Articles sur la médecine d`expertise dans "L`Actualité Médicale"

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Articles sur la médecine d`expertise dans "L`Actualité Médicale"
L’expertise médicale Dossier
par Fabienne Papin
L’expertise
au banc
des accusés
L’expertise médicale n’a pas bonne presse. Avec un taux horaire de 390 $ —
recommandé par la FMOQ dans sa grille provinciale des tarifs pour les services
non assurés — ceux qui y ont recours ont tendance à penser qu’à ce prix, ils
«achètent» un avis. Et encore aujourd’hui, certains médecins leur donnent
raison et n’hésitent pas à réinventer la médecine pour leur mandant. Pourtant,
cette discipline s’est donné des règles déontologiques et une formation sur
mesure destinée à la tenir le plus loin possible des conflits d’intérêts.
« Au Québec, la médecine d’expertise est généralement perçue
comme étant de bonne qualité. »
C’est la conclusion à laquelle
était arrivée un groupe de travail
du Collège des médecins du Québec
en 2004. Pourtant, les experts
médicaux ont mauvaise réputation. Bien sûr, on fait appel à eux
en cas de litige, mais pour chaque
cause gagnée, il y a un perdant et
c’est souvent un mécontent. Mais
ça n’explique pas tout.
L
a Dre Marie Giroux, médecin
de famille, ne porte pas le
même regard sur le rapport
d’un médecin expert que sur
celui d’un médecin consultant.
Devant un même cas, tous les
deux devraient pourtant arriver
aux mêmes conclusions. « Le médecin expert est payé par l’employeur, donc la neutralité n’est
pas la même, il y a un risque de
conflit d’intérêts », précise la Dre
Giroux.
« C’est faux ! », répond le
Dr François Sestier, cardiologue,
professeur titulaire de clinique à
l’Université de Montréal et directeur du programme de médecine
d’assurance et d’expertise de
l’Université de Montréal : « Le
médecin expert à des devoirs de
compétence, d’impartialité,
d’honnêteté intellectuelle, de
connaissance et d’attitude. » Il reconnaît du même souffle qu’il
suffit de quelques incompétents
pour ruiner la réputation de la
profession. Mais le Dr Sestier est
bien décidé à changer la donne.
Depuis 1999, il a fait de la formation des experts médicaux son
cheval de bataille (voir « Les experts en expertise »).
La cour des horreurs
Habitué des cours de justice, le
Dr Sestier a témoigné comme expert médical devant le Tribunal
administratif du Québec (TAQ),
la Commission des lésions professionnelles (CLP), la Commission
10 | L’actualité médicale | www.ProfessionSante.ca | 18 août 2010
d’appel en matière de lésions
professionnelles, la Cour supérieure et la Cour fédérale. « Comme on a un système accusatoire,
j’ai constamment en face de moi
des cardiologues experts. Il y en a
qui mentent sous serment ou
réinventent la médecine et disent
des choses qu’ils n’oseraient pas
répéter à leurs résidents », se désole-t-il. Le pire qu’il a vu ? Un expert a vu le même patient à six
mois d’intervalle dans deux bureaux différents. Or, même s’il
n’avait pas changé de statut médical, le soi-disant expert a pourtant
donné des avis diamétralement
opposés.
Un psychiatre expert s’est retrouvé en première page des journaux après s’être fait épingler à
mentir sous serment. Piégé en
contre-interrogatoire, le psychiatre, pourtant habitué à présenter
des expertises en cour, a affirmé
avoir eu entre les mains un enregistrement qui n’était pas encore
disponible. Et même si « cette erreur », comme il l’a appelée, ne remet pas en cause son opinion médicale, sa crédibilité n’a plus aucun
poids. « Au Québec un psychiatre
et un interniste ont été poursuivis
en Cour supérieure. Il y a même
eu un jugement avec des dommages punitifs, ce qui implique qu’il
y a eu une faute d’un médecin expert. Ce cas a finalement été réglé
hors cours, mais les experts devraient faire très attention, car les
dommages punitifs n’étant pas
couverts par l’assurance responsabilité professionnelle, ils peuvent avoir à les payer de leur poche », rapporte le Dr Sestier.
La multiplication des recours
De tels événements risquent, en
plus, de conforter les patients
dans leur bon droit de porter
plainte. Or, ils sont souvent mal
informés et mal conseillés. Le
Dr Georges L’Espérance, neurochirurgien et président de la Société des experts en évaluation
Pour le Dr Georges L’Espérance, le rôle
des médecins est primordial pour éviter
la multiplication des recours. Selon lui,
souvent un problème simple devient
compliqué parce qu’un formulaire a été
mal rempli. Et, en bout de ligne c’est
le patient qui paie la note, au propre
comme au figuré.
médicolégale du Québec, note
déjà un problème. « Dans d’autres
provinces, le rôle de l’expert est
mieux compris. Ici, pour protéger
les patients, on a mis en place un
système afin qu’ils puissent porter
plainte contre les médecins experts auprès du Collège des médecins. Mais certains l’utilisent
Médecin de famille à Sherbrooke, la
Dre Marie Giroux a accepté de nous
donner son avis sur les experts médicaux
qu’elle juge à la limite du conflit d’intérêt.
Le poids
d’une signature
Un expert unique
« Un médecin passe de 5 à 10 %
de son temps à faire des certificats
ou des activités médico-administratives
et il n’a reçu aucune formation pour ça », souligne le Dr Sestier.
Tous les médecins devraient avoir des bases en connaissances
médicolégales. Il ne s’agit pas de suivre une formation complète,
mais de prendre conscience de l’importance de ce qu’ils écrivent. « La signature d’un médecin au bas d’un formulaire a une
valeur extrêmement importante et il doit apprendre à inscrire
des réponses justes et appuyées sur des données probantes et
non subjectives », complète le Dr L’Espérance. Enfin, selon lui,
un médecin doit reconnaître ses limites en tant que personne et
ne devrait pas hésiter à écrire qu’il ne sait pas si c’est le cas.
« En bout de ligne, c’est le patient qui paiera si on se trompe,
alors mieux vaut donner le dossier à quelqu’un qui peut fouiller
la question et éviter ainsi la multiplication des recours qui risquent de s’ensuivre », explique le Dr L’Espérance.
pour faire réviser les décisions de
l’assureur ou de l’employeur. »
Quand un expert leur recommande de poursuivre un médecin
pour une erreur médicale, ils sont
persuadés que justice n’a pas été
rendue s’ils perdent leur cause. Le
problème, c’est qu’ils n’auraient
jamais dû aller jusqu’en cour.
« Au Québec, ce n’est pas comme
aux États-Unis ou en France où il
peut y avoir une compensation
sans égard à la faute. Ici, les aléas
ou risques inhérents à une procédure diagnostique ou thérapeutique ne peuvent faire l’objet d’une
Si l’expert médical est là pour éclairer la justice, on peut se demander pourquoi il est nécessaire d’en appeler deux à la barre pour y présenter des opinions divergentes. « La multiplication des
expertises et contre-expertises engendre des dépenses démesurées par rapport aux problèmes à régler »,
affirme le Dr Yves Robert. Pour lui, le meilleur moyen de protéger l’indépendance des médecins experts serait
qu’ils soient payés par le tribunal. Une décision qui appartient à la justice et non au corps médical. Or, avoir un seul
expert au tribunal va à l’encontre de la tradition juridique. « Ce n’est pas seulement une question d’argent. « Audi alteram partem » (entendre l’autre partie) est un principe de droit qui prévaut surtout chez les avocats. Il faut faire débat devant un juge et faire la démonstration de ce que l’on avance », précise le Dr Robert.
Pourtant, un comité étudie actuellement cette question au Barreau et depuis 2008, la Cour supérieure de Laval teste un
projet pilote d’expert unique. Une expérience qui a d’ailleurs déjà été menée avec succès en Grande-Bretagne par Lord
Woolf. « Depuis 1998, chaque fois qu’on a besoin d’un expert dans un domaine, on en prend un pour les deux parties et
si elles n’arrivent pas à se mettre d’accord, c’est le juge qui le choisit », explique le Dr Sestier. Tous les avocats semblaient
contre la mise en place de cette réforme. En revanche, selon un sondage effectué en 2005, 85 % d’entre eux se sont finalement dits très satisfaits du nouveau système. Il est plus rapide et leur évite d’avoir à composer avec des opinions
partisanes.
Selon le Dr L’Espérance, même si on retenait le système de l’expert unique au Québec, cela ne résoudrait pas tout.
« Il y a des avantages et des inconvénients d’un côté comme de l’autre. En ce qui concerne la justice, il est possible que
ça diminue un certain nombre de coûts, mais sur le plan strictement médical en termes de coût d’experts, ça ne changera rien. » De fait, ça n’empêchera en rien les avocats de commander des évaluations de l’expertise unique.
poursuite s’ils ont été bien expliqués au patient qui signe alors un
consentement préalable valable »,
explique le Dr Sestier.
Des défis surmontables
Les experts ne sont pas tous compétents, certains cèdent encore à
la partisanerie ou à l’appât du
gain, mais la majorité d’entre eux
sont pourtant bien meilleurs qu’il
y a 10 ans. Le public ne le voit pas
encore, les médecins ne le savent
pas tous, mais les choses évoluent.
En 2006, le Collège des médecins
a publié un Guide d’exercice sur la
médecine d’expertise. « Nous voulions clarifier l’application des
responsabilités du médecin expert et distinguer les éléments qui
touchent l’expertise par rapport à
la relation conventionnelle d’un
Suite à la page 12 
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Les experts en expertise
Quand il a commencé à faire de
l’expertise en médecine d’assurance dans les années 1980, le
cardiologue François Sestier
n’en revenait pas : aucune formation n’était dispensée au
Québec et au Canada.
N
’ayant d’autre choix, il a commencé
par apprendre sur le tas comme tous
les médecins intéressés par cette pratique le faisaient à l’époque. Au milieu des
années 1990, le médecin a aussi suivi
des formations de quelques jours aux
États-Unis et passé les examens de
l’American Board of Insurance Medicine.
En cour, il se retrouvait souvent face à
des médecins non préparés à des
contre-interrogatoires parfois musclés
des avocats. Le Dr Sestier a aussi entendu toutes sortes d’histoires d’horreur
de confrères lui rapportant « avoir menti sous serment pour aider » ou d’assureurs lui expliquant avoir dû faire appel
à deux ou trois soi-disant experts médicaux avant d’avoir entre les mains un
rapport présentable devant un juge. Le
problème n’était pas que les conclusions
ne leur plaisaient pas, mais une question de qualité.
Un manque de formation flagrant
Le Dr Sestier rêvait alors d’une formation universitaire complète permettant
aux experts médicaux et d’assurance
québécois d’éviter les écueils inhérents
à leur pratique, de rester indépendants
et de connaître et reconnaître les devoirs qu’elle implique. « Dans les années
1990, le Dr Pierre Forcier, un grand nom
de la médecine d’expertise québécoise,
expliquait que la SAAQ était obligée de
faire refaire les deux tiers des expertises
qu’elle demandait. Elle ne pouvait pas
les utiliser en cour tellement elles
étaient mauvaises, et ce, même en
choisissant les experts...», souligne le
Dr Sestier. La SAAQ, la CSST et la RRQ
étaient bien placées pour comprendre le
besoin d’une formation universitaire.
Ce sont ces organismes qui ont proposé en 1999 de bâtir un programme
d’enseignement de niveau universitaire.
« C’était inespéré ! », rapporte le Dr Sestier qui a monté, en quelques semaines,
à l’Université de Montréal, avec un petit
groupe d’experts de la SMEQ, devenue
SEEMLQ (Société des experts en évaluation médicolégale du Québec), un programme de 17 crédits échelonnés sur
trois ans. Les fondateurs du programme
s’attendaient à former une vingtaine
d’étudiants la première année, mais
c’est une cohorte de 60 étudiants qui est
sortie diplômée en 2002. Aujourd’hui, le
microprogramme Médecine d’assurance
et d'expertise en sciences de la santé a
permis de former environ 240 médecins
au Québec et une centaine au Canada.
Un programme complet
et innovateur
Très en demande, le microprogramme a
été ouvert à tous les professionnels de la
santé en 2005. « On avait des demandes
de psychologues, de neuropsychologues,
de dentistes, de pharmaciens, d’infirmières. On a même des chiropraticiens et des
ergothérapeutes qui font maintenant de
l’expertise », précise le Dr Sestier. La
même année, il a aussi été complété par
un DESS – 30 crédits au total –, puis par
une maîtrise en 2006 et par un doctorat.
L’expertise de nos finissants a vite été
reconnue dans toute la francophonie. Il
faut dire que comme les cours ont une
version sur le Web, on peut les suivre de
partout sur la planète.
Cette formation a aussi tapé dans l’œil
de compagnies d’assurance canadiennes
anglophones qui ont trouvé que le niveau
d’expertise au Québec était devenu nettement meilleur qu’ailleurs au pays. Prenant
en charge tous les frais sans condition,
elles ont demandé au Dr Sestier et à son
équipe de monter un microprogramme
en anglais dont les premiers diplômés ont
passé leurs examens en décembre 2009.
« Nous avons 150 professeurs venant de
13 facultés à travers l’Amérique du Nord
qui sont venus enregistrer leurs cours à
Montréal, et récemment, quelques-uns
l’ont fait depuis Toronto. On peut maintenant télécharger ces cours sur le Web »,
explique le Dr Sestier, actuellement responsable de la version internationale et
anglaise. Après être devenu pancanadien,
le programme anglophone Médecine
d’assurance et d'expertise en sciences de
la santé de l’Université de Montréal s’est
finalement ouvert à l’international l’année dernière !
Le Dr François Sestier, médecin conseil
pour plusieurs autres compagnies
d’assurance, est directeur médical de Croix
Bleue Canassurance et de OptimumRe.
Il est professeur titulaire de clinique à
l’Université de Montréal et directeur du
programme de Médecine d’assurance et
d’expertise de l’Université de Montréal.
Pour tout renseignement sur le programme d’étude Médecine d’assurance
et d'expertise en sciences de la santé,
rendez-vous sur le site de l’Université
de Montréal. www.mae.umontreal.ca/
index-fr.htm 
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L’expertise médicale Dossier
 Suite de la page 11
médecin et d’un patient », explique le Dr Yves Robert, secrétaire
du Collège. Le code de déontologie aussi prend maintenant en
compte l’expertise (voir l’encadré
ci-contre). Bref, on s’interroge sur
le sujet et on agit.
Pour le Dr L’Espérance, « le défi à
long terme, c’est que tous ceux qui
font de l’expertise au Québec aient
l’obligation de suivre une formation. C’est le seul moyen d’aller vers
la qualité et l’excellence. » Le Collège royal des médecins chirurgiens
du Canada étudie d’ailleurs une
demande officielle pour reconnaître l’expertise comme une sur-spécialisation. « À partir du moment
où il y aura une certification à
l’échelle nationale, elle deviendra
incontournable pour faire de l’expertise et aller témoigner en Cour
», pense le Dr Sestier.
Les règles de l’art
Mais selon lui, de toute façon,
s’improviser expert n’est tout
simplement plus possible. Avec
240 médecins formés au Québec,
ceux qui ne le sont pas « font tache ». Il y a des règles à suivre, des
connaissances à avoir et un raisonnement logique à suivre pour
voir son expertise reconnue. Ainsi, pour aider un juge à prendre
une décision, il faut parler un
langage qu’il comprend et donc
avoir des talents de vulgarisateur.
Un exemple ? En cour, pas besoin
de certitude, une probabilité peut
suffire. Un juge veut savoir si
quelque chose est plus probable
qu’improbable. Il existe aussi
trois barèmes différents d’indemnisation au Québec avec
chacun une finalité et des maximums différents. Un expert doit
donc savoir lequel utiliser.
Mais le nœud du problème est le
lien de causalité. Pour qu’une personne ait le droit de toucher une
indemnité, un problème de santé
doit être imputable à un événement. « Souvent, les médecins
omnipraticiens n’ont aucune
notion de causalité. Pour répondre aux problèmes de leurs patients, ils leur donnent un papier
L’expertise dans le code de déontologie
du médecin
67. Le médecin, agissant pour le compte d’un patient ou
d’un tiers comme expert ou évaluateur, doit :
1° faire connaître avec objectivité et impartialité à la personne soumise à l’évaluation, le but de son travail, les objets
de l’évaluation et les moyens qu’il compte utiliser pour la
réaliser; il doit aussi l’informer du destinataire de son rapport
d’expertise et de la manière d’en demander copie;
2° s’abstenir d’obtenir de cette personne toute information
ou de lui faire toute interprétation ou commentaire non
pertinent à l’objet de l’évaluation;
3° s’abstenir de communiquer au tiers toute information,
interprétation ou commentaire non pertinent à l’objet de
l’évaluation;
4° s’abstenir de poser un geste ou de tenir des propos susceptibles de diminuer la confiance de cette personne envers son médecin;
affirmant un lien entre un événement et leurs problèmes, même si
telle lésion, telle problématique ou
symptomatologie n’est pas secondaire à l’événement en question »,
affirme le Dr L’Espérance. Dans le
cadre du programme de méde­
cine d’assurance et d'expertise en
sciences de la santé, la question
du lien de causalité représente
20 heures de cours. « Ce n’est pas
5° communiquer avec objectivité, impartialité et
diligence son rapport au tiers ou à la personne qui
a demandé l’évaluation.
D. 1213-2002, a. 67.
68. Le médecin doit, en vue de juger de l’aptitude d’une
personne à exécuter un travail, s’en tenir à la recherche des
informations qui sont pertinentes à cette fin.
D. 1213-2002, a. 68.
69. Le médecin agissant pour le compte d’un tiers comme
expert ou évaluateur ne peut devenir médecin traitant du
patient qu’à la demande ou après autorisation expresse de
ce dernier, et après avoir mis fin à son mandat avec le
tiers.
D. 1213-2002, a. 69.
une question de gros bon sens
comme je l’ai déjà entendu », s’insurge le Dr Sestier. Il y a, au
contraire, toute une logique et
une méthode derrière le processus qui mène à statuer ou non
sur un lien de causalité probable.
« En responsabilité médicale, je
dois étudier neuf critères d’imputabilité pour expliquer par
exemple qu’une situation actuel-
le est due ou non à une faute médicale », souligne le professeur.
Et le tout doit absolument être
basé sur des données scientifiques. La science n’a pas réponse à
tout, mais ce n’est pas une raison
pour ne pas se fier aux données
connues et rationnelles qui existent. Pour le Dr L’Espérance,
« avec 40 % des Albertains et
60 % des Américains qui croient
La confrontation entraîne la
Le 9 juin dernier, trois députés,
dont le Dr Amir Khadir, ont
déposé à l’Assemblée nationale
du Québec une pétition signée par
plus de 3000 personnes réclamant une commission d’enquête
publique sur les abus de pouvoir
de la Commission sur la santé et
la sécurité du travail (CSST) et le
manque de neutralité de certains
professionnels de la santé.
S
elon les députés et l’Association des travailleuses et des
travailleurs accidentés de
l’Abitibi-Témiscamingue, le
système actuel favorise la contestation systématique. Il faut dire
que si la plupart du temps, les travailleurs, leurs employeurs et les
assurances règlent les demandes
d’indemnisation (qu’elles soient
ou non accordées) facilement,
quand un cas est litigieux, certains
ont l’impression que la machine
s’emballe ou plutôt s’embourbe !
Le processus peut s’avérer long,
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pénible et compliqué avant qu’un
dossier aboutisse. Le rapport d’un
médecin traitant remis en cause
par un expert mandaté par la
CSST peut se retrouver à l’étude
au Bureau des évaluations médicales. Mais les avis de ce dernier
peuvent également être par la suite renversés par la Commission
des lésions professionnelles.
La cour fait peur
Une majorité de médecins refusent d’aller en cour. Il faut dire
que la plupart des personnes interviewées pour ce dossier s’entendent pour dire que « c’est un
paquet de troubles ! » Pour le
Dr François Croteau, médecin de
famille à Montréal, il est clair
que « certains experts, on le sait,
sont pro-compagnies et diraient :
“si un de mes patients n’est pas
syndiqué ou si son syndicat est
trop pauvre et n’a pas 2000 $ pour
envoyer un expert en cour, c’est
sûr que ce n’est pas moi qui irai le
Fiche
d’identité
Il existe aussi des précautions élémentaires à
prendre pour éviter les poursuites potentielles.
Préciser à un patient de revenir si son état empire
au moment de lui donner son congé de l’hôpital
devrait être systématique.
au créationnisme, on a un vrai
problème de société. Un tribunal
ne doit pas se substituer à la science. » Il craint en effet de voir les
tribunaux outrepasser leur rôle.
Selon lui, certains juges commencent à prendre des décisions qui
relèvent de la médecine. « Je trouve inadmissible qu’un tribunal
décide que, puisqu’il n’y a pas de
preuve scientifique de la causalité
entre la fibromyalgie et un accident de voiture, on doit accepter
une preuve profane », précise le
Dr L’Espérance. Il mise donc sur
le développement de la médecine
d’expertise pour que la science
reste le maître d’œuvre de ce qui
est médical.
Pour le meilleur… sans le pire
Les compagnies d’assurance sont
par ailleurs de plus en plus exigentes avec leurs experts. « Elles
veulent qu’on corrobore nos con­
clusions avec les données de l’examen clinique, les activités quo­
tidiennes, avec les examens
complémentaires et s’il y a des
discordances entre ces éléments, il
faut les faire apparaître », souligne
le Dr Sestier. Aller en cour coûte
cher et avec de bons experts, ce
n’est souvent plus nécessaire !
Consultant auprès d’assureurs,
le Dr Sestier a la preuve qu’il est
possible de diminuer de 90 à 95 %
les frais de contentieux et les frais
légaux en choisissant des experts
Nom : Société des experts en
évaluation médicolégale du Québec
Mission : société savante destinée
à promouvoir le respect des plus hauts
critères d’indépendance, de justice, d’équité et d’éthique
en matière d’expertise médicolégale.
Évolution : Anciennement connue sous le nom de Société des
médecins experts du Québec, la SEEMLQ a changé de nom pour
mieux représenter la tendance multidisciplinaire de l’expertise
Site : www.seemlq.org
Définition : L’expertise médicolégale est un acte professionnel
par lequel un médecin ou un spécialiste dûment reconnu d’une
science médicale (« l’EXPERT ») est chargé par un tiers parti
(« le MANDANT ») de procéder à l’examen d’une personne
(« l’EXPERTISÉ »), et de faire un rapport écrit complet SUR SES
CONSTATATIONS OBJECTIVES ainsi que sur son OPINION MOTIVÉE
et INDÉPENDANTE en réponse aux questions qui lui sont posées.
Source : site de la SEEMLQ
impartiaux. C’est donc rentable
pour tout le monde.
Selon lui, même les médecins
ont intérêt à ce que les experts
soient impartiaux. Personne n’est
à l’abri d’une erreur médicale,
mais dans un règlement hors
cours, seuls deux experts, l’assureur en responsabilité médicale,
les avocats et le patient savent
qu’un médecin a fait une erreur.
En revanche, « si mon expert dit
que je n’ai pas fait d’erreur, alors
que j’en ai fait une, je risque
d’aller en cour et d’être condamné. Et toute la communauté médicale le saura », affirme-t-il.
Contrairement à ce que certains
pensent, mentir pour défendre un
confrère n’est donc pas lui rendre
service. D’ailleurs, en faisant un
minimum d’expertise, les médecins pourraient s’éviter bien des
problèmes, en apprenant à éviter
les erreurs commises par leurs
confrères.
Le médecin n’a pas une obligation de résultat. Il a une obligation de moyen. En posant des
diagnostics différentiels, il montre donc qu’il a pensé à un autre
diagnostic possible avant de l’éliminer. Il existe aussi des précautions élémentaires à prendre pour
éviter les poursuites potentielles.
Préciser à un patient de revenir si
son état empire au moment de lui
donner son congé de l’hôpital devrait être systématique. « Ne pas
faire d’erreur, ça s’apprend et faire quelques expertises en responsabilité médicale peut nous aider
à être un meilleur médecin »,
conclut le Dr Sestier. 
51 à 54
Photo : Hrystel V. Morin
grogne
Le Dr Amir Khadir, député de Québec
solidaire, voudrait que le gouvernement
mette en place un conseil médical
indépendant qui pourrait agir avant qu’on
ne judiciarise les dossiers. Ce panel
d’experts non redevables à la CSST, ne
prendrait parti ni pour les travailleurs, ni
pour les employeurs, ni pour les assureurs.
défendre en cour” ». Pour l’omnipraticien, l’expertise reste une
bonne chose. « Son vrai rôle est de
faire avancer le dossier et non pas
de créer une confrontation. Le but
est de s’assurer qu’on va au bon
endroit avec un patient », préciset-il. Le Dr Croteau se sert même
régulièrement des expertises dans
sa pratique, car « souvent c’est
une façon d’obtenir une consultation avec un spécialiste dans des
cas difficiles à cerner ». Voir l’article « Des spécialistes au bout de
l’expertise » en page 16.
Même s’il lui arrive d’être forcé de renvoyer un patient au
travail à la suite du rapport
d’un expert et de le voir revenir
dans son cabinet quelque temps
plus tard parce qu’il est incapable de travailler, il faut, selon
lui, des tribunaux pour éviter
les abus. « Si on veut trop simplifier, si on ne peut plus faire
appel d’une décision, ce sera au
détriment des employeurs ou
des travailleurs. On vit dans
une société très réglementée et
de droit. Ni le travailleur ni
l’employeur ne doivent être favorisés », explique-t-il.
Le Dr Yves Robert, secrétaire du Collège
des médecins du Québec pense que pour
garantir leur indépendance, les experts
devraient être engagés par un juge et
payés par la cour.
Le recours est une protection
nécessaire
Pour le Dr Georges L’Espérance,
neurochirurgien et président de la
Société des experts en évaluation
médicolégale du Québec, il ne
faut pas oublier non plus qu’en
expertise, « la frustration est sou-
vent de mise. Surtout avec les importants organismes publics qui
ont une vocation sociale comme
la CSST ou la SAAQ ». De fait,
plusieurs ont l’impression que ces
organismes ont les moyens de
payer. « Mais si on accepte tout
sans limite, ces protections sauteront. On ne peut pas rendre toute
la population invalide sous prétexte que quelqu’un a un problème X, Y ou Z », souligne le Dr
L’Espérance.
Les médecins de la CSST outrepassent-ils leur rôle ? Le Dr Croteau dit avoir reçu plusieurs fois
déjà des appels de médecins de la
CSST pour discuter d’un cas, mais
sans avoir jamais subi de pression.
Pourtant, plusieurs collègues médecins d’Amir Khadir, en AbitibiTémiscaminque, et aussi à Mont­
réal ou dans les Laurentides, ont
rapporté que certains collègues
de la CSST étaient allés trop loin,
leur demandant même parfois
de revoir leur avis. Ils seraient, en
Le Dr François Croteau est régulièrement
amené à signer des certificats d’arrêt de
travail dans sa pratique. Selon lui, il y a
clairement une guéguerre entre les
employeurs et les travailleurs dans ce
domaine, même si en général tout le
monde cherche le bon compromis.
tout cas, très souvent prêts à
prouver, coûte que coûte, qu’une
personne ment.
Suite à la page 14 
18 août 2010 | www.ProfessionSante.ca | L’actualité médicale | 13
L’expertise médicale Dossier
 Suite de la page 13
Le système est-il encore
fonctionnel ?
Ce problème va de mal en pis, selon le député de Mercier. « La
CSST connaît une dérive aggravée par le passage de Mme Monique Jérôme-Forget à sa tête, de
1986 à 1990. Alors qu’on a mis la
CSST sur pied avec un préjugé favorable pour les travailleurs, on y
considère maintenant tout requérant comme un menteur ou un
manipulateur jusqu’à preuve du
contraire. » Le député s’insurge
aussi de voir que les médecins de
la CSST contesteraient systématiquement les avis médicaux obtenus par les travailleurs auprès de
leurs médecins ou auprès d’experts de certains centres médicaux reconnus comme la Polyclinique médicale populaire à
Montréal. « Les deux parties ne se
battent pas à armes égales », selon
lui. D’autant que les médecins qui
« défendent » les travailleurs ont
régulièrement maille à partir avec
le syndic du Collège des médecins
du Québec (CMQ).
Selon le Dr Khadir, il suffit
qu’une clinique connaisse la mécanique du système et qu’à titre
de représailles, elle dépose plusieurs plaintes contre les médecins en question pour que le syndic du CMQ intervienne. « Il
peut y avoir des raisons légitimes
et tout à fait justifiées pour le
syndic du Collège de se pencher
sur le cas de dossiers ou de types
de pratique. Mais quand le phénomène se répète, malgré le fait
qu’il n’y ait pas de sanctions, on
peut se demander pourquoi ces
médecins voient le syndic leur
tomber régulièrement dessus. »
Le député a donc décidé de demander dès l’automne prochain
à un membre de son équipe de
fouiller les enquêtes du syndic
des 10 dernières années pour voir
« combien ont abouti à des sanctions administratives et dans
quelle proportion cela touche les
médecins qui œuvrent pour des
travailleurs ».
En fait, le Dr Khadir s’inquiète
que certains se servent du Collège pour « torpiller le système,
l’engluer dans des tracasseries
afin de dissuader des médecins
au service de leurs patients de
faire leur travail en toute cons­
cience ». Le Dr Yves Robert, secrétaire du CMQ, lui renvoie la
balle. « Ce n’est pas un problème d’expertise mais de gestion
administrative d’un programme public d’indemnisation. Et
cela relève du domaine du législateur. »
Les patients se plaignent
Le Dr Robert reconnaît que le
Collège reçoit de plus en plus de
plaintes contre des médecins experts. « Quand le patient n’est
pas satisfait de la conclusion, il se
plaint. C’est légitime, c’est son
droit. Ce sont par principe des
cas litigieux puisque c’est justement un litige qui les a envoyés
en cours. C’est un domaine de
pratique médicale plus sujet
qu’un autre à faire l’objet de
plaintes », explique-t-il.
De plus, que certains médecins
de la CSST se montrent plus ou
moins zélés dans l’application de
règles internes ne relève pas du
Collège. « Le médecin doit avoir
un jugement clinique, mais il
doit aussi suivre les contraintes
imposées par l’organisation et
par l’application de la loi ou des
règlements concernés. Le collège
a juridiction sur tous les médecins qui sont en exercice, mais
pas nécessairement juridiction
sur le contexte dans lequel les décisions sont prises par le médecin», affirme le Dr Robert.
La justice traîne
« Il y aurait bien moins de litiges,
de retards, de frustration et de
coûts dans le système, si des experts bien formés donnaient toujours une opinion indépendante,
et non partisane, sans essayer
d’aider la partie qui emploie ses
services en donnant une opinion
« Il y aurait bien moins de litiges, de retards,
de frustration et de coûts dans le système,
si des experts bien formés donnaient toujours
une opinion indépendante, et non partisane, sans
essayer d’aider la partie qui emploie ses services
en donnant une opinion biaisée. »
— le Dr François Sestier
Le Dr Robert assure d’ailleurs
que le Collège reçoit des plaintes
contre les médecins qui ont fait
des expertises pour des travailleurs et aussi des plaintes
contre des médecins mandatés
par des employeurs ou des assureurs. Mais il ne peut dire dans
quelle proportion. Une chose est
sûre, selon lui, personne n’est
content et tout le monde fait du
lobby, assureurs, syndicats et médecins ! Mais il insiste. « Si la loi
est mal faite, ce n’est pas de la
faute des médecins, mais celle
des législateurs qui ne veulent
pas assumer les conséquences de
leurs décisions et préfèrent avoir
le bon rôle et laisser le mauvais
aux médecins. »
Une bonne idée,
des lois,
des aberrations…
et des poursuites !
Le Dr Robert a eu l’occasion de travailler sur le programme Maternité sans danger de la CSST. Selon lui, personne ne peut être contre un programme destiné
à soustraire les femmes enceintes à un risque en milieu de travail, ce qui ne
l’empêche pas d’être miné par des aberrations législatives. On va retirer une
éducatrice enceinte d’un deuxième enfant s’il y a un cas de rubéole qui est déclaré dans la garderie où elle travaille. Rien de plus normal, sauf si l’enfant malade est le sien et qu’elle se retrouve avec lui à la maison. En voulant la protéger, on augmente en fait le risque qu’elle court.
En fait, selon le Dr Robert, théoriquement, étant donné ce que coûte ce programme en frais d’avocats, d’expertises juridiques et de bureaucratie, on pourrait le couper et presque financer un congé pour toutes les Québécoises durant
leur grossesse. « Sauf que le gouvernement peut se permettre d’être généreux
puisque c’est pour moitié l’argent des entreprises qui finance ce programme »,
conclut-il.
biaisée» s’insurge le Dr Sestier. Il
a témoigné à maintes reprises
comme expert au TAQ, à la CLP,
en Cour supérieure et en Cour
fédérale, et selon lui, il ne faut pas
se leurrer. « Quelques dizaines
d’experts ruinent la réputation
de la profession... Le problème
est que n’importe qui s’improvise expert sans aucune connaissance légale sur le raisonnement,
sur le vocabulaire, sur le format
de l’expertise, sur le mandat ou
sur l’éthique. »
Il rappelle que le juge Michel
Proulx, aujourd’hui décédé,
s’est promené partout au Québec et au Canada, ces dernières
années, pour dénoncer le fait
que les experts médicaux étaient
des mercenaires : « Payez-moi
assez cher et je vais dire ce que
vous voulez. »
Pour lui, le Collège des médecins à un rôle évident à jouer, car
la science de l’expertise ne s’improvise pas, mais s’apprend et
s’expérimente. « Le Collège n’est
pas assez coercitif dans ce domaine. Un médecin qui a eu
19 plaintes contre lui au CMQ
trouve ça normal et refuse de suivre ma formation qui lui éviterait
pourtant de nouvelles plaintes. À
60 ans, il se trouve trop vieux
pour se former, mais continue
de convoquer de grosses réunions de travail avec certains collègues experts pour réfléchir à
des problèmes expliqués et résolus dans les deux, trois premiers
mois de notre programme. Or,
ce sont des médecins qui ne font
que de l’expertise médicale et
c’est scandaleux… » 
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14 | L’actualité médicale | www.ProfessionSante.ca | 18 août 2010
L’expertise médicale Dossier
par Fabienne Papin
Des spécialistes au bout de l’expertise
Pas facile d’obtenir une consultation en psychiatrie pour un
médecin de famille. Qu’à cela ne
tienne, le Dr François Croteau
n’hésite pas à recommander à
ses patients de se soumettre à
une expertise quand un
employeur ou une compagnie
d’assurance le leur demande.
«S
ouvent, les patients deviennent très anxieux
et me prennent pour
un menteur quand je
leur dis que ça va nous aider parce
que je suis incapable d’avoir un
rendez-vous en psychiatrie aussi
vite », souligne l’omnipraticien.
Pas d’attente...
Aucun employeur n’apprécie de
voir un travailleur arrêté pendant
des semaines parce qu’un médecin
de famille ne peut lui obtenir rapidement un rendez-vous chez un
spécialiste. En payant une expertise, les compagnies peuvent réduire
des délais de six mois ou un an à
une semaine. À moins de cas très
litigieux, elles envoient le rapport
en question au médecin traitant.
« Dans une bonne expertise, l’expert fait le point, me dit où en est
mon patient, si mon diagnostic,
mon approche et mes doses sont
bons. Il peut me suggérer des choses aussi. En fait, il confirme ou in-
firme mon diagnostic », explique le
Dr Croteau.
La Dre Marie Giroux, médecin de
famille à Sherbrooke, a aussi utilisé
plusieurs fois des rapports d’expertise dans sa pratique, mais elle souligne qu’il faut bien avoir conscience que c’est un risque. « La neu­tralité
n’est pas la même. Un médecin
expert est payé par l’employeur et
même s’il suit un code de déontologie, il y a quand même apparence
de conflit d’intérêts. La dynamique
entre un médecin traitant et un
médecin consultant est très différente puisque ce dernier est dans
une démarche d’aide et d’évaluation neutre du patient. »
« Dans une bonne expertise, l’expert fait le point,
me dit où en est mon patient et si mon diagnostic,
mon approche et mes doses sont bons.
Il peut me suggérer des choses aussi. En fait,
il confirme ou infirme mon diagnostic »
Une question de crédibilité
Pour l’omnipraticienne de Sherbrooke, c’est tout de même délicat et
il faut être prudent. Le Dr Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins, n’avait jamais entendu de
collègues lui dire avoir utilisé des
rapports d’expertise afin d’ajuster
plus rapidement un diagnostic ou
un traitement. Pour le Dr François
Sestier, ce n’est pas un problème si
un expert est indépendant. « Quand
je vois quelqu’un qui m’est envoyé
par un assureur, la première chose
que je lui dis est que s’il venait me
voir pour contester l’avis de son assureur, je donnerais exactement la
même opinion. Je suis là pour donner un éclairage indépendant à un
employeur, à un assureur ou à un
avocat, ce qui rassure beaucoup les
patients qui voient que nous ne sommes pas à la solde de celui qui nous
paie », explique-t-il. D’un autre côté,
le Dr Sestier a déjà eu à expliquer à
un patient qui lui demandait une
prolongation d’arrêt de travail exagérée, que s’il lui signait un certificat,
l’assureur allait requérir l’opinion
d’un expert et qu’il lui serait alors
impossible de la réfuter.
Le Dr Georges L’Espérance, neurochirurgien et président de la Société des experts en évaluation
médicolégale du Québec, confirme avoir déjà vu dans certains cas
d’invalidité des assureurs demander des expertises pour ne pas
dépendre de délais trop longs.
« Quand un médecin de famille
écrit qu’un patient est en invalidité en attente d’une consultation
en orthopédie, en neurochirurgie
ou en psychiatrie, certaines compagnies d’assurance ou employeurs
choisissent de défrayer une expertise pour qu’il ait une opinion
complète sans devoir attendre un
an. » Mais selon lui, c’est loin
d’être systématique. « Tout au
plus, quand les papiers d’invalidité
fournis ne suffisent pas pour comprendre ce qui se passe ou quand
c’est trop flou », précise-t-il.
Soigner et conseiller
L’avis de l’expert va parfois à l’encontre de celui du médecin de famille et, dans ces cas, le plus difficile pour le médecin traitant est de
bien conseiller le patient. Une compagnie peut être tentée de pous­ser un employé malade à démissionner. Selon le Dr Croteau, tous
les médecins de famille sont
confrontés à ce genre de situation
un jour ou l’autre et il est important alors de s’assurer que le patient
est en état de prendre une décision.
« Tant qu’une personne est malade,
on ne peut pas la mettre à la porte.
Je dis au patient de retourner travailler, de ne rien signer et je le
remets au repos plus tard, si ça ne
va pas mieux. » Les normes du travail existent et les employeurs le savent. « Idéalement, mieux vaut éviter les confrontations et arriver à
des solutions ou des compromis »,
conclut-il. 
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16 | L’actualité médicale | www.ProfessionSante.ca | 18 août 2010
L’expertise médicale Dossier
par Fabienne Papin
Les spécialistes des morts suspectes
Partir au bout du monde comme
chirurgien sans frontières
quand on rêve d’une famille et
qu’on a besoin de beaucoup de
sommeil, n’est pas forcément le
meilleur choix de carrière. La
Dre Caroline Tanguay est tombée
dans la pathologie par hasard,
mais même 320 autopsies en une
année ne lui ont pas fait
regretter sa décision...
E
n temps normal, un pathologiste judiciaire devrait traiter
environ 200 cas par année. Sa
mission est de découvrir la ou
les causes des morts suspectes. Mais
il doit aussi trouver le temps d’écrire
ses rapports d’expertise, d’aller les
présenter en cour, de valider les
rapports de ses pairs et de former la
relève. Actuellement, il y a seulement
deux pathologistes judiciaires pour
toute la province : les Drs Caroline
Tanguay et André Bourgault. Alors
les rapports prennent du retard.
et de médecine légale (LSJML) de
Montréal en fin de formation, ils
savent déjà où ils iront travailler.…
Une discipline à part
Les pathologistes judiciaires québécois ne travaillent pas à l’hôpital
comme les autres pathologistes qui
s’occupent des vivants ou leurs
confrères des autres provinces. Ici,
on les a installés au LSJML de
Montréal et on leur envoie tous les
cas qui sortent de l’ordinaire de
partout en province. Pour la Dre
Tanguay, c’est un privilège de ne
faire que de la pathologie judi­
ciaire, mais surtout de travailler
avec les autres spécialistes de scien-
Sous-effectif
« Souvent les gens pensent que ce
n’est pas grave puisqu’on s’occupe
des morts. Mais ça a des conséquences importantes sur les vivants. Certaines personnes ne peuvent pas régler une succession, toucher leurs
assurances ou être dédommagées
en cas d’accident parce que le coroner attend nos conclusions », rapporte la Dre Tanguay. Et les procureurs et les enquêteurs, qui doivent
composer avec des dates d’audience
préliminaire, mettent aussi de la
pression pour que ces autopsies
soient réalisées le plus vite possible.
Par chance, du renfort arrive cet
été ! Il manquera encore un ou deux
pathologistes pour que les effectifs
soient complets étant donné la charge de travail. Le Dr Yann Dazé, qui
vient de finir sa résidence, s’est
récemment joint à l’équipe. « Cela
ne nous permettra pas encore de
rattraper le retard, mais au moins,
nous pourrons limiter les dégâts »,
explique la Dre Tanguay. Certains
dossiers ouverts en 2008 ne sont pas
encore réglés. Avec le départ de la
Dre Anny Sauvageau, partie pour
l’Alberta en 2009, l’équipe roule avec
deux personnes depuis plus d’un an
et les cas se sont empilés. Il n’y a pas
si longtemps, on comptait encore six
pathologistes dans les locaux montréalais de la police judiciaire. Plusieurs départs à la retraite et une
reconversion à la pathologie hospitalière ont changé la donne.
La pathologie judiciaire serait-elle
si rebutante pour attirer si peu de
volontaires ? « La pathologie est
souvent méconnue. On nous en
parle peu pendant notre formation.
C’est une discipline que nous découvrons pendant nos stages.
Quand on a des patients malades
ou qu’on vient de faire une biopsie,
on court après les rapports des pathos », souligne la Dre Tanguay.
Comme les apprentis pathologistes
sont rares, les hôpitaux ont tôt fait
de repérer les résidents qui s’y intéressent et de leur faire des propositions pour les attirer chez eux.
Quand ils arrivent en stage au
Laboratoire de sciences judiciaires
18 | L’actualité médicale | www.ProfessionSante.ca | 18 août 2010
ces judiciaires. « Quand je fais
l’autopsie d’un cas particulier qui
implique une arme à feu, j’ai le
soutien des experts en balistique. Si
je trouve un projectile anormal ou
une blessure anormale, l’un d’eux
peut descendre à la salle d’autopsie », dit la jeune femme. Cette
proximité lui permet aussi d’interroger, si nécessaire, un toxicologue,
un expert en chimie et fibre ou un
spécialiste en projection de sang.
« On n’est pas tout seul comme à
l’hôpital. On fait partie d’une équipe avec le soutien technique des
autres experts scientifiques judiciaires. Ne serait-ce que pour ça, je
trouve qu’on travaille dans le plus
L’effet CSI
Dans à peu près tous les épisodes de CSI,
le pathologiste est toujours capable de
donner l’heure du décès à la minute près,
de dire si l’assassin est droitier ou gaucher
ou encore d’indiquer la position exacte de la
victime au moment de sa mort. La vraie vie, et la pathologie judiciaire, est
un peu plus complexe. La Dre Tanguay commence donc souvent son témoignage en expliquant au jury que si elle ne donne pas ce genre d’information, ce n’est pas parce que les pathologistes québécois sont pourris, mais bien parce que, dans la série, c’est arrangé avec le gars des
vues ! « Quand j’ai dit à des membres du jury que le thermomètre magique de CSI n’existait pas pour expliquer le temps de décès, ils avaient l’air
déçus même s’ils ont bien conscience que ces émissions sont de la fiction. »
En revanche, elle explique que ces émissions télé ont permis de faire
connaître le travail d’équipe indispensable dans les sciences judiciaires.
« CSI Vegas est ainsi le plus représentatif, même si ça reste complètement
farfelu de voir des personnages experts en tant de choses… Au moins, ce
n’est pas comme dans CSI Miami où un seul homme est bon
et tous les autres sont comme ses sous-fifres », dit-elle en riant.
Un meilleur encadrement
Côté cour
En plus d’offrir une « super belle »
qualité de vie, cette spécialité donne
l’occasion d’en apprendre tous les
jours un peu plus auprès des autres
experts judiciaires. Mais la plus belle surprise pour la Dre Tanguay a
été le rôle de témoin expert. « En
pathologie hospitalière, c’est valorisant de faire un diagnostic et d’aider
un confrère à traiter un patient.
Mais après, ça s’arrête là. En pathologie judiciaire, notre rôle va plus
loin. On doit éclairer les tribunaux
sur ce qui s’est réellement passé »,
souligne-t-elle.
Quand un expert est bien préparé
et connaît les limites de son rôle, il
n’y a rien à craindre, y compris d’un
contre-interrogatoire. Elle trouve
Photo : Alain St-Marseille
beau centre au pays », ajoute la Dre
Tanguay. Elle estime aussi que les
assistants pathologistes sont exceptionnels. D’ailleurs, les stagiaires qui passent dans les salles
d’autopsie sont souvent surpris de
l’ambiance de travail qui y règnent.
« Nous développons tous des mécanismes de défense et utilisons
beaucoup l’humour entre nous
pour dédramatiser. Nous restons
minutieux et sérieux, mais il n’est
pas nécessaire d’être morbide ou
triste », explique la Dre Tanguay.
La pathologie judiciaire est reconnue par le Collège royal des
chirurgiens et des médecins du Canada comme une sur-spécialisation
de la pathologie depuis peu. Un premier centre de formation a aussi été
reconnu à Toronto, il y a deux ans. Le récent scandale en Ontario en médecine
légale pédiatrique n’y est probablement pas pour rien. Les résultats d’autopsie
erronés du Dr Charles Smith ont conduit à l’incrimination de 13 personnes innocentes et au dépôt d’accusations dans sept autres cas entre 1991 et 2001.
« Ce pathologiste pédiatrique n’avait reçu aucune formation en pathologie judiciaire. Il a pratiqué des autopsies judiciaires et s’est finalement auto-déclaré pathologiste judiciaire parce que personne d’autre n’en faisait. Mais il a commis des erreurs
judiciaires graves », précise la Dre Tanguay. Au moins, depuis ce scandale, l’encadrement de la profession a été revu en Ontario. La situation est toutefois différente au
Québec. Au LSJML de Montréal, les pathologistes judiciaires reçoivent une formation
spécifique depuis plusieurs années. En 2006, à son arrivée, la jeune femme a donc
pu en bénéficier. « Tous les experts qui travaillent au Labo témoignent en cour. Ils
reçoivent donc sur place une formation particulière sur le témoignage, le rôle de
témoin-expert, la façon de témoigner, etc. », souligne la Dre Tanguay.
L’équipe de pathologistes judiciaires du
Laboratoire de sciences judiciaires et de
médecine légale (LSJML) de Montréal :
les Drs Yann Dazé, Caroline Tanguay,
André Bourgault.
même ça plutôt « stimulant ». « C’est
une belle expérience. Notre rôle est
d’éclairer la cour sur ce que le corps
nous dit qu’il est arrivé. Je suis là
pour dire ce qui est possible, ce qui
est probable ou improbable. On est
dans un système d’hypothèses et de
probabilités, et il nous revient de
donner un degré de certitude. Et
c’est important de le dire aussi
quand on ne peut pas donner une
réponse », précise-t-elle.
Sauver des vies aussi
La Dre Tanguay pense faire encore
de la médecine. Une médecine des
morts certes, mais qui lui permet
tout de même de contribuer à sauver des vies de façon détournée,
quand un coroner utilise un de ses
rapports d’expertise dans ses recommandations. « C’est toujours
triste quand un enfant meurt accidentellement, mais si, avec nos
conclusions, on peut en empêcher
d’autres de mourir de cette façon,
c’est important », explique cette
mère d’un garçonnet. 
De la pub auprès
de la relève
Depuis le succès de ces séries, de nombreux jeunes du se condaire téléphonent
au LSJML pour savoir comment devenir pathologistes judiciaires. Avec elles, les sciences judiciaires en général ont vraiment gagné en popularité. Bien sûr, ils sont un peu
jeunes, ne serait-ce que pour franchir les
portes d’une salle d’autopsie, mais peutêtre deviendront-ils médecins un jour…
Plus intéressant à court terme, les étudiants appellent pour faire des stages au
LSJML dès l’externat maintenant. À deux,
les pathologistes ne pouvaient plus les
accueillir, explique la Dre Tanguay, mais
elle espère que ce sera de nouveau possible grâce à l’arrivée du Dr Dazé en renfort,
car c’est un excellent moyen de recruter
des candidats potentiels. Si les futurs médecins connaissent la pathologie judiciaire
avant même leur résidence, il y a des
chances qu’ils ne prennent pas d’engagement avec un hôpital avant même d’avoir
mis un pied au LSJML.
18 août 2010 | www.ProfessionSante.ca | L’actualité médicale | 19