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Amie
Pour Forough
Elle était noble
et une femme d’aujourd’hui
Elle avait des affinités avec tous les horizons ouverts
et comme elle comprenait bien la mélodie
de l’eau et de la terre !
Sa voix
ressemblait à la tristesse perturbée de la réalité
et ses paupières
nous montrèrent
le sens de la palpitation des éléments.
Ses mains
feuilletèrent l’air pur de la générosité
et déplacèrent la tendresse vers nous.
Elle ressemblait à sa solitude
et elle commentait pour le miroir
la courbe la plus amoureuse de ses jours.
Elle était comme la pluie
pleine de la fraîcheur de la récurrence
et elle se répandait à la manière d’un arbre
au milieu de l’abondance de la lumière.
Elle rappelait toujours l’enfance du vent
et nouait toujours le fil de la parole
au loquet de l’eau.
Une nuit, elle dit la prière verte de la tendresse
avec une telle clarté
que nous avons touché de la main
l’affection de la surface du sol
et que nous nous sommes rafraîchis
comme le clapotis de l’eau dans un seau.
Et nous voyions maintes fois
qu’elle partait avec plusieurs paniers
pour cueillir une grappe de promesses.
Mais elle n’a pas pu s’asseoir
en face de la transparence des colombes
et elle est allée au bord du néant.
Elle s’est allongée derrière la patience des lumières
et ne se soucia guère
de nous laisser aussi seuls
pour manger une pomme
dans la confusion du langage des portes.
Sorhâb Sehperi
Où est la maison de l’ami ? Poèmes : 1951-1977
Traduction : Jalal Alavinia
Lettres persanes, 2005 - p. 126-127
Le vent nous emportera
Dans ma petite nuit, hélas !
Le vent a rendez-vous avec les feuilles.
Dans ma petite nuit, persiste l’angoisse de la ruine
Écoute !
Entends-tu le souffle de l’obscurité ?
Je porte un regard étrange sur ce bonheur,
et je m’habitue à ma désespérance.
Écoute !
Entends-tu le souffle de l’obscurité ?
Il se passe quelque chose cette nuit.
La Lune est rouge, anxieuse
et sur ce toit
qui risque à tout instant de s’effondrer,
les nuages comme une foule en deuil
semblent attendre l’instant de la pluie !
Un instant et puis, rien.
Derrière cette fenêtre la nuit tremble
et la Terre cesse de tourner.
Derrière cette fenêtre,
un inconnu s’inquiète pour moi et toi.
Ô verdoyant !
Mets tes mains comme un souvenir brûlant
dans mes mains amoureuses
et confie tes lèvres comme une sensation vivante
aux caresses de mes lèvres amoureuses !
Le vent nous emportera !
Le vent nous emportera !
Forough Farrokhzad
La conquête du jardin. Poèmes : 1951-1965
Traduction : Jalal Alavinia
Lettres persanes, 2008 - p. 153