PAPERS 6

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PAPERS 6
Éditorial
Angelina Harari
PAPERS 6
Comité de Acción
de la Escuela Una- Scilicet
François Ansermet
Susana Amado
Domenico Cosenza
Angelina Harari (coordinadora)
Juan Fernando Pérez
Antoni Vicens
Rose-Paule Vinciguerra
Responsable de la edición:
Marta Davidovich
Pendant que la commission d’organisation
définit et conclut le programme du prochain
Congrès de l’AMP, sous la direction de Flory
Kruger, Papers 6 poursuit ses avancées avec
du matériel qui puisse servir de fondements
aux travaux proposés à la Journée Clinique du
mercredi 25 avril.
Dans ce Papers 6, nous publions la seconde
partie du texte de Leonardo Gorostiza « Los
confines da la caridad freudiana » où nous
trouvons le côté témoignage de son article.
Les nouveaux textes sont ceux des collègues
Carlo Viganò et Hélène Bonnaud. Le premier
expose ce qu’il appelle les nouveaux nouages
du symbolique, en partant de Lévi-Strauss,
afin de nous proposer la traversée faite par
Lacan, du mathème du fantasme au mathème
du symptôme comme lettre de jouissance.
Hélène Bonnaud, de son côté, se propose de
vérifier les conditions de l’amour de transfert
quand l’ordre symbolique ne se soutient plus
de l’Un du Nom-du-Père, et propose l’amour
comme ce qui ne se liquide pas à la fin d’une
analyse.
Pour le prochain numéro de Papers nous
avons prévu un travail de la collègue Silvia
Ons, ainsi que d’autres textes qui devront
arriver dans les prochains jours.
Traduction :Luciana Souza, Maria A. Brinco de
Freitas
Les confins de la charité
freudienne* (suite du texte
de Papers 5)
Leonardo Gorostiza
La portée d’une contingence
Je suppose que nombre d’entre vous se
souviennent
de
mes
témoignages
précédents. J’y évoquais ce trait de
jouissance décelé chez celui qui fut mon
analyste, et qui a conditionné ma demande.
C’est ce que j’ai appelé « une voracité sans
mesure », voracité que l’expérience
analytique m’a conduit à reconnaître
comme
ma
propre
jouissance
sinthomatique.
Rappelez-vous aussi comment, lors des
entrevues préliminaires, un bref rêve Ŕ un
globe oculaire libre, détaché Ŕ est venu
indiquer la place dans le transfert du noyau
élaborable de la jouissance, sous l’une des
substances épisodiques, privilégiée dans
mon cas mais pas unique : la forme
scopique de l’objet a.
Comment également cette fantaisie Ŕ « el
enojo desmesurado »i de mon analyste Ŕ,
réitérée tout au long de mon analyse, a
trouvé dans cette localisation de l’objet son
fondement, par cette équivoque née de la
séparation des deux syllabes du mot
« enojo » pour donner « en-ojo »ii
Peut-être enfin vous souvenez-vous
comment ce rêve indiquait, dès le tout
début de mon analyse, que l’œil est ce qui
vient « chausser » exactement la « fente »
de l’Autre. C’est en somme la formule que
j’ai pu construire de la scène fondamentale
dont je vous avais aussi parlé l’an dernier.
Que s’est-il donc passé pour que, avant
même mon entrée en analyse, cette
jouissance de la voracité démesurée soit
ainsi déviée vers une articulation avec ce
semblant d’être : être l’œil qui chausse la
fente de l’Autre ? Il a fallu une
contingence dont je n’ai pu mesurer la
portée que récemment, au cours de mon
témoignage devant les passeurs.
Ma première analyse terminée, je m’étais
donné du temps Ŕ trop de temps Ŕ et je
n’avais pas fait de nouvelle demande
d’analyse. C’étaient les débuts du
mouvement vers l’École. L’EOL n’était
pas encore fondée, et j’étais chargé de
l’édition du Courrier du Champ freudien
en Argentine. D’une certaine façon, c’était
un signifiant qui me représentait devant
l’Autre : « être » le responsable du
Courrier du Champ Freudien, et même
« être » le Courrier du Champ Freudien.
C’est alors qu’un jour, devant une
nombreuse assistance, commentant un cas
clinique présenté par un collègue, celui qui
allait devenir mon analyste m’a carrément
invité à parler. Devant une salle pleine de
monde, je l’entends encore : « Leonardo
pourrait dire quelque chose. Parce qu’il ne
s’agit pas seulement d’écrire depuis le
Courrier du Champ Freudien ! » À une
telle invitation Ŕ qu’à présent je peux lire
comme ayant opéré pour moi une
émergence du désir de l’Autre Ŕ je ne
pouvais que prendre la parole. J’ai donc
bafouillé une question sur un élément
central du cas, point qui avait été souligné
dans le texte clinique : la formule « des
yeux vitreux » et la relation de cet objet
avec le réel, puisque jamais Ŕ c’était là ma
question-réponse Ŕ, jamais l’objet ne
pourrait être un réel brut.
Pourquoi ai-je dit que dans les entretiens
avec les passeurs, j’ai pu articuler la portée
de cette contingence ? Parce que Ŕ hasard
et surprise puisque l’analyste « ne savait
pas » Ŕ elle a mis en question une
identification, soutenue d’une nomination
paternelle que j’avais isolée lors de ma
première analyse.
Dans mon enfance, mon père m’avait
baptisé Ŕ non sans humour Ŕ « Le courrier
du Tsar » personnage central du roman de
Jules Verne, Michel Strogoff. Ma mère, en
effet, victime d’un ravage amoureux, avait
pris la décision sans appel de ne plus revoir
mon père ni lui parler. Pour communiquer,
il ne leur restait d’autre choix que de
s’adresser, par ma médiation, des lettres
que je portais à l’un et à l’autre. Comme on
peut le percevoir, cette nomination
paternelle en recouvrait une autre qui elle,
a été produite et isolée lors de ma seconde
analyse. Il s’agit du signifiant « chaussepied », tout court. C'est-à-dire que me
présenter devant l’Autre comme « Le
Courrier du Champ freudien » (que je peux
maintenant situer comme un « savoir faire
du symptôme » et non pas un « savoir y
faire avec le symptôme ») n’était qu’une
version de la position Ŕ plus structurale Ŕ
dégagée dans la seconde analyse par le
signifiant qu’elle a produit : « me présenter
devant l’Autre avec un chausse-pied et être
soi-même
le
chausse-pied ».
Faire
médiation entre l’un et l’autre par le
courrier, était faire en sorte que l’Un et
l’Autre « chaussent », tenter d’établir un
lien là où il n’y en a pas.
Au souvenir de cette contingence, je peux
affirmer que ma demande d’analyse est
pourtant survenue plusieurs années après
cet épisode, puisqu’à cette époque le
transfert « a pris corps », au sens strict : le
semblant d’être, avec l’amour qui y est lié,
s’est établi. Pour cela il a été nécessaire
qu’une identification, une nomination
paternelle fondamentale soit affectée, et
qu’ainsi quelque chose de la jouissance du
symptôme soit mis à disposition, c'est-àdire disposé au transfert. Parce qu’à cette
époque, malgré les effets thérapeutiques de
la première analyse, le « ne cesse pas de
penser », qu’ensuite j’ai pu nommer d’un
« ne cesse pas de chausser une pensée à
une autre » s’accompagnait toujours d’un
certain mutisme, d’une inhibition à parler
en public. En un certain sens, cette
intervention contingente
de celui qui
deviendrait mon analyste, a opéré comme
un « déranger la défense » : déranger la
défense de l’isolement obsessionnel
soutenu par cette identification au
silencieux « Courrier du tsar ».
Les formes de l’objet
J’ai dit plus haut que si la forme scopique
de l’objet a prédominait dans mon cas, elle
n’a pas été la seule. Je crois que cela peut
être étendu à d’autres cas, puisque lors des
tours successifs d’une analyse se dégagent
toujours les formes diverses de l’objet, les
diverses
« substances
épisodiques »
comme dit Lacan, autour desquelles la
pulsion accomplit son parcours.
Je n’aurais pas le temps de témoigner de
cette diversité, ni de comment j’ai pu
localiser lors des tours de mon analyse, les
versants oral, anal et invoquant qui étaient
également présents et articulés à la
jouissance du symptôme. Je pourrais
cependant présenter cette articulation sous
cette forme réduite : la jouissance de
chausser voracement et avec une volonté
de domination, une pensée avec une autre,
en contemplant et en silence.
Mais avant de conclure ce point, je ne peux
omettre les précisions suivantes :
Premièrement, il ne faut pas confondre
l’œil avec objet a en tant que regard, ni
chacune de ces substances épisodiques,
avec l’objet a en tant que tel. Car l’objet
regard n’est pas l’œil, même si celui-ci lui
prête son support imaginaire. L’objet
regard est, par exemple, le trou de la fente
chaussé par l’œil. De même, l’objet oral
n’est pas le sein mais l’orifice de la
bouche, et les fèces ne sont pas l’objet
anal, mais l’orifice autour duquel le
sphincter se contracte. C'est-à-dire que le
statut de l’objet a, bien que de l’ordre du
semblant, est plutôt celui d’un vide autour
duquel la pulsion accomplit son parcours,
et qui durant ce parcours « se jouit ».
Deuxièmement, je voudrais souligner que
ces météores de la jouissance que sont les
diverses formes de l’objet a, ne sont autres
que ce qui surgit quand l’objet a en tant
que teliii, l’objet dont « il n’y a pas
d’idée », Ŕ ce sont les mots de Lacan Ŕ,
c'est-à-dire qui n’a pas de forme, « se brise
en morceaux ». Ce sont « ces morceaux qui
sont identifiables corporellement » : on
peut les identifier car on peut les nommer,
et « c’est en cela que cet objet fait le noyau
élaborable de la jouissance » iv en analyse.
En ce sens l’objet a, bien qu’il soit aussi un
semblant et qu’il ne se confonde pas avec
le réel, n’est pas un semblant comme les
autres. C’est un semblant privilégié de
l’opération analytique, condition de
possibilité d’accéder ensuite aux confins
du symbolique.
L’analyste de la clinique du sinthome
Jacques-Alain Miller, dans sa conférence
où il introduisait sa formule « l’arc-en-ciel
de la jouissance », se demandait ce que
serait une expérience analytique qui ne
ferait pas de l’objet a son dernier mot, mais
seulement un arc-en-cielv. En d’autres
termes, que serait une expérience
analytique qui ne ferait pas de l’arc-en-ciel
de la jouissance son dernier mot et viserait
au-delà des confins du symbolique ?
Ce serait faire de la jouissance opaque du
sinthome, non pas le « dernier mot » de
l’expérience analytique, mais un point fixe
d’orientation que le mot, le semblant,
jamais ne pourra nommer mais seulement
indiquer. Ceci dit, Ŕ puisque dans la
clinique du sinthome il n’y a pas « le
dernier mot » au sens strict, la conversation
se poursuivant en permanence avec le réel
Ŕ un mot peut cependant devenir le mot de
la fin, « le fin mot »vi qui est autre chose
que le dernier mot. Le mot de la fin a la
fonction d’indiquer
l’absolu d’une
jouissance très singulière hors-sensvii, il est
ce que Lacan dans Encore appelle le « S1,
signifiant de la jouissance »viii. Ce
semblant désigne Ŕ selon la formule de
Lacan dans le Séminaire XI Ŕ la
« différence
absolue ».
« Absolue »
s’entend comme la différence d’un
signifiant qui n’est plus relatif à un autre
signifiant : sa fonction n’est donc plus de
représentation,
mais
d’indiquer
la
jouissance très singulière où se situe ce
reste incurable appelé sinthome.
Dans mon cas, comme vous le savez, ce
signifiant quelque peu saugrenu surgi,
inventé à la fin de l’expérience analytique,
est le signifiant « chausse-pied-sansmesure » ; signifiant qui Ŕ à la différence
de « chausse-pied » (tout court) qui
représente le sujet auprès de l’Autre Ŕ n’a
aucun sens. Autrement dit, il s’agit du nom
du sinthome, d’un signifiant séparé de sa
significationix. Lacan, dans son cours du 19
mai 1977, indiquait ceci : « […]
l’invention d’un signifiant est quelque
chose de différent de la mémoire. Ce n’est
pas que l’enfant invente Ŕ ce signifiant, il
le reçoit […] Nos signifiants sont toujours
reçus. Pourquoi est-ce qu’on n’inventerait
pas un signifiant nouveau ? Un signifiant,
par exemple, qui n’aurait, comme le réel,
aucune espèce de sens. »x
Comment cette invention se fait-elle ? Très
simplement, comme nous l’explique
Lacan : « C’est même en ça que consiste le
mot d’esprit. Ça consiste à se servir d’un
mot pour un autre usage que celui pour
lequel il est fait, on le chiffonne un peu et
c’est dans ce chiffonnage que réside son
effet opératoire. »xi Très simplement donc,
mais non sans avoir tout d’abord traversé
« le douloureux chemin du transfert »xii
Ainsi, l’analyste de la clinique du sinthome
est celui qui peut advenir dans une
expérience analytique menée aux confins
du symbolique, où l’arc-en-ciel de la
jouissance n’est plus le dernier mot. Quelle
serait alors la définition minimale de cet
analyste ? Celle d’un sujet qui, ayant saisi
sa jouissance irréductible en tant qu’elle
est hors-sensxiii, peut alors faire usage des
météores de la jouissance tout en n’y
croyant pas.
Ce serait, en outre, la définition d’un sujet
qui a pu « libérer un espace nettoyé de
jouissance à partir de quoi repérer la
concrétion de jouissance qui chez un autre,
cause le désir »xiv
Autrement dit, ce n’est pas avec son
sinthome, avec la jouissance opaque et
irréductible de son sinthome, que
l’analyste opèrera dans son acte, mais avec
le désir du psychanalyste : désir issu de
cette jouissance Ŕ donc « impur » en ce
qu’il garde des vestiges de cette jouissance,
qui lui donne son style Ŕ, mais tout en s’en
tenant à distance.
J’entends ainsi que l’analyste de la clinique
du sinthome Ŕ celle de l’ordre symbolique
du XXIe siècle Ŕ, ayant découvert que la
beauté de l’arc-en-ciel n’est pas réelle,
n’en garde pas pour autant la nostalgie du
savoir vain né de l’acte de charité
freudien ; savoir vain qui irrémédiablement
s’éclipse quand s’entrevoit le trou
traumatique du non rapport sexuel, trou
aux confins duquel sa jouissance était
logée.
Tiradentes, le 19 avril 2011.
Traduction : Anne Biteau-Goalabré
1
« La colère démesurée »
1
Littéralement : « dans œil »
1
C’est une manière approximative de désigner ce
qui en réalité serait le bord réel de l’objet a dans le
trou central du nœud borroméen délimité par le
croisement des trois registres.
1
Lacan, J., « La troisième », La cause freudienne
n° 79, octobre 2011, p. 21.
1
Miller, J.-A., « Donc »
1
Miller, J.-A., « Choses de finesse en
psychanalyse », Cours de L’orientation lacanienne,
leçon XII, 18 mars 2009, inédit.
1
Le vocable « fin » dans son sens ancien, est un
adjectif indiquant une chose « extrême, complète,
absolue ». Cf. Alain Rey et Sophie Chantreau,
Dictionnaire des expressions et locutions, Paris, Le
Robert, 1993.
Nous voulons mettre l’accent, non pas sur le sens
de complétude, mais sur l’indication d’un absolu
pour le sujet, c'est-à-dire ce qui échappe au
relativisme du signifiant en tant qu’il est indice
d’une substance jouissante située hors des
équivoques signifiantes.
1
Lacan, J., Le séminaire, livre XX, Encore, Paris,
Seuil, 1975, p. 86.
1
Voir l’indication de Jacques-Alain Miller dans son
cours du 9 mars 2011, où il dégage la portée de
cette affirmation de Lacan, présente dans « La
science et la vérité », Écrits, Paris, Seuil, 1966,
p. 875.
1
Lacan, J., Le séminaire, livre XXIV, « L’insu que
sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 17
mai 1977, Ornicar 17/18, Paris, 1979, p. 21.
1
1
Ibid.
Freud, Sigmund, « Remarques sur un cas de
névrose obsessionnelle », Cinq psychanalyses,
Paris, PUF, 1982, p. 235.
1
Miller, J.-A., « Choses de finesse en
psychanalyse » Cours de l’orientation lacanienne du
10 décembre 2008.
1
Miller, J.-A., « Perspective de politique
lacanienne » intervention aux Journées de l’ECF du
12 octobre 2008, La lettre mensuelle n°279, juin
2009, p. 5.
Nouveaux nouages du
symbolique
Carlo Viganò
Pour simplifier l’interrogation posée par
l’approche du symbolique et de l’ordre
symbolique, donc par les conséquences des
changements subis par ces deux termes dans la
« civilisation »1 contemporaine, on va essayer
de prendre référence de l’anthropologie
structurale de Lévi-Strauss. Lévi-Strauss
propose2 trois axes du langage : la métonymie
(temps linéaire, réversible), la métaphore
(synchronie, irréversible) et le mythème
(synchronie qui dure un temps avec une durée
limitée dans l’histoire humaine). Mais quand il
essaie de formuler la société humaine dans les
termes du mythème, le même auteur doit
changer d’avis sur le fait que ces changements
puissent être ramenés à la substitution du
1
Il faudrait mettre à jour aussi cette expression
freudienne Ŕ die Kultur Ŕ : pour lui, elle était
l’expression de l’ordre symbolique et elle
s’opposait à la « vision du monde »
(Weltanshauung), aujourd’hui appelé « imaginaire
collectif ». Ces dernières ne sont que des visions
subies passivement par le sujet Ŕ défini par Lacan
« pathologique » ou « débile », parce qu’il ne rentre
pas réellement dans l’aliénation de l’image, mais
seulement dans une adaptation réaliste.
2
Cf. C. Lévi-Strauss, Les structures des mythes, in
« Anthropologie structurale, 1 », Plon, 1958,
pp.227-256.
mythème précédent. En effet, en 1962, LéviStrauss publie Le totémisme aujourd’hui 3 ; il y
opère une mise en garde au sujet de l’usage des
structures de l’anthropologie comme clé de
lecture de l’histoire : « Il en est du totémisme
comme de l’hystérie. Quand on s’est avisé de
douter qu’on puisse arbitrairement isoler
certains phénomènes et les grouper entre eux,
pour en faire les signes diagnostiques d’une
maladie ou d’une institution objective, les
symptômes même ont disparu, ou se sont
montrés
rebelles
aux
interprétations
unifiantes ».
Dans cette direction, la lecture-clef structurale
du mythe4 d’Œdipe, a amené Lacan à réduire le
point de fixation de la métaphore, en le
confiant au sinthome. Le projet a été accompli
quand Lacan est passé du mythème du
fantasme du névrosé au mythème du
symptôme comme lettre de jouissance, au-delà
(et pas en deçà) des classifications cliniques.
Le fait qu’une lettre puisse s’attacher à
condenser la jouissance nous amène hors du
schéma en trois temps de l’anthropologue : le
mythème n’est plus entièrement unifié par la
fonction paternelle et il ne fait plus place à un
nouveau mythème, dans le sens d’une nouvelle
métaphore partagée.
À la place, émerge un paradigme généralisé de
la consistance de l’Autre, non plus fondé sur
l’ordre produit par le signifiant en tant que
effet (dialectique) réel, c’est-à-dire subjectif et
avec valeur légale, sur l’imaginaire. Dans ce
paradigme du symptôme, le signifiant opère
3
C. Lévi-Strauss, Le totémisme aujourd’hui, PUF,
1980.
4
« La difficulté de cet exposé ne lui est pas
tellement intrinsèque. Elle tient au fait qu’il traite
de quelque chose de nouveau [souligné par
l’auteur] que m’ont permis d’apercevoir tant mon
expérience analytique que la tentative que je fais,
au cours d’un enseignement dit séminaire,
d’approfondir la réalité fondamentale de
l’analyse. » J. Lacan, Le mythe individuel du
névrosé, Seuil, 2007, p.11. La conférence a été
prononcée par Lacan en 1953 et retranscrite par J.A. Miller en 1978.
une sorte d’enchaînement 5 avec l’imaginaire, il
se somatise, pour se nouer à la jouissance. La
structure de ce « nouage » a été écrite par
Lacan en référence au nœud borroméen, où le
signifiant n’a plus le primat de l’ordre
linguistique, mais il peut contribuer à orienter
le Réel qui « n’a pas d’ordre »6, quand et s’il
crée, avec le sinthome, un « vrai trou ». Dans
la structure borroméenne (mise à plat du
nœud), on peut lire le changement du
symbolique en tant que lié au réel de la
forclusion scientifique du sujet ( le mérite en
est de ne pas le rendre chaotique). De facto, la
fonction de donner un ordre à la vie du parlêtre
se produit dans un espace-temps inédit.
L’écriture du nouage nous permet d’en donner
une raison, où le réel comme impossible n’est
pas la négation du sens (déraison), mais un
espace-temps qui constitue le paradigme qui
peut contenir le réel de la singularité absolue
du vivant. On pourrait dire, dans le style de C.
E. Gadda, qu’ici le mathème réalise la parodie
de la mathématique7.
Cet espace-temps inédit signe la fracture entre
la science classique et la science
contemporaine. Il réalise cette forclusion
généralisée du sujet que la science classique
poursuivait avec l’idéal de l’observateur neutre
face à son objet. Cette révolution scientifique,
à cheval entre le XIXème et le XXème siècle,
est celle qui, dans l’épistémologie lacanienne,
a permis à Freud de découvrir l’inconscient, en
tant que savoir insu du sujet de la science. Or,
l’élucidation du pas-tout signifiant de
l’inconscient et de l’action de la lettre comme
5
L’enchaînement n’est pas un nouage, mais il
consiste dans la superposition de deux registres et
par conséquent il est à la base de tous les dénouages. [L’auteur utilise le terme
« inanellamento », traduit ici par «enchaînement »,
NDT].
6
J. Lacan, Le Séminaire Livre XXIII, Seuil, Paris,
2005, p. 138.
7
« Il avait appris et enseigné beaucoup de choses :
et les mathèmes [Battaglia en donne la définition
suivante : « tout ce qui est objet de formation »] et
les quadratures de Kepler qui poursuivent dans la
vacuité des espaces sans sens l’ellipse de notre
douleur désespéré ». C. E. Gadda, La connaissance
de la douleur, Seuil, Paris, 1974.
articulation temporo-spatiale, ouvre vers une
pluralité de solutions symptomatiques (le
« mythe individuel ») dans un rapport avec
l’objet. Ces solutions amènent à un
renversement du rapport sujet-objet, et pour ce
dernier une infinité de facettes. L’objet a
lacanien est le mathème de cet infini.
Dans la société contemporaine, on a mis en
place une nouvelle forme de résistance à la
psychanalyse, qui ne se soutient pas du
refoulement, mais qui imite au contraire la
solution freudienne pour proposer l’illusion
d’un nouvel humanisme. Il s’agit d’un masque
de fer, la consommation, qui donne au sujet de
la science un visage reproduit en série, celui de
l’homo socialis. Celui-ci est l’héritier de
l’homo economicus et il est totalement
mesurable, pas barré. Dans cette illusion, le
pas-tout de la science (indéterminisme) est
comblé, non pas par la recherche, mais par le
savoir-faire technique. Ce savoir n’a pas
besoin de chercheurs, au contraire du savoir-yfaire (avec l’inconscient) de la technique
psychanalytique. Pour l’analyste, l’efficacité
est démontrée dans l’acte et non pas dans la
technique.
Du point de vue de la cure, ce renversement a
été possible à Lacan parce que, unique dans
son genre parmi les chercheurs du champ
freudien, il a généralisé la structure de
l’interprétation
au-delà
du
symptôme
névrotique, ouvrant ainsi cette opération aux
changements du symbolique. Il s’agit d’une
opération « antiphilosophique », d’un style de
pensée qui rompt avec le style classique, pour
tenir compte de la révolution opérée dans la
pensée logique par Cantor, Gödel, Russel,
c’est-à-dire par une pensée qui ne se pense pas
comme une machine (de Turing). La position
de Lacan a toujours été celle de ne pas céder
sur le désir animé par le réel de
l’interprétation : au lieu de dégrader le transfert
au
niveau
de
la
psychologie
de
l’intersubjectivité (contre-transfert), il a rendu
l’interprétation applicable au sujet comme tel,
en réduisant le concept de symptôme : de
message à lettre de jouissance. Cela permet
aussi l’extension de la conjecture freudienne à
des solutions symptomatiques qui se
soustraient à la logique du fantasme, soit par
un refus de l’Autre signifiant, soit par un
compromis passé avec l’Autre et avec sa
jouissance, au niveau de la réalité du masque
technologique.
Tout cela instaure le lieu de l’Autre, de la
chaîne signifiante, dans une topologie qui n’est
plus binaire (S1-S2), mais au moins
quaternaire, où le S1 n’est plus le maître de la
métaphore partagée dans une époque
historique (dans l’époque classique le mythe
antique aurait été substitué par le mythe
scientifique) et le progrès porteur de la vérité,
qui ne peut pas être dite toute. Seulement si le
S1 devient le nouage comme tel, alors il ne
coïncidera pas avec la science même. En effet,
quand elle a été posée comme idéal mythique,
elle a provoqué la chute de l’Idéal et la
« montée au zénith » de l’objet.
Le mythe scientifique a désormais révélé sa
limite, qui est interne à une science qui n’opère
plus en transformant la nature écrite dans un
langage mathématique, mais qui au contraire
transforme la mathématique pour créer des
niveaux virtuels qui changent la nature et
l’imaginaire collectif, selon une modalité
autistique Ŕ la technologie Ŕ quelle que soit
l’image que les individus ont d’eux mêmes. En
d’autres termes, il est désormais évident Ŕ
notamment pour les gens ordinaires et pour les
chercheurs, plutôt que pour les maîtres de la
pensée Ŕ que le mythe régulateur de la
civilisation ne peut pas être produit par une
science qui est probabiliste. Elle peut produire
des algorithmes de calcul très puissants, qui
donnent à la technique le pouvoir de réaliser
des choses capables de changer la réalité, sans
pour autant véhiculer ce grain de vérité qui est
indispensable à la survie humaine. En d’autres
termes, la réalité se produit en tant que
« imaginaire collectif » sans réussir à donner
au singulier parlêtre une image, un moi. La
technique n’est pas une démonstration de la
« scientificité »
d’un algorithme,
mais
seulement un opérateur de la psychose
généralisée.
Traduction :
Serena Guttadauro-Landriscini
Le transfert peut-il se
passer de l’amour de
l’inconscient ?
Hélène Bonnaud
Qu’est-ce qui fait la particularité du
transfert dans la psychanalyse ? Il paraît
important de se reposer la question à
l’époque de l’Autre qui évalue et
programme, là où le psychanalyste n’a que
l’interprétation pour opérer. Lorsque Freud
a découvert le transfert, il a été surpris par
la force de l’amour éprouvé par l’analysant
dès le début de l’analyse. Il lui a décerné
“le caractère d’un amour véritable”.1 Mais
il a aussi noté que l’autorité de l’analyste
conduisait l’analysant à une certaine
docilité. Cette notion d’autorité qui a été au
coeur du transfert analytique n’est plus
aussi prégnante dès lors que l’ordre
symbolique ne s’assure plus du Un du
Nom-du-Père. Avec la chute des idéaux et
la fin de l’autoritarisme, les conditions de
l’amour de transfert ne répondent plus de
la même manière à ces critères. Pourtant,
cette question semble resurgir dans les
propos de certains analystes, et notamment
d’Owen Renik.
Un transfert encombrant
1
Freud S. « Observations sur l’amour de transfert »,
La technique psychanalytique, PUF, 1975, p. 127.
En effet, la lecture de l’article d’Eric
Laurent « L’ordre symbolique au XXI°
siècle, conséquences pour la cure »2
m’incite à prolonger le débat, en reprenant
la conception de l’analyse développée par
O. Renik. Pour cet auteur en effet, le
transfert est une forme de parasite de
l’analyse. Il y voit un obstacle à la relation
intersubjective et dénonce la neutralité
analytique comme ce qui détermine son
pouvoir, son autorité et l’arbitraire de son
jugement. Le silence de l’analyste serait à
la racine de l’autoritarisme et empêcherait
l’analyste de s’investir dans la relation
avec le patient, de dialoguer avec lui, dans
une dialectique constructive. « L’alliance
de travail » est ce qui motive la recherche
de la vérité, comme objet fondamental de
la cure. Freud et à sa suite, Lacan, n’ont
pas négligé le fait que le transfert pouvait
être un obstacle à l’avancée de la cure.
Rappelons-en la valeur d’inertie imaginaire
sur l’axe a-a’ du schéma L dont Lacan
rendra compte comme une stagnation de la
dialectique psychanalytique. Cependant, ils
n’ont pas cherché à le dissoudre dans la
relation thérapeutique et à s’en débarrasser
par un activisme qui, d’ailleurs, ne saurait
l’annuler. La dissymétrie entre l’analyste et
l’analysant fonde un lien unique du fait
même de l’abstinence du psychanalyste.
L’invention du sujet supposé savoir par
Lacan en assoit l’opération, le désir de
l’analyste en est sa mise en acte. En effet,
Lacan a noué amour et savoir dans ce
concept fondamental du sujet supposé
savoir. Dès lors, le maniement du transfert
s’en trouve allégé, permettant de passer
outre les effets imaginaires de la relation
transférentielle. Le savoir inconscient n’est
pas le savoir de l’analyste. Il est situé dans
l’Autre et il n’est que supposé. L’analyste
ne s’identifie pas au sujet supposé savoir.
Il l’incarne pour l’analysant le plus
souvent, mais cela n’a absolument pas de
caractère obligatoire.
Le malaise du sujet supposé savoir
Or, comme l’indique E. Laurent dans ce
même article, « La voie de l’égalitarisme
contemporain, avec son exigence de
transparence, a spécialement touché le
statut du sujet supposé savoir dans
l’expérience de la psychanalyse. »3 Celleci est constamment ébranlée par ces
notions de transparence, d’égalitarisme, et
de satisfaction. L’analyste est convoqué à
répondre aux questions de l’analysant.
Cependant, ce constat oblige t-il l’analyste
à formuler un savoir ? Rien n’est moins
sûr. L’exigence de transparence est le
mirage
du
consommateur,
et
le
psychanalyste n’est pas un coach. En effet,
dans la psychanalyse, le symptôme qui
motive la demande du sujet, va bien audelà du désagrément. Il concerne le plus
intime de chacun, sa radicale étrangeté à
soi-même, son « ça » pour reprendre
l’heureuse expression de nos dernières
Journées. Il s’agit justement de donner
toute son opacité à ce qu’en dit le sujet et
de faire consister l’énigme même du savoir
qu’il recèle. Pour cela, loin de faire de la
transparence le concept de la rencontre
analytique, l’approche par le symptôme
privilégie sa dimension de réel. De même,
la situation analytique doit contrer cette
notion d’égalitarisme par les moyens du
style de l’analyste. Il pourra être déjoué par
un minimum de cérémonial ou de
déséquilibre, d’inattendu, au moment de
commencer puis de clore la séance.
L’accueil et la sortie de séance sont en
effet, des moments où le corps de
l’analyste se détache et crée une distance
ou au contraire un rapprochement. Il y a là
toute une sériation de la rencontre en tant
que présence de l’analyste qui assure une
tangible continuité/discontinuité dans le
processus analytique. Tout ne peut se dire,
a-t-on envie de répondre à O. Renik…
Quant à la satisfaction, elle est un enjeu
fondamental de l’analyse. Pour lui, il n’est
pas question de lâcher l’analysant sur une
insatisfaction, voire un sentiment négatif.
Cela met en danger le transfert positif. La
2
Laurent E. « L’ordre symbolique au XXI°siècle,
conséquences pour la cure », La Cause freudienne
n°76, décembre 2010, Navarin.
3
Ibid, p.146.
relation analytique doit produire une
satisfaction chez le sujet qui s’obtient par
un gain de savoir. L’analyste est celui qui
délivre ce plus de jouir. Cette jouissance
obtenue par le travail analytique doit être
immédiate et vient obstruer la trouvaille de
la vérité : les formations de l’inconscient
sont ignorées car elles sont discontinues et
souvent déroutantes. A la place de la vérité
dérangeante comme savoir, vient un savoir
qui sert, qui opère sur la réalité du monde
du sujet. Il s’agit d’obtenir un produit,
comme un objet qu’on acquiert pour en
jouir. C’est pourquoi, à cette satisfaction
nécessaire, nous opposerons la surprise,
modalité qui peut, soit produire de la
satisfaction, soit pas, mais semble plus
proche de ce à quoi l’inconscient participe.
Il est alors de la partie. Plus qu’une parole
interprétative, la surprise est un événement
qui divise le sujet et accélère le principe
même de l’association libre. La parole se
fait moins narrative. Elle devient
chercheuse. Il s’agit aussi de faire résonner
le mi-dit de la vérité plutôt que d’assujettir
le sujet à une complétude du savoir.
La satisfaction de l’analysant est pourtant à
prendre en compte dans chaque cas. Dans
son cours du 12 novembre 2008, JacquesAlain Miller indiquait que « Le souci
thérapeutique conduit à retenir la puissance
que dégage le procédé analytique luimême, conduit à s’interroger sur la dose de
vérité qu’un sujet peut supporter »4. Il y a
donc bien à limiter, à freiner
l’interprétation ou le tranchant d’une vérité
pour le sujet, en fonction de ce qu’il peut
être amené à entendre. Mais la satisfaction
comme adaptation de l’analyste à son
patient est, on le voit bien, un contresens à
l’analyse. La psychanalyse, comme le
répète J.-A. Miller dans ce même cours,
vise autre chose que la thérapeutique. Elle
vise le désir. En fin de parcours, la
signifiantisation finit par trouver sa limite
et l’analysant rencontre ce qui ne se
résorbe pas dans le langage et qui relève
d’une dose d’inassimilable que Lacan a
appelé réel.
4
Miller J.-A., L’orientation lacanienne, « Choses de
finesse », (2008-09) cours du 12 novembre 2008.
Le réel, un obstacle irréductible
La rupture entre symbolique et réel est ce
qui rend compte d’une position du
psychanalyste qui ne répond pas aux
questions de son analysant sur le mode de
la relation intersubjective. C’est en ce
point-là que surgit la différence absolue
entre l’analyste et l’analysant mais aussi
entre la psychanalyse et la psychothérapie.
L’analyste sait que le réel est ce qui fera
opposition, obstacle, butée, et qu’il y a
aura, dans l’analyse de chaque cas, non
seulement de l’insatisfaction, mais aussi de
l’horreur. L’analyste n’évitera pas que
l’horreur de savoir puisse advenir. C’est en
quoi, le transfert supporte un rapport au
savoir qui porte certes à l’enthousiasme
mais
rencontre
aussi
son
point
d’impossible, son horreur propre. Lacan,
dans le séminaire Les non-dupes errent
qualifie
l’inconscient
de
« dysharmonique »5.C’est un fait de
structure que l’amour de transfert ne doit
pas venir entraver. Mais plus la cure
avance, plus le sujet supposé savoir
s’évanouit, se dissout. Reste l’analyste. Et
l’inconscient de l’analysant, qui, à la fin,
est « su », selon la formule de Lacan. A la
fin de l’analyse freudienne, c’est le
manque que l’on rencontre, nous dit Lacan.
A la fin de l’analyse lacanienne, disons
qu’il s’agit de creuser ce manque jusqu’à
plus soif.... a. C’est cet objet a qui s’extrait
du fait de la chute du sujet supposé savoir.
Que devient l’amour pour l’analyste quand
l’analysant choisit de ne pas devenir
analyste ? Il reste accroché à l’amour de la
vérité. La plupart des témoignages
d’analysants devenus écrivains le disent de
façon très claire. L’analyse ne se poursuit
pas. Le sujet supposé savoir se défait
comme la vêture d’une jouissance habitée
par les pouvoirs de la parole. D’où le goût
pour la conquête du savoir inconscient et
une forme de désir de transmission de cette
rencontre avec l’inconscient transférentiel.
5
Le Séminaire « Les non-dupes errent », leçon du
11 juin 1974, inédit.
Il s’agit là d’une forme de sublimation de
la vérité comme savoir qui s’écrit.
A la fin, reste l’amour
Lorsque l’analyse dure, c’est l’amour de
l’inconscient qui se divise :
d’un côté la jouissance du gain de savoir,
de l’autre, le reste de l’analyse, comme réel
inassimilable dont l’analyste est un
sinthome. C’est en effet, ce qui reste d’une
analyse, et qui ne changera pas. C’est aussi
l’invariable de l’amour de transfert, quand
il a passé tous les sens, et qu’il ne se
déposera que dans l’expérience de la passe.
Dans son article Une fantaisie, J.-A. Miller
nous rappelle que Lacan faisait de
l’inconscient un savoir qui n’était jamais
que supposé. « Pour qu’il devienne un
savoir, pour le faire exister comme savoir,
il faut l’amour »6: « Qui n’est pas
amoureux de son inconscient, erre »7,
proférait Lacan dans « Les non-dupes
errent ». De même, le rapport entre S1 et
S2 qui fonde le savoir inconscient ne se
produit que si le transfert, sous les espèces
de l’amour de l’inconscient y est
convoqué. Et ceci, du fait que,
contrairement à ce que Lacan indiquait
dans la Proposition du 9 octobre, c’est « le
transfert qui est le pivot du sujet supposé
savoir », et non l’inverse, indique J.-A.
Miller. Ce passage à l’envers du sujet
supposé savoir au transfert rend compte de
la façon dont l’amour est la condition sine
qua non du transfert.
L’amour pour
l’inconscient est ce qui reste, ni pur ni
impur, c’est un amour qui dure, là où le
sujet supposé savoir est attendu sur la
scène d’un nouveau rapport à la
supposition, notamment dans son lien à la
cause analytique. L’amour est donc bien ce
qui ne se liquide pas à la fin de l’analyse,
et qui s’écrit plusieurs fois dans l’histoire
analysante de chacun. C’est un amour qui
survit à la passion de savoir, qui supporte
le réel rencontré dans son expérience
singulière, c’est un amour qui, pour
chacun, trace l’histoire propre de sa
rencontre avec la psychanalyse.
A tous ceux « qui se lavent les mains en
éloignant d’eux le dit transfert, refusant le
surprenant de l’accès qu’il offre à l’amour
»8, nous disons qu’ils sont des faussaires
de la psychanalyse.
6
Miller J.-A., «Une fantaisie», Mental n°15, Paris,
p.9.
7
Lacan J. Ibid.
8
Lacan J. « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil,
2001, p. 478 .

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