Sur les traces de l`Église et de Champlain

Transcription

Sur les traces de l`Église et de Champlain
Dès ses premiers voyages, Champlain remarque l'abondance des fourrages sur les basses terres. Il y
fera ériger une ferme (1626) et une habitation. La première route vers Québec sera une route agricole
qui permet de nourrir la ville. Et les ambitions de Mgr de Laval, premier évêque de Québec et seigneur
de la côte de Beaupré. Il y laissera partout ses traces sur le terrain et dans la toponymie.
Au bout des terres de Cap-Tourmente, l'église de Saint-Joachim, une des plus anciennes au Québec.
Ce n'est pas tant l'église qui m'étonne que son trésor de vitraux, de tableaux et de sculptures dont
plusieurs des frères Baillargé.
Plus étonné encore de la porte qui s'ouvre. On se croise les doigts qu'il n'arrive rien.
Dans le contrejour de l'église, le silence. Puis tout à coup, la musique solennelle de l'orgue lorsqu'on
active le panneau de contrôle pour les commentaires. Ce seul instant vaut la visite.
Avenue Royale (Route 360)
Je suis passé mille fois tout droit devant l'avenue Royale.
L'habitude nous mène sur la 138, plus large et plus rapide. On file alors devant la basilique et le fatras
du boulevard Sainte-Anne avec la hâte d'en finir. Un mauvais moment à passer entre Québec et
Charlevoix.
Je n'avais pas soupçonné tout ce que 200 mètres pouvaient changer.
Cette Route de la Nouvelle-France est le contraire de la 138. Un lent chemin, sinueux et plein d'ombre,
à travers les champs agricoles.
On suit l'escarpement, le grimpe un moment pour en redescendre à l'approche de la ville.
Un chemin de belles maisons ancestrales d'inspiration normande, de fermes, de granges et de caveaux
à légumes.
La route raconte le régime français, le saccage de Wolfe en route vers Québec et le régime anglais qui
suivra.
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Les clochers de la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré dominant le fleuve Saint-Laurent.
PHOTOTHÈQUE LE SOLEIL, SYLVAIN DESMEULES
Sainte-Anne-de-Beaupré
Je connaissais la basilique, le Cyclorama, les boutiques et les extravagances des dévotions de juillet.
Mais je n'étais jamais entré à Sainte-Anne par l'avenue Royale d'où s'élance l'escalier vers la Scala
Santa. Les marches de Sainte-Anne-de-Beaupré à genoux, c'est là.
Le «saint escalier» date de 1891. On se prend à prier qu'il tienne le coup jusqu'à ce qu'on redescende.
Dans la chapelle, des photos, des cartes d'affaires et des intentions de prière à l'encre sur des bouts de
papier :
«Please Ste-Anne, pray that (uncle) Paul Fortune's knee will heal.» «Please Ste-Anne, give a child to my
daughter and a wife to my sun.» Rien vu sur les espoirs des partisans des Nordiques.
Je suis redescendu, sur mes pieds, pour mieux remonter les stations du chemin de croix jusqu'à la mise
au tombeau en haut du calvaire. La symbolique est, ma foi, assez réussie. J'aurai ainsi fait mon chemin
de croix à Sainte-Anne jusqu'au bout.
À l'angle de la basilique, une façade rouge pétaradante. La galerie Ni Vu Ni Cornu a pris la place d'une
boutique de souvenirs religieux et annonce la bonne nouvelle d'une transfiguration de Sainte-Anne-deBeaupré.
La propriétaire, Annie Lévesque, a fait les Dragons l'an dernier. Diplômée d'arts visuels et de gestion du
développement culturel, elle brasse la cage.
Sa galerie propose des oeuvres fortes d'artistes émergents. Le jour de mon passage, elle accueillait
deux artistes en résidence à l'étage supérieur. Le profil d'une galerie de centre-ville.
Pourquoi à Sainte-Anne? Parce que le loyer est moins cher qu'en ville et qu'un million de touristes
passent la porte chaque année, a-t-elle calculé. Sa galerie est en train de faire tache d'huile. Un café
urbain-écolo a ouvert à la porte voisine. On y met en valeur les produits locaux, comme les vins de
L'Ange-Gardien. Une belle boutique s'annonce chez un autre voisin et un nouvel immeuble à la porte
d'en face.
Des marchands de médailles viennent cogner à la porte pour des conseils sur leur vitrine.
Le paysage fané de Sainte-Anne-de-Beaupré commence à changer. «Please Ste-Anne, pourvu que ça
dure.»
Château-Richer
C'est à Château-Richer que l'avenue Royale ressemble le mieux à l'idée qu'on se fait du paysage de la
Nouvelle-France.
Une harmonie de rythmes et de gabarits dans cette succession de jolies maisons avec le nom des
familles d'origine sur des plaques de bois. On trouvera des «anachronismes» mais pas de monster
house déplacées comme sur les hauteurs de Boischatel.
L'Auberge Baker (1935), une des plus vieilles adresses commerciales de la région, incarne cette
mémoire du lieu. Qu'on y vienne davantage en autobus qu'à cheval ou en train, comme aux premiers
temps, n'y a rien changé.
La véloroute passe aujourd'hui à la porte. Charles Cloutier, frère du proprio, voudrait bien que les
cyclistes s'arrêtent davantage.
Mais l'art du vélo de plaisance s'est lui aussi perdu. On roule aujourd'hui pour la performance dans des
maillots serrés, ce qui laisse peu de temps pour flâner sur la route.
L'Ange-Gardien
Au détour des vénérables normandes, un étonnant manoir victorien aux toits verts, le «Château
Richard», témoin de l'époque industrielle de la fin XIXe. Une désolation de le voir dans un tel état
d'abandon et de délabrement.
Je les ai rejoints au fond des premières allées, au pied du coteau qui monte à d'autres vignes et au
verger.
Des retraités, employés saisonniers au Domaine de l'Ange-Gardien. Sarclage en été; récolte et
rabattage des vignes à l'automne. Pas vraiment un travail, me disent-ils. Une façon de se donner «du
bon temps».
Au sommet du coteau, le pont de l'Île, des champs, le fleuve miroir et la rumeur lointaine du boulevard
qu'on ne voit pas.
Montmorency
J'avais oublié le vertige de la chute. Ne comptez pas sur moi pour vous dire le téléphérique et la
passerelle aérienne.
Mais je peux vous parler du Manoir et du Centre d'interprétation. De la bataille des troupes de Wolfe et
Montcalm, chacune sur sa rive.
De l'histoire des industries de la chute : le moulin à scie, la centrale hydroélectrique, la filature de coton
de Dominion Textile démolie en 1985; aujourd'hui le tourisme de masse.
Beaucoup à voir et apprendre. Dommage que les aménagements au pied de la chute ne soient pas à la
hauteur de ceux qu'on trouve en haut.
Beauport
Dernier arrêt avant le centre-ville au Bourg du Farguy, rue du Couvent, pour la maison patrimoniale
Girardin (début XIXe).
L'Angelus de l'église de la Nativité m'en a détourné.
Dépaysant d'y entrer autrement que pour des funérailles. Architecture néogothique spectaculaire et, sur
le retable, une Dernière Cène insolite montant le siège vacant abandonné par Judas. Dans l'allée
latérale, l'étrange berceau de la «Maria Santissima Bambina», que les guides Geneviève Morin et Sara
Cossette-Blais vous expliqueront bien mieux que moi.
Place de l'Hôtel-de-Ville
Je grimpe à pied, à travers l'Îlot des Palais, les Nouvelles Casernes et la Redoute Dauphine, le dernier
kilomètre de cette Route de la Nouvelle-France.
Elle me mène devant la basilique-cathédrale Notre-Dame-de-Québec, lieu du premier marché public de
la ville haute où aboutissait la route agricole.
Et lieu du pouvoir. Celui d'hier comme celui d'aujourd'hui.
À deux pas, le Petit Séminaire, la crypte de Mgr François de Laval et quelque part sous la rue Buade, le
tombeau de Champlain. Difficile de mieux boucler la boucle.