Iran : désir d`empire ?
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Iran : désir d`empire ?
Mardi 28 Avril 2015 Rebonds Iran : désir d'empire ? Depuis quelque temps, les médias internationaux font état de la montée en puissance de l'Iran. Ce constat ne se limite pas uniquement au discours médiatique international. Il est aussi le fait de certains responsables iraniens. Comment expliquer cette situation ? De quels moyens dispose le régime islamique pour mener cette politique ? Quelles sont les possibilités et les limites de l'expansionnisme iranien ? Dans un contexte régional marqué par une déstabilisation chronique suite au déclenchement des «printemps arabes», à la guerre civile en Syrie, à la main mise de «l'Etat islamique» sur une partie des territoires syrien et irakien et, finalement, à la prise, début 2015, de la capitale du Yémen par les Houthis, parti politique regroupant la minorité chiite zaydite, l'Iran paraît jouir, pour le moment, d'une situation relativement stable. Cet état de fait ne s'explique pas par une tendance innée à la retenue dans la population iranienne, l'histoire contemporaine de l'Iran prouve le contraire, ni uniquement par les capacités de répression dont dispose le régime islamique. La stabilité de l'Iran repose fondamentalement sur une tradition étatique très ancienne, et l'existence d'un Etat moderne et centralisé depuis Reza Chah (1925-1941), qui lui ont permis de traverser de très fortes turbulences, y compris la révolution islamique, en conservant son unité et sa continuité. A la stabilité, premier atout de l'Iran, il faut ajouter les moyens d'action dont il dispose. Depuis sa fondation en 1979, la République islamique a 1 énormément investi dans une armée idéologique, étroitement liée au pouvoir : les Gardiens de la révolution. Ils ont pour mission la sauvegarde du régime, mais aussi l'exportation de la révolution. Dans ce but, ils ont créé une division spécialisée, la force Al-Qods (Jérusalem), chargée des interventions extérieures et jouissant d'importants moyens. Elle a contribué à la consolidation du Hezbollah, mais aussi à l'encadrement des forces pro-Bachar al-Assad et des milices de volontaires chiites en Syrie et en Irak. De plus, l'Iran s'appuie à l'extérieur de ses frontières sur des bras armés comme le Hezbollah ou les milices chiites en Syrie et en Irak, ainsi que sur des relais comme le Jihad islamique et, dans une moindre mesure, le Hamas en Palestine, qui peuvent jouer le rôle de supplétifs pour favoriser sa politique ou ses actions. importants réalisés par Téhéran dans sa politique de propagande, avec la mise en place de chaînes de télévision et de radio en langues étrangères et sa diplomatie culturelle. Son troisième atout dans sa politique régionale est son soft power. Outre l'attrait qu'exerce son discours idéologique sur certaines populations chiites non-iraniennes, l'Iran fournit, à travers ses «fondations religieuses» (bonyad), une aide matérielle à certaines populations démunies du Moyen-Orient, afin de les encourager à soutenir les mouvements politiques qui lui sont favorables. Il utilise aussi les réseaux cléricaux chiites transnationaux qui relient le clergé iranien aux clercs irakiens, libanais, afghans etc. Ces mollahs sont unis par des liens familiaux ou ont suivi les mêmes cursus d'études dans les prestigieux centres de formation chiite (Hawza). A ce tissu international traditionnel, il faut ajouter les investissements Par ailleurs, elle n'est pas non plus directement impliquée dans le déclenchement des printemps arabe ni dans celui de la guerre civile syrienne, même si les Iraniens prétendent que les mouvements du printemps arabe font suite au tremblement de terre que fut la révolution islamique de 1979. Mais à y regarder de plus près, l'influence qu'il exerce aujourd'hui, au-delà de son espace géographique national, est rarement le fait de sa volonté propre. En fait, la République islamique est une puissance bien plus «réactive» qu'active, sachant profiter des situations avantageuses qui se présentent à elle. Certes, il ne fait aucun doute qu'elle a contribué à la création du Hezbollah au Liban, mais elle n'est pas à l'origine des faiblesses de l'Etat libanais qui ont favorisé l'édification dans ce pays d'une milice chiite, dont les capacités militaires surpassent celles des forces armées nationales. Au regard de la Syrie, si Téhéran est aujourd'hui largement impliqué dans ce conflit, c'est surtout pour y défendre le régime d'Assad, son seul allié arabe, et tenter de conserver son rôle d'acteur important au Levant. Concernant l'Irak, la mise en place d'un pouvoir chiite à Bagdad est la conséquence de l'intervention américaine en Irak en 2003. C'est grâce à elle que l'Iran est devenu un acteur important dans les affaires irakiennes, et non en raison d'une efficacité de sa politique étrangère. On peut poursuivre ce raisonnement à propos du Yémen et de Bahreïn où les Iraniens n'ont joué qu'un rôle très marginal. Au final, l'Iran est plus une «puissance par défaut» qu'une véritable «puissance», initiatrice de changements. Sa représentation par les médias internationaux, et certains de ses dirigeants, comme la seule puissance régionale ayant la capacité à calmer la tempête qui souffle sur le Moyen-Orient est très exagérée. Téhéran n'en a pas seul les moyens, et ce n'est pas non plus la seule puissance régionale importante. D'autres Etats, comme la Turquie, Israël et l'Arabie Saoudite, peuvent largement rivaliser avec lui. Ainsi, malgré sa capacité à projeter sa puissance à l'extérieur à travers les communautés chiites et ses bras armés, l'Iran reste un Etat isolé dans le contexte régional, incapable de réunir autour de lui une coalition internationale. Ce n'est pas le cas de l'Arabie Saoudite qui, dans sa lutte contre les Houthis au Yémen, est parvenue à établir une coalition d'Etats sunnites. L'implication de Téhéran dans la politique régionale, par le soutien accordé essentiellement aux mouvements chiites, a aussi porté atteinte au projet initial de la République islamique. Conscient de la situation minoritaire du chiisme dans le monde musulman, l'ayatollah Khomeiny s'était toujours présenté comme le champion de l'unité islamique, et non pas uniquement le leader des chiites. Or, ce qui s'est passé ces dernières années a entraîné la politique étrangère du régime iranien dans le piège du sectarisme chiite, dont il aura sans doute du mal à sortir. Enfin, tenter d'édifier une zone d'influence dans les pays arabes voisins en s'appuyant sur des Etats en difficulté, comme l'Irak, la Syrie, le Yémen ou même le Liban, c'est pêcher en eaux troubles, mais aussi construire un édifice sur du sable mouvant. Le nouvel «empire» Tous droits réservés : Libération 2BE15N71SA5B289F179405C16D0CC1D21D13A762C0C61B1CAAFCACD 2 iranien, si empire il y a, sera un empire en papier mâché qui ne résistera pas longtemps aux dynamiques internes de ces pays et aux tumultes que connaît régulièrement la région. Avec son passé historique, ses capacités humaines, culturelles et économiques, l'Iran devrait limiter ses engagements externes à la défense de sa sécurité nationale, en consacrant ses moyens économiques et politiques à l'amélioration de la qualité de vie de ses citoyens, tout en évitant de se lancer dans des aventures externes qui risquent de se retourner contre lui. Un pays qui vit le plus grave désastre écologique de son histoire, dont la situation économique est catastrophique et qui espère, avec la résolution de la crise nucléaire, mettre un terme à son isolement international, n'aurait-il pas mieux à faire que de rêver à se doter d'une zone d'influence, d'un empire diront certains, dont l'avenir est des plus douteux ? Mohammad-Reza DJALILI, Thierry Kellner Diff. 144 054 ex. (source OJD)