................................................................................................................... 4
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LES SAISONS .......................................................................................................................... 5
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L’EQUIPEMENT ....................................................................................................................... 7
4
5
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3.1
LA SECURITE ................................................................................................................... 7
3.2
LA PLUIE ........................................................................................................................... 8
3.3
LES CADENAS ................................................................................................................. 9
PHILOSOPHIE DU VELO....................................................................................................... 10
4.1
Définition du vélo ............................................................................................................. 10
4.2
Les marques du cycliste.................................................................................................. 11
4.3
La convivialité – vivre avec ceux qui m’entourent .......................................................... 12
TRAGIQUES VOITURES ....................................................................................................... 14
5.1
VOITURES ...................................................................................................................... 14
5.2
La lutte inégale des VOITURES et des cyclistes ............................................................ 15
PROJETS SOCIETAUX ......................................................................................................... 17
6.1
L’erreur à ne pas commettre ........................................................................................... 17
6.2
Initiative éco-dynamique de l’Ordre des avocats ............................................................ 18
6.3
L’origine du changement : chacun d’entre nous ............................................................. 19
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Je partage avec le Président de Jeune Barreau un esprit
vagabond qui me tient parfois éloigné de la réalité contingente
parce que je lui préfère un monde rêvé.
Merci, Président, de me donner la parole ce soir.
Mon exposé se divise en 2 parties, la première consacrée à
l’expérience matérielle du cycliste, son équipement et sa
sécurité, la seconde à la pensée cycliste, à la vélosophie à
proprement parler.
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1
INTRODUCTION
Depuis longtemps, je prends un immense plaisir à parcourir le
monde, à pied d’abord parce qu’il s’agit de la meilleure façon
d’avoir « les pieds sur terre » et d’être proche des autres.
Je randonne, je marche.
Marcher, pendant une journée entière, d’un col de montagne à
l’autre, d’une vallée à l’autre, sentir le paysage évoluer
lentement au gré de la marche. Quel plaisir ! Quelle jouissance
infinie !
J’ai certes, comme vous tous, parcouru le monde en voiture, en
train, en avion. Je prends le tram, le bus, le métro
occasionnellement.
Mais avant tout, je circule à vélo. Le vélo est, depuis près de
vingt ans, devenu mon moyen de circulation de référence, celui
avec lequel je me sens moi-même et en parfait accord avec
mon environnement.
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2
LES SAISONS
Chaque saison est bonne pour le cycliste.
Ainsi l’hiver, rigoureux, noir et blanc, qui m’impose de me
couvrir le plus complètement et le plus chaudement possible.
A peine sorti de chez moi, en pédalant, le corps s’acclimate
plus
efficacement
que
n’importe
quel
chauffage
ou
conditionnement d’air. Il ne fait froid que pendant les cent
premiers mètres.
Sur les longs trajets, les mains peuvent souffrir, surtout elles, au
bout du corps, légèrement couvertes dans des gants.
Humer l’atmosphère vivifiante du matin et fendre l’air bien
emmitouflé, c’est réjouissant. Seuls les jours de grande neige
m’empêchent de rouler à vélo. Les ornières de neige sur la
chaussée, les risques de glissades, interdisent le vélo pour
quelques jours. Mais cela n’arrive pas plus d’une semaine par
an à Bruxelles.
Le printemps, quand soudain (on ne s’y attendait presque plus)
le thermomètre franchit la barre des 10 degrés centigrades, je
me sens revivre plus légèrement.
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Même en ville, les odeurs du printemps sont puissantes. La
plus enivrante arrive assez tard, en juin, c’est le tilleul. Notre
ville est parsemée de tilleuls. Son parfum vous prend alors que
vous êtes arrêté à un feu ou ralenti par un véhicule qui fait une
manœuvre devant vous. Et alors, en un éclair, vous savez de
source sure que le monde a du bon.
C’est aussi le parfum des femmes qui se fait sentir, c’est un
catalogue de fragrances qui défile autour de vous, à la vitesse
de vos coups de pédale.
L’été est une saison réjouissante mais embarrassante pour le
cycliste, car il transpire en roulant. Mais quel plaisir de rouler
léger, sous le soleil tôt le matin et sous la lune tard dans la
soirée. Quel plaisir aussi de lever la tête au ciel radieux ou
étoilé.
L’automne enfin, lorsque les feuilles tombent sur la chaussée,
que tout est brun, jusqu’au soleil le soir quand il se couche en
dorant tout autour de lui. La pluie parfois nous surprend, mais
ce n’est pas grave, je vous le montrerai dans un instant, un bon
cycliste au quotidien est équipé de pied en cap pour faire face à
la pluie la plus diluvienne.
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L’EQUIPEMENT
Parlons un instant équipement. Aujourd’hui, pour un rien, vous
avez un vélo qui a 21 vitesses : trois plateaux au pédalier, sept
plateaux à la roue arrière. Ce n’est pas inutile, mais c’est un
confort en partie superflu.
3.1 LA SECURITE
Il faut avoir des gants en hiver et des mitaines quand il fait bon :
si vous tombez à terre, ce sont les mains qui prendront en
premier.
Le casque est une sécurité élémentaire : au sommet du corps,
la tête est comme au bout d’un balancier. Si vous tombez, c’est
elle qui risque d’encaisser le choc le plus violent.
Je vous parle d’expérience : un jour de printemps, en 2007, j’ai
fait une chute à vélo ridicule, mais je me suis retrouvé à terre, le
casque abîmé mais la tête sauve. Le seul problème, c’est que
je m’étais rentré le guidon dans les côtes, et que je m’étais
fracturé la rate – hospitalisation, hémorragie importante,
ablation de la rate. Huit semaines d’incapacité. Depuis, je suis
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dératé. Mais je le répète : sans casque, j’aurais d’abord perdu
connaissance, puis, avant de perdre la rate, j’aurais peut-être
tout perdu, parce que lorsqu’une hémorragie interne se
déclenche le sang remplit votre poche abdominale, il quitte le
circuit sanguin qui irrigue votre cerveau. Une fois qu’il n’y a plus
assez de sang dans le circuit sanguin, le cerveau cesse d’être
irrigué et tout s’arrête. Nous sommes infiniment fragiles, que
voulez-vous.
Cette expérience ne m’empêche pas de rester fièrement à vélo,
de jour en jour, convaincu qu’il n’y a rien de tel pour la santé de
notre ville et pour ma propre santé, physique et mentale.
Voilà pour la sécurité, avec en plus une veste fluo, des
catadioptres et de bons phares avant et arrière. Vous êtes paré
pour circuler sur les chaussées à Bruxelles.
3.2 LA PLUIE
La pluie. Comment faire pour ne pas arriver au bureau ou à un
rendez-vous trempé parce que vous vous êtes fait surprendre
par la pluie ?
C’est simple. Il faut avoir toujours dans ses fontes, une cape, un
pantalon K-way et des guêtres.
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La cape pour les petites pluies. Le pantalon K-way pour les
averses, et les guêtres pour les grosses averses hivernales,
quand il n’est pas question d’arriver au bureau avec des
chaussures mouillées qui mettront toute une journée à sécher.
3.3 LES CADENAS
Enfin, un vélo, on s’y attache. On ne veut pas se le faire voler. Il
faut un bon cadenas. Pas question de laisser son vélo dehors
même une minute sans surveillance. L’occasion fait le larron,
un vélo à l’abandon sera rapidement, emporté par un quidam
opportuniste ou membre d’un gang organisé, comme il en sévit
dans toutes les villes.
Personnellement, j’ai trois cadenas sur mon vélo, et à certains
endroits, je démonte la selle, parce que c’est une selle Brooks.
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PHILOSOPHIE DU VELO
4.1 DEFINITION DU VELO
En France, un décret no95-93750 d'août 1995 relatif à la
prévention des risques résultant de l'usage des bicyclettes
énonce que :
« On entend par bicyclette tout produit comportant deux
roues et une selle, et propulsé principalement par l'énergie
musculaire de la personne montée sur ce véhicule, en
particulier au moyen de pédales ».
La directive 2001/95/CE de la Commission européenne relative
à la sécurité des produits propose comme définition de la
bicyclette :
« un véhicule à deux roues propulsé exclusivement ou
principalement par l'énergie musculaire d’un cycliste ».
Dans les deux définitions, l’élément caractéristique du vélo,
c’est l’usage de la force musculaire.
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4.2 LES MARQUES DU CYCLISTE
C’est donc l’effort qui marque l’acte du cycliste. Le muscle, la
chair, votre corps, font l’action. Ce n’est pas une machine automobile qui vous meut, c’est vous-même qui êtes la source de
votre mobilité, par la grâce de votre propre effort.
Cet effort n’a pas pour but de réaliser une performance ou
d’assurer une condition physique de top model. Elle a un objet
tout modeste : assurer votre mobilité.
L’effort que je développe à vélo est le prix que je paie à mon
environnement pour être digne de ce que cet environnement
me donne. Je jouis de l’environnement dans lequel je circule,
dans lequel je vis, et je veux payer par mon effort ma
contribution à sa préservation.
Rouler à vélo, c’est un effort constant et c’est une épreuve si le
froid est au rendez-vous. Quel plaisir de vivre de telles
épreuves et de sentir qu’avec un coup de pédale, le remède au
froid s’installe dans mon corps et est généré par mon propre
corps.
Mon corps est cette véritable usine à chaleur. Il répond à
l’épreuve du froid avec une tranquillité et une assurance qu’un
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automobiliste, assis dans l’espace clos et conditionné de sa
voiture, ne peut pas soupçonner.
A vélo, je sens que j’existe vraiment, par mon corps qui est la
source de tout ce qui est moi.
4.3 LA CONVIVIALITE – VIVRE AVEC CEUX QUI M’ENTOURENT
A vélo, j’existe non seulement en moi-même mais aussi avec
les autres.
Tous ceux que je croise à vélo ou à pied font partie du même
espace que moi, ce n’est que l’air qui sépare nos regards, nous
pouvons nous toucher, nous pouvons nous parler sans
barrières, sans obstacle, sans rien.
Le vélo m’assure une présence au monde, une existence sans
pétroler, sans m’isoler, sans m’esquiver.
Peut-être que sans le savoir, je suis l’avenir, que nous tous, les
cyclistes et les piétons, nous précédons notre avenir à tous. Un
avenir où l’effort physique aura à nouveau sa place à l’air libre.
Un avenir où la présence l’un à l’autre se fera avec moins
d’objets, moins d’obstacles. Un avenir de proximité.
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En roulant à vélo autant que je peux, je réapprends qui je suis
et dans quel monde je vis, je ressens mes faiblesses et les
faiblesses du monde, mes blessures et les blessures du
monde.
Ce monde, je le ressens entouré de mes semblables, piétons
ou cyclistes, je suis entouré de tout ce qui vit à l’air libre, sans
condition, sans conditionnement.
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TRAGIQUES VOITURES
5.1 VOITURES
Car
enfin,
qu’est-ce
que
le
conducteur
d’une
voiture
automobile ? C’est un être enfermé. Certes, il est enfermé pour
sa sécurité et pour son confort. Mais il est séparé du monde
dans lequel il circule, dans lequel il pénètre sans être présent et
sans effort.
Ainsi, tous les jours, je croise mon charmant confrère dans sa
belle voiture. Il vient d’Ixelles, je viens d’Etterbeek. Il va à
Etterbeek, je vais à Ixelles. Trop souvent, je ne le vois même
pas, parce que le pare-brise me le cache, l’auto est seule dans
mon champ de vision et c’est une auto comme il y en a des
dizaines, anonymes et standardisée, sans autre caractère que
celui que lui dicte sa marque. La machine couvre et oblitère la
singularité du conducteur. La machine s’exprime à la place de
l’homme qui la conduit.
Savez-vous que le mot « route » vient du latin « ruptam »,
participe passé du verbe « rumpere » qui signifie rompre,
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fendre, briser. La route transforme le paysage comme une
balafre transforme un visage.
Nos paysages contiennent cette marque de civilisation, depuis
ces voies romaines, qui ont permis à César d’exercer
durablement son pouvoir sur son immense empire.
La voiture et la route sont des marques du pouvoir. Le vélo et la
piste (cyclable) sont les marques d’un retour du non-pouvoir.
Ce non-pouvoir génère un plaisir suprême qui se donne à moi
plutôt qu’il ne s’arrache ou ne se paie, autrement que par
l’effort, l’épreuve intime et l’adversité à laquelle je fais face, en
étant moi-même jusqu’au bout, à vélo.
5.2 LA LUTTE INEGALE DES VOITURES ET DES CYCLISTES
Je ne suis pas venu vous parler ce soir de voitures, mais le
sujet est inévitable.
Vélos et voitures, cyclistes et automobilistes vivent dans une
confrontation permanente.
Nous occupons les mêmes voies, et nous peinons à les
partager équitablement. Un cycliste n’a besoin que d’une bande
de quelques dizaines de centimètres, l’automobiliste ne
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comprend souvent pas pourquoi il devrait les lui concéder. Ma
circulation favorite, c’est par les contresens conformes au Code
de la route. Quel beau mot : « utiliser les contresens », cela
indique tout un programme, c’est presque une incitation à la
révolution.
Rien de tel, dans les petites rues à sens unique, que de croiser
les automobilistes de face plutôt que d’être suivi longuement
par ce même automobiliste agacé qui doit supporter votre
vitesse de 15 km/h.
Ces automobilistes qui se plaignent des cyclistes me rappellent
ces fumeurs il y a vingt ans qui se scandalisaient qu’on leur
fasse la remarque que l’odeur de leur cigarette pouvait
incommoder. C’est agréable de voir comme les temps
changent, comme l’action de milliers de cyclistes courageux
peut faire changer les mentalités, et demain changer le monde.
La circulation à Bruxelles en voiture est un Enfer. Tout le
monde le dit, à commencer par les automobilistes eux-mêmes.
Je ne veux pas de cet enfer. Je ne suis pas au paradis, mais je
ne suis en tout cas pas en enfer lorsque je circule à vélo à
Bruxelles.
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PROJETS SOCIETAUX
6.1 L’ERREUR A NE PAS COMMETTRE
Mais je voudrais écarter toute hostilité de mon propos.
Personne n’en sort gagnant, surtout pas notre société, qui est
finalement notre œuvre commune. Il faut nous sentir bien
ensemble, qui que nous soyons, quoi que nous pensions. Cet
environnement,
nous
le
partageons,
nous
en
sommes
responsables que nous le voulions ou non. Adopter un
comportement responsable, et en parler, voilà un beau projet
d’avenir.
Un riche et brillant banquier, démissionné en grandes pompes
à l’occasion du sinistre séisme bancaire de 2008, expliquait en
privé qu’il pensait que la survie se ferait en se retranchant
chacun pour soi avec sa fortune personnelle dans des
condominiums sécurisés et armés jusqu’aux dents pour
repousser la misère du monde qui ne fait que croître à nos
portes.
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Pouvons-nous appeler cette perspective un avenir ? Voir notre
avenir dans l’enfermement, c’est une désastreuse impasse de
l’humanité, oui.
Ce n’est pas l’avenir qu’un cycliste au quotidien voit.
Nous ne sauverons pas notre monde, nous ne nous sauverons
pas, en nous retranchant, en déployant nos forces pour
défendre contre toute invasion notre bien, notre intégrité.
Il nous faut une nouvelle révolution. Mais elle ne viendra pas
par le renversement du système dans lequel nous vivons. Elle
viendra
par
une
renaissance,
dans
le
système
social
sophistiqué qui est le nôtre, de l’esprit de solidarité et de
responsabilité, autrement dit, l’esprit de « société », dont nous
sommes capables.
6.2 INITIATIVE ECO-DYNAMIQUE DE L’ORDRE DES AVOCATS
Je le dis au conseil de l’Ordre, et notre Bâtonnier et notre
Dauphin le disent aussi : nous devons avoir des projets
sociétaux. Nous devons nous soucier de notre société et de
notre environnement.
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L’Ordre des avocats s’est lancé dans le mouvement pour
devenir une organisation éco-dynamique.
L’Ordre a trouvé un responsable autour duquel les différents
mouvements, les différents gestes et les initiatives en faveur de
l’environnement vont être centralisés. Il faut établir un bilan
d’entrée de notre organisation : quelles sont les empreintes
environnementales que l’Ordre fait chaque jour. Combien de kg
de papiers, de litres, de mazout, consomme-t-il ?
Combien de kg de déchets jette-t-il et comment les trie-t-il ?
Ensuite, il faudra identifier comment une réduction de cette
empreinte peut être réalisée, quels sont les postes qui peuvent
être mieux gérés, quelles sont les attitudes qui peuvent
changer.
6.3 L’ORIGINE DU CHANGEMENT : CHACUN D’ENTRE NOUS
Si j’évoque ce projet, c’est parce qu’il s’inscrit pleinement dans
ma vélosophie. Le projet environnemental de l’Ordre n’aura de
substance, de réalité, que dans la mesure où les individus qui y
travaillent
prennent
conscience
importance.
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individuellement
de
leur
Ils sont irremplaçables. Chacun d’eux est irremplaçable. La
qualité éco-dynamique de l’Ordre ne sera acquise durablement,
que si non seulement les processus de son activité sont
améliorés structurellement, mais aussi et surtout si chacun des
êtres singuliers qui y travaillent, acquiert et développe des
gestes soucieux de l’environnement qui les accueille.
Notre monde malade ne sera pas guéri si les individus qui
l’habitent ne font pas, individuellement, à partir de la place qu’ils
occupent, un geste pour le soigner, pour se soigner.
Rouler à vélo dans Bruxelles ne procède pas d’une autre
volonté. Il s’agit de soigner le monde que nous habitons et de
nous soigner.
Prendre consciences de notre pouvoir de faire du bien à notre
environnement, se rapprocher de lui, utiliser son propre corps
comme un outil de cette amélioration, faire des efforts.
Voilà, je pense, un des langages porteurs d’avenir. Voilà un
moyen pour dissiper ces sombres nuées qui obscurcissent et
rendent inquiétant notre futur.
Telle est ma vélosophie.
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