Carnet de route d`une humanitaire dans le « Triangle de la mort » 7

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Carnet de route d`une humanitaire dans le « Triangle de la mort » 7
Carnet de route d’une humanitaire dans le « Triangle de la mort »
7 heures de voyage pour parcourir 300 km
Cela fait deux semaines que je prépare cette mission : un voyage de 10 jours qui doit conduire une équipe de
travailleurs humanitaires de Lubumbashi, capitale de la province du Haut-Katanga, vers le « Triangle de la mort »,
le nom donné aux territoires Manono, Mitwaba et Pweto qui, il y a quelques années, étaient le théâtre de violence
contre les civils. Nous sommes 20 travailleurs humanitaires, je suis la seule femme. Il est 10 heures ce 22 juillet
2016 lorsqu’on démarre.
Notre convoi se compose de cinq véhicules tout terrain remplis de tentes, de lits de camp, d’eau et de carburantune sorte de kit de survie pour une mission de terrain qui aura à parcourir environ 1 500 km pour évaluer les
besoins humanitaires dans 12 villages. Dans cette zone, entre octobre 2013 et janvier 2015, plus de 1 000
maisons avaient été incendiées dans 70 villages ; des centaines de personnes avaient été tuées, leurs biens pillés
et leurs champs brûlés. Plus de deux ans après, les traces sont toujours visibles : Kabongo, un garçon de 17 ans,
a perdu une jambe lors d’une attaque armée en 2012, survenue dans son village, Mutendele, dans le Territoire de
Pweto.
Après sept heures de voyage et seulement 300 km parcourus, nous nous arrêtons pour une première fois à Kilwa,
le long de la rivière Luvua, pour y passer la nuit. Le lendemain,
après trois heures de route, nous arrivons à Dubie, un des villages
jadis considérés comme un bastion des Mayi-Mayi, dans le
Territoire de Pweto. « Mayi – Mayi » est un terme général
En raison du pauvre état des
décrivant des groupes armés actifs/bandes d’auto-défense qui
routes, les missions
depuis des années pullulent l’est du pays. Avec leur nom qui
humanitaires dans l’Est du
tirerait ces origines dans des supposées forces mystiques, il y a
pays posent de sérieux
aujourd’hui de nombreux groupes/bandes se revendiquant être
problèmes logistiques
« Mayi-Mayi ». La majorité des Mayi - Mayi sont actifs dans les
provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’ancien Katanga.
« Comment échapper à la misère ?»
Nous visitons les quatre villages de Katonta, Kaswete, Kionazini et
Mpongo en trois jours. Tous sont étonnamment calmes, voire déserts. Dans ces villages, les réalités sont quasi
identiques : de nombreux enfants souffrent de malnutrition ; une femme de 50 ans relate l’assassinat de son mari
et de ses deux fils; des hommes racontent la souffrance et la misère quotidienne des habitants.
Prochain arrêt : Manono, Province du Tanganyika. Outre la présence des Mayi–Mayi qui y ont commis des
exactions entre 2011 et 2014, ce territoire est aussi considéré comme l’embryon du conflit inter communautaire qui
oppose les communautés Twa et Luba, depuis mai 2013.
« Comment échapper à cette misère ? », se demande un chef du village rencontré à Manono, en énumérant les
besoins prioritaires: santé, nourriture et sécurité. Dans d’autres villages, les habitants ont principalement besoin
d'eau potable et d’articles de première nécessité comme des vêtements, des couvertures et des ustensiles de
cuisine.
A Kahulu, un infirmier nous apprend que des personnes, y compris des enfants, sont morts de faim dans ce village.
« Au cours du mois de mai 2016, 15 personnes sont mortes de faim et de maladies telles que la diarrhée, l’anémie
et la malaria. Pendant cette même période, neuf femmes sont mortes en couches ».
Deux jours plus tard, nous reprenons le chemin pour Mitwaba. Il nous a fallu trois heures pour parcourir les 20 km
séparant le village Mulumbi de Mitwaba. Relier ces deux localités relève du parcours du combattant : roches et
pentes escarpées glissantes. Par moment, notre vie ne tient qu’au professionnalisme du chauffeur. « Voyager est
toujours un problème sur cette route », affirme un camionneur. Quel euphémisme !
Après une nuit à Mitwaba, nous sommes en route pour Mubidi. Après 20 km en voiture, tous les passagers
descendent des voitures pour leur permettre de traverser la rivière à gué. Rapidement, je prends mon sac à dos,
ma caméra à la main pour filmer la scène. En saison de pluie, de nombreuses personnes risquent d’être privées de
l’aide humanitaire dont elles ont grandement besoin.
www.unocha.org
Bureau de la coordination des affaires humanitaire (OCHA) | Nations Unies.
La coordination sauve des vies
RDC :Carnet de route Septembre 2016
« Le corps d'un chauffeur d’une société minière et son véhicule avaient été retrouvés à 400 m en contrebas, au
mois de mars dernier. Le conducteur avait tenté de franchir la rivière pendant de fortes pluies », témoigne un
brigadier minier.
A Mubidi comme ailleurs, les personnes « retournées »- celles qui ont réintégré leur domicile après avoir dû le
quitter- ont besoin de presque tout : « Nous n’avons rien à manger, nous n’avons pas de lit, les enfants dorment à
même le sol, il n’y a pas de médicaments pour se soigner », affirment-elles.
Garder espoir pour la paix
Toutes ces personnes n’ont qu’un souhait :
retrouver un jour une vie normale. Sophie,
60 ans, garde toujours espoir. Elle a perdu
son mari, trois fils et deux petits-fils, lors
d’une attaque des Mayi-Mayi en 2014. Son
souhait est de voir les autorités restaurer le
plus vite possible une paix durable.
Jour 10 : nous reprenons le chemin du
retour, entre soulagement et douleurs
multiples.
Les populations du « Triangle de la mort »
souhaitent un retour au calme. Pour cela, il
est crucial que les autorités renforcent la
présence des forces de sécurité dans ces
zones.
Mais en attendant, il faut continuer à sauver des vies. La mission humanitaire a recommandé, entre autres, aux
bailleurs de mobiliser des fonds nécessaires pour financer les activités d’urgence et de résilience communautaire.
Plus de 70 000 personnes qui sont retournées de 2014 à juin 2016 dans ces trois territoires ont principalement
besoin de protection, de soins, de denrées alimentaires, d’articles ménagers essentiels et d’abris.
Jolie-Laure Mbalivoto est chargée de l’information publique pour le bureau de OCHA pour les provinces du HautKatanga, Lualaba et Haut Lomami.
Ce texte a été produit par le Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires en RDC
Pour plus d’informations, veuillez contacter :
Yvon Edoumou, [email protected], tél. +243 97 000 3750, +243.81.706.1213
Jolie Laure Mbalivoto, Assistante à l’information publique, Lubumbashi, [email protected], Tél: +243 81 706 12 37
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